L'épreuve comptait pour le championnat national américain (AAA) mais également pour le championnat du monde des pilotes, dont elle constituait la quarante-quatrième épreuve et la troisième manche de la saison.
Depuis 1950, les 500 miles d'Indianapolis, traditionnelle épreuve de l'AAA qui se court suivant une réglementation proche de l'ancienne formule internationale, font également partie du championnat du monde des conducteurs. Cependant, cette année encore, seuls les spécialistes américains y sont présents, les constructeurs et pilotes de F1 boycottant généralement cette course. La Scuderia Ferrari avait toutefois tenté l'expérience en 1952 avec Alberto Ascari, sans succès. Quatre jours avant l'édition 1955 des 500 Miles, Ascari, qui était un des principaux animateurs du championnat du monde, a été victime d'un accident mortel sur le circuit de Monza, alors qu'il essayait une Ferrari 750 Sport[1].
Inauguré en 1909, le circuit d'Indianapolis est situé dans la ville de Speedway (Indiana). Son tracé rectangulaire comporte quatre virages à gauche, tous relevés et à rayon constant. Initialement constitué de graviers, le revêtement de la piste est composé de portions en Tarmac et d’autres en briques rouges. La largeur de la piste est comprise entre seize et vingt mètres[2]. Malgré son dessin très simple, Indianapolis est un circuit très sélectif, les courbes se négociant à très haute vitesse. En 1954, Jack McGrath s'y était qualifié à près de 227 km/h de moyenne.
Contrairement aux Grands Prix européens, le départ est de type lancé, après un tour accompli derrière la voiture de sécurité (cette année une Chevrolet Bel Air Convertible).
Monoplaces en lice
La piste d'Indianapolis ne comportant que des virages à gauche, les monoplaces engagées sont préparées spécialement à cet effet et leur moteur est décentré à gauche du châssis ; les pneus sont profilés pour les virages à gauche[2]. Le constructeur le plus représenté est Kurtis Kraft, vainqueur des éditions 1950, 1951, 1953 et 1954. Quant au moteur, presque tous les concurrents utilisent le bloc 4 cylindres Offenhauser (4 500 cm3, 320 chevaux à 5 200 tr/min[3]). Le règlement permet l'utilisation de moteurs 3 litres à compresseur, mais le nombre de voitures ainsi équipées est très faible.
Les essais qualificatifs sont prévus les deux week-ends du 14/15 et 21/. Pour les qualifications, les pilotes sont chronométrés sur 4 tours lancés (10 miles). Le premier jour, déterminant les premières positions de la grille de départ, est appelé "Pole Day", les pilotes se qualifiant les jours suivants ne pouvant prétendre aux premières places.
Le samedi , les concurrents tardent à s'élancer, à cause de vents violents balayant la piste. Ce n'est que dans la dernière demi-heure que les pilotes peuvent tourner dans des conditions normales, et seuls Jerry Hoyt et Tony Bettenhausen parviennent à se qualifier, Hoyt obtenant la pole position à 225,381 km/h de moyenne.
Le dimanche, le vent est tombé et de nombreux pilotes prennent la piste. Malgré des conditions bien meilleures, seuls six pilotes se qualifient ce deuxième jour, beaucoup ayant renoncé avant la fin des quatre tours, estimant leur performance insuffisante. C'est Jack McGrath qui s'est montré le plus rapide, battant son record de l'année précédente, ayant bouclé ses quatre tours à la moyenne de 229,460 km/h. Il a également pulvérisé le record de la piste, son meilleur tour ayant été effectué à la moyenne de 231,412 km/h. Sa performance est malheureusement assombrie par l'accident de Manny Ayulo, survenu en fin de journée, et causé par une défaillance dans la direction. Relevé inconscient, le pilote succombera à ses blessures le lendemain[6].
Le second week-end de qualification est très disputé, vingt-cinq places restant à pourvoir. Le samedi, douze pilotes obtiennent une place sur la grille, le plus rapide étant Cal Niday qui a bouclé ses quatre tours à la moyenne de 225,794 km/h. Le dimanche matin, il pleut et personne ne tourne, alors que treize pilotes doivent encore se qualifier. L'après-midi, la piste s'assèche, et permet de compléter la grille de départ, bien que certains pilotes n'aient pu bénéficier de conditions optimales (seulement 216 km/h pour le dernier qualifié).
La pole a été réalisée par Jerry Hoyt à la moyenne de 225,373 km/h. Le meilleur temps des qualifications est à mettre au crédit de Jack McGrath avec une moyenne de 229,460 km/h. N'ayant pas participé à la première séance qualificative, McGrath s'élança de la troisième position.
Déroulement de la course
Le jour de la course, le temps est frais et venteux. À la fin du tour de lancement, Jack McGrath prend la tête et s'extrait du premier virage devant Tony Bettenhausen, Jerry Hoyt et Fred Agabashian. Cinquième, Bill Vukovich dépasse Agabashian, puis s'empare de la troisième place au détriment de Hoyt à la fin du premier tour. Au suivant, il dépasse Bettenhausen et prend le sillage de McGrath. Roues dans roues, les deux hommes de tête se détachent du reste du peloton. Au quatrième tour, Vukovich s'empare du commandement de la course. Il tente alors de décrocher son adversaire, mais McGrath ne cède pas un pouce de terrain. Trente tours durant, ces deux pilotes se livrent une lutte sans merci, échangeant leurs positions à six reprises ! Vukovich finit par avoir le dernier mot, McGrath finissant par lâcher prise aux environs du quarantième tour. Au quart de la course, alors que la moyenne de Vukovich est supérieure à 220 km/h, McGrath compte environ vingt secondes de retard. Les poursuivants, emmenés par Bob Sweikert et Jimmy Bryan qui se disputent la troisième place, sont nettement distancés. Peu après, McGrath effectue son premier ravitaillement, mais au moment de repartir il ne peut relancer sa machine, allumage défaillant ; c'est l'abandon pour l'adversaire principal de Vukovich. Celui-ci dispose désormais d'une très confortable avance sur Bryan et Sweikert. Mais alors qu'il entame son cinquante-septième tour, un incident va bouleverser la course : Rodger Ward, qui compte trois tours de retard, perd le contrôle de sa monoplace, qui après avoir heurté le mur à deux reprises, s'immobilise en travers de la piste. Al Keller, qui le suivait de près, tente de passer dans l'herbe pour l'éviter ; après une terrible embardée, sa voiture revient sur piste et heurte celle de Johnny Boyd, au moment où survient Vukovich, à environ 240 km/h. Voulant éviter les voitures en perdition, il donne un brutal coup de volant, mais ne peut maîtriser sa monoplace qui escalade la barrière de protection et se retourne sur son pilote. Juste derrière, Ed Elisian parvient à s'arrêter en catastrophe. Il se précipite pour porter secours à Vukovich, mais le champion américain, crâne fracturé, n'a pas survécu au terrible choc. Il disparaît alors qu'il était en passe de devenir le premier pilote à remporter une troisième victoire consécutive sur cette piste. Choqué, Elisian renonce à la course.
L'épreuve est alors neutralisée, les concurrents accomplissant une quinzaine de tours derrière la voiture de sécurité. Beaucoup en profitent pour ravitailler et changer de pneumatiques. Bettenhausen se fait remplacer par Paul Russo. Lorsqu'après une demi-heure la lumière verte libère les pilotes, Bryan occupe la tête de la course devant Sweikert. Tous deux ont une confortable avance sur le reste du peloton, emmené par Art Cross. Bryan se maintient à la première place jusqu'au quatre-vingt-huitième tour, puis se met à ralentir, pompe à essence défaillante. Il s'arrête alors au stand pour tenter de la faire réparer, mais la pompe refuse tout service et il abandonne. Dès lors, Sweikert, qui possède environ une minute d'avance sur Cross, se contente de gérer son avance, économisant carburant et pneus. Il effectue son second ravitaillement aux deux tiers de l'épreuve, laissant momentanément le commandement à Cross et Freeland qui ont retardé le leur. Lorsque ceux-ci ravitaillent à leur tour, il reprend la tête de la course. L'arrêt de Cross a été plus long que celui de Freeland, et celui-ci occupe désormais la seconde place. Cross le rattrape peu après et reprend la seconde place au cent-soixante-cinquième tour, mais va devoir abandonner trois boucles plus tard, moteur hors d'usage. Freeland retrouve la seconde place, devant O’Connor, mais dix tours plus tard il abandonne également, transmission cassée. O'Connor occupe désormais la seconde place, à plus de deux minutes de Sweikert qui a course gagnée. Il précède Bettenhausen, qui a repris la volant à Russo lors du second ravitaillement. Alors que les positions semblent désormais acquises et qu'il reste moins de dix tours à parcourir, O'Connor s'arrête au stand, pompe à injection défaillante : le remplacement va prendre plus de quatre minutes et lui faire perdre six places ! Sweikert remporte l'épreuve avec près de trois minutes d'avance sur Bettenhausen. Auteur d'une belle remontée, Jimmy Davies termine à la troisième place.
Classements intermédiaires
Classements intermédiaires des monoplaces aux premier, troisième, cinquième, dixième, vingtième, trentième, quarantième, cinquantième, soixantième, quatre-vingtième, centième, cent-vingtième, cent-quarantième, cent-soixantième et cent-quatre-vingtième tours[7].
Un (R) indique que le pilote était éligible au trophée du "Rookie of the Year" (meilleur débutant de l'année), attribué à Al Herman.
Pole position et record du tour
Pole position : Jerry Hoyt en 1 min 04 s 265 lors de la première séance de qualification (quatre tours en 4 min 17 s 06 - vitesse moyenne : 225,361 km/h).
Meilleur temps des qualifications établi lors de la deuxième séance par Jack McGrath en 1 min 3 s 122 (quatre tours en 4 min 13 s 49 - vitesse moyenne : 229,441 km/h).
attribution des points : 8, 6, 4, 3, 2 respectivement aux cinq premiers de chaque épreuve et 1 point supplémentaire pour le pilote ayant accompli le meilleur tour en course (signalé par un astérisque)
Le règlement permet aux pilotes de se relayer sur une même voiture, les points éventuellement acquis étant alors partagés. En Argentine, González, Farina et Trintignant marquent chacun deux points pour leur deuxième place, Farina, Trintignant et Maglioli marquent chacun un point un tiers pour leur troisième place, Herrmann, Kling et Moss marquent chacun un point pour leur quatrième place. Fait exceptionnel, Farina et Trintignant cumulent les points des deuxième et troisième places. À Monaco, Behra et Perdisa marquent chacun deux points pour leur troisième place. À Indianapolis, Bettenhausen et Russo marquent chacun trois points pour leur seconde place, Faulkner et Homeier chacun un point pour leur cinquième place.
Sur onze épreuves qualificatives prévues pour le championnat du monde 1955, sept seront effectivement courues, les Grands Prix de France (programmé le ), d'Allemagne (programmé le ), de Suisse (programmé le ) et d'Espagne (programmé le ) ayant été annulés[6].
Lors de la seconde journée d'essais, accident mortel de Manny Ayulo.
Au 57e tour de course, accident mortel de Bill Vukovich, alors largement en tête de l'épreuve, lors d'une collision générale provoquée par un pilote attardé.
1re victoire pour Bob Sweikert dans le cadre du championnat du monde de Formule 1.
5e victoire pour Kurtis Kraft en tant que constructeur dans le cadre du championnat du monde de Formule 1.
6e victoire pour Offenhauser en tant que motoriste dans le cadre du championnat du monde de Formule 1.
Voitures copilotées :
n° 10 : Tony Bettenhausen (123 tours) et Paul Russo (77 tours). Ils se partagent les six points de la seconde place.
n° 77 : Walt Faulkner (176 tours) et Bill Homeier (24 tours). Ils se partagent les deux points de la cinquième place.
Notes et références
↑(en) Karl Ludvigsen, Alberto Ascari - Ferrari’s first double champion, Haynes Publishing, , 208 p. (ISBN1-85960-680-6)
↑ a et bL'année automobile 1955-1956 - éditeur : Edita S.A., Lausanne
↑L'année automobile 1954-1955 - éditeur : Edita S.A., Lausanne
↑(en) David Hayhoe et David Holland, Grand Prix data book, Duke Marketing Ltd, , 567 p. (ISBN0 9529325 0 4)
↑(en) Bruce Jones, The complete Encyclopedia of Formula One, Colour Library Direct, , 647 p. (ISBN1-84100-064-7)
↑ ab et c(en) Mike Lang, Grand Prix volume 1, Haynes Publishing Group, , 288 p. (ISBN0-85429-276-4)
↑Edmond Cohin, L'historique de la course automobile, Editions Larivière, , 882 p.