Baptiste MorizotBaptiste Morizot
Baptiste Morizot, né le à Draguignan, est un philosophe français, maître de conférences à l'université d'Aix-Marseille. Ses recherches portent principalement sur les relations entre l'humain et le reste du vivant. BiographieBaptiste Morizot effectue des études de philosophie en classes préparatoires littéraires puis en tant qu'auditeur à l'École normale supérieure de Lyon, où il obtient l'agrégation de philosophie, puis soutient en 2011 une thèse de doctorat sur le rôle du hasard dans le processus d'individuation, à la lumière de l’œuvre de Gilbert Simondon[1]. Après un an comme ATER à l'université de Nice, il est nommé maître de conférences dans le département de philosophie de l'université d'Aix-Marseille (CEPERC/ UMR 7304)[2]. Ses recherches en philosophie se tournent alors vers la place des humains dans le vivant, sous l'influence de Bruno Latour et Philippe Descola. Il se fait notamment connaître pour son ouvrage Les Diplomates. Cohabiter avec les loups sur une autre carte du vivant qui reçoit le prix du livre de la Fondation de l'écologie politique en 2016[3] et le prix de la Fondation François Sommer en 2017[4]. Il y défend la possibilité d'établir des relations entre les humains et les autres vivants, qui échappent aux modèles traditionnels (gestion, régulation quantitative, sanctuarisation), sous la forme de ce qu'il appelle une « diplomatie ». La diplomatie avec le vivant constitue à la fois une forme d'attention et un mode de résolution des conflits entre humains et vivants, fondés sur la possibilité de communiquer, allant ainsi contre l'idée que le seul rapport possible avec le monde vivant est le rapport de force. Son ouvrage suivant, Sur la piste animale (2018), aborde également le pistage à travers différents récits. Morizot défend la pertinence d'une nouvelle grammaire environnementale pour qualifier nos relations avec les autres vivants dans l'article « Nouvelles alliances avec la terre. Une cohabitation diplomatique avec le vivant »[5]. La formulation de cette approche est précisée dans un dialogue qui le réunit avec Bruno Latour et Pierre Charbonnier, intitulé « Redécouvrir la terre »[6]. En 2019, il publie une tribune dans le journal Le Monde défendant des initiatives qui proposent d'acquérir des forêts pour les laisser en libre évolution[7], point de départ de son ouvrage suivant, Raviver les braises du vivant (2020). Il coordonne en 2020 un hors-série de la revue Socialter consacré au vivant « Renouer avec le vivant ». La même année, il participe à l'action Réserve de vie sauvage du Vercors, une initiative privée en vue de favoriser une libre évolution sur un territoire[8]. En 2022, il fait partie des 20 coprésidents de l'association appui financier des Soulèvements de la Terre[9]. Pratiques et axes de travail
— Baptiste Morizot, Les chemins de la philosophie[10] Morizot fait de la philosophie, « mais dans une forme particulière » qui « serait d’activer toutes les puissances de la sensibilité, du raisonnement, de l’intelligence pour produire des effets d’intelligibilité[10]. » L'art du pistageThéoricien et praticien du pistage, Baptiste Morizot évoque dans Sur la piste animale (2018) ses expériences de pistage de l'ours brun et du grizzly dans le parc national de Yellowstone, de la panthère des neiges au Kirghizistan, ou encore du loup[11] près du camp de Canjuers, dans le Var[12]. Le pistage est une tentative pour comprendre le comportement d'animaux à partir de signes qu'ils ont laissés. Le philosophe reprend l'hypothèse du rôle essentiel qu'aurait joué le pistage dans le développement de l'intelligence humaine, hypothèse issue des travaux de l'ethnologue sud-africain Louis Liebenberg[13], spécialiste des techniques de chasse des San (autrefois dénommés « Bochimans ») dans le désert du Kalahari.
Le pistage apparaît ainsi comme un art de penser conçu comme forme d'attention aux autres espèces animales, avant d'être une technique de chasse ou de prédation. C'est une manière de se préparer à « cohabiter »[15] avec d'autres espèces en repérant leurs manières d'habiter un territoire. Le pistage peut révéler la présence d'animaux qui habitent des espaces que nous avons cru nous arroger complètement. Il permet au philosophe de s'interroger sur l'évolution de l'homme comme chasseur-cueilleur durant deux millions d'années. Une nouvelle sensibilité au vivantPrenant acte de la crise écologique systémique, l'auteur cherche à remédier à une « crise de la sensibilité »[16], c'est-à-dire à un appauvrissement de ce que l'homme peut voir, sentir et comprendre de son environnement, notamment dans les relations qu'il entretient à l'égard des autres espèces animales. La capacité de l'homme moderne à entendre et à comprendre les signes qu'émettent les autres espèces s'est considérablement amoindrie sous l'effet d'une pensée dualiste qui sépare l'homme de la nature. « Il faut une nouvelle culture du vivant, comme on parle de culture du jazz. C’est cela que nous avons perdu à l’égard du vivant, et qu’il s’agit de reconstituer[17]. » Son travail se focalise principalement sur le retour du loup en France[11]. Afin de restaurer notre sensibilité au vivant, Baptiste Morizot propose de revoir la manière dont nous considérons nos relations avec les autres espèces. L'homme doit apprendre à se détacher de la pensée narcissique de sa propre supériorité spirituelle et technique, qui le conduit à être complètement aveugle et sourd à l'égard du vivant. D'autre part, les animaux ne devraient pas être considérés comme inférieurs ou supérieurs : « ils incarnent avant tout d'autres manières d'être vivant[18]. » Comme projet philosophique, la restauration de la sensibilité humaine au vivant pousse l'auteur à explorer des concepts comme celui de « diplomate »[19], « d'interdépendance » entre espèces, de « communauté d'importance » ou encore de « diplomatie des interdépendances »[20]. Le diplomate se tient entre les espèces et entre les positions. Il cherche à « résoudre sans violence les problèmes de cohabitation entre communautés »[21]. Il peut intercéder pour rappeler le moment où l'on oublie le fait que l'homme est inséparable des autres espèces, qu'elles soient domestiques (les brebis) ou sauvages (les loups). Ce travail d'intermédiaire a pour effet de brouiller les positions arrêtées, de telle sorte qu'il est impossible de défendre un camp contre un autre. Le diplomate se met en définitive au service de la relation elle-même, au service de la manière dont les usages humains d'un territoire peuvent être combinés, tissés avec des usages non-humains. Il s'agit d'apprendre à habiter autrement : « habiter, c'est toujours cohabiter, parmi d'autres formes de vie[22]. ». L'auteur souligne combien la dimension politique de ce projet est ambiguë et complexe lorsqu'il s'agit du loup.
Réception critiqueLes Diplomates a été salué par des chercheurs et des critiques. Le philosophe français Hicham-Stéphane Afeissa écrit :
Robert Maggiori, critique de philosophie à Libération, décrit Les Diplomates comme « un grand livre de philosophie animale, et de philosophie tout court, sur le monde partagé »[25]. Le livre a nourri des controverses théoriques portant sur la domestication et sur l'ancienneté d'une conception belliqueuse de notre rapport à la nature[26]. Toutefois la journaliste française Évelyne Pieiller voit dans le travail de Baptiste Morizot une nouvelle mystique du sauvage, qui se presenterait parfois comme contre-pied d'une pensée taxée d'« occidentale » voire simplement de « rationnelle ». Elle y trouve ainsi une ressemblance avec le courant philosophique du vitalisme, qui a pu inspirer certains penseurs réactionnaires partisans d'un retour à la terre et à l'instinct contre l'humanisme rationaliste et universaliste. Selon la journaliste, les invitations de Baptiste Morizot à « [retrouver les] dynamiques sauvages qui sont plus anciennes que nous et qui nous fondent » peuvent faire écho à des éléments de la « révolution conservatrice », rejetant une rationalité taxée de « dualisante » et universaliste, pour lui substituer une fascination pour la sensibilité mais aussi pour la force d'instinct primordial sacralisé[27]. Serge Audier préfère y voir l'influence de Robert Hainard, penseur d'une écologie anti-moderne fondée sur une apologie du sauvage[28]. L'« art du pistage » est également critiqué par Annie Le Brun, dans son essai Ceci tuera cela. Image, regard et capital (2021), qui voit dans cette analyse une analogie avec les technologies de traçage numérique (développées par l'entreprise californienne « Tracking the World ») :
Publications
En collaboration
ArticlesSes articles sont parus dans les revues Tracés, Terrain, Philosophie magazine[31], Billebaude[32], généralement accessibles sur la plateforme Academia.edu[2].
Références
Voir aussiArticles connexesLiens externes
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