LongchenpaLongchenpa
Longchen Rabjampa, (tibétain : ཀློང་ཆེན་རབ་འབྱམས་པ་་དྲི་མེད་འོད་ཟེར།, Wylie : Klong chen rab'byams pa, Dri med 'od zer), surnommé Longchenpa, né en et décédé en ) est un grand maître bouddhiste tibétain de l'école nyingmapa. Il est souvent appelé simplement « le grand omniscient » (kun mkhyen chen po) dans les textes nyingmapa. Il est souvent représenté en méditation les mains posées délicatement sur les genoux et pas en Mudrā de la méditation: il s'agit de la posture dite de « Longchenpa » ou posture « du repos [dans] l'essence de l'esprit » (tibétain : སེམས་ཉིད་ངལ་གསོ་, Wylie : sems nyid ngal gso). Cette posture de méditation est commune dans l'école nyingmapa et notamment dans le Dzogchen. Dans les représentations actuellement les plus courantes, des tiges partant de chacune de ses mains aboutissent à des lotus s'épanouissant à la hauteur de ses épaules, sur lesquels reposent les attributs de Mañjuśrī — l'épée du discernement (à droite) et le livre (à gauche). Sous cette forme, il porte le chapeau de savant (paṇḍita) rouge. Il fait l'objet d'un culte personnel (guru yoga), notamment au moyen d'un court rituel «révélé» par Jigmé Lingpa (’Jigs med gling pa, 1730-1785), dit Scellé par un biṇḍu (Thig le rgya can). BiographieIl était considéré au Tibet comme une émanation de Mañjuśrī le bodhisattva de la sagesse et de Vimalamitra. Né à Törong, au sud-est du Tibet central, il devint religieux à douze ou treize ans au monastère de Samyé et étudia au monastère de Sangpu jusqu'en 1332[1], notamment les grands textes de la philosophie bouddhique. Il étudia par ailleurs le Guhyagarbha tantra, le Tantra du Roi Créateur de toutes choses (Kun byed rgyal po) et le Tantra de Kalachakra[1] et bien d'autres choses auprès de ses nombreux maîtres issus de traditions très diverses. Il fut ainsi le disciple de Rangjung Dorje (1284-1339), 3e Karmapa, vers 1326-1327[1]. Pendant l'hiver 1332-1333, il accomplit une retraite de huit mois dans l'obscurité complète, après laquelle il rencontra, en 1334, celui qui allait devenir son maître principal, Kumaradza (1266-1343)[1]. Il resta avec celui-ci pendant les années 1334-1335, vivant comme un yogi errant, habitant dans des endroits déserts et ne mangeant quasiment rien. Kumaraza lui transmit tous les enseignements du Vima Nyingthik (Bi ma snying thing, « Quintessence de Vimalamitra »). Ce vaste ensemble de textes est considéré par les Nyingmapas comme l'enseignement le plus élevé de la « transmission orale » (bka’ ma) du Dzogchen, censé avoir été transmis au Tibet par Vimalamitra. (Le Vima Nyingthik est fondé essentiellement sur les dix-sept tantras fondamentaux du Dzogchen Menngagde (en) qui ont été transmis au Tibet par Vimalamitra[2]). Il fit ensuite une retraite solitaire de trois ans (1336-1338), puis s'installa vers 1338 à l'ermitage Orgyen Dzong au col de Gangri Thökar au sud de Lhassa où il composa l'essentiel de son œuvre. Il reçut la transmission du Khandro Nyingthik (« Quintessence de la Ḍākiṇī », à savoir Yeshe Tsogyal, l'une des épouses de Padmasambhava) de Gyalsé Lekden (1290-1366). Gyalsé Lekden, que Lonchenpa rencontra vers 1343, était le disciple du « Découvreur de Trésors » Pema Ledrel Tsal, que la tradition regarde comme ayant révélé ce cycle de Dzogchen parent du Bima Nyingthik et d'une égale profondeur, mais censé avoir été transmis au Tibet par Padmasambhava, via l'une des filles du roi Trisong Detsen — après quoi il aurait été caché, puis redécouvert sous forme de Terma, principalement par Pema Ledrel Tsal au XIIIe siècle[2]. Les biographies tibétaines de Longchenpa disent qu'il était lui-même la réincarnation de Pema Ledrel Tsal et que les enseignements du Khandro Nyingthik lui avaient été transmis antérieurement de manière mystique, mais qu'il tint à les recevoir d'une manière plus formelle de ce maître humain. Il entreprit également la restauration du Zhê Lhakhang (Zhwa'i lha khang), un temple que la tradition considérait comme fondé par l'un des disciples de Vimalamitra et où auraient été cachés de nombreux textes du Nyingthik. Pour des raisons politiques — liées à son opposition à Tai Situ Jangchub Gyaltsen (1302-1364), devenu la maître du Tibet Central — Longchenpa s'exila vers 1359 au Bhoutan (où il eut un fils et une fille), à la suite de changements politiques dans le centre du Tibet. Il revint ensuite au Tibet, où il mourut en 1363[1]. Quoi qu'il faille penser des éloges parfois très conventionnels appliqués aux maîtres du bouddhisme dans leurs hagiographies tibétaines, Longchenpa y est représenté comme ayant toujours mené une vie extrêmement humble, consacrée à l'étude, ainsi qu'à la pratique du Dharma. Il était réputé pour ne faire aucune distinction de traitement entre les puissants et les faibles[3]. ŒuvreLongchenpa écrivit un très grand nombre d'ouvrages (plus ou moins vingt-quatre forts volumes tibétains, selon les éditions). Les plus importants, selon la tradition postérieure, sont le Khandro Yangtik (mKha’ ’gro yang tig), « l'Essence la plus secrète de la Ḍākiṇī», qui commente et approfondit le Khandro Nyingthik (écrit vers 1339-1351[1]), le Lama Yangtik yizhin norbu (Bla ma yang tig yid bzhin nor bu, vers 1341-1342[1]), « l'Essence la plus secrète du Maître » — commentaire du Bima Nyingthik — ainsi que le Zabmo Yangtik (Zab mo yang tig, vers 1347-1351), « l'Essence la plus secrète et la plus profonde » dont les maîtres nyingmapas actuels disent qu'il synthétise l'ensemble (mais cette collection mériterait un examen plus rapproché pour vérifier ce que vaut cette idée reçue). L'ensemble de ces cinq textes est appelé le Nyingthik Yashi (sNying thig ya bzhi, « Quintessence quadripartite »). Ces trois groupes de traités sont appelés aujourd'hui, dans l'école Nyingma, les Trois quintessences (Yang tig gsum). Ce jugement de valeur sur l'«importance» des textes relatifs au Nyingthik tient surtout au fait que les traditions qu'ils compilent, expliquent et développent sont regardées par les Nyingmapas (et les Bönpos) comme le nec plus ultra de la profondeur méditative. Quant à savoir si cela les rend plus centraux que le reste, si c'est là que s'exprime par excellence l'originalité de la pensée de Longchenpa, si c'est là qu'il a concentré ses efforts, c'est une question qu'il ne faudrait pas trancher à la légère. L'œuvre, en effet, est très vaste, très diverse et, pour une bonne part, peu lue de nos jours, y compris chez les Nyingmapas qui revendiquent le plus fortement son héritage. Il écrivit aussi les « Sept trésors », les Dzödün (pendant la période 1343-1364[1]). La plupart de ces ouvrages ont été traduits en anglais et certains en français par Philippe Cornu et Stéphane Arguillère. Il écrivit aussi la Trilogie de la quiétude (Ngal gso skor gsum, vers 1344-1345[4].), la Trilogie qui dissipe les ténèbres (Mun sel skor gsum, un commentaire majeur, en trois traités, sur le Guhyagarbha tantra écrit vers 1352[5]), et la petite Trilogie de l'auto-libération (Rang grol skor sum, vers 1356-1364)[5]. Non seulement Longchenpa clarifia de nombreux points obscurs de la tradition nyingmapa, tant du côté de la doctrine que de la pratique, et édita de nombreux textes centraux du Dzogchen, mais encore, selon la tradition, c'est lui qui transmit un ensemble de révélations (le Longchen Nyingthik) à Jigme Lingpa en 1757[6] sous forme d'un terma de l'esprit, précisément lors de trois visions de Jigme Lingpa. Longchenpa se trouve ainsi placé, au moins symboliquement, à l'origine d'une branche nouvelle de l'école Nyingma, branche devenue depuis très dominante, notamment dans l'Est du Tibet (Khams). Il est d'ailleurs censé être apparu dans de nombreuses visions à plusieurs autres maîtres de la tradition Nyingma. Tout cela explique le caractère absolument central de Longchenpa chez les Nyingmapa et pour le Dzogchen qui est, aux yeux des Nyingmapas et les Bönpos, le sommet de la tradition spirituelle tibétaine. Ses œuvres, même quand elles ne sont pas expressément citées, sont presque toujours au moins le canevas sur lequel il est visible que brodent (quand ils ne les recopient pas franchement) presque tous les maîtres Nyingmapas ultérieurs, quand ils écrivent sur des questions qu'il a traitées, et notamment sur le Dzogchen. Les DzödünLes Dzödün (mDzod bdun) ou Les Sept Grands Trésors qui condensent l'essence du trésor oral du suprême véhicule de la grande perfection est un ensemble de traités qui clarifient un grand nombre de points du bouddhisme selon la tradition générale des Nyingmapas et plus particulièrement du Dzogchen[7]. Les sept traités n'ont probablement pas été composés avec une vue d'ensemble et il ne faut pas y voir l'expression d'un projet systématique. Cependant, l'objectif central de Longchenpa paraît avoir été de récapituler le tout du bouddhisme sous le couvert du Dzogchen, en montrant en quelque sorte que tout convergeait vers ce sommet qui, comme une clef de voûte portant une croisée d'ogive, en était à la fois le couronnement et la fondation. Comme le dit en substance un passage de l'auto-commentaire du Précieux trésor de l'espace absolu (ou Trésor de l'Élément réel, selon les traductions) : de même que le sommet d'une montagne n'est pas visible depuis les contrées situées en contrebas, tandis que depuis ce sommet on les voit toutes clairement, de même aussi le Dzogchen est incompréhensible à partir des enseignements moins relevés, mais, si on se place à son point de vue, leur sens, leur portée et leur économie à tous devient claire. Ils sont constitués de sept textes fondamentaux (l'ordre de la liste ci-dessous est tout à fait arbitraire et ne correspond pas à l'ordre vraisemblable de la composition) : I. Le précieux trésor qui exauce les souhaits qui expose le Mahāyāna et ses liens avec le Vajrayāna et le Dzogchen, avec son auto-commentaire ; II. Le précieux trésor de l'espace absolu consacré à la Vue la plus élevée du Dzogchen[8], avec son auto-commentaire ; III. Le trésor du véhicule suprême qui est un très long commentaire du Menngagde (en) (man ngag sde), la troisième des trois «séries» (ou sections) du Dzogchen. En particulier, Longchenpa explique très longuement la pratique de thögal, le franchissement du pic qui est la pratique spécifique de cette section du Dzogchen et, selon ses adeptes, la pratique la plus élevée de la tradition tibétaine[9]. IV. Le trésor du mode d'être naturel[10], qui est censé être un commentaire des "engagements sacramentels" (dam tshig) du Dzogchen, est en fait une sorte de poème philosophique et spirituel très comparable au n° II ci-dessus, tant par le fond que par la forme (ces deux écrits, ainsi que la Trilogie de l'auto-libération qui leur ressemble tant pour la pensée que pour le style, pourraient être des œuvres de la toute fin de la vie de l'auteur). Ce traité comporte lui aussi un auto-commentaire. V. Le trésor du sens des mots, qui, à première vue, apparaît comme un abrégé du n° III ci-dessus, est en fait un traité plus tardif et plus personnel de l'auteur, qui y introduit quelques corrections et clarifications, à telle enseigne que l'« abrégé » est parfois plus complet, et très souvent plus clair, que ce dont on aurait pu croire qu'il n'était que la version réduite ; VI. Le précieux trésor des préceptes est un recueil de maximes morales et spirituelles en vers. VII. Le trésor des systèmes philosophiques qui expose tous les systèmes philosophiques bouddhiques[11] et brahmaniques. Nyingthik YashiDans le Nyingthik Yabshyi, Longchenpa a rassemblé et commenté deux séries de Nyingthik censés remonter à l'époque impériale, c'est-à-dire, les textes de pratique parmi les plus élevés du Dzogchen Menngagde (en). Le mot Nyingthik désigne probablement l'Essence du cœur ou Sphère du cœur. Cela fait référence à des gouttes essentielles qui sont le support de l'énergie subtile. Les Nyingthik décrivent en détail les pratiques du Dzogchen: trekchö « couper-à-travers » et thögal, « le franchissement du pic ». Le Nyingthik Yashi contient précisément deux collections de Nyingthik hérités par Longchenpa de ses prédécesseurs : le Vima Nyingthik qui vient de la tradition orale dite de Vimalamitra et le Khandro Nyingthik qui vient de la tradition terma attribuée à Padmasambhava. Il contient en plus trois commentaires de Longchenpa :
Les pratiques correspondantes constituent, au point de vue des Nyingmapas, le sommet de la tradition bouddhiste tibétaine. La Trilogie sur la quiétude (Ngal gso skor gsum)Moins prisée de nos jours, mais en soi très remarquable est la Trilogie sur la quiétude, formée d'un ensemble de traités organisés autour de trois principaux:
Ces trois traités, avec les commentaires, abrégés et manuels qui les accompagnent sont assez difficiles à rattacher à une tradition précise (même si Matthew Kapstein a pu noter la parenté formelle du troisième avec un écrit attribué à Niguma dans la tradition Shangpa). Leur vaste étendue (près de 2000 pages au total, dans une édition xylographique en 3 volumes) ainsi que la cohérence du projet (indiscutable, à la différence des Sept trésors qui ne forment pas un véritable ensemble cohérent) empêche absolument d'y voir une œuvre mineure, au moins dans l'esprit de l'auteur. La pensée qui en ressort partout et qui seule rattache au Dzogchen ces vastes développements dont la plus grande part relève plutôt de l'enseignement «exotérique», non-tantrique, c'est que l'Éveil, loin d'être le fruit d'un activisme industrieux, relève d'un retour à la condition naturelle (sems nyid, «essence de l'esprit»), retour qui d'ailleurs se fait lui-même naturellement, sans peine — comme si, paradoxalement, l'illusion requérait plus d'efforts que la libération, que l'on trouverait en soi-même si l'on cessait de se livrer à une agitation vaine, à une inquiétude sans objet. PoésieLongchenpa ne fut pas seulement l'un des plus grands penseurs et maîtres spirituels du Tibet, il fut aussi un très grand poète. Il écrivit comme testament ultime, juste avant de mourir:
Le Livre tibétain de la vie et de la mort[12]. ImpactSon œuvre est profondément vénérée chez les Nyingmapas de nos jours ; on peut se demander cependant si elle a vraiment été lue tout au long de l'histoire de cette école passablement anarchique. Il est regardé par beaucoup comme l'auteur le plus important de l'école Nyingma, même si, par exemple en philosophie scolastique, son autorité n'est pas toujours suivie (voire : sa pensée n'est souvent guère connue, ou pas comprise, à tel point que l'on peut se demander si ses œuvres sont vraiment lues, ou seulement admirées de loin). Anne-Marie Blondeau écrit[13] :
Philippe Cornu écrit :
Stéphane Arguillère ajoute[14] :
DoctrineIl est difficile de réduire une œuvre aussi étendue, reposant sur d'aussi vastes lectures (Lonchenpa cite à peu près 1400 textes différents, certains plusieurs centaines de fois, dans l'ensemble de son œuvre), à quelques thèmes supposés centraux. Les préoccupations intellectuelles et spirituelles de Lonchenpa ont dû être aussi multiples que ses études ont été variées et ses maîtres nombreux. On pourrait cependant dégager deux axes principaux : l'établissement précis et détaillé de la «Vue» du Dzogchen et la présentation correcte de ses pratiques, d'une part ; et la synthèse globale de tout le bouddhisme tel qu'il était connu au Tibet en une construction unifiée dont le Dzogchen serait le sommet et en même temps le fondement. Pour ne toucher qu'un aspect du premier point, dans ses Dzödün, Lonchenpa donne une description très détaillée de la « Base primordiale » la réalité ultime selon le Dzogchen. Longchenpa l'a décrit du point de vue de ce qui est appelé dans le Bouddhisme le fruit c'est-à-dire du point de vue de la réalisation de cette base par le pratiquant. Longchenpa décrit cette Base primordiale comme une sagesse incréée, infinie, contenant en elle-même toutes les possibilités de manifestation et dont tous les phénomènes du saṃsāra et du nirvāna sont le déploiement. Philippe Cornu donne la définition suivante de la « Base primordiale » se basant sur les écrits de Longchenpa :
Stéphane Arguillère explique plus en détail ce que veut dire Longchenpa :
Notes et références
BibliographieŒuvres : traductions
Études sur Longchenpa
Voir aussiArticles connexesLiens externes
|
Portal di Ensiklopedia Dunia