Ce peintre et poète faisait également des cartons de tapisseries ; à son époque, il était un artiste célèbre et populaire, et un intellectuel aimé de la noblesse, même si ses œuvres littéraires furent ultérieurement dépréciées par la critique[2],[3]. Ce rhétoricien était membre de la chambreJesus metter Balsembloeme (Jésus à la fleur de baume)[4].
Lucas de Heere avait comme devisesT'oudste is tbeste (« Le plus ancien est le meilleur ») et Paeys is goedt (« La paix est bonne »). Son anagramme était Schade leer u (« L'erreur vous instruit »)[5]. Outre sa langue maternelle, le néerlandais, il parlait le latin et le français, langues dans lesquelles il écrivait également.
Biographie
1534-1560 : enfance, formation, France
Heere était issu d'une famille noble[6] de peintres et de sculpteurs[7]. Selon Van Mander, sa mère Anna Smijters était une enlumineuse et son père Jan de Heere, un sculpteur et architecte ; les deux auraient excellé dans leur métier. C'est de son père qu'il apprit à dessiner[8]. La concession caroline ayant mis fin à la puissance des guildes de Gand en 1540 et, par conséquent, l'activité artistique dans cette ville étant en stagnation, Heere fut envoyé à Anvers par son père pour parachever sa formation de peintre dans l'atelier de Frans Floris[9]. Pour le compte de ce dernier, il fit plusieurs cartons de vitraux et de tapisseries, qui passaient pour des œuvres du maître même[10]. Avec la noblesse d'Anvers, il se familiarisait sans doute chez Floris, dont il apprit comment se comporter dans un milieu élitiste[9].
Dans les années qui suivirent, il gagna en popularité à Gand en tant que peintre et poète. Il était membre de la confrérie de Sainte-Barbe au sein de l’église Saint-Jacques, qui était la quatrième chambre de rhétorique, où étaient aussi inscrits les iconoclastes Pieter de Rycke, Louis Hueriblock, Willem Onghena, Claudius Goetghebuer et Willem Rutsemilis[21].
Malgré les restrictions imposées par la guilde, il ouvrit une école de peinture dans son atelier de la Bennesteeg. Tant dans son atelier à Gand qu'en exil en Angleterre, il eut des élèves : parmi eux Carel van Mander, Lieven van der Schelden et, sans doute, aussi Marcus Gerards le Jeune[23].
Son principal ouvrage serait Den Hof en Boomgaerd der Poësien, dédié à Adolphe de Bourgogne[28], où il réunit, en 1565, tous les poèmes qu'il avait composés jusque-là et par lequel il réagit contre la vieille façon de versifier en langue néerlandaise (« den ouden Vlaemschen treyn van dichten »), qu'il considère, dans beaucoup de cas, comme trop rude, inapte et dure (« in veel zaken te ruut, ongheschickt en rouw »)[29]. Heere trouve que trop de poètes se sont aliénés de la poésie, alors qu'ils devraient tenir en plus grande estime leur langue maternelle (« beter reverentie haer moeders tale schuldigh zijn »)[28]. Dans son recueil, il s'exerce dans différentes formes littéraires, telles que l'ode, le sonnet et l'élégie, et il y inclut des lettres d'amour adressées à sa bien-aimée Eleonora[29]. Comme poète, il reste une figure de transition, à cheval entre le style des rhétoriciens, avec leurs refereynen[30], et celui d'une époque plus moderne[31],[26]. Il essaie d'obtenir une longueur égale de vers et emploie, selon le modèle français, les octosyllabes, les décasyllabes et les alexandrins[31]. Ses sonnets seraient les premiers publiés en néerlandais. On a suggéré qu'il avait appris le genre après être entré en contact avec la poésie de Marot et de Ronsard, c'est-à-dire lors de son séjour à la cour de France[32]. Son Hof en Boomgaerd der Poësien contient, entre autres, une traduction du Temple de Cupido de Clément Marot[33]. Dans la préface de son ouvrage, l'auteur défend non pas la rhétorique, mais les chambres de rhétorique, qu'il voit comme des institutions d'encouragement de l'usage de la langue vernaculaire[34].
Même s'il était un protestant convaincu, c'est à lui que l'on doit la sauvegarde de plusieurs œuvres d'art, épargnées par les iconoclastes en 1566, dont des tableaux de Frans Floris[23].
1568-1577 : en exil en Angleterre
Pour Heere, l'arrivée du duc d'Albe aux Pays-Bas constituait une raison suffisante pour quitter le pays et pour se réfugier en Angleterre en 1568. Le bien-fondé de cette décision est suffisamment illustré par la suite des événements : une citation à comparaître le lui fut délivrée [23], suivie de l'expulsion officielle le et, finalement, de la confiscation de ses biens[35].
Selon Van Mander, à Londres, Heere peignit, pour la galerie de l'amiral Edward Fiennes de Clinton, Earl de Lincoln, une série sur les vêtements et costumes de toutes nations[36],[10]. Toujours selon Van Mander, dans ce Theatre [sic] de tous les peuples[36], il avait peint le personnage représentant l'Anglais sans vêtements, tout nu, mais équipé de craie et de ciseaux de tailleur, ainsi que de toutes sortes d'étoffes de drap ou de soie à ses pieds, sous le prétexte que l'Anglais changeait si vite de façon de s'habiller qu'il avait jugé utile de le représenter nu mais pourvu de tout le nécessaire pour qu'il pût achever l'œuvre selon son goût. L'amiral aurait informé la reine d'Angleterre de la plaisanterie du peintre et elle se serait plainte de l'inconstance de sa nation, sujet de moquerie de la part des étrangers[10].
Tout au long de sa vie, Lucas de Heere écrivit différentes descriptions historiquement pertinentes, comme celle sur son séjour en Angleterre (Beschrijving van de Britsche eilanden, 1574 ou 1575)[33].
En exil en Angleterre, Heere s'occupa sans doute peu de la poésie : pour cette période, on ne connaît de lui qu'un Poème héroïque en l'honneur de SirThomas Gresham, composé à l'occasion de la construction de la Bourse de Londres[39].
Après avoir été chargé par le magistrat de Gand, le , de la préparation de la Joyeuse Entrée, prévue pour le , du duc d'Anjou comme comte de Flandre[42], il fit la description de cet événement dans l'Entrée magnifique de monseigneur Francoys, filz de France. Le manuscrit de cet ouvrage se trouve à Berlin et comprend, outre la dédicace au duc d'Anjou, des illustrations qui ne figurent pas dans les éditions[17]. La version néerlandaise est également de sa main : De Eerlicke Incomste. En outre, il serait l'auteur, en tant que peintre, d'une représentation de ce spectacle sous l'aspect d'une allégorie[42].
Dans les dernières années de sa vie, il se consacra au dessin des cartons de l'un des chefs-d'œuvre de la tapisserie des Pays-Bas au XVIe siècle : les huit tapisseries de la tenture des Valois au musée des Offices à Florence, dont les cartons auraient été achevés en 1582, l'année où l'on aurait commencé à les tisser[43]. En outre, il prépara une description de la vie des peintres, non achevée et non retrouvée[33].
Après la mort du Taciturne et après que la ville de Gand se fut rendue à Alexandre Farnèse, en sa qualité de rekenmeestere, Heere fut taxé de 1 050 livres[44]. Peut-être trouva-t-il refuge à Paris avant que la ville où se trouvait son berceau passât entre les mains de l'Espagne. Il serait mort dans cette ville[13].
Il laissa deux enfants : Jacob et Philippus Lucas. Son petit-fils Jan Jacobs fonda une sectebaptiste[45].
(nl) Den Hof ende Boomgaerd der Poësien, inhoudende menigerleij soorten van poëtijckelicke blommen: dat is divaersche materien, gheestelicke amoureuze, boerdeghe, enz. oock divaersche schoon sententien, inventien ende manieren van dichten, naer d'exemplen der Griecsche, Latijnsche ende Fransoisische poëten, ende in summa alzulcx dat een ijeghelick daer ijet in vinden zal dat hem diend oft behaegd, Gand, 1565 (2e impr. à Haarlem, 1614).
(nl) Pasquillus testament, ten zijn fablen noch droomen, deur den paus toegelaten ende ghedruct in Roomen, aen u Nederlants volck, ghesonden voor memorie, u over de Spaengiaerts wenschende eewige victorie, 1579.
Il semble qu'un ouvrage auquel Van Mander fait allusion soit perdu : Het leven der vermaerde nederlandsche schilders (en français : La Vie des célèbres peintresnéerlandais).
↑Werner Waterschoot, « Lucas d'Heere en Den Hof en Boomgaerd der Poësien », Jaarboek De Fonteine, année 1964-1965, Gand, Koninklijke Soevereine Hoofdkamer van Retorica De Fonteine, 1965, p. 70-71.
↑Un Andreas de Heere acquit la maîtrise en 1459 et un maître peintre Lucas Smyters, membre de la guilde depuis 1413, devint doyen en 1439 ; voir : Werner Waterschoot, « Lucas d'Heere en Den Hof en Boomgaerd der Poësien », Jaarboek De Fonteine, année 1964-1965, Gand, Koninklijke Soevereine Hoofdkamer van Retorica De Fonteine, 1965, p. 56.
↑ a et bWerner Waterschoot, « Lucas d'Heere en Den Hof en Boomgaerd der Poësien », Jaarboek De Fonteine, année 1964-1965, Gand, Koninklijke Soevereine Hoofdkamer van Retorica De Fonteine, p. 56.
↑Werner Waterschoot, « Lucas d'Heere en Den Hof en Boomgaerd der Poësien », Jaarboek De Fonteine, année 1964-1965, Gand, Koninklijke Soevereine Hoofdkamer van Retorica De Fonteine, 1965, p. 58-59.
↑ a et bWerner Waterschoot, « Lucas d'Heere en Den Hof en Boomgaerd der Poësien », Jaarboek De Fonteine, année 1964-1965, Gand, Koninklijke Soevereine Hoofdkamer van Retorica De Fonteine, 1965, p. 58.
↑ ab et cWerner Waterschoot, « Lucas d'Heere en Den Hof en Boomgaerd der Poësien », Jaarboek De Fonteine, année 1964-1965, Gand, Koninklijke Soevereine Hoofdkamer van Retorica De Fonteine, 1965, p. 60.
↑Leonard Forster, « Iets over Nederlandse renaissancelyriek vóór Heinsius en Hooft », Tijdschrift voor Nederlandse Taal- en Letterkunde, année 83, Leyde, E.J. Brill, 1967, p. 276.
↑ abcd et eWerner Waterschoot, « Lucas d'Heere en Den Hof en Boomgaerd der Poësien », Jaarboek De Fonteine, année 1964-1965, Gand, Koninklijke Soevereine Hoofdkamer van Retorica De Fonteine, 1965, p. 61.
↑Karel J. Bostoen, « Marnix en D'Heere in tegenspoed », Jaargang 5, Amsterdam, Amsterdam University Press, 1988, p. 11.
↑Werner Waterschoot, « Lucas d'Heere en Den Hof en Boomgaerd der Poësien », Jaarboek De Fonteine, année 1964-1965, Gand, Koninklijke Soevereine Hoofdkamer van Retorica De Fonteine, 1965, p. 62.
↑ ab et cWerner Waterschoot, « Lucas d'Heere en Den Hof en Boomgaerd der Poësien », Jaarboek De Fonteine, année 1964-1965, Gand, Koninklijke Soevereine Hoofdkamer van Retorica De Fonteine, 1965, p. 63.
↑Werner Waterschoot, « Lucas d'Heere en Den Hof en Boomgaerd der Poësien », Jaarboek De Fonteine, année 1964-1965, Gand, Koninklijke Soevereine Hoofdkamer van Retorica De Fonteine, 1965, p. 64.
↑Werner Waterschoot, « Lucas d'Heere en Den Hof en Boomgaerd der Poësien », Jaarboek De Fonteine, année 1964-1965, Gand, Koninklijke Soevereine Hoofdkamer van Retorica De Fonteine, 1965, p. 65.
↑Werner Waterschoot, « Lucas d'Heere en Den Hof en Boomgaerd der Poësien », Jaarboek De Fonteine, année 1964-1965, Gand, Koninklijke Soevereine Hoofdkamer van Retorica De Fonteine, 1965, p. 66.