Wilgeforte
Wilgeforte, ou Livrade, est une sainte légendaire de la tradition catholique, également invoquée sous le nom de sainte Débarras. Récits et représentations la dépeignent sous les traits d'une vierge miraculeusement barbue et d'une martyre crucifiée. Elle est une figure de la fluidité de genre dans les communautés LGTQIA+. NomEn latin, cette sainte est dénommée Virgo fortis, Wilgefortis barbata, Liberata, Comeria, Cumernus ou Eutropia. En français, son nom se décline en Digneforte, Guilleforte, Milleforte, Virgeforte et Livrade[1] ou encore Acombe[2]; elle est aussi appelée sainte Débarras[3]. En italien, elle se nomme Liberate, en espagnol Librada, en anglais Uncumber, en allemand Hülpe, Gehülpe, Kümmernis ou Unkummer, et en néerlandais Ontkommer[1]. Ces appellations évoquent la figure d'une vierge forte (Virgo fortis, Wilgeforte), délivrée par Dieu (Liberata, Livrade, Ontkommer) et qui délivre elle-même du chagrin (Kümmernis)[3]. LégendeDepuis le XIXe siècle, l'existence historique de sainte Wilgeforte n'est plus soutenue[4] et son caractère purement légendaire est considéré comme acquis[5]. Son culte, peut-être originaire de Hollande[6], se développe surtout à partir du XIVe siècle[3]. Sa légende connaît de multiples versions :
Selon les récits, Wilgeforte reçoit diverses origines : elle est princesse portugaise[1], ou sicilienne (le prétendant est alors un roi de Portugal « du milieu du XIe siècle »), ou fille d'un chef de tribu calète[7], ou encore de famille poitevine[8]. Les traits constants sont l'apparition d'une barbe et le crucifiement[3]. L'une et l'autre sont des caractéristiques masculines, car le supplice de la croix était réservé aux hommes : vierge barbue, Wilgeforte est aussi l'une des très rares saintes de la chrétienté représentées crucifiées[9]. Dans leur diversité, légendes du Nord et du Sud de l'Europe dessinent l'image d'une femme libérée du danger et qui peut à son tour délivrer de leurs peines ceux qui l'invoquent[3]. Dans les représentations du XVIIIe siècle, Wilgeforte apparaît crucifiée, barbue, couronnée, vêtue d'une robe et d'un long manteau d'où dépasse un pied nu ; à proximité est agenouillé un joueur de viole[3]. Selon la légende ainsi illustrée, le pauvre musicien, venu jouer devant le corps supplicié de la sainte (ou devant son image), a reçu d'elle l'une de ses pantoufles d'or. Faussement accusé de l'avoir volé, il obtient de jouer devant elle une seconde fois : en présence de tous, elle laisse tomber son autre pantoufle, le lavant ainsi de toute accusation[10]. OrigineSelon l'étymologie habituelle, le nom de Wilgeforte signifie « vierge forte ». En 1934, Gustav Schnürer et Joseph Ritz[11] ont proposé une autre explication : Wilgeforte viendrait de Hilge Vartz, la « sainte face ». Cette étymologie conforte la thèse d'une erreur d'interprétation, selon laquelle l'histoire de Wilgeforte serait née d'une mécompréhension de l'iconographie chrétienne orientale. De fait, tandis que l'art occidental en est venu à représenter le Christ crucifié presque entièrement nu, les églises d'Orient ont continué à le montrer le plus souvent vêtu d'une longue tunique[12]. À l'origine du quiproquo pourrait se trouver le Volto Santo (« Saint Vou » ou « Saint Voult ») de la cathédrale Saint-Martin de Lucques, crucifix byzantin très populaire au Moyen Âge, traditionnellement attribué à Nicodème, disciple de Jésus, et dont une quantité de copies a été diffusée en Europe : il représente un Jésus vêtu d'une longue tunique à manches serrée à la taille, et portant des cheveux longs, une barbe et une couronne. Au XIVe siècle, les marchands lucquois, s'installant dans le nord-ouest de l'Europe, y auraient diffusé son image dans des régions où, depuis le Xe siècle, le Christ en croix n'était plus vêtu que d'un pagne. N'y reconnaissant plus Jésus, le peuple aurait pris ce crucifié en robe pour une femme et élaboré à partir de lui l'histoire d'une vierge devenue barbue pour échapper au mariage[3]. La mise en rapport de Wilgeforte et du Volto Santo est confortée par la proximité des nombreuses représentations qui figurent la sainte un pied nu, devant un musicien, avec le récit du « miracle du Saint Vou » : dans celui-ci, un ménestrel, trop pauvre pour faire une offrande à Jésus, joue de la viole devant le crucifix qui lui jette, en remerciement, un de ses souliers d'argent[13]. StatuaireOn trouve des statues de sainte Wilgeforte dans plusieurs pays d'Europe, notamment :
CulteEntrée dans le martyrologe romain en 1583[6], sainte Wilgeforte était fêtée le 20 juillet. Son nom a été retiré du calendrier liturgique. Selon Lewis Wallace, la fluidité de genre de Wilgefortis est un facteur essentiel de sa popularité et permet de définir les spécificités de son culte[14][15]. Dans son Dialogue concernant les hérésies (1529), Thomas More évoque les femmes qui viennent à Saint-Paul de Londres offrir à la sainte de l'avoine :
Pondéré, il relève qu'« un tel débarras peut prendre plus d'une forme. Le mari, s'il change de conduite, peut cesser d'être un embarras. La femme, en réfrénant sa langue, peut supprimer la cause de l'embarras. Et s'il n'y a pas d'autre débarras que la mort, ça peut être sa mort à elle, ce qui épargne le mari[16]. » En somme, « il n’y a pas grand dommage ni péché à vouloir se débarrasser d’un mauvais époux[3]. » ÉvocationsLe dramaturge et metteur en scène Mathieu Bertholet s'est inspiré de sa légende dans une pièce créée le , à Sion, par la Compagnie MuFuThe[17]. Wilgeforte est évoquée dans le roman L'Objet du scandale (Fifth Business) du Canadien Robertson Davies. . Elle est également évoquée dans le roman Maison de jour, maison de nuit de la Polonaise Olga Tokarczuk, Prix Nobel de Littérature 2018. RéceptionDu fait de son apparence, Wilgerfortis a été décrite comme une « sainte trans » et est parfois considérée comme une sainte-patronne des personnes de genre fluide et des communautés LGBTQIA+[18],[15],[19]. Notes et références
Voir aussiBibliographie
Articles connexesLiens externes
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