L'homosexualité dans la chanson française peut prendre plusieurs formes. Au fil des époques les chansons peuvent caricaturer, ignorer, défendre ou militer pour l'acceptation de cette orientation sexuelle, quelle que soit l'orientation sexuelle de leurs auteurs ou de leurs interprètes. Mode d'expression populaire par excellence, la chanson permet à la fois le divertissement et le débat. La culture gay et lesbienne en a fait un médium privilégié d'expression, mais la chanson peut être également utilisée pour la railler ou la parodier.
Histoire
Déjà présente à une époque où le terme « homosexuel » n'existait pas encore, le thème de l'homosexualité a véritablement éclos dans la chanson française à l'avènement de la Troisième République grâce à l'explosion des cafés-concerts[c 1],[a 1] — à la suite des décrets de 1867 et de 1880 —, lieux de toutes les licences (qu'elles soient alcooliques ou morales) malgré une censure toujours attentive. Il s'agissait à l'époque plus de caricaturer la « tante » comme sujet de moquerie parmi tant d'autres (soldats, belles-mères...), même si peu à peu des artistes et auteurs ouvertement homosexuels tendent à donner une image plus troublante, sortant de la moquerie pour évoquer la vie homosexuelle de l'époque et l'ivresse de ces amours interdites[d 1].
C'est paradoxalement grâce à des chanteurs « hétéros » que l'homosexualité va peu à peu devenir un sujet plus anodin à partir de 1968. Juliette Gréco, Régine ou Mouloudji interprètent des auteurs ouvertement gays comme Frédéric Botton ou Jean Genet, et surtout des textes qui évoquent l'homosexualité sans en faire un objet de condamnation ou de moquerie[a 3]. Charles Aznavour aborde le sujet en 1972 avec Comme ils disent[c 12],[a 5] en énonçant pour la première fois "homo" (écrit « homme oh[a 6] ») et en prêchant la tolérance[3].
Les années disco imposent la mode androgyne personnifiée par les Bee Gees, ou Patrick Juvet[a 6], tandis que des chanteurs comme Dave continuent à chanter les amours hétérosexuels sans dissimuler leurs propres préférences[a 7], et que les Village People[b], ou Boys Town Gang prêchent l'hédonisme décomplexé de certains milieux gays de l'époque, véhiculé par des chanteurs et danseurs dont la plastique est mise en valeur. Dans les années 1990, les boys band garderont leur principe de présenter des hommes comme objets sexuels, mais sans connotation homosexuelle affichée. Au début des années 1980, plusieurs artistes prennent ouvertement la défense de la cause homosexuelle comme Dalida qui soutient la Radio Fréquence Gay et participe dès 1985 à un gala pour aider la recherche contre le virus du SIDA[4]. À ce propos, elle déclare publiquement à l'antenne en direct : « Moi je trouve ça merveilleux, les homosexuels ça existe et ça a toujours existé depuis toujours et c'est merveilleux que maintenant c'est au grand jour en liberté. Je pense que chacun est libre de faire ce qu'il veut de son corps. »[5].
L'épidémie de sida qui se répand à partir du milieu des années 1980 chasse les paillettes et le discours devient plus politique. Alors que Mylène Farmer construit sa notoriété sur (entre autres) le thème de la bisexualité, Jean Guidoni choque en développant un univers d'une noirceur et d'une crudité rarement évoquées jusque-là[a 6],[a 9]. D'autres ne cachent pas leur homosexualité, sans en faire un sujet central de leur art, comme Juliette[a 7]. Ce n'est qu'avec les années 2000 (et la relative normalisation de l'homosexualité grâce à des lois comme le PACS) que, sans renoncer à un certain militantisme, la chanson homosexuelle retrouve un peu de légèreté grâce à des artistes comme Mouron, Nicolas Bacchus[a 7] ou Laurent Viel et qu'on voit même apparaître des artistes ouvertement gays dans des milieux jusqu'alors plutôt fermés comme le rock ou le rap, genre qui cristallise également depuis quelques années les attaques les plus homophobes[a 7].
Chansons traitant de l'homosexualité ou de la bisexualité
↑Bien que composé de chanteurs américains, ce groupe est l'idée de deux Français : Jacques Morali et Henri Belolo.
↑Malgré la « mise en garde finale », la chanson ne peut être considérée comme homophobe.
↑Bien qu'écrite initialement pour un homme, la chanson devint un hymne lesbien en raison de son interprète.
↑Fustigeant l'homophobie, cette chanson conçue avant la dépénalisation de l'homosexualité en 1982, a été présentée par son créateur dans ces termes : « écrite voilà déjà longtemps, mais les représentants des veaux de France au Parlement ont décidé que les hommes devraient obligatoirement aimer des femmes et ce-versa […], sous peine de "délit criminel"[28] ».
↑Publiée sur la face A d'un 45 tours en 1979[34], cette chanson évoque le difficile « coming out » d'un jeune homosexuel qui annonce à ses parents que : « Les Juliettes que vous m'inventiez / S'appellent Pierre, Jacques, André » tout en leur reprochant de l'avoir « rendu malheureux » avec leurs « principes démodés »[35].
↑La chanson d'amour Djemila a été censurée à la radio, parce qu'elle fait allusion à « un groupe de lesbiennes » dans son dernier couplet[40].
↑Ce titre tourne en dérision l'attitude de certains homosexuels qui surjouent la virilité à outrance[a 6].
↑Midi-minuit désigne le nom d'un cinéma qui a réellement existé[41], et que le parolier Pierre Philippe dépeint comme un lien de rencontres entre homosexuels et divers marginaux parfois issus de l'immigration[a 6].
↑Dans le dernier couplet de la chanson Rose, l'auteur Pierre Philippe parle de deux corps « pendus aux barbelés » marqués du triangle rose, symbole utilisé par les nazis afin de persécuter les homosexuels[46].
↑Dans Tout va bien, le parolier Pierre Philippe imagine un Paris dévasté après un coup d'État fasciste, où les patrouilles ont parqué les « pédés » dans le Palais des glaces[47],[48].
↑La chanson est née d'une histoire d'amour homosexuelle vécue par l'auteur Pierre Philippe, qui en a ensuite tiré un roman autobiographique nommé La passion selon Peter. Le titre Allée des coquelicots fait référence au nom de l'allée du cimetière où repose le prénommé Peter dont le parolier était épris[50],[51].
↑Drugstore, 18 heures nous présente un jeune prostitué masculin qui tente de négocier avec un client dans le drugstore de Saint-Germain-des-Prés[56].
↑Cette chanson, qui retrace les parcours d'une ancienne prostituée et d'un proxénète à la retraite, cite explicitement des anciens lieux de rencontres homosexuels comme la brasserie Graff[a 10] ou « la vespasienne du bas de la rue Lepic »[a 11] dans le quartier de Montmartre[57].
↑Tout comme pour Cargo d'Axel Bauer, les clins d'œil à la communauté homosexuelle apparaissent surtout nettement dans le clip de la chanson, réalisé par Lydie Callier et tourné dans un décor particulièrement interlope[58].
↑Cette chanson s'inspire de la passion homosexuelle que l'empereur romain Hadrien éprouvait pour son favori Antinoüs[66].
↑Version française de l'original espagnol Mujer contra mujer.
↑Selon le journaliste Sébastien Ministru : le parolier Philippe Djian, qui a un frère homosexuel, aurait écrit cette chanson très ambiguë en pensant à lui[71].
↑Ces chanteurs qui n'aiment pas les femmes dresse l'historique du tour de chant « interlope » depuis Félix Mayol jusqu'aux « mignons boys-bandeurs », en passant par Charles Trenet[75].
↑La reprise par Jean Guidoni de Monocle et col dur[a 13] est quelque peu différente de celle que chante Juliette dans son album Irrésistible. Et d'après la chanteuse, c'est bel et bien Guidoni qui a interprété la version originale de ce titre (écrit par Pierre Philippe) dans son spectacle Fin de siècle (1999)[76]
↑Ce titre traite de l'homoparentalité mal assumée par un couple d'homosexuels, dont l'un est considéré par la justice comme un père isolé depuis qu'il a divorcé d'avec son épouse[80].
↑Cette chanson parle d'un père qui cherche à communiquer avec son fils pour lui dire qu'il accepte son homosexualité[67].
↑Cette chanson sarcastique de Boris Vian raconte l'histoire de Marie-France : une jeune femme complexée qui s'ennuie avec son mari. Ce dernier finira par la tromper avec un maître-nageur, et son épouse changera de sexe par dépit[92].
↑La grand-mère en question est chef d'entreprise, fume le cigare et adopte un comportement masculin, allant même jusqu'à tromper son mari avec la bonne[93].
↑ a et bCette chanson, avant tout anti-allemande, fait écho aux procès intentés en Allemagne contre une série de responsables militaires soupçonnés de « mœurs contre nature », à la tête desquels on trouve le prince Philipp zu Eulenburg et le comte Kuno von Moltke(de).
Ouvrages récurrents
Didier Eribon (dir.), Dictionnaire des cultures gays et lesbiennes, Larousse, 2003
↑Serge Utgé-Royo, « Disques : notre camarade Serge Utgé-Royo présente aux lecteurs du CPCA ses enregistrements », CPCA, no 9, , p. 4 (ISSN0181-7191, lire en ligne).
↑Catherine Chantepie, L'histoire cachée des tubes de la chanson française : Culture musicale, La Boîte à Pandore, , 236 p. (ISBN978-2-39009-345-9, lire en ligne)
↑Yves Bigot, Un autre monde. Les amours de la chanson française et du rock -, Don Quichotte, , 416 p. (ISBN978-2-35949-604-8, lire en ligne)
↑Catherine Laugier, « Off Avignon 2023, Pascal Mary, la vie est une tragédie heureuse », Nos enchanteurs, le quotidien de la chanson, (lire en ligne).
↑« "J’avais peur de perdre une partie de mes auditeurs" : quand les chanteuses revendiquent leur homosexualité », Le Monde, (lire en ligne, consulté le ).
↑Nicolas d'Estienne d'Orves, Dictionnaire amoureux du mauvais goût, Paris, Plon, (lire en ligne), p. 380.
Voir aussi
Bibliographie
En français
Lionel Povert, Dictionnaire gay, Paris, Jacques Grancher, , 483 p. (ISBN978-2733904336).
Frédéric Martel, Le rose et le noir : les homosexuels en France depuis 1968, Seuil, , 456 p. (ISBN9782020218948).
Didier Eribon, Frédéric Haboury et Arnaud Lerch, Dictionnaire des cultures gays et lesbiennes, Paris, Larousse, , 548 p. (ISBN2-03-505164-9 et 9782035051646, OCLC300482574).
Christian-Louis Eclimont (dir.), Stéphane Koechlin, Hubert Thébault et François Thomazeau, 1000 chansons françaises : de 1920 à nos jours, Paris, Flammarion, , 1006 p. (ISBN978-2-0812-50-78-9).
Martin Pénet et Florence Tamagne (dir.), « L'expression homosexuelle dans les chansons françaises de l'entre-deux-guerres : entre dérision et ambiguïté », Revue d'histoire moderne et contemporaine, vol. 53, no 4 « Ecrire l'histoire des homosexualités en Europe : XIXe – XXe siècles », , p. 106-127 (lire en ligne).
Nermin Vučelj, « Un amour à taire dans la chanson française », dans Selena Stanković et Nermin Vučelj (dir.), Les Études françaises aujourd'hui - Tradition et modernité, Université de Niš, (lire en ligne), p. 341-351.
En anglais
Philip Brett, Queering the Pitch: The New Gay and Lesbian Musicology, Routledge, (ISBN0415907535)
James T. Sears, Walter L. Williams, Overcoming Heterosexism and Homophobia Strategies that Work
Ivan Raykoff, Robert Deam Tobin, A Song for Europe Popular Music and Politics in the Eurovision Song Contest
Raymond-Jean Frontain, Reclaiming the Sacred The Bible in Gay and Lesbian Culture
George E. Haggerty, Gay Histories and Cultures An Encyclopedia
Gerard Sullivan, Peter A. Jackson, Gay and Lesbian Asia Culture, Identity, Community
De Corey K. Creekmur, Alexander Doty, Out in CultureGay, Lesbian and Queer Essays on Popular Culture
David Ciminelli et Ken Knox, Homocore: the Loud and Raucous Rise of Queer Rock, Boston, Alyson, 2005.
John Gill, Queer Noises: Male and Female Homosexuality in Twentieth Century Music, Londres, Cassell, 1995.
Mark Simpson, Saint Morrissey, SAF Publishing, Rev Ed, 2004.
Richard Smith, Seduced and Abandoned: Essays on Gay Men and Popular Music, Londres, Cassell, 1996.
Wayne Studer, Rock on the Wild Side: Gay Male Images in Popular Music in the Rock Era, Leyland Publications, 1994.
Sheila Whiteley (dir.), Sexing the Groove: Popular Music and Gender, Londres et New York, Routledge, 1997.
Sheila Whiteley et Jennifer Rycenga (dir.), Queering the Popular Pitch, Londres et New York, Routledge, 2006.