Motojirō Kajii(梶井 基次郎, Kajii Motojirō?, - ) est un écrivain japonais de l'Ère Shōwa. Kajii fut peu connu pendant sa courte vie, mais ses œuvres furent louées par Kawabata[1] et sont aujourd'hui très connues et appréciées des Japonais, particulièrement les nouvellesLe Citron, Sous les cerisiers, et Jours d'hiver (Lemon ou Remon, Sakura no ki no shita ni wa, et Fuyu no hi).
Biographie
Motojirō Kajii est né à Osaka en 1901. Il fait ses études primaires à Tōkyō de 1909 à 1911, passe ses années collégiennes à Toba de 1911 à 1914, et lycéennes à Osaka de 1914 à 1919. En il est accepté au célèbre Kyōto-Sanko. Il découvre qu'il a une tuberculose pulmonaire en 1920.
En 1924 il va à l'Université impériale de Tokyo, y étudiant la littérature anglaise. Il y crée un magazine littéraire, Aozora (青空, « Ciel bleu ») avec quelques amis de ses années lycéennes. En 1925 il y publie Lemon (Remon). De 1927 à 1928 il va à Yugashima, sur la péninsule d'Izu, pour y soigner sa maladie. Il visite le célèbre écrivain Yasunari Kawabata et en devient ami, jouant au go avec lui plusieurs fois par semaine, et l'aidant à corriger les épreuves de son recueil de nouvelles La Danseuse d'Izu[1]. Après la dissolution d'Aozora en 1927 il publie ses nouvelles dans un autre magazine littéraire, Bungei Toshi (文芸都市, « La ville littéraire »).
En il retourne à Osaka. En ses amis Tatsuji Miyoshi et Ryūzō Yodono, voyant qu'il n'était pas loin de la mort, décident de publier son premier livre, Lemon (Remon), un recueil de ses dix-huit nouvelles. En 1932, il écrit son dix-neuvième et dernier texte, Nonki na kanja (litt. « Le malade insouciant », une longue nouvelle ou un bref roman), publiée dans le prestigieux magazine Chūōkōron qui lui en avait passé la commande.
Kajii meurt le de tuberculose pulmonaire. Il avait 31 ans. Il est enterré au temple Jōkoku-ji d'Osaka[2].
Œuvre
Ses œuvres ont laissé de modestes traces dans la culture japonaise : sa nouvelle Le Citron étant souvent incluse dans les textes pour lycéens[3], beaucoup d'adolescents ont imité le protagoniste de l'histoire en déposant un citron dans un grand magasin[3],[4]. La première phrase de sa nouvelle Sous les cerisiers, « Sous les cerisiers sont enterrés des cadavres ! »[5] (桜の樹の下には屍体が埋まっている!, Sakura no ki no shita ni wa shitai ga umatte iru!) est souvent citée par les Japonais à propos de la contemplation des cerisiers en fleurs du hanami[6].
Les histoires de Kajii décrivent généralement les sentiments et tourments intérieurs de doubles peu déguisés de l'auteur.
Le Citron (1925), nouvelle éponyme du recueil, montre un jeune neurasthénique qui commet l'équivalent d'un attentat esthétique (pour le Japon extrêmement policé de l'époque) en déposant un citron au rayon livres d'art du fameux grand magasin Maruzen (une sorte de Galeries Lafayette japonaises) ; ce défi de dandy a inspiré de nombreux Japonais à faire de même :
« Pour tout dire, j'aime les citrons. J'aime leur couleur pure, comme celle de la peinture lemon yellow durcie, sortie de son tube, j'aime leur forme fuselée, et leur taille ramassée. [Il entre chez Maruzen et a l'inspiration subite de déposer le citron au sommet d'une pile de livres d'art.] Soudain, j'eus une seconde idée, celle d'un complot bizarre qui m'effara plutôt : Laisser cela tel quel et sortir comme si de rien n'était. Je me sentais singulièrement émoustillé : “Je sors ? Bon, allons-y !” et je sortis avec précipitation. Cette singulière sensation me fit sourire dans la rue. Si j'étais un malfaiteur diabolique venu placer une terrifiante bombe couleur d'or sur les étagères de Maruzen, et s'il y avait dans dix minutes une grande explosion partie du rayon des livres d'art, comme ce serait drôle ! »
Sous les cerisiers (1927) est un bref texte de quatre pages décrivant les ruminations morbides d'un suicidaire, s'ouvrant sur un passage devenu proverbial au Japon :
« Sous les cerisiers sont enterrés des cadavres ! Il faut s'en persuader. Sinon, n'est-il pas incroyable que les cerisiers fleurissent si splendidement ? J'étais inquiet, ces jours-ci, parce que je ne pouvais croire en cette beauté. Mais maintenant j'ai enfin compris : sous les cerisiers sont enterrés des cadavres ! Il faut s'en persuader. »
Jours d'hiver (1927) est la longue chronique mélancolique des derniers jours du jeune tuberculeux Takashi, jusqu'à sa conclusion inévitable :
« Dans le ciel d'une transparence bleutée, les nuages flottants s'embrasèrent magnifiquement les uns après les autres. Ce feu se propagea bientôt jusqu'au fond du cœur insatisfait de Takashi. “Pourquoi un instant si beau est-il si court ?” Jamais il n'avait eu à ce point le sentiment de la fragilité des choses. Les nuages embrasés commencèrent à s'éteindre les uns après les autres. Il ne pouvait plus avancer. “Cette ombre qui emplit le ciel, je me demande quel endroit du monde elle va assombrir. À moins que j'aille sur les nuages là-bas, aujourd'hui encore, je ne pourrai plus voir le soleil.” Subitement, une grande fatigue s'appesantit sur lui. Au coin de la rue inconnue de ce quartier inconnu, son cœur ne s'éclaira plus. »
« Variations sur le thème du quatrième recueil de nouvelles de Yasunari Kawabata "Love Suicides" » (川端康成第四短篇集「心中」を主題とせるヴアリエイシヨン, Kawabata Yasunari Dai-yon tanpen-shu "Shinjū" wo Shudai to seru Variation?, août 1926)
« Paysage intérieur » (ある心の風景, Aru kokoro no fūkei?, août 1926)
L'Ascension de K ou la Noyade de K(Kの昇天 – 或はKの溺死, K no shōten, aruiwa K no dekishi?, octobre 1926)
Jours d'hiver(冬の日, Fuyu no hi?, février, avril 1927)
1999-2000. « Œuvres complètes 1-3 et supplémentaire » (梶井基次郎全集 (全3+別卷), Kajii Motojirō zenshū. Zen 3-kan+bekkan?), dir. Sadami Suzuki, Tokyo: Chikuma Shobō.
Éditions en français
Monographies
1987. Les Cercles d'un regard : le monde de Kajii Motojirô (trad. Christine Kodama de Larroche), Paris, éd. Maisonneuve et Larose, coll. « Bibliothèque de l'Institut des hautes études japonaises », (ISBN978-2-7068-0932-3) — Traduction partielle du recueil Lemon (histoires 1, 8-11, 13, 16, 18). Rééd. en 1996 chez Picquier.
1996. Le Citron : nouvelles (trad. Christine Kodama de Larroche), Arles, éd. Philippe Picquier, coll. « Picquier poche » n° 53, (ISBN978-2-87730-277-7) — Traduction partielle du recueil Lemon (histoires 1, 8-11, 13, 16, 18). Rééd. du Maisonneuve-Larose de 1987.
Anthologies
1986. Anthologie de nouvelles japonaises. Tome I, 1910-1926 : Les Noix, La Mouche, Le Citron et dix autres récits de l'époque Taishô, dir. groupe Kirin, éd. Le Calligraphe (rééd. 1991, 1998, éd. Philippe Picquier, coll. « Picquier poche » n° 102, (ISBN2-87730-408-6)) — Contient la nouvelle Le Citron (trad. Christine Kodama de Larroche).
1986. Anthologie de nouvelles japonaises contemporaines [tome I], éd. Gallimard, coll. « Du monde entier », (ISBN2-07-070722-9) — Contient la nouvelle Caresses (trad. Christine Kodama de Larroche).
Liens externes
Notice dans un dictionnaire ou une encyclopédie généraliste :
(fr) Kajii, Motojirō (1996). Le Citron : nouvelles (trad. Christine Kodama de Larroche), Arles, éd. Philippe Picquier, coll. « Picquier poche » n° 53, (ISBN978-2-87730-277-7) — Contient une biographie p. 7-18 et une présentation du recueil p. 19-22.
↑ a et b(en) Hideo Kojima, Entrée du 2 octobre 2005 sur son blog anglophone (via Archive.org) — L'auteur de la série de jeux vidéos Metal Gear parle de la réputation de Lemon et raconte comment lui et d'autres ont laissé un citron chez Maruzen : « I read an article about Maruzen closing its business in yesterday's Asahi Journal Evening Edition. It claims that many people are leaving lemons in the department store, just like the main character in Motojiro Kajii's short story titled LEMON. Coincidentally, I learned that many people are buying LEMON from the bookstore inside Maruzen. LEMON is featured in school textbooks; there aren't many Japanese who don't know the story. I am fond of the story myself. I learned the name Maruzen for the first time through LEMON. To be perfectly honest... I left a lemon in Maruzen when I was a high school student. My friend did the same. It must have been a nuisance for the people who worked there. »
↑(en) Mari Kanazawa, A lemon on books, Watashi to Tokyo blog, 3 octobre 2005