Le monument dit de la mosquée de l'arsenal des galères ou de la mosquée des galériens turcs est un édifice situé dans le parc Valbelle, dans le 8e arrondissement de Marseille, en France.
Quelques éléments de son histoire
On a longtemps considéré que ce bâtiment était un vestige de l'ancienne mosquée du cimetière de l'arsenal des galères dit des « Turcs esclaves du roi » et des galériens, construite au début du XVIIIe siècle pour les esclaves et forçatsottomans[1], puis transformée en kiosque après de nombreux transferts et changements de propriétaires[2].
Le kiosque Bonaparte. Stéréophotographie de Furne Fils et H. Tournier, actifs entre 1857-1864
Mais, depuis les années 1990, des études comme celle de Régis Bertrand ont revu la destination initiale du monument visible dans le parc Valbelle (ou « de la Villa Valbelle »), au numéro 584 de l'avenue du Prado. Il s'agirait d'une chapelle privée constituée en 1927 par l'industriel Paul Rouvière[3] avec les restes d'une villa située au 291 de la rue Paradis[4], détruite en 1926. Enfin, les pierres de cette dernière provenaient du deuxième étage du « Kiosque Bonaparte[5] », une guinguette à l'architecture orientalisante édifiée dans le jardin de la Colline par l'ingénieur civil Léon Cahier en 1860-1861 et elle-même détruite en 1885.
Les cimetières musulmans et la mosquée du XVIIIe siècle
Extrait du Plan de la partie sud de la ville de Marseille de 1785 (carte orientée à l'Ouest)
Un cimetière musulman était localisé, dès entre 1691[6] et 1698, près du carrefour de la rue Sainte et de la rue de la Paix Marcel Paul[7],[8], mais est transféré entre les années 1723 et 1725, sur un terrain de 540 toises carrées (environ 2 046,6 m2) acquis et entouré de murailles par la confrérie de la Rédemption des captifs, à l’intérieur du pâté de maisons entre le cours Pierre-Puget et la rue Roux de Brignoles, au sud de la place Monthyon[9],[10].
Selon l'intendant de marine pour toute la Provence François-Noël Laurent Levasseur de Villeblanche (c. 1679-1759), dans une lettre du [11], cet espace contenait « une mosquée, un puits, un hangar pour leurs dévotions funèbres et un local destiné à la chaux et outils nécessaires aux inhumations des Turcs ».
Régis Bertrand ajoute qu'en 1777 Jean-Baptiste Grosson notait dans son éphéméride qu'« il y a au fond de ce cimetière un petit édifice dans lequel les esclaves turcs qui étaient sur les galères allaient faire leurs prières à certains jours[12] ».
En tout cas, vers 1792, l'ensemble cultuel est progressivement occupé par l'arsenal d'artillerie[13] sans tenir compte de la décision du conseil général de la commune « de faire rendre libre (...) l'ancien cimetière ».
« Cette petite fabrique, au sort aujourd'hui incertain, a perpétué jusqu'à nos jours le souvenir du modeste enclos des « esclaves turcs » qui ne renferma jamais une construction aussi soignée (Dupuy, 1991 : Bertrand, 1991 : Contrucci, 1995). »
Ce monument, qui a fait l’objet d’une inscription au titre des monuments historiques le en tant que « mosquée[14] », est donc une trace mémorielle, un souvenir installé dans la mémoire collective, de la mosquée, des galériens et des esclaves en France.
Par exemple, entre 1680 et 1696, il y avait 2040 « Turcs[15] » esclaves ou captifs sur les 7 970 rameurs valides des Galères de France, et entre 1682 et 1707 (soit 26 ans, rythme de renouvellement de la chiourme et durée moyenne de séjour), « 5 594 Turcs ont été immatriculés sur le registre des galères », selon Pierre Boyer[16].
« L'arsenal des galères devint ainsi le plus grand pourrissoir d'hommes de France. Près de vingt-cinq mille d'entre eux furent enterrés dans le cimetière jouxtant le bâtiment entre 1680 et 1748. »
↑Son origine est peut-être la réciprocité, à la suite du grief du dey d'Alger, Hadj Chabane : « Mon très cher ami, il y a en ce pays des cimetières pour les étrangers et pour les esclaves chrétiens, mais, à Marseille, il n’y a point de cimetière pour les Musulmans, et il est impossible de creuser des fosses sur le bord de la mer, parmi les rochers. ». Voir la « [Lettre de] Hadj Chaban, dey d'Alger, à Louis XIV [du 23 juillet 1691] », dans Eugène Plantet (éd.), Correspondance des deys d'Alger avec la cour de France : 1579-1833, t. 1, Paris, 1889, p. 313-314 (en ligne).
↑Cf. les articles de Régis Bertrand, en 2002 (§ 13), et de Michel Renard (« Aperçu sur l'histoire de l'islam à Marseille, 1813-1962 », dans Outre-Mers, revue d'histoire, 2003, p. 270-271). Ce dernier se fondant sur les informations de Auguste Laforêt (« Étude sur les galères à Marseille », dans Revue de Marseille : fondée et publiée au profit des pauvres, novembre 1859, part. p. 496)
et sur une pétition de 1813 auprès du préfet (Archives municipales de Marseille, Série M [Bâtiments communaux], 52 M 666 [anc. cote : 60 M 22] : Demande d'établissement d'un cimetière pour les musulmans hors la porte Saint-Victor, 1813. Les pétitionnaires avaient pour noms : Elmekki ben Mohammed Saroq, Mahmoud Elmecaisi, Hadji Hamed Kardem, Humida Sabag, Hadgi Ali, Hadgi Saïtur, Mohammed Bahij. Traduite par A. Gierra, interprète juré en langues orientales pour le département des Bouches-du-Rhône) précisant que l'ancien cimetière musulman « était, suivant le rapport de nos anciens au terrain où est aujourd'hui l'arsenal près le cours Bonaparte », c'est-à-dire près de l'actuel cours Pierre-Puget.
Régis Bertrand note, qu'en plus du rapport du 25 septembre 1759 (rédigé par Duprat ingénieur en chef des places de Marseille : Archives départementales des Bouches-du-Rhône C 3637), un document signale à propos du cimetière que « cet emplacement est divisé en trois parties ». Ce qui laisserait penser que la portion réservée aux « forçats chrétiens » comprenait une parcelle catholique et une protestante (Archives municipales de Marseille DD 138).
↑Selon Pierre Boyer (p. 63-66), « Ce vocable recouvre en réalité un éventail de toutes les races, de toutes les nationalités et même de plusieurs religions », même si « la quasi-totalité des esclaves achetés appartiennent à la religion mahométane ».
↑Pierre Boyer, « La chiourme turque des Galères de France de 1685 à 1687 », dans Revue de l'Occident musulman et de la Méditerranée, 6, 1969, part. p. 55-56 (en ligne).
Voir aussi
Bibliographie
Les musulmans dans l'histoire de l'Europe. I, Une intégration invisible, sous la dir. de Jocelyne Dakhlia et Bernard Vincent, Paris, 2011, p. 217 et suivantes (Bibliothèque histoire) (ISBN978-2-226-20893-4) (part. en ligne).
Faruk Bilici, « L’Islam en France sous l’Ancien Régime et la Révolution : attraction et répulsion », dans Rives nord-méditerranéennes, 14, 2003, part. § 11-15 (en ligne).
Michel Renard, « Aperçu sur l'histoire de l'islam à Marseille, 1813-1962 », dans Outre-Mers, revue d'histoire, 2003, part. p. 270-271 (en ligne).
Régis Bertrand, « Les cimetières des "esclaves turcs" des arsenaux de Marseille et de Toulon au XVIIIe siècle », dans Revue des mondes musulmans et de la Méditerranée, 99-100, , p. 205-217 (en ligne).
Marc Terrisse, « La présence arabo-musulmane en Languedoc et en Provence à l’époque médiévale », dans Hommes & migrations, 1306, 2014, part. § 14 (en ligne ; conférence).
En particulier, à propos du « regroupement de sépultures isolées » intra muros, composé d'une dizaine de tombes du XIIIe siècle trouvées en 1994 place Charles de Gaulle, à proximité du rempart médiéval de la ville, la conférence de Catherine Rigeade, « La présence arabo-islamique au Moyen Âge à Marseille : apports de l'archéologie funéraire » (en ligne).