Marronnage à Bourbon

Esclaves marrons à La Réunion, illustration dessinée par Fauchery pour le livre Les Marrons de Louis Timagène Houat.

Le marronnage à Bourbon désigne l'évasion d'esclaves dans la colonie devenue aujourd'hui La Réunion. Il eut sur l'île des développements importants, sa géographie autorisant une fuite durable des esclaves dans des lieux écartés difficilement accessibles pour les chasseurs d'esclaves.

Il existe plusieurs origines étymologiques au mot « marron ». Selon Victor Schoelcher, elle viendrait du mot espagnol « cimarron », désignant un animal sauvage qui s’enfuit[1].

Origine géographique des esclaves et répartition ethnique

Les esclaves de l’île Bourbon sont principalement, à l'origine, des captifs importés issus de la traite négrière, beaucoup de ceux qui sont arrivés à la Réunion sont des Makua, ou viennent de Madagascar, d'Inde, d'Asie[2]. Principalement malgache dans les années 1740, le marronnage s'africanise jusqu'aux années 1830, lors du développement de la législation qui interdit la traite des Noirs[3].

  • 1735: 58 % de Malgaches sur le territoire contre 12 % d'africains.
  • 1765: 42 % de Malgaches et 15 % d'Africains.
  • 1808: 26 % de Malgaches et 42 % d'Africains.

D'après les recherches de l'historien Prosper Ève, en 1709, 36 % des hommes étaient d'origine indienne, contre 20 % pour les femmes. Les hommes d'origine africaine représentent alors 20 % des esclaves, les femmes 10 %. Et 71 % des esclaves de l'époques avaient moins de 30 ans[4].

D'après le registre de déclaration des esclaves marrons du quartier de Saint-Paul (1730-1734), 80 % des marrons étaient des Malgaches, 6,3 % des Africains et 4 % Indiens, l'origine des autres reste indéterminée. Parmi ses 349 marrons, des jeunes, allant de 1 à 30 ans. Seuls 32 d'entre eux ont entre 30 et plus de 50 ans.

Motif du marronage

Dureté des conditions de vie des esclaves

Travail et châtiments

La principale source d'informations sont les notes de Charles Desbassayns, qui se présentent sous la forme d’un catalogue d’observations et de consignes concernant chacun des gardiens, commandeurs ou chefs de troupes, afin d’obtenir une meilleure productivité de la main-d’œuvre servile. Dans ses notes, Charles Desbassayns pense que pour augmenter l'efficacité du travail des esclaves, il faut les surveiller en permanence. C'est-à-dire, mettre en place une organisation reposant sur une surveillance mutuelle constante, des contrôles, des sanctions variées et sévères. Le régisseur doit : « se créer des yeux partout, se donner des jambes, un esprit et une mémoire d’emprunt »[5], pour que chacun se soumette à ce contrôle.

Les conditions de travail des esclaves sont dures : ils ne peuvent se reposer que dans l'après-midi du dimanche, et, dans la vie quotidienne, ils se confrontent à un travail de haute intensité. Les esclaves sont traités comme des objets, sont battus brutalement et humiliés, ils sont insuffisamment nourris, ils sont également accusés de crimes non commis.

Habitats précaires

Il n'y a pas de description détaillée des logements des esclaves chez Desbassayns. Mais leurs habitats sont faits de matériaux collectés sur le domaine par les travailleurs : troncs ou branches d’arbres divers, feuilles, grandes herbes de la savane pour la toiture.

« Le camp des esclaves se composait de cases, petites constructions en bois ou en torchis, dont les feuilles de lataniers en forme d'immenses éventails fournissaient le toit. Ni porte, ni fenêtre; à l'intérieur un sol puant et mal nivelé, nul mobilier, pas même quelques ustensiles de ménage ou quelque vêtement. Les occupants, une famille entière, couchaient sur des nattes en feuille de vacoa. Un petit jardin était aménagé auprès de chaque case et les noirs pouvaient y cultiver des légumes. » (ADR, Maréchal de Bièvre, Bourbon à l'époque révolutionnaire[6], manuscrit page 8).

Malnutrition

Les esclaves mourraient de faim, la police procédait à des « levées de cadavres »[7].

Durant l’esclavage, les maîtres-esclavagistes les nourrissaient souvent avec des racines, du riz ou encore des légumes. Leurs alimentations étaient généralement végétariennes, la viande étant une denrée alimentaire noble, ils n’en bénéficiaient que très rarement. Certains avaient la chance mais ce fut très rare de pratiquer la pêche et la chasse. Ils étaient pour la plupart victimes de malnutrition. Ils manquaient de calories et donc de force. Les esclaves ainsi fragilisés étaient plus sensibles aux maladies et aux infections.

Motifs spirituels et culturels

D'une part à cause de l'aspiration des esclaves pour la liberté. Ils ont l'obligation de s'orienter vers le christianisme, et l'interdiction de pratiquer leurs propres rites religieux dans les plantations. En outre, il s’agit de raisons, personnelles, religieuses et culturelles, mais surtout de survie. Les esclaves pris en Afrique et à Madagascar ont peur de mourir en mer dans les navires, car selon leur coutume traditionnelle, leur âme serait ainsi condamnée à l’errance. De plus, lorsqu’ils arrivent dans l’île, ils ont peur de mourir loin des ancêtres et ne plus pouvoir rentrer dans leur famille, et de corrompre l'éternité de leur âme. Ainsi, ils partent pour le marronnage.

Condition de vies des marrons

Malgré les plusieurs passages, et la colonisation grandissante sur les littoraux de l’île Bourbon, les forêts du territoire sont vierges. Difficilement accessibles, elles sont les seuls endroits où l’esclave peut envisager une liberté. Une liberté à double tranchant, puisqu’en partant avec peu de choses, la vie sera compliquée pour certains et les cadavres trouvés lors d’excursions menés par les colons attesteront de la misère vécue par les marrons, selon les témoignages d’Auguste Vinson.

Une fois sa liberté arrachée, le marron, venant pour la plupart, d’Afrique ou de Madagascar, renoue peu à peu avec ses pratiques religieuses ancestrales. Mais lorsque les denrées alimentaires étaient insuffisantes, les marrons descendaient des montagnes pour piller les « habitations » des colons[8]. Petit à petit, ils se regroupent sur plusieurs hauts plateaux, où remparts de l’île, et des liens se tissent entre les différents groupes.

Les camps marrons sont situés dans des lieux difficiles d’accès, comme des forêts ou des montagnes. Ils sont souvent défendus par des chiens qui les alertent de présence suspecte ou encore des pieux en bois afin de dissuader les étrangers d’entrer dans leurs demeures. Ils s’installèrent dans les Hauts de l'île et en furent donc les premiers habitants. Certains s’aventuraient même dans les coins les plus reculés comme La « vallée secrète »[9],[10], un refuge extrême pour les esclaves « marrons ». On sait par ailleurs que les anciens esclaves marrons réfugiés dans les montagnes ont su transmettre les langues et les modes de vie africains de leurs ancêtres.

Selon les recherches de l’historien Prosper Eve, les marrons ont connu une certaine expansion sur le territoire :

Chasse aux marrons

Après la perte de plusieurs archives, les recherches et l'archéologie n'en sont qu'à leurs débuts en ce qui concerne le marronnage à la Réunion. Malgré cela, l'historien Prosper Ève a pu récupérer quelques chiffres :

  • 1725 à 1749 : découverte de 199 marrons, dont 185 tués en pleine forêt.
  • 1710 à 1765 : 145 marrons tués lors de la chasse, 335 autres capturés.
  • 1766 à 1788 : 390 marrons ont été trouvés, mais 351 ont été capturés, dont 39 morts.

De 1730 à 1760, de grandes battues sont menées par les autorités locales, et les colons, afin de déloger les marrons du Cirque de Cilaos, où ils avaient bâti leur capitale.

Le chasseurs d'esclaves ayant capturé le plus de marrons à Bourbon était un dénommé François Mussard. Le 27 juin 1752, il déclare qu’il y a tant de passages connus seulement des marrons qu’il ne saurait pas comment les atteindre.

C'est un épisode très sombre de l’esclavage étant donné les différents processus de chasse et de mutilations exercés sur les populations (exemple, aux Antilles on coupait le tendon d’Achille afin qu’ils ne puissent plus courir). Certains étaient tués durant la chasse, le chasseur devait même ramener une preuve à son maître afin de prouver qu’il avait réussi sa mission (c’était souvent un membre du corps de la victime).

Le marronnage est, selon le Code noir, « puni par la mutilation puis par la mort à la troisième récidive ».

Personnalités

Marrons

Chasseurs d'esclaves

Sites archéologiques

Dans la culture

Littérature

Cinéma

Notes et références

  1. Victor Schoelcher, Esclavage et colonisation,
  2. « Résistance à l'escalvage ».
  3. Prospère Eve, Les esclaves de Bourbon, la mer et la montagne, Karthala, (ISBN 978-2-845-86456-6)
  4. Prosper Eve, Les esclaves de Bourbon, la mer et la montagne
  5. « Charles Desbassayns (1782-1863) », sur Société de plantation, histoire et mémoires de l’esclavage à La Réunion (consulté le ).
  6. Maréchal de bièvre, Bourbon à l'époque révolutionnaire
  7. ELIE PAJOT, Simples renseignements sur l'île Bourbon,
  8. Albert Lougnon, Sous le signe de la tortue-voyages anciens à l'Ile Bourbon (ISBN 9782877632720)
  9. Anne-Laure Dijoux, « L'archéologie du marronnage à l'île de la Réunion : l'exemple de la « vallée secrète » dans le cirque de Cilaos », sur inrap.fr.
  10. Benoît Hopquin, « Esclavage : la vallée des hommes libres », sur Le Monde.
  11. Office du tourisme de la Réunion, « Histoire de la ville de Saint-Leu ».
  12. Auguste Lacausade, Les Salaziennes, (ISBN 978-2-907017-03-9)

Voir aussi

Bibliographie

  • « La révolte des esclaves à l'île Bourbon au XVIIIe siècle », Jean Barassin, in Mouvements de population dans l'océan Indien, Champion, Paris, 1982.
  • « De la liberté égale et illégale des esclaves de Bourbon ou le problème des affranchissements et le phénomène du marronnage dans la société bourbonnaise entre 1815 et 1842 », thèse de doctorat de troisième cycle, D. Miloche-Baty, Université de Provence, 1984.
  • Les Esclaves de Bourbon : La Mer et la montagne, Prosper Ève, Karthala, Paris, 2003 (ISBN 978-2845864566).
  • Esclavage et marronnages : Refuser la condition servile à Bourbon (île de la Réunion) au XVIIIe siècle, sous la direction de Gilles Pignon et J.-F. Rebeyrotte, Riveneuve, 2020 (ISBN 978-2360135851)

Articles connexes