Keechaka Vadham (en alphasyllabaire tamoul : கீசக வதம் ; littéralement : « Le Meurtre de Kichaka ») parfois écrit Keechak Vadham ou Keechakavadha, aussi connu sous le titre Keechak Vatham ou Keechakavatham, est un filmmuetindien produit, réalisé, filmé et monté par Rangaswamy Nataraja Mudaliar en 1916. Aujourd'hui perdu, ce premier film de l'histoire du cinéma d'Inde du Sud est tourné à Madras en cinq semaines dans le studio qu'il fonde pour l'occasion, la Indian Film Company.
Le scénario de Keechaka Vadham, co-écrit par l'acteur C. Rangavadivelu, est inspiré d'un épisode du Livre de Virata, le quatrième chant du Mahabharata. Il met l'accent sur la tentative du commandant Kichaka de courtiser Draupadi. Les rôles principaux sont joués par Raju Mudaliar et Jeevarathnam.
Keechaka Vadham est une réussite commerciale et reçoit des critiques positives. Le succès du film pousse R. Nataraja Mudaliar à réaliser d'autres films mythologiques, qui lui vaudront d'être considéré comme le père du cinéma tamoul. Ses œuvres ont notamment inspiré les réalisateurs indiens R.S. Prakash et J. C. Daniel.
Le film comme son script étant perdus, il n'existe pas de description précise du scénario de Keechaka Vadham. Il est cependant établi qu'il s'inspire fidèlement de l'épisode bien connu du public indien relaté dans le deuxième livre du Livre de Virata, le quatrième chant du Mahabharata attribué à Vyasa[1]. Titré en sanskritकीचकवधपर्वा (Kīcakavadha parva), littéralement « Le livre du meurtre de Kichaka », il raconte l'histoire suivante[2],[3],[4] :
Dans leur treizième année d'exil, Draupadi et ses cinq maris, les Pandava, se cachent au royaume du roi Virata. Elle se déguise en femme de chambre au service de la reine Sudeshna sous le nom de Sairandhri tandis que ses maris obtiennent divers postes à la cour du roi. Kichaka, commandant de l'armée du roi et demi-frère de la reine, la remarque dans les appartements de sa demi-sœur et tente de la séduire, mais Sairandhri le repousse arguant qu'elle est déjà mariée.
Kichaka demande alors l'aide de Sudeshna qui lui envoie le jour même sa servante sous le prétexte de lui rapporter de l'hydromel. Sairandhri en pleurs et invoquant la protection divine arrive dans les appartements de Kichaka. Celui-ci la poursuit de ses assiduités et comme elle résiste, il la saisit par la main. Elle se dégage et alors qu'elle s'enfuit dans la salle du conseil, il la jette à terre, puis la frappe du pied sous les yeux de ses maris Yudhishthira et Bhima. De peur d'être découverts, ceux-ci n'interviennent pas.
Le soir venu, Draupadi se rend chez Bhima pour le supplier de venger son honneur bafoué. Il lui suggère de donner rendez-vous à Kichaka la nuit suivante dans le pavillon de danse déserté. Lorsque le commandant en chef arrive, pomponné et éperdu de désir, il tombe sur Bhima en rage. À l'issue de la lutte à mort qui s'ensuit, Bhima démembre Kichaka et en fait une boule de chair informe.
À la vue du cadavre de Kichaka, ses 105 frères, les Upakichaka, accusent Draupadi et décident de la brûler vive sur le bûcher funéraire de leur aîné. Les appels à l'aide de la malheureuse alertent Bhima qui accourt et les tue tous promptement.
Fiche technique
Titre : Keechaka Vadham / Keechak Vatham[5],[note 1]
R. Nataraja Mudaliar crée en 1915 la Indian Film Company, la première maison de production d'Inde du Sud, avec l'aide de son riche cousin et associé dans son affaire automobile S.M. Dharmalinga Mudaliar[16],[note 4]. Il aménage avec l'aide d'investisseurs associés un studio de cinéma sur Miller's Road à Purasawalkam, dans un bungalow nommé Tower House[11],[18]. Il réalise son premier film l'année suivante : Keechaka Vadham[note 5].
Par l'intermédiaire de son ami C. Rangavadivelu, un avocat et comédien amateur[note 6] connu pour ses rôles féminins dans la troupe Suguna Vilasa Sabha(en), il fait la connaissance du dramaturge Pammal Sambandha Mudaliar. Ce dernier lui suggère d'adapter l'histoire de Draupadi et Kichaka tirée du Livre de Virata du Mahabharata[11]. Des proches de R. Nataraja Mudaliar rejettent cette idée, affirmant que l'histoire serait inappropriée[note 7]. P. Sambandha Mudaliar le convainc toutefois de poursuivre, arguant que ce récit mythologique est connu du grand public[1],[11]. C. Rangavadivelu l'aide à écrire le scénario du film, R. Nataraja Mudaliar n'étant pas un professionnel de l'écriture[11]. Certains historiens de cinéma indiquent également que R. Nataraja Mudaliar se serait inspiré des peintures de Raja Ravi Varma pour adapter le récit[25],[8],[note 8]. Il choisit les comédiens de théâtre Raju Mudaliar et Jeevarathnam respectivement pour les rôles de Kichaka et Draupadi[11].
Tournage
La production de Keechaka Vadham nécessite un budget total de 35 000 , un montant assez élevé pour l'époque[11],[note 9]. Débuté à la fin de l'année 1916[22], le tournage dure environ 35 jours[26]. R. Nataraja Mudaliar fait importer la pellicule de Londres avec l'aide d'un dénommé Carpenter, qui travaille pour la section bombayenne de l'entreprise Kodak[21]. Le film est éclairé en lumière naturelle, tamisée par un fin morceau de tissu blanc qui recouvre la large structure ouverte servant de lieu de tournage[1]. Plusieurs scènes sont également tournées en extérieur[8]. C. Rangavadivelu conseille les acteurs durant le tournage[11],[18]. R. Nataraja Mudaliar actionne la caméra, réalise, produit et monte le film[27],[28] assisté uniquement par Jagannatha Achari, un ami acteur qu'il avait fait former à Pune auprès de Francis Stewart[8],[7].
Keechaka Vadham est enregistré au rythme de 16 images par seconde (la vitesse standard des films muets de la Indian Film Company), avec des intertitres en anglais, en tamoul et en hindi. Les intertitres tamouls et hindis sont rédigés respectivement par P. Sambandha Mudaliar et Devdas Gandhi, tandis que ceux en anglais sont écrits par R. Nataraja Mudaliar avec l'aide de son oncle, le Dr. Guruswamy Mudaliar, et de Thiruvenkataswamy Mudaliar, un professeur du Pachaiyappa's College[25],[29].
Le négatif est traité à Bangalore où R. Nataraja Mudaliar établit un laboratoire dirigé par son assistant Narayanaswami Achari[26]. Il n'y a en effet aucun laboratoire de ce type à Madras et R. Nataraja Mudaliar pensait que le climat plus frais de Bangalore était « plus adapté à sa pellicule exposée ». Les rushes sont expédiés quotidiennement au laboratoire et il se rend à Bangalore tous les week-ends pour y superviser le traitement les images, revenant le lundi sur le lieu de tournage[20],[18]. Finalement, le film atteint une longueur d'environ 6 000 pieds, soit à peu près 1 800 m[28],[30],[31]. Joué en moyenne à 16 images par seconde, la projection devait durer environ 100 minutes[32].
Sortie et postérité
Keechaka Vadham sort en salle probablement peu après avoir été réalisé[26], c'est-à-dire au début de 1917. Il ressort plusieurs fois au cours des années qui suivent, notamment pendant deux semaines début 1918 à l'Elphinstone Theatre de Madras[13], et en au Majestic de Bombay[33],[note 10]. Sa distribution à Bombay est assurée par Ardeshir Irani tandis que les droits pour le Bengale sont gérés par J.F. Madan[26]. Le film est vu dans tout le Raj britannique et dans des villes aussi éloignées que Karachi ou Rangoun[13].
Le film génère 50 000 de recette d'exploitation après sa diffusion en Inde, en Birmanie, à Ceylan, aux États malais fédérés et à Singapour. Le film rapporte donc finalement 15 000 , ce que l'historien S. Muthiah décrit comme un « petit profit à cette époque »[30]. Le quotidien The Mail indique à l'occasion du vingtième anniversaire de sa sortie que « le film n'avait pas été un succès complet »[22]. Pourtant en 2003, l'écrivain Firoze Rangoonwalla rappelle qu'une analyse du même journal fait l'éloge du film : « il a été préparé avec grand soin et fait salle comble »[37]. Randor Guy affirme que R. Nataraja Mudaliar a « créé l'histoire » grâce aux critiques et au succès commercial du film[28].
Enthousiasmé par la réussite de Keechaka Vadham, R. Nataraja Mudaliar se lance dans la réalisation de Draupadi Vastrapaharanam (1917) qu'il tourne dans les mêmes décors, et toujours avec l’acteur Raju Mudaliar tandis que le rôle principal de Draupadi est cette fois interprété par Violet Berry, une actrice anglaise[13]. Il poursuit dans les années qui suivent avec quatre autres films mythologiques : Lava Kusa (1919), Shiva Leela (1919), Rukmini Satyabhama (1922) et Mahi Ravana (1923)[28],[20]. En désaccord avec ses associés, il met un terme définitif à sa carrière cinématographique en 1923, après la mort de son fils unique et un incendie qui détruit sa maison de production[28],[18].
↑Les historiens de cinéma ont souvent proposé des transcriptions latines et des traductions différentes du titre. Ainsi par exemple Yves Thoraval le transcrit Keechakavatham et propose de le traduire par La Destruction de Keechakan[6]. De son côté Sanjit Narwekar le transcrit Keechak Vadha et propose comme traduction anglaise The Assassination of Keechak (trad. L'assassinat de Keechak)[7].
↑Certains auteurs avancent que R. Nataraja Mudaliar aurait vu Raja Harishchandra au cinéma Gaiety de Madras avant de se lancer dans le cinéma. Même s'il est vraisemblable qu'il ait assisté à une représentation de ce film, il est improbable que cela se soit situé à Madras car la première représentation connue d'un film de Dadasaheb Phalke au sud de l'Inde date d'une tournée promotionnelle que ce dernier effectue en 1919[9].
↑À titre de comparaison, une voiture comme celles que vendait R. Natajara Mudaliar se négociait à cette époque environ 1 000 [11], le salaire mensuel d'un acteur était de l'ordre de 150 [13] tandis qu'une place de cinéma pouvait ne coûter que 2 annas[14].
↑Les historiens ne s'accordent pas sur l'année précise de la fondation de la Indian Film Company, certains prétendant qu'elle a eu lieu en 1916 et d'autres en 1917. Il est par contre établi qu'il s'agit du troisième studio indien après Phalke's Films installé à Nasik et Pantakar Union de Bombay qui deviendra le célèbre Kohinoor en 1919, tous deux fondés en 1912-1913. Pradeep Madhavan propose une explication en indiquant que R. Nataraja Mudaliar a simplement converti en 1915 les locaux de sa société de distribution automobile en studio de cinéma[17].
↑L'historien de cinéma Suresh Chabria(de) fait paraître en 1994 la première édition de Light of Asia: Indian Silent Cinema, 1912-1934, un catalogue des films indiens du temps du muet. Pour l'année 1915, il indique sans donner de précision l'existence d'un film nommé Gopal Krishna tourné par R. Nataraja Mudaliar pour le compte de la Indian Film Company de Madras. Il ne modifie pas cette information dans la seconde édition parue en 2013[5]. Ashish Rajadhyaksha et Paul Willemen publient en 1998 la première édition de Encyclopedia of Indian Cinema où ils la reprennent. Ils la conservent également dans la seconde édition publiée en 2012[19]. Cependant, aucun autre historien de cinéma ne mentionne ce film. Suresh Chabria lui-même n'en parle pas dans l’Encyclopaedia of Early Cinema à laquelle il participe en 2005[12]. Randor Guy met même en 2007 ouvertement en doute le fait que ce film ait été tourné[20]. R. Nataraja Mudaliar n'en parle pas lorsqu'il détaille sa filmographie dans l'entretien qu'il donne à la fin de sa vie[21] et le film n'est pas cité dans l'article en forme d'hommage paru dans The Mail paru en 1936[22]. Les doutes sont donc très importants quant à l'existence de ce film, et il est considéré presque unanimement que Keechaka Vadham tourné en 1916 est le premier film de R. Nataraja Mudaliar. T.M. Ramachandran indique par ailleurs que R. Nataraja Mudaliar a présenté quelques bouts d'essais à Pune dans la salle de cinéma de Francis Stewart avant de véritablement commencer sa carrière de cinéaste[8]. Peut-être s'agit-il du mystérieux Gopal Krishna.
↑Le théâtre amateur était à cette époque à Madras élitiste et sophistiqué. Par opposition, le théâtre professionnel était plus populaire et certains le considéraient même comme vulgaire[23].
↑L'histoire du meurtre de Kichaka est celle d'un harcèlement sexuel qui se termine par une vengeance particulièrement sanglante. Elle est si crue qu'elle ne pouvait certainement pas être montrée telle que le texte du Mahabharata la décrit. Aujourd'hui encore, les films qui l'évoquent tels que Keechaka (2015) se contentent de laisser deviner ce qui arrive à Kichaka. Pourtant, ce drame a été adapté de nombreuses fois au théâtre au tournant du XXe siècle et on se souvient par exemple qu'il est présenté sur scène en décembre 1914 à Madras durant les sessions du Congrès national indien[24].
↑Il est établi que Dadasaheb Phalke s'est inspiré des peintures naturalistes de Raja Ravi Varma mais il n'existe pas d'argument définitif en ce qui concerne Keechaka Vadham. Cependant, une photographie de Draupadi Vastrapaharanam (1917) tourné dans les mêmes décors, laisse à penser que R. Nataraja Mudaliar a effectivement puisé lui aussi dans l'iconographie de Raja Ravi Varma.
↑Le budget habituel des films à cette époque est de l'ordre de 15 000 . Il s'agit également de celui des derniers films de R. Nataraja Mudaliar[13].
↑Le très petit nombre de copies d'exploitation ainsi que le nombre réduit de salles de cinéma en Inde à cette époque font que les films bénéficiaient de plusieurs sorties espacées de quelques mois pendant des années. Ces re-sorties multiples créent une grande confusion parmi les historiens qui se basent sur de rares documents disponibles pour en déduire une date unique de sortie. Ainsi, alors que l'historien du cinéma S. Theodore Baskaran et le réalisateur R. K. Selvamani affirment que le film est sorti en 1916, les historiens du cinéma Suresh Chabria(de) et Film News Anandan déclarent qu'il est sorti en 1917[27],[12],[34],[35]. Les historiens du cinéma Randor Guy et S. Muthiah, le documentariste Sanjit Narwekar ainsi que le professeur d'histoire Knut A. Jacobsen affirment que le film est sorti en 1918[11],[30],[7],[36]
↑Randor Guy indique en 2007 qu'une copie pourrait se trouver dans les archives de la fondation Eastman Kodak à Rochester[20]. La fondation a finalement répondu en 2017 que le film n'était pas en sa possession.
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Sitographie
: document utilisé comme source pour la rédaction de cet article.
La version du 26 juin 2018 de cet article a été reconnue comme « bon article », c'est-à-dire qu'elle répond à des critères de qualité concernant le style, la clarté, la pertinence, la citation des sources et l'illustration.