Le Crabe-Tambour (film)

Le Crabe-Tambour

Titre original Le Crabe-Tambour
Réalisation Pierre Schoendoerffer
Scénario Jean-François Chauvel, et Pierre Schoendoerffer d'après son roman
Acteurs principaux
Sociétés de production Georges de Beauregard
Pays de production Drapeau de la France France
Genre Aventures
Durée 120 minutes
Sortie 1977

Pour plus de détails, voir Fiche technique et Distribution.

Le Crabe-Tambour est un film français, réalisé par Pierre Schoendoerffer, sorti en 1977, adapté de son roman éponyme publié en 1976 chez Grasset. Il est inspiré par des épisodes de la vie du lieutenant de vaisseau Pierre Guillaume.

Synopsis

Le Bouvet (D624), escorteur d'escadre de type proche du Jauréguiberry sur lequel est tourné le film.

Atteint d'un cancer du poumon qu'il cache à son entourage, un officier de la marine nationale française se voit confier un ultime commandement qu'il a expressément réclamé, celui de l'escorteur d'escadre Jauréguiberry dont c'est également la dernière mission avant son désarmement. Il est chargé de l'assistance et de la surveillance de la grande pêche sur les bancs de Terre-Neuve. Le commandant mène aussi une quête personnelle, enracinée dans les guerres coloniales françaises depuis un événement sur le Mékong en 1948 : croiser une dernière fois un officier qu'il a connu, devenu capitaine de pêche du chalutier terre-neuvas Shamrock III. Le déroulement du film révèle qu'il avait donné sa parole à cet homme, parole qu'il n'avait pas pu tenir pour obéir à sa hiérarchie. On peut supposer que, durant toute sa vie qui maintenant s'achève, il a souffert de ce manquement.

Sa quête est relayée par les souvenirs du médecin du bord, qui accepte de fermer les yeux sur son état de santé, et de l'officier chef du service « énergie propulsion », un loup de mer qui aime à raconter de vieilles histoires bretonnes. Tous deux évoquent un ancien lieutenant de vaisseau surnommé le « Crabe-Tambour ». Les témoins successifs dressent peu à peu le portrait d'un personnage haut en couleur qui les a durablement marqués, et qui les a amenés à s'interroger sur leur propre vie.

Fiche technique

Distribution

Par ailleurs, plusieurs membres de l'équipage ont été figurants, notamment le maître timonier Wagner qui joue son propre rôle, ainsi que le maître-d'hôtel du Carré.

Production

Influences

La figure légendaire de Pierre Guillaume

Le réalisateur s'est exprimé à plusieurs reprises[2] sur les rapports qui existent entre le véritable lieutenant de vaisseau Pierre Guillaume et le « Crabe-Tambour » :

« C'était un de ces capitaines légendaires ! Donc on a fait connaissance, et l'on s’est pris de sympathie. Quand j'ai commencé à écrire mon livre Le Crabe-Tambour, je me suis dit qu'il y avait dans son histoire quelque chose qui m'intéressait. Ce n'est pas sa biographie, c'est mon histoire telle que je l'ai rêvée… J'ai dédié mon roman à mon fils cadet, Ludovic, parce qu'enfant, il avait un petit ventre rond sur lequel il tambourinait, et comme il marchait à quatre pattes et de travers, je l'appelais le crabe. D'où le "Crabe-Tambour" ! Vous voyez, c’est quelque chose de tout à fait personnel. Ce n'est pas sa vie, ce n’est pas la mienne. C'est autre chose[3]. »

— Pierre Schoendoerffer

À noter que l'officier Pierre Guillaume, dont le film s'inspire, a participé en personne au tournage du Crabe-Tambour comme conseiller technique[4] et en tant que figurant. Lors de la scène du procès, il passait si souvent dans le champ de la caméra que Schoendoerffer a fini par lui demander de revêtir la robe de l'avocat de la défense de Jacques Perrin[4],[3]. C'est ainsi qu'il s'est retrouvé figurant. Il y a notamment un gros plan sur lui après la réplique du « pacha » à Willsdorff.

Préproduction

Participation de la Marine nationale

Une fois le projet de Schoendoerffer d'adapter son roman au cinéma lancé, il fallut trouver les moyens de le réaliser. Très rapidement, des accords furent obtenus auprès des cabinets du chef d’état-major de la Marine et du ministre des Armées durant la période de l'hiver 1976-1977[5],[4].

Au départ c'est le remorqueur de haute mer Centaure qui est mis à la disposition du réalisateur par la Marine nationale. Néanmoins, étant jugé trop peu représentatif de l'idée que l'on se fait d'un bateau de la Marine, le Centaure doit être finalement remplacé par un autre navire[4]. C'est l'escorteur d'escadre Jaureguiberry qui fera l'affaire[5]. Ce film sera la dernière mission de l'escorteur[4] puisqu'il sera désarmé après celle-ci.

Tournage

Le tournage a débuté au tout début du mois de janvier[5],[6] et s'est poursuivi jusqu'au 16 avril 1977[7].

Après avoir embarqué à Brest[5], c'est en mer d'Iroise, avec un escorteur rapide et un hélicoptère Super-Frelon[4] que sont réalisées les images du Jaureguiberry pris dans la tempête[8]. Raoul Coutard, le chef-opérateur, ayant pris place, à bord de l'escorteur rapide, dans une cabine équipée d'un télépointeur gyrostabilisé[4]. Le conseiller technique Pierre Dubrulle se souvient que : « par mer forte à très forte, en route parallèle et à même vitesse, [Raoul Coutard] filme le Jaureguiberry comme aucun bateau de guerre n'a été filmé ». Quant à l'opérateur Dominique Merlin, embarqué à bord du Super-Frelon, il multiplie les axes de prise de vues aérienne de l'escorteur.

L'officier des pêches Walter obtiendra l'embarquement de l'opérateur Dominique Merlin, à bord du Shamrock III de Fécamp, dernier chalutier « classique » à pratiquer la pêche sur le côté[4]. Au moment de son transfert via un canot pneumatique Zodiac, Pierre Schoendoerffer lui dira : « Ramène-moi la peine des hommes ! »[4]. Il ramènera du Shamrock une séquence documentaire sur le travail des Terres-neuvas.

Interrogé par le SIRPA Marine, Pierre Dubrulle se remémore les difficultés des prises de vue[9] dans un environnement aussi hostile : « Au fil des jours, le tournage se poursuit par des météo changeantes : le « Jojo » tour à tour se couvre de glaces, progresse dans des étendues mouvantes et immaculées, est assailli de bourrasques de neiges, ouvre sa route au milieu d'un dallage de nénuphars de glaces qui se referment sur son sillage. »[4]

La fin du tournage à bord du bateau correspond à son retour à quai avant son désarmement. Le débarquement a eu lieu à Lorient, où a été tournée la séquence finale dans laquelle on peut voir Jean Rochefort saluer pour la dernière fois son équipage puis prendre place dans une voiture pour quitter le port[4]. Le reste du tournage se déroulera en Thaïlande pour les séquences de l'Indochine (notamment sur la fameuse rivière Kwaï[8]), et à Djibouti pour celles de l'Afrique[10].

Concernant les séquences françaises, de nombreuses scènes ont été tournées en Bretagne et l'enterrement de l'adjudant Willsdorff a été filmé dans un village en Alsace[11].Tandis que la rencontre à Mers El Kébir, entre Willsdorff et "Le Vieux" a été tournée sur la base d'hélicoptères de Saint Mandrier.

Bande originale

Musique du film

Photo d'un cor de chasse.
Le cor de chasse résonne à l'écran dès la première apparition du « Crabe-Tambour ».

Après avoir collaboré dans les années 1960 avec le compositeur Pierre Jansen sur La 317e Section[12] et Objectif 500 millions[13], Pierre Schoendoerffer pense d'abord à confier la musique du Crabe-Tambour au célèbre Georges Delerue[15],[16], mais décide finalement de travailler avec Philippe Sarde, qui était à cette époque particulièrement prolifique[17]. Schoendoerffer a indiqué à sa biographe Bénédicte Chénon qu'il désirait de la musique classique mais qu'il voulait rajouter « un petit peu de musique asiatique et des trompes de chasse, dans le genre sonneries de chasse[18] ». Philippe Sarde a toutefois noté que ce dernier avait en même temps très peur de mélanger l'orchestre symphonique avec des instruments aussi inhabituels[19]. L'exercice consistait, selon le compositeur, à « rentrer dans son univers nostalgique de l'armée qu'il avait traité dans la majorité de ses films[20] ».

En accord avec le réalisateur, Philippe Sarde décide d'utiliser « un orchestre philharmonique de 60-70 musiciens avec un cor de chasse qui représente le crabe-tambour et un monocorde vietnamien qui inspire le souvenir du Mékong » et il ajoute que ces instruments disparates « cohabitent sans se marier »[20]. Orchestrée et dirigée par le chef d'orchestre italien Carlo Savina, la partition orchestrale fait intervenir deux solistes : Michel Garcin-Marrou au cor de chasse et Trần Quang Hải au monocorde vietnamien[20]. La partie purement symphonique de la musique est très athématique et menaçante, on l'entend essentiellement dans les génériques début et fin, ou pour accompagner les images de la proue du Jauréguiberry plongeant dans la mer déchainée. Plus mélodique, le thème du « Crabe-Tambour » joué au cor de chasse est parfois incarné à l'écran par un sonneur, mais le plus souvent, on l'entend sans le voir, pour bien symboliser les obsessions du commandant de l'escorteur, interprété par Jean Rochefort.

Musicien jouant du Đàn bầu, un monocorde vietnamien
Le compositeur a utilisé un monocorde vietnamien pour évoquer les souvenirs liés au Mékong.

Tandis que le son du monocorde vietnamien intervient surtout pour « réchauffer » les images d'une mer « emprisonnée de glace[21] ». Philippe Sarde insiste sur l'importance du caractère obsessionnel apporté par de tels instruments et par leur décalage : « Ces gens […] sont complètement obsédés par le Vietnam. […] On voit ces bateaux dans la glace et on entend cet instrument vietnamien… […] Ça ne vous fait pas penser au décor, mais à ce qu'ont les personnages dans la tête[22] ». Malgré sa brièveté[23], la musique joue un rôle crucial pour dramatiser certaines scènes tout en apportant un contrepoint insolite aux décors du film[24]. Pendant les séances d'enregistrement dans les studios CTS, Wembley à Londres, Philippe Sarde se souvient que le réalisateur était « très humble dans les séances avec l'orchestre » mais qu'il « s'est comporté tel un chef de régiment » lors de l'enregistrement du chant militaire, et que cela l'avait vraiment impressionné[19].

Le succès public du long-métrage[25] entraîne la publication d'un 45 tours en 1977 sur le label Melba (qui a aussi publié la bande originale du film Mort d'un pourri) sur lequel on retrouve le thème principal du film réparti sur les deux faces du disque[26]. Le caractère peu thématique et la nature expérimentale des alliages instrumentaux de cette bande originale ont retardé sa réédition sur CD, et il a donc fallu attendre pas moins de 42 ans pour voir paraître en 2019 une première intégrale avec cinq titres publiés sur une compilation à tirage limité du label français Music Box Records[27].

Liste des morceaux sur la compilation de 2019
NoTitreDurée
1.Le Crabe-Tambour3:06
2.Willsdorff Terre-Neuve2:05
3.Roulis2:11
4.Jauréguiberry2:29
5.Les Fantômes Du Mékong2:15
12:06

Chansons et airs entendus dans le film

Le thème du « Crabe-Tambour », joué hors-champ à la trompe de chasse par le clairon Bocheau, lors de la première apparition de Willsdorff sur le toit d'un bateau remontant un fleuve en pleine jungle[28], s'inspire d'une fanfare de chasse nommée La Rallye Alésia[29].

On entend la chanson Paris jadis[30] (écrite par Jean-Roger Caussimon et composée par Philippe Sarde) lorsque Claude Rich entre dans un restaurant vietnamien[28] à Paris. À l'origine, cette chanson était interprétée par Jean Rochefort et Jean-Pierre Marielle pour le film Des enfants gâtés de Bertrand Tavernier.

On entend également la chanson Kashmir du groupe Led Zeppelin en fond sonore, lors d'une scène dans le bar de La morue joyeuse[28] à Saint-Pierre.

Analyse

Contexte historique et véracité des faits

Le film comporte d'authentiques repères historiques[31] (la guerre d'Indochine, le putsch des généraux, la chute de Saïgon en 1975). L'action, qui se déroule essentiellement au sein de la Marine nationale, restitue bien les usages ou règlements en vigueur. L'ambiance sur la passerelle, notamment, est réaliste. Les ordres sont réglementaires et quelques phrases sont de ton juste : « Trop de monde sur cette passerelle », ou : « Le commandant n'aime pas qu'on parle sur sa passerelle en dehors du service. » Quant au débarquement du commandant (« Le commandant quitte le bord »), cette cérémonie est conforme au cérémonial militaire : la garde d'honneur présente les armes et les honneurs sont rendus au sifflet par le gabier siffleur.

Tout au long du film, Schoendoerffer s'efforce de dépeindre la réalité et la dureté du travail en mer. Parallèlement à l'histoire principale il filme le quotidien d'un navire d'assistance des pêches. Toutes les petites scènes qui montrent le travail quotidien (enlever la glace accumulée sur les ponts[8], par exemple), aussi bien que l'assistance en mer (soins apportés aux pêcheurs blessés, enquête pour faire la lumière sur la chute d'un marin qui a disparu en mer, tentative de sauvetage du yacht naufragé…), confèrent au film un aspect quasi documentaire.

Référence à La 317e Section

Une scène montre le « Crabe-Tambour » aux funérailles de son frère, l'adjudant Willsdorff[32]. Sur un journal se trouve une photo de ce dernier incarné par Bruno Cremer. Pierre Schoendoerffer fait ainsi apparaître son ami et acteur fétiche tout en marquant le lien avec La 317e Section (1965)[31].

Religion

Le commandant malade confie à Pierre qu'il lit seul la Bible dans sa cabine, et il évoque la parabole des talents, « la plus terrible de toutes »[33]. Bien que laïc, le chef mécanicien célèbre une cérémonie catholique à bord, en l'absence de prêtre. Parmi les histoires bretonnes qu'il raconte figure celle d'un « mécréant » défiant un recteur dans le cimetière de l'église. Les Willsdorff sont protestants : l'adjudant est inhumé en Alsace en présence d'un pasteur, alors que le Crabe-tambour, captif en Afrique, a conservé sur lui une bible de poche. Le film est ainsi marqué par la foi protestante de Schoendoerffer[33].

Distinctions

Récompenses

Nominations

Notes et références

  1. Chéron 2012, p. 120.
  2. Notamment au cours d'un entretien accordé le 26 février 2007 à sa biographe Bénédicte Chéron[1].
  3. a et b Pierre Schoendoerffer, interview par Christophe Barbier, Hommage à Pierre Schoendoerffer, Lexnews, .
  4. a b c d e f g h i j et k Dubrulle 2012.
  5. a b c et d Chéron 2012, p. 124.
  6. Une archive INA de l'époque est même datée du  : « Tournage du Crabe-tambour à Saint-Pierre-et-Miquelon » [vidéo], sur ina.fr.
  7. « Fiche du film Le Crabe-Tambour, onglet Tournage », sur Ciné-Ressources (consulté le ).
  8. a b et c Chéron 2012, p. 125.
  9. Chéron 2012, p. 124-125.
  10. Chéron 2012, p. 125-126.
  11. Chéron 2012, p. 126.
  12. Chéron 2012, p. 77.
  13. Chéron 2012, p. 97.
  14. Frédéric Gimello-Mesplomb, Georges Delerue : une vie, Hélette, J. Curutchet, (ISBN 9782904348785), p. 172.
  15. La première rencontre avec Georges Delerue a eu lieu par l'intermédiaire de l'épouse du compositeur qui était monteuse sur Le Crabe-Tambour[14].
  16. Interview de Pierre Schoendoerffer extraite du livret du longbox Le Cinéma De Georges Delerue, Georges Delerue, 2008, Universal Music France, 531 263-0, p. 22.
  17. Alain Lacombe et François Porcile, Les musiques du cinéma français, Paris, Bordas, (ISBN 978-2-04019-792-6), p. 132.
  18. Chéron 2012, p. 119-120.
  19. a et b Luc Larriba, « Entretien avec Philippe Sarde : Composer pour des films et non coller de la musique sur des images », Revus & Corrigés, no 9,‎ , p. 21 (ISSN 2609-9942).
  20. a b c et d Livret du CD Mille Milliards De Dollars / Conte De La Folie Ordinaire / Le Crabe-Tambour, Philippe Sarde, 2019, Gérard Dastugue, Music Box Records, MBR-166.
  21. Chéron 2012, p. 236.
  22. Jean-Pierre Pecqueriaux, « Un entretien avec Philippe Sarde - 2e partie », Soundtrack!, vol. 4, no 15,‎ , p. 5F (ISSN 0771-6303).
  23. Notée au dos du CD Music Box Records de 2019, la durée totale de la bande originale fait à peine plus de 12 minutes[20].
  24. Chéron 2012, p. 119.
  25. Chéron 2012, p. 127.
  26. « Le Crabe Tambour - Bande Originale Du Film », sur Discogs (consulté le ).
  27. « Philippe Sarde – Mille Milliards De Dollars / Conte De La Folie Ordinaire / Le Crabe-Tambour », sur Discogs (consulté le ).
  28. a b et c Török 1978.
  29. « Fanfare de chasse La Rallye Alésia » [audio], sur Site du Rallye Alesia (consulté le ).
  30. [vidéo] Paris jadis sur Dailymotion.
  31. a et b Chéron 2012, p. 118.
  32. Chéron 2012, p. 238.
  33. a et b Bénédicte Chéron, « L’honneur dans l’œuvre de Pierre Schoendoerffer », Inflexions, vol. 27, no 3,‎ , p. 115–124 (ISSN 1772-3760, DOI 10.3917/infle.027.0115, lire en ligne)

Annexes

Bibliographie

  • François de La Bretèque, « L'Indochine au cœur d'une œuvre : L'Illiade et l'Odyssée de Pierre Schoendoerffer », Les cahiers de la cinémathèque, no 57,‎ (ISSN 0764-8499)

Liens externes

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