Les travaux d'André Weil sur les variétés algébriques sur les corps finis ont montré que la connaissance de la fonction zêta de la variété équivaut à celle du nombre de points rationnels qu'elle possède sur toutes les extensions finies du corps de base. Weil a remarqué que les points rationnels sur sont exactement les points fixes de l'endomorphisme de Frobenius itéré . Weil suggère alors qu'une théorie cohomologique pour les variétés sur un corps fini à valeurs dans des espaces vectoriels de dimension finie sur un corps de caractéristique zéro généraliserait naturellement le résultat de Lefschetz.
Les conditions nécessaires d'une telle théorie cohomologique ont été formalisées, et la théorie supposée baptisée « cohomologie de Weil ».
Soit k un corps, de caractéristique p, et k une clôture algébrique de k. Soit X un schéma séparé de type fini sur k, et ℓ un nombre premier. Les groupes de cohomologie étale de X ⊗ k sont
Il s'agit d'espaces vectoriels de dimension finie lorsque ℓ est différent de p ou si X est propre.
Vers la cohomologie cristalline
Soit k un corps de caractéristique p > 0, soit X un schéma propre et lisse de dimension d sur k. On dispose de plusieurs théories cohomologiques :
Sa cohomologie étale ℓ-adique (à coefficients dans ℤp) : par construction, elle mime les propriétés de la cohomologie « ordinaire », c'est-à-dire correspondant à la topologie de Zariski, cependant elle n'a de sens qu'à la condition que ℓ ≠ p ;
Sa cohomologie de Hodge ou sa cohomologie de De Rham : si X/k est propre et lisse, on obtient des k-espaces vectoriels et on ne peut pas compter les points rationnels ;
Sa cohomologie de Serre où est le faisceau des vecteurs de Witt sur le faisceau structural.
Grâce à la cohomologie étale, Grothendieck a démontré la formule de Lefschetz, qui implique la première conjecture de Weil. La seconde conjecture apparaît comme conséquence de la dualité de Poincaré. Enfin, Pierre Deligne a prouvé les deux dernières conjectures.
Cependant, des questions restantes[1] sont liées à la réduction du schéma en p, ce que la cohomologie ℓ-adique ne permet pas d'approcher.
S'inspirant de travaux de Dwork[2] et Monsky-Washnitzer, Grothendieck propose de relever X en un schéma propre et lisse Z/W(k) (avec k parfait de caractéristique p > 0 et W(k) l'anneau des vecteurs de Witt). On peut alors considérer le complexe de De Rham de Z sur W(k), et prendre son hypercohomologie. L'intuition était que ces groupes ne dépendaient pas du choix, a priori arbitraire, de Z/W(k) relevant X/k.
Définition
Puissances divisées
Soit A un anneau et I un idéal de A. Une structure de puissances divisées (ou PD-structure) sur I est une suite d'applications
avec un ouvert de Zariski, i une immersion fermée de -schémas telle que l'idéal soit muni d'une PD-structure compatible avec la PD-structure canonique sur [5].
Les morphismes sont les diagrammes commutatifs formés d'une immersion ouverte et d'un morphisme compatible avec les puissances divisées.
Les familles couvrantes sont les familles de morphismes tels que est une immersion ouverte et
La catégorie des faisceaux sur un site cristallin est un topos appelé topos cristallin et noté . En particulier, cette structure garantit la fonctorialité : si est un morphisme de k-schémas, on peut lui associer un morphisme
.
Cohomologie cristalline
Soit F un faisceau sur le site cristallin, et (U, V) un objet du site. En associant à un ouvert W de V les sections de F sur , on définit un faisceau sur V pour la topologie de Zariski. Pour un morphisme
dans le site on obtient un morphisme
qui vérifie notamment une condition de transitivité et tel que est un isomorphisme si V → V’ est une immersion ouverte et .
Réciproquement, si on se donne pour tout objet (U, V) du site un faisceau pour la topologie de Zariski sur V, ainsi que pour tout morphisme g comme ci-dessus un morphisme de transition qui vérifie les propriétés évoquées, on définit un faisceau sur le site cristallin. Le faisceau structural associe à tout objet du site cristallin le faisceau .
La cohomologie cristalline est la cohomologie du faisceau structural :
Notes et références
↑Essentiellement : quelles sont les valuations p-adiques des coefficients des polynômes qui interviennent dans l'expression de la fonction zêta comme fraction rationnelle ? Et que dire de la restriction d'une représentation du groupe de Galois absolu (sur ) à ?
(en) Alexander Grothendieck, « Crystals and the de Rham cohomology of schemes », dans Jean Giraud, Alexander Grothendieck, Steven Kleiman et Michèle Raynaud, Dix Exposés sur la Cohomologie des Schémas, vol. 3, North-Holland, coll. « Advanced studies in pure mathematics », (MR0269663, lire en ligne), p. 306–358