Il quitte son poste d'enseignant dans un lycée catholique en 1958, à l'âge de quarante-cinq ans, pour se consacrer à l'écriture. En vingt-deux ans, il écrira presque trente livres[2].
Il est renversé par une voiture à Paris et meurt une semaine plus tard le [3].
Son nom de plume est emprunté au film de Preston Sturges, Les voyages de Sullivan (1942), rapporte Pádraig Ò Gormaile en se fondant sur un passage de Matinales, Itinéraire spirituel de l'écrivain. Il ajoute: « “Sulivan”, avec un seul “l”, dénote une touche de singularité [...]. Ce nouveau nom représente pour lui une renaissance »[2].
Jean Sulivan a également été directeur de collection chez Gallimard (Collection « Voies ouvertes »[4]), puis chez Desclée de Brouwer (Collection « Connivence »[5]).
En 1964, Jacques Madaule aurait dit de Sulivan qu'il était « un auteur capable de continuer Bernanos »[7].
Dans un article de 2011 du journal La Croix, Bruno Frappat considère Jean Sulivan plutôt comme un « contemporain » qui « s'engagea dans la voie de la littérature en se libérant, mais sans rupture, de son statut d'ecclésiastique affecté à des missions sacerdotales ». Selon lui, l'entrée tardive en écriture, telle une « seconde naissance » ouvrit à Jean Sulivan « la voie d'une liberté intérieure et de la promotion de cette liberté spirituelle qui est le fil conducteur de ses écrits ». Il s'agissait aussi d'une « liberté par rapport à l'Église institutionnelle, sans négliger pourtant que celle-ci avait sa fonction : la parole de l'Évangile », car, interrogeait l'écrivain, « sans l'Église l'aurions-nous entendue ? ». Mais « cette reconnaissance de dette », poursuit Frappat en citant encore Sulivan, n'empêchait pas celui-ci « d'exprimer un sévère appel à une Église qui “cesse d'apparaître comme cette énorme coiffe de plomb à organiser les apparences” »[8].
Situation de dissidence cléricale en Bretagne (1960-1990)
Dans le cadre d'une étude intitulée « Abchristianisation. Écarts et départs dans le clergé breton (1960-1990) », l'historien Yvon Tranvouez évoque à propos de la dissidence cléricale en Bretagne à cette époque, l'une des « deux figures de premier plan, dont l’influence sur les élites catholiques est unanimement attestée », en la personne de l'abbé Joseph Lemarchand, alias Jean Sulivan (1913-1980), prêtre du diocèse de Rennes : celui-ci, observe-t-il, « n’a jamais abandonné le sacerdoce, dont il n’a pas non plus été exclu bien qu’il ait, selon ses propres termes, quitté le “service actif” en 1967, poursuivant dès lors à Paris une carrière aléatoire d’écrivain et de directeur de collection chez deux éditeurs de renom. Peu porté aux confidences, il s’en est quand même expliqué incidemment, au détour de plusieurs livres de portée plus générale, dont l’un à l’enseigne de La Traversée des illusions (1977) »[9]. Sulivan « perçoit son parcours comme une succession de nouvelles naissances, dans les montagnes d’Engadine sur les traces de Nietzsche, en Italie du Sud sur celles de Rilke, mais l’illumination survient en Inde du Sud, en 1964, dans l’ashram du bénédictinHenri Le Saux, où “cela” lui arrive en marchant sur les bords du fleuve Cavéry », Yvon Tranvouez le cite[9] :
« Soudain la chose est là, bondit, vous coupe le souffle, vous tord, un vent de panique vous secoue comme un arbre, vous dépouille, la fulgurante intuition de la contingence, de l’inimportance de tout, du vide, tandis qu’une joie inexplicable se déplie, vous ouvre… Il faut s’asseoir, se laisser aller tant le choc est brutal […] Cette nuit-là, remis d’aplomb, je marchai encore longtemps avant de m’étendre sur le sable pour dormir au ras de l’eau. Une seule parole rythmait mes pas : il n’y a pas de mort, il n’y a pas de mort. Des impulsions me soulevaient : il faudra payer le prix, Sulivan, payer le prix »
— Jean Sulivan, Le plus petit abîme, 1965, p. 258-259
Comme pour ceux qui restent dans l’institution, même si leur croyance s'est modifiée, la situation est incommode. Le « prix » à payer n’est pas qu’existentiel, commente l'historien : Édith Delos, qui a bien connu Sulivan à Paris, parle à son sujet d'« une vie assez marginale, hors sécurité matérielle »[10],[9].
Parmi les prêtres qui « partent », tout en continuant de s’inscrire, d’une manière ou d’une autre, dans l’horizon chrétien, en adoptant ce que Yann Raison du Cleuziou[11] nomme une posture de « fidélité paradoxale », Jean Sulivan, d'après Tranvouez, se défait de toute posture critique ou revendicatrice et s’en tient à un « christianisme d’incertitude » qu’il partage avec ceux qui, comme lui, « se sentent “étrangers parmi les ruines anciennes ou nouvelles” »[12],[9]. Mais le sentiment d’un écart entre le message de l’Évangile et le visage de l’Église dont ils se trouvent être les représentants officiels est de plus en plus mal vécu par ces prêtres dissidents. Dans l’un de ses premiers livres, Provocation [1959], Jean Sulivan exprime son « exaspération face aux pesanteurs d’un système ecclésial dont l’image est contre-productive »[9]. En 1959, il « fustige la prédication ordinaire, qui ne s’élève guère au-dessus des formules du petit catéchisme, et reproche au clergé de soumettre les fidèles à “un régime d’arriérés mentaux” »[13],[9]. Et si l'âge le rendra plus indulgent à l’égard de ses confrères, il n'en restera pas moins sceptique sur la performance du langage ecclésiastique[9].
Œuvres
Fin des années 1950
Le Voyage intérieur, Plon, 1958; réédité dans Bonheur des rebelles, Gallimard, 1968
L'insurrection du prince, récit inédit, 1959, édité dans Bonheur des rebelles, Gallimard, 1968
Dieu au-delà de Dieu, Gallimard, coll. « Les Essais », 1968 (réédition de Paradoxe et scandale, Plon, 1962, avec quelques ajouts), réédité aux Éditions Desclée de Brouwer, coll. « Connivence », 1982.
Matinales II : La Traversée des illusions, Gallimard, 1977.
« La Dévotion moderne », introduction à L'imitation de Jésus-Christ, nouvelle traduction du latin par Michel Billon, Desclée de Brouwer, coll. « Connivence », 1979
L'instant l'éternité, Entretiens avec Bernard Feillet, Ed. du Centurion, 1978
Quelque temps de la vie de Jude et Cie, Stock, 1979
L'Association des Amis de Jean Sulivan, fondée en 1985 et présidée par Édith Delos, a publié 13 numéros de sa revue Rencontres avec Jean Sulivan. Sa dissolution, estimée nécessaire, a été prononcée lors de sa dernière assemblée générale en [8].
Notes et références
↑Jusqu'au milieu du XXe siècle, le petit séminaire représentait souvent « l’un des seuls moyens de s’instruire pour les enfants vivant à la campagne et dont les parents avaient de faibles ressources ». Repérés par les curés de paroisse, les enfants doués pouvaient y étudier: l'Église prenait leurs études en charge. « La discipline y était rigoureuse ». Le petit séminaire de Châteaugiron fut fermé en 1971 et remplacé par un établissement scolaire. (Source documentaire: « L'ensemble Sainte-Croix », Les circuits du patrimoine, site consulté le 14 octobre 2017: [1]).
↑ abc et dÒ Gormaile Pádraig, « Littérature et spiritualité : l'aventure de Jean Sulivan ». In: Cahiers de l'Association internationale des études françaises, 1993, no 45, p. 135-138. [lire en ligne]
↑Biographie de Jean Sulivan sur le site de l'Association des Amis de Jean Sulivan (dissoute en 2010), page d'archive consultée le 15 octobre 2017 [2]
↑Collection Henri Mitterand, Littérature Textes et Documents XXe siècle, p. 525.
↑Eamon Maher, Jean Sulivan (1913- 1980) ; la marginalité dans la vie et l'œuvre, Paris, L'Harmattan, 2008: « Jacques Madaule a dit de lui dans Témoignage chrétien du 30 avril 1964 qu'il était “un auteur capable de continuer Bernanos” » (Quatrième de couverture du livre).
↑ a et bBruno Frappat, « Jean Sulivan contemporain », La Croix, [lire en ligne]
↑Édith Delos, « Jean Sulivan : biographie », Approches. Questions sur l’homme, questions sur Dieu, 1991, 70 : p. 20-30, référence donnée par Yvon Tranvouez.
↑Yann Raison du Cleuziou, De la contemplation à la contestation, socio-histoire de la politisation des dominicains de la Province de France (1950-1980). Contribution à la sociologie de la subversion d’une institution religieuse, thèse de doctorat en science politique (Michel Offerlé, dir.), Université Paris 1, 2008.
↑Jean Sulivan, L'instant l'éternité, Entretiens avec Bernard Feillet, Ed. du Centurion, 1978, p. 84
↑Jean sulivan, Provocation ou la faiblesse de Dieu, Plon, 1959, p. 50.
: document utilisé comme source pour la rédaction de cet article.
(Dans l'ordre alphabétique des noms d'auteurs)
Michel Bressolette, « Jean Sulivan, le rebelle », Études, 1968/11 (Tome 329), p. 581-584, [lire en ligne]
Collection Henri Mitterand, Littérature Textes et Documents XXe siècle, Bernard Lecherbonnier, Dominique Rincé, Pierre Brunel, Christiane Moatti, Introduction historique de Pierre Miquel, Paris, Nathan, Edition revue et mise à jour, Impression .
Édith Delos (dir.), Rencontres avec Jean Sulivan, Revue de l'Association des Amis de Jean Sulivan, directeur de rédaction : Claude Goure, 1985-2010.
Pádraig Ò Gormaile , « Littérature et spiritualité : l'aventure de Jean Sulivan ». In: Cahiers de l'Association internationale des études françaises, 1993, no 45. p. 135-147. DOI : 10.3406/caief.1993.1812 [3]
« Le personnage marginal chez Sulivan », Études, 1994/7 (Tome 381), p. 91-100. DOI : 10.3917/etu.811.0091. [lire en ligne]
Jean Sulivan, 1913-1980 : la marginalité dans la vie et l'œuvre, L' Harmattan, 2008.
(en) « Jean Sulivan: the priesthood of the pen », The Irish Times, 19.02.2021 [lire en ligne]
Yvon Tranvouez, « Abchristianisation. Écarts et départs dans le clergé breton (1960-1990) », Ethnologie française, 2012/4 (Vol. 42), p. 761-770. DOI : 10.3917/ethn.124.0761. [lire en ligne]
Bibliographie complémentaire
Bibliographie complémentaire
Actes de colloques sur Jean Sulivan
(Dans l'ordre chronologique des parutions)
Collectif, « Le sacrement de l'instant. Présence de Jean Sulivan », Actes du premier colloque Jean Sulivan, Question de, no 80, Paris, Albin Michel, 1990
Collectif, Jean Sulivan, une parole d'intériorité pour aujourd'hui, Actes du Colloque de Ploërmel des 24 et , Les Sources et les Livres, 2, rue de la Fontaine, 44410 Assérac.
Collectif, actes du colloque de Saint Jacut de la Mer, novembre 2020, Jean Sulivan Dans l'espérance d'une parole (sous la direction de Jean Lavoué), 2020 [4], [5]
Christophe Henning, « Dans l’espérance d’une parole », un recueil collectif sur Jean Sulivan, La Croix, 19.02.2021, [lire en ligne]
Marie-Thérèse Maltèse-Milcent, « De la nécessité de croire », Topique, 2003/4 (no 85), p. 229-237. DOI : 10.3917/top.085.0229. [lire en ligne]
Documentation audio-visuelle
La flûte de Jean Sulivan, film de Patrick Chagnard, diffusé par TF1 le , et « La parole inachevée », interview de Jean Sulivan par Marie-Thérèse Maltèse, diffusé sur TF1 le - Association des amis de Jean Sulivan, Les Films du Parotier et CFRT, 2006 (DVD).