Né d'un père boulanger, ardent dreyfusard[1], élevé par les Frères, Henri Marius Béraud emploie sa juvénile énergie à de nombreuses activités : poète débutant, fondateur de revues éphémères (dont La Houle et L'Ours, à Lyon), représentant en vins et spiritueux, collecteur de beurre, négociant en charbon, antiquaire. Il est élève à l'école de La Martinière de Lyon[2]. Pendant la Première Guerre mondiale, il est lieutenant d'artillerie.
Au Canard Enchaîné, il publie des contes, un court feuilleton (L'angoisse du mercanti ou le compte du tonneau en 1918), une étude sur l'humour lyonnais, et surtout des articles polémiques contre le Parlement, l'Académie française, le gouvernement, les officiers antirépublicains et l'Action française. C'est lui qui introduit au Canard Enchaîné la référence au juliénas, qui passa pour le vin du Canard enchaîné par excellence jusqu'aux années 1960.
Béraud publie Le Martyre de l'obèse pour lequel il reçoit le prix Goncourt en 1922, qui récompense aussi son roman Le Vitriol de Lune, publié l'année précédente. Une adaptation cinématographique de ce roman a été réalisée en 1933 par Pierre Chenal, intitulée également Le Martyre de l'obèse.
Positionné très à gauche, il écrit Mon ami Robespierre et (1929). Il fait la connaissance lors d'un voyage en Irlande de Joseph Kessel, avec qui il se lie d'amitié et qui lui dédie son roman Mary de Cork, paru en 1925[5].
En 1925, il visite l'URSS. Loin de la révolution romantique qu'il espérait, il découvre les réalités d'une dictature, vision qu'il présente dans son livre Ce que j'ai vu à Moscou (1925). Ce livre lui vaudra l'inimitié durable des intellectuels communistes. En 1926 paraît Ce que j'ai vu à Berlin, puis en 1929 Ce que j'ai vu à Rome, deux autres reportages politiques qui sont également lucides sur les régimes au pouvoir[6].
En 1928, Béraud rejoint Kessel au journal Gringoire, dont l'orientation est alors plutôt de droite et anticommuniste. Cependant dès janvier 1934, dans les suites de l'affaire Stavisky il dérive, comme de nombreux intellectuels de tous bords, vers la xénophobie et l'antisémitisme[7]. Ces opinions le conduisent à la rupture avec Kessel en 1936, lorsqu'au cours d'une discussion animée, il finit par lui concéder un statut de « juif à part »[5].
De 1934 à 1944
Le Canard rompt avec Henri Béraud lorsqu'il prend parti pour les manifestants du 6 février 1934. Dans Les Raisons d'un silence (1944), l'écrivain explique les raisons de son engagement de 1934 pour lequel il dut « renoncer à bien des joies, rompre de chères amitiés » ; pour l'essentiel, il s'agissait d'en finir au plus vite avec un « régime en pleine crevaison qui annonçait la guerre et le désastre ». Pour Jean Galtier-Boissière, ami de Béraud, celui-ci évolua de l'extrême gauche à l'extrême droite sans nettement s'en rendre compte, en suivant la pente de ses intérêts : il en vint à s'identifier au grand monde dont son talent avait su forcer les portes.
« Sommes-nous pour ou contre les Juifs ? Resterons-nous indifférents ? Nous défendrons-nous ? D'un mot, est-il bon, est-il juste, est-il raisonnable de se dire antisémite ? M'étant posé la question, je réponds : en conscience, oui, il faut être antisémite. […] Il faut l'être parce que le salut de la France est à ce prix. Le juif est l’ennemi-né des traditions nationales, il n’est ni soldat, ni ouvrier ni paysan. Comment serait-il digne d’être un chef[9] ? »
Il est arrêté en et jugé en deux jours. On lui reproche notamment son rôle dans le suicide de Roger Salengro. L'amiral Muselier, que Béraud avait traité d'« amiral de bateau-lavoir », demande sa tête[10]. Il est condamné à mort le pour intelligence avec l’ennemi. Plusieurs écrivains, dont François Mauriac, interviennent en sa faveur. Il est finalement gracié par Charles de Gaulle. Il avait, avant la guerre, écrit un livre violemment orienté contre la Grande-Bretagne (Faut-il réduire l'Angleterre en esclavage ?, 1935) et avait, durant l'occupation allemande, continué de faire de l'anglophobie l'un de ses thèmes de prédilection. Une rumeur prétend que le gouvernement britannique serait intervenu pour demander à de Gaulle la grâce de Béraud, mais aucun élément de première main ne vient cependant étayer cette thèse[11].
Frappé d'hémiplégie, Béraud est libéré en 1950 et meurt en 1958 dans sa propriété de l'île de Ré[12]. Son épouse Germaine meurt en 1989.
Œuvres
Il est l'auteur de quelque 50 ouvrages et de nombreux articles[13],[14].
Première période lyonnaise :
Poèmes ambulants, Éditions du Monde lyonnais, 1903
[Le Missel jaune] Les Jardins évanouis (poèmes), Éditions du tout Lyon, 1904
La Bonne Taverne Éditions de la Houle, 1905
Le Second Amour du chevalier Des Grieux, Éditions du tout Lyon, 1906
L'Héritage des symbolistes (critique d'art). Librairie E. Sansot, 1906
François Vernay, peintre lyonnais, L'art libre éditeur, 1909
[Opinions et Tendances] Peintres lyonnais , L'Art libre éditeur, 1910
Jacques Martin peintre lyonnais, L'œuvre nouvelle éditeur, 1911
Marrons de Lyon (nouvelles en collaboration avec Charles Fénestrier), Bernard Grasset, 1912
Les Morts lyriques (nouvelles), E. Basset éditeur, 1912
Voyage autour du cheval de bronze (nouvelles), J. Tadieu éditeur, 1912
L'École moderne de peinture lyonnaise, E. Basset éditeur, 1912
Glabres (poèmes), Édition à compte d'auteur, 1915
La Bataille de Juliénas (pièce pour le théâtre de Guignol), paru en feuilleton dans le journal satirique Guignol, 1917
Le Mémorial de la rue Sainte-Hélène, Les Éditions de Guignol, 1919
Eux... Vingt têtes de Bib (portraits illustrés par Bib), Le Merle blanc, 1921
Lazare, Albin Michel, 1924
La Croisade des longues figures (polémique littéraire), Éditions du Siècle, 1924
Retours à pied (critique théâtrale), Éditions G. Crès, 1924
L'Affaire Landru (avec Emmanuel Bourcier et André Salmon), Albin Michel, 1924
Au capucin gourmand (roman), Albin Michel, 1925
Ce que j'ai vu à Moscou, Les Éditions de France 1925 ; rééd. Auda Isarn, 2022
Le Bois du templier pendu, Les Éditions de France, 1926
Ce que j'ai vu à Berlin, Les Éditions de France, 1926
Mon Ami Robespierre, Librairie Plon, 1927
Le Flâneur salarié, Les Éditions de France, 1927
Plan sentimental de Paris, Éditions Lapina, 1927
La Gerbe d'or, Les Éditions de France, 1928, suivi d'une édition bibliophilique de 330 exemplaires enrichis de lithographies de Berthold Mahn, Jeanne Walter, Paris, 1930
Twelve Portraits of the french Revolution, Little Brown éditeur, Boston, 1928
Rendez-vous Européens, Les Éditions de France, 1928
Ce que j'ai vu à Rome, Les Éditions de France 1929
Émeutes en Espagne, Les Éditions de France, 1931
Les Lurons de Sabolas, Les Éditions de France, 1932
Le Feu qui couve, Les Éditions de France, 1932
Souvenirs d'avril, Les Éditions de France, 1933
Dictateurs d'aujourd'hui, Flammarion, 1933
Ciel de suie, Les Éditions de France, 1933
Vienne clef du monde, Les Éditions de France, 1934
Tombeau de Marthe Deladune, Les Éditions de France, 1934
Pavés rouges, Les Éditions de France, 1934
Faut-il réduire l'Angleterre en esclavage ?, Les Éditions de France, 1935
Trois Ans de colère, Les Éditions de France, 1936
Popu-roi, Les Éditions de France, 1938
Qu’as-tu fait de ta jeunesse ? , Les Éditions de France, 1941
Sans Haine et Sans Crainte, Les Éditions de France, 1942
Le Nœud au mouchoir, Les Éditions de France, 1944, (presque tous les exemplaires ont été détruits à la Libération. Il existe une édition pirate à l'identique et non datée)
Les Raisons d'un silence, Inter-France, 1944
Vous ne connaissez pas mon pays, illustrations Jean Chièze, éditions H. Lardanchet, 1944 (dépôt légal 1948)
Quinze Jours avec la mort, Plon, 1951
Les Derniers Beaux Jours, Plon, 1953
Posthume
Le Flâneur salarié (choix de reportages et documents dont certains inédits par Francis Lacassin), coll. « 10/18 », 1985
TF 677, Journal de prison, édité par l’Association Rétaise des Amis d’Henri Béraud, 1997 ; rééd. Déterna, suivi de Ombres en centrale, roman inachevé et inédit, préface, mise en forme et commenté par Francis Bergeron, 188 p., 2022 (ISBN978-2360061525)
Écrits dans Gringoire (1928-1937), Éditions Consep, 2004
Écrits dans Gringoire (1937-1940), Éditions Consep, 2004
Écrits dans Gringoire (1940-1943), Éditions Consep, 2006
Œuvre poétique. Poèmes ambulants et autres recueils, Éditions du Lérot, 2005
Le Merle blanc, écrits 1919-1922, Éditions du Lérot, 2008
Le Canard enchaîné, écrits 1916-1919, Éditions du Lérot, 2009
Autour de Guignol. La Bataille de Juliénas et autres textes, Éditions du Lérot, 2011
Guignol, chroniques 1917-1919, Éditions du Lérot, 2013
L’Énigme du lundi de Pâques, roman policier, Éditions Auda Isarn, coll. « Lys Noir » no 1, 2017
La Petite Place, roman, préface de Francis Bergeron, Éditions Dutan, coll. « Les Bergers de l'évasion », 124 p., 2021
↑Anne Dulphy, Yves Léonard, Marie-Anne Matard-Bonucci, Intellectuels, artistes et militants : le voyage comme expérience de l'étranger, éditions Peter Lang, 2009, 295 pages, p.41-42.
↑Anne Dulphy, Yves Léonard, Marie-Anne Matard-Bonucci, Intellectuels, artistes et militants : le voyage comme expérience de l'étranger, éditions Peter Lang, 2009, 295 pages, p. 40.
↑Henri Béraud, « Et les juifs ? », Gringoire, no 633, 23 janvier 1941.
↑Jean Butin, Henri Béraud, Éditions lyonnaises d'art et d'histoire, 2001, 303 p., p. 258-259.
↑Pierre Assouline, L'Épuration des intellectuels, Complexe, 1999, p. 45.
↑Les préfaces et les participations à des ouvrages collectifs ne sont pas répertoriées (se reporter à la bibliographie de Pierrette et Georges Dupont).
Cédric Meletta (édition établie et préfacée par), Henri Béraud. Version reporter (anthologie des meilleurs reportages publiés entre 1919 et 1933), Paris, Séguier, 2021