Rapport sur la compétitivité française
Le rapport sur la compétitivité française, également appelé rapport Gallois ou pacte pour la compétitivité de l'industrie française, est le rapport[1] demandé à Louis Gallois concernant la situation de l'économie française et la compétitivité de ses différents secteurs d'activité. Il a été remis le au Premier ministre français Jean-Marc Ayrault[2]. ContexteIl existe en France une longue tradition de rapports rédigés par des experts ou des commissions spéciales, notamment à l'occasion de l'arrivée au pouvoir d'une nouvelle majorité. Cette tradition est également souvent critiquée, depuis Georges Clemenceau qui déclarait « Quand je veux enterrer un problème, je crée une commission »[3]. Ceci n'empêche pas les dirigeants politiques de commander de nouveaux rapports. L'alternance politique du printemps 2012 intervient dans un contexte économique morose. L'une des raisons identifiées du chômage dans l'industrie et les services est la perte de parts de marché de la France par rapport à ses voisins européens, notamment l'Allemagne. Une première décision symbolique du gouvernement est le changement de nom du Ministère de l'Industrie en « Ministère du Redressement productif » confié à l'avocat Arnaud Montebourg. Parallèlement, le , le Premier ministre Jean-Marc Ayrault commande un rapport à Louis Gallois, à la suite de la nomination de celui-ci à la tête du Commissariat général à l'investissement. Louis Gallois est un patron réputé de gauche, grand commis de l’État, ayant dirigé successivement un symbole du service public français (la SNCF), et un symbole de l'industrie européenne (EADS et sa filiale Airbus). Membre de la Commission Liikanen d’experts européens sur la réforme bancaire, il est également impliqué dans l'économie sociale et solidaire. Il est donc vu comme un choix idéal[4]. En , avant même la remise du rapport, plusieurs journaux dévoilent des mesures qui sont critiquées par les experts économiques du Parti Socialiste, d'inspiration keynésienne. François Hollande déclare : « C'est un rapport qui engage son auteur, qui n'engage pas le gouvernement, pas le président de la République ». L'« enterrement » du rapport avant même sa publication est alors possible[5]. Cependant, cinq députés du parti socialiste appellent à faire suivre le rapport d’actions concrètes[6]. Le rapport est finalement remis le par Louis Gallois au Premier ministre Jean-Marc Ayrault, et mis en ligne par les services du Premier Ministre. Il s'agit d'un document de 67 pages, intitulé Pacte pour la compétitivité de l'industrie française. Les rapporteurs adjoints sont Clément Lubin et Pierre-Emmanuel Thiard. Contenu du rapportLe rapport, précédé de la lettre de mission du Premier Ministre, contient une introduction et 6 parties. Lettre de missionDans sa lettre de mission datant du , et reprise en introduction du rapport publié[7], le Premier Ministre, Jean-Marc Ayrault, confie à Louis Gallois une mission - avec remise des conclusions avant le - destinée à « préparer un pacte productif ambitieux en faveur de la compétitivité de notre industrie. » Le premier ministre précise vouloir « porter à nouveau l’industrie française au premier rang mondial » et vouloir pour cela « mettre en œuvre des mesures fortes permettant de lever les freins à notre compétitivité »[8]. Introduction : un pacte de confianceEn introduction, le rapport reprend la définition de la compétitivité du Conseil économique, social et environnemental affirme que le redressement de la « compétitivité globale » (c'est-à-dire concernant tous les secteurs) de l’économie française passe par celui de la compétitivité de l’« industrie et des services qui lui sont associés »[9]. Selon le rapport : « La reconquête de la compétitivité industrielle doit donc être considérée comme la priorité économique de notre pays, elle conditionne tout le reste », d’où une proposition qui « surplombe » les autres propositions spécifiques du rapport :
Selon les auteurs, la reconquête de la compétitivité prendra du temps et nécessite « un fort consensus au sein de la communauté nationale sur la nécessité de cette reconquête et de l’effort nécessaire » : le pays doit « nouer avec lui-même un pacte de confiance ». 1re partie - La cote d'alerte est atteinte (les constats)La première partie, faisant état de la situation de l'industrie française en 2012 (hors bâtiment), constate le « véritable décrochage » de l'industrie française (hors bâtiment). Il identifie un mauvais positionnement, des « causes structurelles », mais aussi des atouts. Le « décrochage » de l’industrie françaiseLes auteurs font état des pertes de part de marché depuis les années 1970 et qui semblent encore s'accélérer. Ils reprennent une conclusion de la Conférence nationale de l’industrie en 2011 : « L’industrie française atteint aujourd’hui un seuil critique, au-delà duquel elle est menacée de déstructuration ». Ils énumèrent les chiffres suivants :
Les auteurs constatent que l’opinion publique a « le sentiment que l’industrie « fout le camp » et, pire, que c’est irrémédiable. » Un cercle vicieux prix/hors prixSelon le rapport, la France est plutôt positionnée sur le milieu de gamme en matière de qualité et d’innovation. Elle est ainsi prise en étau entre :
La France a ainsi été conduite à préserver sa compétitivité-prix - baisse des marges de l’industrie manufacturière de 30 % en 2000 à 21 % en 2011, une baisse du taux d’autofinancement, de 85 % en 2000 à 64 % en 2012, productivité globale des facteurs en berne - au détriment de sa compétitivité hors-prix, d’où des difficultés à monter en gamme[10]. Quatre causes structurellesLe rapport ne reprend pas les faiblesses générales déjà identifiées, notamment dans les rapports de la Commission pour la libération de la croissance française (« Rapports Attali »[11] pour ne pas « faire doublon », mais il identifie quatre causes structurelles spécifiques à l'industrie :
Des atoutsMais le redressement est, toujours selon les auteurs, possible, car la France possède de nombreux atouts :
2e partie : une ambition industrielle, la montée en gammeDe la 2e partie à la 6e partie, les rapporteurs développent des axes d'améliorations et formalisent 22 « propositions » dans de multiples domaines, allant d’un « choc de confiance » à un « pacte social ». Un environnement favorable à l’investissementL'État doit montrer qu’il fait confiance aux chefs d’entreprises, reconnaître leur contribution au développement de l’économie, et éviter de modifier sans cesse lois et règlement. D’où la :
De plus le rapport propose plusieurs mesures pour contrer les impératifs, souvent de court terme, des marchés financiers et privilégier les actionnaires « qui jouent le long terme », et pour donner la parole aux autres parties prenantes de l’entreprise. D’où la
Enfin, l’État lui-même doit jouer un rôle de stratège, d’éclaireur de l’avenir :
Le choc de compétitivité : un choc de confianceDevant l'urgence de la situation, il faut créer un « choc de compétitivité » en « déchargeant le travail dans l’entreprise du poids du financement d’une partie des prestations sociales, notamment de celles de solidarité, en le reportant sur la fiscalité et la réduction de la dépense publique », de qui permettrait « d’apporter un « ballon d’oxygène » aux entreprises pour l’investissement et d’amorcer la montée en gamme ».
La plus grande part des nouvelles recettes fiscales pourrait provenir du relèvement de la CSG, ou du taux normal de la TVA, mais d'autres mesures fiscales pourraient être envisagées : hausse de certains taux intermédiaires de la TVA (hors produits de première nécessité), fiscalité écologique (taxe carbone), fiscalité immobilière, réexamen de certaines niches, éventuelle taxation des transactions financières. La réduction de la dépense publique devrait ensuite prendre le relais de la fiscalité. Ce « choc » ne doit pas être utilisé, pour des distributions de dividendes ou des augmentations de salaires, mais être clairement orienté vers l’investissement et l’innovation en privilégiant l’autofinancement. Le coût de l’énergieIl faut maintenir à un niveau relativement bas le coût de l’énergie pour l’industrie tout en promouvant le développement des énergies renouvelables, en utilisant au mieux la parc nucléaire et poursuivant la recherche sur les techniques d’exploitation des gaz de schiste :
La nécessaire montée en gamme de l’industrieL’industrie française, prise en tenaille entre industries « haut de gamme » d’un côté et des industries à « bas coûts » de l’autre doit monter en gamme, ce qui nécessite un effort considérable de productivité, d’innovation, de qualité et de service, et donc une priorité à l’investissement. Une politique de la demande serait probablement bénéfique à court terme, mais il faut que s’établisse un consensus de tous les acteurs sur une politique centrée sur l’offre seule capable de faire retrouver le chemin de la croissance[12]. Il faut d'abord développer nos exportations grâce à une montée en gamme, et améliorer les conditions de crédit et des garanties à l'exportation :
Il faut également favoriser la recherche et l’innovation, particulièrement par les PME :
Mais la question la plus décisive pour l’industrie française est probablement d’intensifier et d’accélérer la collaboration entre les différents acteurs et le transfert de la recherche vers l’innovation et ses applications industrielles. 3e partie : La structuration et la solidarité du tissu industriel, faire travailler les acteurs ensembleLe rapport avait indiqué comme troisième cause structurelle la « faiblesse de la structuration et de la solidarité industrielles ». Il faut tout d'abord soutenir les PME pour accroître le nombre d’entreprises de taille intermédiaire (ETI) dynamiques et exportatrices. Dans ce but, le rapport propose six mesures et émet deux propositions :
Il faut également renforcer la solidarité des filières industrielles. Par exemple, au-delà des grands programmes du type Investissements d’Avenir, des Instituts de recherche technologique (IRT) et des pôles de compétitivité, les grands groupes qui bénéficient d’aides de l’État devraient être obligés d’associer les fournisseurs et les sous-traitants à leurs actions :
Les Comités stratégiques de filière mis en place par la Conférence nationale de l'industrie (CNI) devraient jouer un rôle plus important dans l’élaboration de stratégies communes et le dialogue social au sein de chaque filière :
De plus, les organisations professionnelles de filières - du type Groupement des Industries Françaises Aéronautiques et Spatiales (GIFAS) ou Plateforme de la Filière Automobile (PFA) - devraient être renforcées. Enfin, dans la lignée des pôles de compétitivité, il faut développer les solidarités territoriales en accroissant le rôle des Régions :
4e partie : Les leviers de la politique industrielleLe rapport considère trois leviers de la politique industrielle : la formation, le financement et le rôle du Commissariat Général à l’Investissement. Une formation répondant aux besoins de l’industrieÀ la différence de l’Allemagne, l’enseignement technique et professionnel ne bénéficie toujours pas en France de la priorité qu’il mérite. D’une part, la formation initiale reste trop éloignée des besoins de l’industrie :
D'autre part, la formation en alternance n'est pas assez développée :
La formation continue, trop focalisée sur l’adaptation des salariés à leur poste de travail, devrait être plus orientée vers le développement de leurs capacités et de leur potentiel d’emploi. Tout salarié devrait pouvoir progresser d’au moins un niveau de qualification au cours de sa vie active :
De plus, l’effort de formation vers les salariés les moins qualifiés devrait être renforcé. Enfin l’image de la culture scientifique et technique devrait être valorisée : selon le rapport, la notion même de progrès technique « est trop souvent remise en cause à travers une interprétation extensive – sinon abusive – du principe de précaution et une description unilatérale des risques du progrès, et non plus de ses potentialités. » Un financement dynamique pour l’industrieL’accès des ETI et des PME aux marchés financiers devrait être facilité par le système bancaire. La législation reste peu efficace pour améliorer le crédit interentreprises (crédit client et crédit fournisseur), et notamment le problème des délais de paiements :
Les fonds propres des entreprises doivent être renforcés et l’épargne doit être orientée vers des placements longs et à risque, et les placements longs vers l’industrie. Dans ce but, le rapport émet plusieurs propositions, notamment :
Des priorités pour le Commissariat général à l'investissementLe Commissariat général à l'investissement, créé en vue du pilotage du Programme d’investissements d’avenir et chargé de veiller à la cohérence de la politique d’investissement de l’État[14] devrait avoir trois priorités techniques et industrielles :
5e partie : Pour une politique industrielle européenneLa France devrait promouvoir une véritable stratégie industrielle européenne, aujourd’hui trop générale et lacunaire. Elle devrait prendre l’initiative de proposer de nouveaux projets européens d’envergure, financés par une émission accrue de « project bonds ». Elle devrait inciter la politique de la concurrence, qui « domine » aujourd’hui toutes les politiques européennes, à être davantage mise au service de l’industrie européenne et de sa compétitivité. D’où la
De plus, la politique commerciale extérieure devrait, selon le principe de réciprocité, être mise au service de « l’ouverture équitable » : réciprocité dans l’ouverture des marchés publics, contrôle des investissements étrangers, respect des conventions internationales et normes, protection de la propriété intellectuelle. Enfin, le niveau de l’euro par rapport aux autres monnaies mondiales est trop élevé pour les pays exposés à la compétition par les prix. La France devrait plaider pour son abaissement à un niveau plus acceptable. 6e partie : Pour un nouveau Pacte socialLa 6e partie enfin traite du dialogue social, affirmant selon les rapporteurs que le Pacte Social bâti en 1946 est « à bout de souffle », et qu’il « fossilise le dialogue social ». Elle met l'accent sur « la concertation sur le financement des prestations sociales », dont une partie doit être « transférée vers la fiscalité » (c'est dire hors des cotisations salariales). Elle affirme la nécessité d'une négociation sur les Institutions Représentatives du Personnel (IRP) avec la proposition suivante :
Elle affirme enfin l'utilité d'une « négociation sur la sécurisation de l’emploi », constatant aussi que les dispositifs de chômage partiel sont plus efficaces en Allemagne qu'en France. RéactionsLa remise du rapport est suivie d'un nombre important de réactions, peu habituel pour un document intégrant des aspects très techniques. L'annonce par Jean-Marc Ayrault, dès le lendemain , de différentes mesures inspirées par le rapport suscite un « déluge » de réactions[15]. Pouvoirs publicsPrésidence de la RépubliqueGouvernementDès la réception du rapport, le Premier Ministre, Jean-Marc Ayrault annonce la tenue d'un « Séminaire gouvernemental sur la compétitivité » pour le lendemain. À l'issue du séminaire est publié, le , un Pacte national pour la croissance, la compétitivité et l'emploi[16] reprenant les analyses et la « quasi-totalité des préconisations » du rapport Gallois. Il annonce en particulier la création d'un crédit d'impôt de 20 milliards d'euros en faveur des entreprises, basé sur les dépenses salariales[17]. Il annonce également 10 milliards d'euros d'économie supplémentaires de l’État, sans précision des mesures prévues. Il annonce 300 000 à 400 000 nouveaux emplois[18]. Collectivités localesMonde politiqueParti socialisteGauche et extrême gaucheLe Front de Gauche et l'extrême gauche critiquent durement le rapport. Jean-Luc Mélenchon considère que ce rapport est « à jeter » et qu'il ne constitue qu'une « misérable redite de la propagande du Medef »[19]. Nathalie Arthaud pour Lutte ouvrière dénonce la demande d'allègement des cotisations sociales de 30 milliards d’euros, dont 20 milliards de cotisations patronales (4e proposition du rapport), qui est une « parole de patron »[20]. L'association Attac et la Fondation Copernic, cercle de réflexion critique du « libéralisme » (au sens français du terme) publient un document de 27 pages intitulé En finir avec la compétitivité[21]. Les auteurs, se focalisant sur la Proposition no 4 de « réduction du coût du travail », critiquent cette notion selon eux issue du « néomercantilisme », et estiment que la notion de compétitivité n'a pas de sens. Ils plaident pour une taxe bilatérale sur les transports, différente du protectionnisme. Union pour un mouvement populaireFront national et extrême-droiteLe Front national considère que le rapport Gallois constitue « un ramassé parfaitement indigent de poncifs ultralibéraux », ne laissant pas de place au protectionnisme ou à la sortie de la France de l'euro. Il invite donc à mettre ce rapport à « la corbeille »[22]. Centre et centre-droitJean Arthuis, pour l'Alliance centriste estime que « l'orientation est bonne mais le compte n'y est pas et les modalités sont illisibles. » Selon lui : « Le choc de compétitivité nécessite le basculement d'au moins cinquante milliards d'euros »[23]. François Bayrou, pour le Mouvement démocrate, salue le rapport Gallois, dont « les propositions sont » (selon lui) « très intéressantes pour la plupart »[24]. Il estime, à la suite des mesures annoncées par Jean-Marc Ayrault, avoir « prédit il y a six mois le revirement du gouvernement », mais que le crédit d'impôt lié à l'investissement pour les entreprises serait « une usine à gaz »[25]. Économie et partenaires sociauxExperts économiquesEmployeursSyndicats de salariésConsommateursLes suites du rapportMesures mises en œuvreMesures abandonnéesNotes et références
Voir aussiArticles connexes
Bibliographie
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