Filière de StrasbourgLa filière de Strasbourg est une filière salafiste djihadiste française, composée d'une dizaine d'Alsaciens ayant rejoint l'État islamique en Syrie, de 2013 à 2015. En mai 2014, tous les membres de la filière sont rentrés en France ou sont morts sur zone, à l'exception de Foued Mohamed-Aggad qui participe à la tuerie du Bataclan lors des attentats du 13 novembre 2015 à Paris. Départ pour la SyrieEntre les 13 et [1], une dizaine de jeunes hommes d'une vingtaine d'années quittent séparément leur domicile avec l'intention de participer à la guerre civile syrienne contre le régime de Bachar el-Assad. Ils ont notamment été influencé par Mourad Farès, qui ambitionne de créer un groupe indépendant de Français. Tous se connaissent et gravitent autour du quartier prioritaire de la Meinau à Strasbourg, bien qu'ils n'en soient pas tous originaires, les frères Mohamad-Aggad venant par exemple de Wissembourg, dans le nord de l'Alsace. La plupart d'entre-eux occupaient alors des métiers précaires ou enchainaient des missions d'intérim. On trouve parmi eux un animateur jeunesse, un footballeur, un vendeur, un livreur, un agent d'entretien et deux agents de sécurité, à savoir les frères Boudjellal. Une minorité était connue de la justice et condamnée pour vol, violences ou trafic de stupéfiants. Tous sont issus de familles musulmanes avec des origines maghrébines, à l'exception d'un qui est d'origine sénégalaise[2]. Le renseignement territorial note à leur propos qu'ils « menaient auparavant une vie normale, avec des loisirs fait de pratiques sportives, sorties en discothèque, et même consommation d'alcool et de tabac »[3]. Les protagonistes quittent le territoire français pour passer en Allemagne et utilisent différents aéroports afin de rejoindre la Turquie, sans prévenir leur famille, leur faisant parfois croire aller à Dubaï pour un emploi[4]. Ils atterrissent alors à Antalya avant de se rejoindre à Hatay, à la frontière turco-syrienne. Ils traversent la frontière qui est contrôlée par les groupes rebelles opposés au régime syrien[5]. Alors qu'ils s'attendaient à retrouver leur contact Mourad Farès, celui-ci s'est fait berner par son passeur, qui guide directement les Strasbourgeois vers un camp de l'État islamique en Irak et au Levant (EIIL, ou Daech). Mourad Farès quitte alors l'organisation pour se rapprocher du Front al-Nosra, lié à Al-Qaïda[3]. L'organisation procède alors à la confiscation de leur téléphone, argent et passeport, puis enquête sur leur motivation[2]. Ils choisissent tous de devenir combattant plutôt que martyr, les deux seuls choix offerts par l'EIIL[6]. Ils prêtent ensuite allégeance à l'organisation et reçoivent un rapide entrainement militaire d'une dizaine de jours. Miloud M. tente de se soustraire à l'entrainement en prétextant une maladie. Il sera, selon sa déposition, emprisonné et humilié durant deux jours (« coups, excréments dans la bouche, éjaculation en plein visage »)[7]. Avant la fin du mois de décembre 2013, ils sont séparés et envoyés en mission[5]. Au sein de l’État islamiqueAu moment où les Alsaciens arrivent en Syrie, la tension accumulée depuis plusieurs mois entre les différents groupes opposés à Bachar el-Assad se transforme en véritable guerre fratricide. En cause, l'exécution de plusieurs membres rebelles par l'EIIL, notamment un chef de brigade de l'Armée syrienne libre et un combattant d'Ahrar al-Cham, groupe salafiste, car ses bourreaux l'ont cru de confession chiite[8]. Du fait de son extrémisme, le groupe rejoint par les Alsaciens est ainsi de plus en plus indésirable parmi les rebelles, celui-ci appliquant strictement la charia avant la chute du régime syrien, mettant en place sa propre justice, et animé d'une haine violente envers les chiites qu'il chercher à tuer systématiquement. Le 7 janvier 2014, le porte-parole de l'EIIL Abou Mohammed al-Adnani appelle à l'extermination des rebelles syriens, qui lancent une offensive contre l'organisation[9]. Le 9 janvier 2014, deux frères de la filière alsacienne, Mourad et Yassine Boudjellal, sont tués par des combattants de l'Armée syrienne libre à Alep, vraisemblablement dans des combats pour un barrage tenu par l'EIIL[2]. Dans le même temps, les rebelles syriens chassent l'EIIL de la ville comme de l'ouest du pays. Les autres membres de la filière prennent la fuite pour Raqqa, dans l'est du pays où Daech a supplanté tous ses adversaires pour se retrouver en position hégémonique. Ils s'implantent à Al-Chaddadeh début février 2014, à proximité avec la frontière irakienne. Durant leur séjour, ils communiquent avec leur proche, vantant leurs actions à leurs amis et prenant la pose en tenue de combat. L'un d'entre eux affirme avoir assisté à une crucifixion et exprime sa haine des « kouffars ». Dans leur communication avec leur famille, ils prennent au contraire leur distance avec les exactions du groupe et s'inquiètent des conséquences à attendre de leur retour en France[2]. S'affirmant dégoutés par cette guerre fratricide, les membres de la filière vont progressivement quitter le pays pour rejoindre la France, entre février et mai 2014[5]. Miloud est le premier à quitter la Syrie, en s'infiltrant au sein d'un convoi qui se dirigeait vers la Turquie, puis franchissant la frontière à pied[10]. Seuls deux semblent toutefois rejoindre la Turquie avec le but de quitter le djihad et de retourner en France, la plupart étant piégés par leur proches en Turquie ou arrêtés par les forces turques[11]. Karim Mohamed-Aggad est le dernier à quitter le pays alors qu'il aurait tenté de convaincre son petit-frère de le suivre[12]. Mais Foued Mohamed-Aggad reste sur zone et devient un combattant zélé de l'organisation, alors que son épouse française l'a rejoint deux mois plus tôt. Dès mars 2014, il menace d'attaquer la France[13]. Il participe à des exactions, égorge un prisonnier, avant de revenir en France pour participer à la tuerie du Bataclan lors des attentats du 13 novembre 2015 à Paris, où il meurt. ProcèsLes sept membres de la filière revenus en France sont tous arrêtés par la police en mai 2014[14] dans le quartier de la Meinau, après « un mois de filatures, d'écoutes téléphoniques, d'espionnage électronique des mails et des SMS »[4]. Ils sont accusés d'association de malfaiteurs terroristes à caractère délictuelle, et risquent un maximum de dix ans de prison, alors que cinq d'entre eux ont un casier judiciaire vierge[15]. Ils sont jugés par le tribunal correctionnel de Paris, en juillet 2016, et condamnés à des peines allant de six à neuf ans de prisons, contre les huit à dix réclamés par le parquet. Ce dernier fait appel de la décision et le procès en appel, qui se déroule devant la Cour d'appel de Paris en mars 2017, aboutit à des peines plus lourdes, de sept à neuf ans de prison[16],[17]. Les journalistes observateurs du procès décrivent deux groupes. Le premier est constitué des quatre prévenus ayant résidé le plus longtemps en Syrie, dont Karim Mohamed-Aggad, et sont condamnés à des peines de neuf à huit ans de prison. Les trois autres, adoptant une posture plus conciliante, sont condamnés à sept ans de prison[18]. Devant les juges, les accusés se défendent de toute velléité terroriste, et affirment s'être joints aux combats pour « des raisons humanitaires et dans le but de combattre le régime de Bachar el-Assad ». Ils affirment n'avoir jamais cherché à rallier Daech spécifiquement[19], mais n'importe quel groupe rebelle, sans s'être informés sur la nature des différents groupes. Leurs avocats insistent sur le contexte géopolitique de l'époque, où la « révolution syrienne » est présentée positivement dans les médias et les crimes du régime Assad largement diffusés et dénoncés. Les déclarations du ministre des Affaires étrangères de l'époque, Laurent Fabius, énoncent alors la chute du régime comme un objectif et il vante même les actions du Front Al-Nosra, djihadistes liés à Al-Qaida. Ainsi, selon leur défense, les accusés n'auraient commis aucune trahison envers la France et pouvaient même légitimement avoir le sentiment de combattre dans le même camp qu'elle[2]. Leur retour en France s'effectue avant l'attentat du musée juif de Belgique du 24 mai 2014, le premier attribué à Daech en Europe, et avant les premières frappes françaises de rétorsion contre le groupe, annoncées par François Hollande le [20]. Certains des prévenus sont toutefois suspectés de feindre le repenti, notamment Karim Mohamed-Aggad qui est enregistré lors d'une écoute téléphonique où il se dit « fier » des meurtres de son frère au Bataclan pour « venger les musulmans »[21]. Déchéance de nationalitéLibéré de prison au cours de l'été 2022, Karim Mohamed-Aggad est déchu de sa nationalité française par décret du Premier ministre le . Il est ensuite arrêté et placé en centre de rétention, en vue de son expulsion. Les autorités françaises estiment qu'il possède la nationalité marocaine ou algérienne, à l'instar de ses parents[22],[23]. Interrogé par le chercheur Montassir Sakhi et le journaliste Max Fraisier-Roux, l'ancien djihadiste affirme cependant que les autorités des deux pays refusent de le considérer comme l'un de ses ressortissant, en raison de sa naissance sur le territoire français, de son obtention de la nationalité française à l'âge de dix ans, et enfin de l'absence de toute transcription de son acte de naissance au consulat marocain ou au consulat algérien. En conséquence, il pourrait être apatride[24]. Le , Miloud M. est déchu de sa nationalité française par décret tandis qu'il part s'installer au Maroc dont il possède également la nationalité. La décision est dénoncée par son avocate, qui pointe la détention exemplaire de son client ainsi que ses efforts de réinsertion, citant une création d'entreprise et un mariage en France notamment[10]. Récapitulatif de la filière
Références
Bibliographie
Voir aussi |
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