Le nom de la localité est attesté sous les formes Digulevilla en 1163, Deguleville, Digulvilla vers 1175, Deguillevilla vers 1200, Digoillevilla en 1203[1].
Il s'agit d'une formation médiévale tardive en -ville (élément issu du gallo-roman VILLA « domaine rural », lui-même du latinvilla rustica « grand domaine rural »), précédé du nom de personne Decuil d’origine gaélique[1],[2]. Littéralement, « la ferme, le domaine rural de Decuil »[1],[3], ou « de Dicuil »[4].
Les premières occupations sur le territoire de la commune sont très anciennes. Plusieurs foyers de combustion en forme de fosse à pierres chauffées datant de 4700 ans av. J.-C. ont été découverts près de Jardeheu[5]. Raumarais, où se tient désormais l'usine de retraitement de la Hague et l'Andra, abritait également deux sites datant du début du Mésolithique moyen (foyer en cuvette, poterie, petits grattoirs de silex…), probable station d'habitat saisonnier lors des campagnes de chasse ou de pêche[6].
Au XIXe siècle ont été recensés dix tumuli de l'âge du bronze sur le territoire (neuf au hameau des Asselins et dans les Monts, une aux Sablons), mais des recherches plus récentes ont permis d'en écarter sept comme étant des formations rocheuses naturelles. De l'âge du bronze date également le Hague-Dick, qui longe une partie de la commune, même s'il a pu être réemployé plus tardivement. Des fouilles dans l'anse de la Gravette enfin ont révélé des foyers importants de l'âge du fer[7] et la découverte de pièces de bronze témoignent d'une implantation celtique antérieure à la Guerre des Gaules. La légende d'Équinandra (voir ci-dessous), druidesse unelle[Note 2], liée au rocher d'Esquina[Note 3] dans la baie d'Écuty, évoque le souvenir de cette époque. En 1966, fut découvert à la pointe de Jardeheu, dans le limon, les corps d'un jeune couple enlacé datant de plusieurs milliers d'années. La tête de la femme reposait contre la poitrine de son compagnon[8].
Un village gallo-romain aurait été installé près de Plainvic. Certains auteurs[9] font de Digulleville le centre de Coriallo, cité des Unelles mentionnée dans l'Itinéraire d'Antonin. En effet, en l'absence de traces, Coriallo pourrait être, non pas une ville mais plusieurs hameaux couvrant la pointe de la Hague, protégés par la Hague-Dick, entre Éculleville et Omonville-la-Petite ce que conteste l'historien Robert Lerouvillois[10]. Quoi qu'il en soit, en 1823, à la suite de travaux agricoles réalisés par un certain Lagalle, il fut découvert un ensemble de figurines romaines qui aurait été enfoui dans les années 50 et 150. Le lot partiellement représenté sur une lithographie de Pierre Langlumé, imprimeur à Cherbourg, publiée en 1825, ne nous est pas parvenu dans son intégralité[Note 4] ; de nombreux éléments ont disparu. Ce dépôt, l'un des plus conséquent du Cotentin, composé notamment de figurines en terre ou en bronze souvent utilisées comme offrandes, n'a malheureusement pas pu être localisé précisément, et laisse suggérer de la présence d'un sanctuaire romain encore inconnu sur la commune de Digulleville[11].
Au Moyen Âge, le territoire de la paroisse, partagé entre les fiefs nobles de Fontenay et de Mélinde, acquis par les Jallot aux XVIe et XVIIe siècles, est parsemé de plusieurs fermes-manoirs, propriétés des nobles des environs. Le manoir d'Ouville appartient aux comtes d'Aigneaux, la Chesnaye et Rantot à la famille Jallot, seigneurs et comtes de Beaumont. Leur frère, le chevalier de Rantot, corsaire et contrebandier, fait construire la ferme de la Basmonterie comme repaire. Le manoir des Gruberts est propriété de la famille du Bosq, dont un membre, Nicolas du Bosq, seigneur des Gruberts, fut général de Louis XIV.
L'église, dédiée à Paterne, évêque d'Avranches, avait pour patron le prieur de Vauville, qui percevait les deux tiers des produits, à l'exception des menues offrandes, le troisième tiers allant au curé[12].
Le plateau du Haut-Marais accueille au XVIIIe siècle un village de tisserands, confectionnant du droguet.
En , alors que les phares sont éteints à cause de la guerre, l'Astrée s'échoue sur les rochers de la Coque.
Le conseil municipal était composé de onze membres dont le maire et trois adjoints[15].
Tendances politiques et résultats
Si la vie politique municipale est stable, avec le même maire depuis 1971, les scores du Front national ont explosé dans les scrutins, passant de 2,88 % aux européennes de 2009, à 30,08 % aux départementales de 2015[16].
Population et société
Démographie
L'évolution du nombre d'habitants est connue à travers les recensements de la population effectués dans la commune depuis 1793. À partir du , les populations légales des communes sont publiées annuellement dans le cadre d'un recensement qui repose désormais sur une collecte d'information annuelle, concernant successivement tous les territoires communaux au cours d'une période de cinq ans.
Pour les communes de moins de 10 000 habitants, une enquête de recensement portant sur toute la population est réalisée tous les cinq ans, les populations légales des années intermédiaires étant quant à elles estimées par interpolation ou extrapolation[17]. Pour la commune, le premier recensement exhaustif entrant dans le cadre du nouveau dispositif a été réalisé en 2006[18],[Note 5].
En 2021, la commune comptait 246 habitants, en évolution de −13,68 % par rapport à 2015 (Manche : +0,44 %, France hors Mayotte : +2,49 %).
Digulleville a compté jusqu'à 781 habitants en 1831.
Le territoire communal est rattaché à la paroisse catholique du Bienheureux Thomas Hélye de la Hague, au sein du doyenné de Cherbourg-Hague[21]. L'unique lieu de culte est l'église Saint-Paterne, qui accueille une messe à l'occasion de la fête patronale, la Saint-Paterne, traditionnellement célébrée deux semaines après Pâques.
On relève aussi la présence d'un atelier de chaudronnerie nucléaire, à l'origine (1977) ACPP (Ateliers de constructions du Petit parc), puis Manoir ACPP (groupe Manoir Industries), depuis 2021 groupe Fives-Nordon[24]. Il emploie 162 personnes pour un chiffre d'affaires de 15,3 M€ (2019).
Culture locale et patrimoine
Lieux et monuments
Grands corps de fermes et demeures seigneuriales : manoirs du Boscq des XVIIe – XVIIIe siècles et de Douville du XVIIe siècle, fermes-manoirs de Rantôt du XVIIe siècle, du Grand-Bel du XVIIIe siècle, de la Chesnaye des XVIIe – XVIIIe siècles, de la Basmonterie ou Bas-Monterie du XVIIe siècle repère du corsaire Rantot, de Bel Mignot du XVIIe siècle, du Pont Durand du XVIIe siècle et de la Haizette du XVIe siècle avec deux tourelles carrées d'escalier sur la façade nord.
Église Saint-Pair ou Paterne des XIIe – XVIIIe siècles, clocher XIIIe siècle et avant-porche. D'origine romane, elle a longtemps caché derrière ses plâtres un retable en trompe-l'œil (ou « retable des pauvres »), peint en 1785, redécouvert au hasard d'une restauration deux siècles plus tard. À l'époque, les finances ne permettaient pas de vrais marbres et sculptures que l'on a donc peints à même le mur. Vers 1830, on cache les peintures avec un vrai retable en bois, puis en marbre. Il a été restauré en 1985. Elle abrite également un bénitier du XVIIe, les groupes sculptés saint Joseph et l'Enfant Jésus et Notre-Dame de La Salette avec deux enfants du XIXe[25].
Croix de cimetière du XVIIe siècle, croix de chemin du XVIIe siècle.
Sémaphore de Jardeheu, sur la pointe du même nom, datant de 1860 et désarmé en 1984. Racheté par la commune, il a été aménagé en gîte.
Le Hague-Dick, ouvrage fortifié barrant la pointe de la Hague, inscrit au titre des monuments historiques le [26], est en partie situé sur Digulleville.
Cascade de la Brasserie. Elle est issue du ruisseau de Sainte-Hélène qui alimente en eau le hameau de la Brasserie situé au sud de la commune.
Nicolas du Bosq (Digulleville, 1638 - 1709), sieur des Gruberts, général de brigade des mousquetaires noirs sous Louis XIV, emporté par un boulet lors de la bataille de Malplaquet.
Nicolas de Lesdo(s) de la Rivière († 1715), seigneur de Digulleville, capitaine dès 1678 au régiment de Normandie puis major à partir de , reçu chevalier de l'Ordre royal et militaire de Saint-Louis le , inspecteur-général de l'infanterie pour la Normandie en , puis brigadier en 1703. Il refusa, en 1701, de quitter ce régiment de Normandie, où il servait depuis trente-cinq ans, pour remplacer Guiscard à l'ambassade de Stockholm, et fut chargé en 1702 de discipliner les milices de Normandie. Propriétaire du château du Faÿ, il y meurt le [27].
Henri Robert Jallot de Beaumont (vers 1654-1720), dit Chevalier de Rantôt (du nom d'une ferme manoir de Digulleville occupée par Pierre, son frère), seigneur de Saint-Martin (Omonville-la-Petite), corsaire et fraudeur de la fin du XVIIe siècle, qui habitait la ferme de la Basmonterie.
Bon Lepesqueur (Digulleville, 1846 - 1921). Dessinateur de la Marine à Cherbourg, il devient chroniqueur en langue normande dans Le Phare de la Manche. Il est l'auteur de nombreuses chansons en normand, dont Le Cordounyi, La Batterie de Serasin, Le Chendryi, La Parcie, Le Fisset… Il signait aussi P. Lepesqueux, Bounin Polidor ou P. Lecacheux.
En , les légions romaines envahissent le Cotentin. Malgré la résistance des Unelles, les troupes de Jules César avancent, et les Gaulois, retranchés dans la Hague décident de sacrifier, par la main de la jeune druidesse Équinandra, le plus jeune enfant de la tribu, celui de leur chef, Viridovix. Mais ce sacrifice est vain, ils subissent une nouvelle défaite. Viridorix furieux d'avoir perdu la bataille finale et son enfant, se venge sur Clodomir[Note 6], époux de la prêtresse, blessé durant les combats, en le faisant agoniser toute une nuit sous les yeux d'Équinandra, par l'administration de feuilles vénéneuses sur les blessures[28].
Au petit matin, désespérée par la douloureuse mort de son époux, Équinandra demande à son père, le druide Vindulos, de l'enterrer vivante auprès de celui qu'elle aimait, au bout de la baie d'Écuty. Le rocher qui deviendra maritime par l'érosion des vagues, Esquina, garde depuis la trace dans son nom[28].
Daniel Delattre et Emmanuel Delattre, La Manche les 602 communes, Grandvilliers, Éditions Delattre, , 280 p. (ISBN978-2-9159-0709-4), p. 74.
René Gautier et al. (préf. Jean-François Le Grand, postface Danièle Polvé-Montmasson), 601 communes et lieux de vie de la Manche : Le dictionnaire incontournable de notre patrimoine, Bayeux, Éditions Eurocibles, coll. « Inédits & Introuvables », , 704 p. (ISBN978-2-35458-036-0), p. 183
↑Le nom Équinandra est problématique, si on peut reconnaître dans l'élément -andra, un hypothétique gaulois *andera « femme » cf. vieil irlandais ander « femme » (voir Xavier Delamarre, Dictionnaire de la langue gauloise, Errance, Paris, 2003, p. 47), l'élément Équin- est plus obscur, mais rappelle l'élément Equo- dans le type Equoranda limite territoriale, d'étymologie incertaine. En fin de compte cet anthroponyme semble avoir été fabriqué pour la circonstance
↑Ce nom est difficilement compatible avec une origine gauloise (maintien du Q-) et absence de cognat dans les langues celtiques, en revanche, on peut y reconnaître la racine pangermanique skin- « briller ». Le rapprochement avec Équinandra est certainement dû à une vague ressemblance phonétique
↑Par convention dans Wikipédia, le principe a été retenu de n’afficher dans le tableau des recensements et le graphique, pour les populations légales postérieures à 1999, que les populations correspondant à une enquête exhaustive de recensement pour les communes de moins de 10 000 habitants, et que les populations des années 2006, 2011, 2016, etc. pour les communes de plus de 10 000 habitants, ainsi que la dernière population légale publiée par l’Insee pour l'ensemble des communes.
↑Le nom Clodomir est anachronique, puisqu'il s'agit d'un nom franc, notamment porté par un fils de Clovis 1er, nommé Clodomir.
↑ ab et cFrançois de Beaurepaire (préf. Yves Nédélec), Les Noms des communes et anciennes paroisses de la Manche, Paris, A. et J. Picard, , 253 p. (ISBN2-7084-0299-4, OCLC15314425), p. 110.
↑Vikland, la revue du Cotentin — La Hague, Corsaires et contrebandiers, Flamanville, Digulleville, Éditions Heimdal, no 32, Février-mars-avril 2020, p. 29.
↑« Un foyer du Néolithique a été mis au jour », La Presse de la Manche, 4 août 2008.
↑Cyril Marcigny et Emmanuel Ghesquière, Archéologie, histoire et anthropologie de la presqu'île de la Hague (Manche) : analyse sur la longue durée d'un espace naturel et social cohérent, Communauté de communes de la Hague, 2005.
↑André Davy, Les barons du Cotentin, Condé-sur-Noireau, Éditions Eurocibles, coll. « Inédits et introuvables du patrimoine Normand », , 319 p. (ISBN978-2-91454-196-1), p. 8.
↑dont Claude Pithois, La Hague, éditions Arnaud Bellée, 1973.
↑« « L'Antiquité retrouvée » de Robert Lerouvillois », Ouest-France, (lire en ligne).
↑Caroline Duclos, Laurence Jeanne et Laurent Paez-Rezende, « Le dépôt de Digulleville », dans Laurence Jeanne, Laurent Paez-Rezende, Julien Deshayes, Bénédicte Guillot, et la collaboration de Gaël Léon, ArchéoCotentin, t. 2 : Les origines antiques et médiévales du Cotentin à 1500, Bayeux, Éditions OREP, , 127 p. (ISBN978-2-8151-0790-7), p. 101-1012.
↑Sources : Mémoires de Saint-Simon : nouvelle édition collationnée sur le manuscrit autographe, augmentée des additions de Saint-Simon au Journal de Dangeau, Hachette, 1879-1928 (p 114) et Recueil de tous les membres composant l'ordre royal et militaire de Saint-Louis, depuis l'année 1693, époque de sa fondation de Jean-François-Louis comte d'Hozier, Au bureau général du Bon Français, etc. (Paris), 1817-1818 p. 223.
↑ a et b« Digulleville », Bulletin municipal n°1, janvier 1988.