La famille de Romano Guardini quitte l'Italie en 1886 pour Mayence, où le futur théologien fréquentera le Gymnasium (lycée) à partir de 1903. Jeune étudiant brillant, il commence des études de chimie à Tübingen et d'économie à Munich et Berlin, études qu'il abandonne pour devenir prêtre du diocèse de Mayence ordonné par Georg Heinrich Maria Kirstein.
Il suit un cursus de théologie à Fribourg-en-Brisgau et à Tübingen. Il devient docteur en théologie en 1915 avec un travail sur saint Bonaventure. Il obtient son habilitation à enseigner la dogmatique en 1922, toujours sur Bonaventure. Après avoir travaillé dans des mouvements de jeunesse, il obtient une chaire de philosophie de la religion en 1923 à Berlin (Katholische Religionsphilosophie und Weltanschauung). Il enseigne ensuite à Tübingen, à partir de 1945, puis à Munich de 1948 jusqu'à sa mort. Peu connue est la proposition par le pape Paul VI de le faire cardinal en 1965. Guardini refuse par modestie, malgré le signe de reconnaissance que cela aurait constitué pour tout son enseignement et ses intuitions.
L'université Ludwig-Maximilian de Munich a créé une chaire d'enseignement de la philosophie de la religion à son nom, occupée depuis 1999 par Rémi Brague. Romano Guardini a été enterré dans le cimetière des prêtres de l'OratoireSaint-Philippe-Néri dans la paroisse Saint-Laurent de Munich, Oratoire fondé par le fameux Oratoire de Leipzig de son ami Heinrich Kahlefeld(de), lui aussi liturgiste. Le corps de Guardini a été transféré ensuite à Saint-Louis à Munich dans une chapelle aménagée en lieu de célébration pour des petits groupes.
Pensée de Romano Guardini
Guardini est surtout connu pour ses ouvrages sur la nature de la liturgie et sa participation essentielle au mouvement liturgique[1]. Pour les premiers, citons Vom Geist der Liturgie 1918 (L’Esprit de la liturgie 1930), Von Heiligen Zeichen 1922-1923 (Les signes sacrés 1930) et Besinnung vor der Feier der Heiligen Messe 1939 (La Messe 1957). Pour la seconde, il est nécessaire de percevoir l’importance du projet du château de Rothenfels entre les deux guerres, véritable laboratoire liturgique et spirituel, source d’un renouveau intense dans la jeunesse allemande, au sein du mouvement des Quickborn. Le cœur de la théologie liturgique de Guardini était l’assemblée, et l’assemblée concrète. Sans elle, la liturgie est vide.
Selon des notes autobiographiques, la source de la vocation « liturgique » et des intuitions de Guardini est une expérience fondatrice pendant des complies à l’abbaye bénédictine de Beuron. La conviction de Guardini sur sa vocation de théologien est peu commune en son temps dans le monde académique allemand : « Ma propre vocation : non pas scruter minutieusement tel ou tel domaine précis de la théologie, mais expliciter et interpréter la réalité chrétienne dans son ensemble, avec bien sûr le sérieux scientifique voulu et un niveau spirituel aussi élevé que possible[2]. »
La pensée de Guardini est inséparable de son action pastorale. Il est l'un des acteurs de ce renouveau à Rothenfels, avec les architectes Rudolf Schwarz, Martin Weber et Emil Steffann ou les liturgistes Heinrich Kahlefeld et Alois Goergen.
Guardini a été le professeur du jeune Josef Ratzinger à Munich. Celui-ci, devenu le pape Benoît XVI, se réfère très fréquemment à son ancien maître. Il reprend par exemple le titre L'esprit de la liturgie pour un de ses propres ouvrages, et revendique la concordance de leurs projets[3].
Le pape François, dans l'encycliqueLaudato si cite à Huit reprises son livre La fin des temps modernes[4], particulièrement critique sur la technique et le « paradigme technocratique » : l'homme qui possède la technique « sait que, en dernière analyse, ce qui est en jeu dans la technique, ce n'est ni l'utilité, ni le bien-être, mais la domination : une domination au sens le plus extrême de ce terme »[5].
Anthologie des œuvres traduites
Cardinal Joseph Ratzinger (trad. Robert d'Harcourt, préf. Cardinal Robert Sarah), L'esprit de la liturgie, suivi de Romano Guardini, L'esprit de la liturgie, Artège, , 304 p. (ISBN979-1033609193, présentation en ligne)
Les signes sacrés, trad. par Antoine Giraudet, Paris, Spes, 1930
Le chrétien devant le racisme, Paris, Alsatia, 1939 [sous le pseudonyme de Lucien Valdor]
Le Chemin de Croix du Seigneur Notre Sauveur (trad. Antoine Giraudet), Salvator, (1re éd. 1939) (ISBN978-2706709821)
Le Seigneur (trad. R.P. Lorson, préf. Benoît XVI, postface Jean Greisch), Salvator, (1re éd. 1945), 656 p. (ISBN978-2706717208).
L'univers religieux de Dostoïevski, trad. par Henri Engelmann et Robert Givord, Paris, Seuil, 1947
L'essence du christianisme, trad. par le P. Pierre Lorson, Paris, Alsatia, 1945
Les fins dernières, Saint-Paul Éditions Religieuses, (1re éd. 1950), 144 p. (ISBN978-2850497841)
Prières théologiques (trad. Jeanne Ancelet-Hustache, préf. Grégory Woimbée), Ad Solem, (1re éd. 1950), 63 p. (ISBN978-2970055976)
Pascal ou le drame de la conscience chrétienne, trad. par Henri Engelmann et Robert Givord, Paris, Seuil, 1951
De la mélancolie, Points, coll. « Points Vivre », (1re éd. 1952), 96 p. (ISBN978-2757857625)
La fin des temps modernes, suivi de La puissance (trad. Jeanne Ancelet-Hustache), Paris, Éditions Pierre Téqui, coll. « Chercheurs de vérité », (1re éd. 1952), 246 p. (ISBN9782740321324)
La puissance : essai sur le règne de l'homme, trad. de Die Mächte par Jeanne Ancelet-Hustache, Paris, Seuil, 1954
Les sens et la connaissance de Dieu : deux essais sur la certitude chrétienne, trad. par Thomas Patfoort, Paris, Cerf, 1954
Lettres du lac de Côme : sur l’humanité et la technique (préf. Édouard Schaelchli), R&N, (1re éd. 1955), 150 p.
La mort de Socrate : Interprétation des dialogues philosophiques Euthyphron, Apologie, Criton, Phédon (trad. Paul Ricœur, préf. Jean Greisch), Éditions Ipagine, (1re éd. 1956), 240 p. (ISBN979-1091749619)
Les âges de la vie, trad. par Geneviève Bousquet, Paris, Cerf, 1956
Le Dieu vivant (trad. Jeanne Ancelet-Hustache, préf. Abbé Grégory Woimbee), Artège, coll. « Les classiques de la spiritualité », (1re éd. 1956) (ISBN979-1033612209)
Liberté, grâce et destinée, trad. par , Paris, Seuil, 1957
La messe, trad. par Pie Duployé, Paris, Cerf, 1957
Le monde et la personne, trad. de Welt und Person par Robert Givord, Paris, Seuil, 1959
Royaume de Dieu et liberté de l'homme, trad. par Marlyse Guthmann, Paris, Desclée de Brouwer, 1960
Dante, visionnaire de l'éternité, trad. par Jeanne Ancelet-Hustache, Paris, Seuil, 255 p., 1962
La prière du Seigneur, trad. par Jeanne Ancelet-Hustache éditions Bloud & Gay 1965
Vie de la foi, Desclée De Brouwer, 1968
La polarité : Essai d'une philosophie du vivant concret (trad. Jean Greisch et Françoise Todorovitch), Cerf, coll. « La nuit surveillée », (ISBN978-2204094061)
Initiation à la prière, Artège, coll. « Les Classiques de la Spiritualité », , 288 p. (ISBN978-2-3604-0225-0)
Bibliographie
Hanna-Barbara Gerl-Falkovitz (trad. Françoise Todorovitch, postface Jean Greisch), Romano Guardini : la vie et la pensée 1885-1968, Salvator, , 560 p. (ISBN978-2706707476)
(en) Robert A. Krieg, C.S.C., Romano Guardini : a Precursor of Vatican II, University of Notre-Dame Press, , 280 p. (ISBN978-0268016616)
Frédéric Debuyst, L'entrée en liturgie : introduction à l'œuvre liturgique de Romano Guardini, Paris, Éditions du Cerf, coll. « Liturgie », , 126 p.
Henri Engelsmann et Francis Ferrier, Romano Guardini, Paris, Éd. Fleurus, 1966.
Grégory Woimbée, L'esprit du christianisme : introduction à la pensée de Romano Guardini, Genève, Éd. Ad Solem, 2009, 221 p.
Vom Geist der Liturgie. 100 Jahre Romano Guardinis "Kultbuch" der Liturgischen Bewegung. Begleitpublikation zur Ausstellung in Maria Laach, Heiligenkreuz Hochschule Benedikt XVI., Burg Rothenfels, Trier, Köln und München. édité par Stefan K. Langenbahn. (collection Libelli Rhenani, 68). Cologne, Erzbischöfliche Diözesan- und Dombibliothek, 2017. Remarquable catalogue d'exposition sur le 1er livre de Guardini, devenu un des plus grands classiques de la littérature théologique du XXe siècle[6].
↑“Le Mouvement liturgique est comme un signe de la providence divine pour notre temps ; il était une intervention du Saint-Esprit dans son Eglise, pour rendre les hommes plus accessibles aux mystères de la foi et aux richesses de la grâce, qui coulent de la participation active des fidèles à la vie liturgique.” Pie XII, Lettre au Congrès d’Assise (1956).
↑Silvano Zucal, Ratzinger et Guardini, une rencontre décisive, in Vita e Pensiero, revue de l'université catholique de Milan, traduit sur le site Chiesa, L'Espresso