Romeo Castellucci, né le à Cesena, est un homme de théâtre et plasticienitalien. Personnalité du théâtre d'avant-garde en Europe à partir des années 1990, il a créé et mis en scène des dizaines de spectacles y intervenant en tant qu'auteur, metteur en scène, scénographe, créateur de l'éclairage, du son et des costumes.
Biographie
Romeo Castellucci naît en 1960 à Cesena[2]. Diplômé des beaux-arts en scénographie et en peinture à l'issue de ses études à Bologne, Romeo Castellucci fonde en 1981, avec sa sœur Claudia et Chiara Guidi, à Cesena, en Émilie-Romagne la Socìetas Raffaello Sanzio(it), considérée comme « expérimentale », qui s’appuie sur la conception d'un théâtre intense, d'une forme d’art réunissant toutes les expressions artistiques et s'est affirmée, à partir du milieu des années 1980 et surtout dans les années 1990 en Italie et en Europe, comme l'une des composantes les plus radicales du théâtre italien contemporain[3].
S'inscrivant dans la continuité du « théâtre de la cruauté » imaginé par Antonin Artaud, les spectacles de la Socìetas Raffaello Sanzio sont des spectacles dits « de théâtre » dans lesquels le texte s’efface souvent au profit de l'image et des sons, traités et proposés dans leurs aspects les plus radicaux et exacerbés. Leurs propositions théâtrales mêlent l'artisanat théâtral d'antan à des techniques de pointe et allient des trouvailles visuelles, sonores et même olfactives, pour créer des spectacles d'où la place du texte tend à s'estomper face à celles des corps[4]. D'une esthétique parfois outrancière, mais toujours maîtrisée, ces spectacles peuvent difficilement être comparés à autre chose qu'eux-mêmes et, par leur côté provocateur, ne laissent jamais les spectateurs indifférents[5],[6].
En janvier 2002, Romeo Castellucci lance un vaste projet intitulé Tragedia Endogonidia. Il s'agit d'un système de représentation ouvert dans lequel la pièce se transforme au fil du temps et selon le parcours géographique et les lieux où elle est présentée. À chaque stade de sa transformation, le titre de la pièce intègre un numéro d'ordre, le nom de la ville traversée, et le qualificatif d'« épisode ». Dans ce projet, comportant onze épisodes, créés jusqu'en 2004 notamment à Cesena, Avignon, Berlin, Bruxelles, Paris, Londres, Rome ou Marseille, Romeo Castellucci s'interroge sur les conditions de la tragédie contemporaine, à travers la situation du spectateur, et met en scène des thèmes comme l'anonymat des personnages, l'alphabet, la loi, l'âpreté du rêve et la ville.
En 2003, il est nommé directeur de la section « théâtre » de la 37e édition de la Biennale de Venise (2005), dont le titre était « Pompéi, le roman des cendres ». Dans sa programmation, il a cherché à faire ressortir un art dramatique souterrain, enfoui sous les cendres, et à favoriser un art essentiellement plastique, où le texte même prend valeur matérielle.
En France, Romeo Castellucci vient pour la première fois au festival d'Avignon en 1998 avec Giulio Cesare d'après Shakespeare. Les années suivantes, il y est à nouveau invité avec Voyage au bout de la nuit, un « concerto » d'après Céline (1999), Genesi (2000). Par la suite, le festival d'Avignon accueille le second « épisode » de la Tragedia Endogonidia avec A.#02 Avignon en 2001 avant de reprendre les deux « épisodes » suivants B.#03 Berlin et Br.#04 Bruxelles en 2005. Il présente encore Hey girl ! en 2007.
En 2008 Romeo Castellucci est « artiste associé » du festival d'Avignon et il crée trois pièces inspirées par La Divine Comédie de Dante : Inferno dans la cour d'honneur du Palais des papes, Purgatorio à Châteaublanc et Paradiso à l'église des Célestins.
Toujours, en 2008, il propose une performance intitulée Storia dell’Africa contemporanea Vol. III, créée dans le courant de l'été à Cesena, en Italie, dans laquelle il se met lui-même en scène de façon radicale dans un rituel terriblement humain, qui sera ensuite présentée notamment en , lors du Kunstenfestivaldesarts à Bruxelles, en Belgique, puis en novembre au festival Mettre en scène, organisé par le Théâtre national de Bretagne, en France.
En 2011, sa pièce Sul concetto di volto nel figlio di Dio (Sur le concept du visage du fils de Dieu), présentée au festival d'Avignon au mois de , met en scène un homme jetant des excréments sur une monumentale peinture de fond de scène d'Antonello de Messine représentant le visage du Christ[7]. Jugée « blasphématoire » par des mouvements intégristescatholiques, elle occasionne, à l'automne 2011, des manifestations devant le Théâtre de la Ville à Paris où elle est représentée, marquées par plusieurs débordements et arrestations[8]. Les manifestants, souvent membres d'associations religieuses, essaient d'empêcher la représentation de la pièce en argumentant que la « démarche [de l'auteur est] profondément contestable sur les plans moral et esthétique[9]. »
Les 10 et , une scène comportant neuf enfants âgés de 7 à 13 ans a été coupée de la représentation de la pièce Sur le concept du visage du fils de Dieu, donnée au théâtre Quinconces-L’Espal du Mans. Dans la scène supprimée à cause d'un arrêté préfectoral, les enfants sortent des jouets en forme de grenade pour les jeter sur le tableau du visage christique[10].
Prix Europe pour le Théâtre - Premio Europa per il Teatro
En 2000, il a reçu le VIème Prix Europe Réalités Théâtrales, avec Chiara Guidi, décerné à la Socìetas Raffaello Sanzio[11] avec cette motivation :
En vingt ans de travail dans le domaine des arts visuels, La Societas Raffaello Sanzio est parvenue – en passant d’une expérience provocatrice de jeu à l’invention d’une langue, du théâtre iconoclaste à la récupération d’une tradition sumérienne imaginaire – à la pleine maturité et à devenir le chef de file d’un nouveau théâtre à travers la confrontation avec les grands textes. Fondée par deux couples de frères de la ville de Cesena – les Castellucci et les Guidi –, la Societas est restée fidèle à sa nature de groupe tribal, mettant en scène les mères, les tantes, les enfants, les animaux. Parallèlement, la compagnie a découvert une deuxième vocation : les cours de théâtre destinés aux acteurs débutants et aux enfants. La Societas a d’ailleurs mis en scène pour le public enfantin une série de contes de fée présentés dans une optique totalement démystifiante. Mais c’est le processus de réinvention des classiques, basé sur une communication d’énergie, qui a permis à cette Compagnie de présenter ses spectacles dans les festivals du monde entier. Partant d’un Hamlet autiste, en proie à sa physicité animale, dans un contexte mécanisé, le groupe de Romeo Castellucci s’est ensuite tourné vers la lecture radicale d’un autre Shakespeare – fondée sur une corporéité qui n’exclut pas la maladie – pour parvenir enfin à la vision cosmique de deux imposants triptyques : L’Orestée, à la force immaginaire et créatrice, et la Genèse, recréation mémorable, sorte d’autoanalyse du travail sur-humain de l’artiste et de réflexion sur l’histoire de l’homme et le devenir de la science au sein du mystérieux rapport entre le bien et le mal. Cela a permis de déboucher sur une conception de moins en moins verbale et de plus en plus visuelle du théâtre. Un théâtre parcouru par une sorte d’étincelle électrique, où la quête des sons joue un rôle déterminant dans l’impact émotionnel produit chez le spectateur[12].
1988 : Il gran reame dell’adolescenza [La cripta degli adolescenti, L’adolescente sulla torre d’avorio, Oratoria n.5.: Sono consapevole dell’odio che tu nutri per me]
1996 : Prix spécial UBU pour la Résistance, décerné à la suite de l'exclusion de la Socìetas Raffaello Sanzio de l’aide publique destinée au théâtre de recherche, par le ministère du Tourisme et du Spectacle de la République italienne
1997 : Prix Masque d’Or du meilleur spectacle étranger de l'année décerné à Orestea, Festival Théâtre des Amériques, Montréal, Québec
1997 : Prix UBU meilleur spectacle de l'année décerné à Giulio Cesare
Claudia Castelluci, Il teatro della Societas Raffaello Sanzio : Dal teatro iconoclasta alla super-icona, Milan, Ubulibri, 1992 (ISBN8-87748-119-6)
Claudia et Romeo Castelluci, Les Pèlerins de la matière. Théorie et praxis du théâtre, trad. Karin Espinosa, Besançon, Les Solitaires intempestifs, 2001
Romeo Castelluci, Chiara Guidi, Claudia Castelluci, Epopea della Polvere - Il Teatro della Societas Raffaello Sanzio 1992-1999. Amleto, Masoch, Orestea, Giulio Cesare, Genesi, Milan, Ubulibri, 2001
Romeo Castelluci, To Carthage then I came, éd. Claire David, Arles, Actes Sud, 2002 (ISBN2-74274-055-4)
Romeo Castelluci, Epitaph, trad. Karin Espinosa, Besançon, Les Solitaires intempestifs, 2003
↑(en) Eleni Papalexiou & Avra Xepapadakou, « About SRS », sur arch-srs.com, (consulté le ).
↑(en) Eleni Papalexiou, The Dramaturgies of the Gaze : Strategies of Vision and Optical Revelations in the Theatre of Romeo Castellucci and the Socìetas Raffaello Sanzio”, in : George Rodosthenous (éd.), Theatre as Voyeurism. The pleasures of Watching, Londres, Palgrave-Macmillan, (lire en ligne), p. 50-68.
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↑Katuszewski, Pierre, "Romeo Castellucci, Pippo Delbono : obscène, scandale et émotion", in : Frei, Peter, Labère, Nelly, éd., L’obscène, mode d’emploi. Considérations intempestives à l’usage du monde contemporain, Pessac, MSHA, collection PrimaLun@ 16, 2022, 67-78, [en ligne] https://una-editions.fr/romeo-castellucci-pippo-delbono [consulté le 02/01/23].
Joe Kelleher et Nicholas Ridout, Contemporary theatres in Europe: A critical companion, Londres, Routledge, 2006 (ISBN0-41532-939-6)
Eleni Papalexiou, Romeo Castellucci, Socìetas Raffaello Sanzio: When the Words Turn into Matter, Athens, Plethron, 2009
Eleni Papalexiou, « Le corps comme matière dramatique dans le théâtre de Romeo Castellucci », in Prospero European Review. Theatre and Research, 2, 2011
Filip Dukanik, « L'esthétique du théâtre postmoderne au travers du travail de la compagnie Societas Raffaello Sanzio », thèse de mastère, dirigée par Christiane Page, Rennes, université de Rennes 2, 2014
Eleni Papalexiou, « Nyx Teleia. Nella notte profonda del mondo greco antico », in Piersandra Di Matteo (éd.), Toccare il reale. L’arte di Romeo Castellucci, Naples, Cronopio, 2015
Eleni Papalexiou, « The Dramaturgies of the Gaze: Strategies of Vision and Optical Revelations in the Theatre of Romeo Castellucci and the Socìetas Raffaello Sanzio », in G. Rodosthenous (éd.), Theatre as Voyeurism. The pleasures of Watching, Londres, Palgrave-Macmillan 2015
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