Après des études secondaires au lycée Émile-Duclaux d'Aurillac où son professeur de dessin, Monsieur Delaris, l'inscrit par dérogation aux cours de dessin de la ville d'Aurillac[3], Jean Labellie est élève de François Desnoyer à l'École nationale supérieure des arts décoratifs de Paris[Note 3], cela grâce à la convaincante intervention auprès de ses parents instituteurs du médecin, homme de lettres, amateur d'art et découvreur de jeunes talents, Henri Mondor[Note 4].
En 1942, se dérobant à une convocation militaire, Jean Labellie quitte Paris, franchit clandestinement la Ligne de démarcation et rejoint le maquis dans le sud du Cantal jusqu'en 1945. « J'y vis caché dans les bois, aussi mes tableaux du Pays vert, qui naîtront de mes dessins d'alors, proviennent-ils du vécu » évoquera-t-il plus tard dans une allocution au musée d'Aurillac[4]. La fin de la Seconde Guerre mondiale signifie son retour à la peinture, son retour à Paris, mais aussi son retour dans son pays natal : s'intéressant déjà à la tapisserie d'art, il est l'initiateur d'une exposition Jean Lurçat à Aurillac dès 1945[3].
En 1964, Jean Labellie aborde sa série intitulée Le Pays vert, suite de grandes toiles consacrées au Cantal où, énonce-t-il, c'est l'omniprésence du châtaignier qui imprègne son regard et lui inspire durablement de virulentes monochromies vertes dont la libre spontanéité, à l'instar de chez son ami Jean Messagier, n'est qu'apparente : celles-ci sont toutes situées (Paysage de Parlan, Le Chemin de ma mère, Selves, Paysage de la Châtaigneraie, Le Bois Lisette) pour signifier que c'est un regard attentif porté sur la nature qui les inspire. « Je ne peins pas le paysage, mais je suis tributaire de son empreinte » dit Jean Labellie[7]. Dans ce même temps, l'artiste visite le Maroc, l'Espagne et Israël, voyages dont les notes et études seront inspiratrices de séries de gouaches et de cartons de tapisseries[3].
En 1970, Jean Labellie s'installe à Eus dans une ancienne étable où il fait du grenier son atelier, au pied du pic du Canigou, attiré là par la lumière[Note 5] et par le paysage[8]. En même temps qu'il abandonne le châtaignier auvergnat pour l'olivier catalan, son regard change, sa palette se colore, son abstraction jusqu'alors lyrique se géométrise[9], le geste fougueux cède la place à une écriture, à une élaboration point, trait et cercle tout aussi personnelle (L'Olivier du matin, La Tramontane de l'olivier, L'Olivier de Marie). La relation formelle qu'il perçoit entre la feuille de l'olivier et le cercle conduit Jean Labellie à un nouveau langage, une nouvelle expression qu'il investit là encore tant dans la peinture que dans la tapisserie.
À partir de 1990, la peinture de Jean Labellie se minimalise : le cercle y est nettement cerné de noir, les couleurs y sont rares. L'époque est associée à son passage de l'inspiration végétale (le châtaignier et l'olivier) à l'inspiration minérale (la pierre des ruelles d'Eus, pentues et cheminant vers le ciel, ou encore les galets des rivières[Note 6]) et le cercle devient à lui seul sujet du tableau, sans aucune référence à la nature. « Chaque été, je monte à son atelier et il me montre des choses de plus en plus simples, claires, dorées et blanches, stratosphériques » peut ainsi témoigner l'écrivain Bernard Blanc, voisin et ami de l'artiste à Eus[10]. Relevant alors que notre artiste prend également pour supports de grandes bâches flottantes et non plus uniquement des toiles tendues sur châssis, Bernard Blanc d'évoquer : « C'était superbe, jovial, puissant, cela ne représentait plus rien mais c'était la voix du ciel… Rechercher sur les toiles une construction, une couleur, une luminosité spécifique à chacune d'elles, c'était l'aboutissement de l'abstraction pure… Un retour à la source, au primitif, au primordial, à un monde apaisé, à l'alphabet de Dieu »[7].
Maurice Halimi écrit : « Jean Labellie a rejoint le sacré, l'omphalos initial, le nombril du monde, le zéro de la création »[11]. Dans cette économie de moyens et cette palette limitée, on pense à Joan Miró que du reste, à l'instar d'Henri Matisse, l'artiste dit « admirer fabuleusement ». Comme ses deux grands aînés, Jean Labellie, dans sa magnifique jeunesse de caractère et d'esprit (Marie Costa ne parle pas de ses « années » mais de ses « printemps[12] »), affirme au soir de sa vie s'être efforcé, en une vie faite d'efforts et de recherches pour enrichir le regard, d'inventer un autre monde qui n'appartient qu'à lui[7]. Il meurt à Eus le 29 novembre 2021[9].
À cent mètres du centre du monde, ville de Perpignan, 2008
Une vie pour des cosmogonies, couvent des Minimes, Perpignan, 2010[13],[14].
Rencontre avec Jean Labellie et ses œuvres, Centre d'art sacré contemporain de l'église du Rouget (avec conférence de Jean Labellie : Genèse et signification des œuvres de l'auteur : vitraux, chemin de croix et peinture),
Jean Labellie, de 1940 à aujourd'hui, rétrospective, Maison intercommunale Cère et Rance-en-Châtaigneraie, Saint-Mamet-la-Salvetat, [15].
Peintures du temps jadis, tableaux de jeunesse de Jean Labellie, Le Rouget, [16].
Exposition chez Jean Labellie à Eus dans le cadre des Journées du patrimoine, avec la participation de l'association « Les amis de Jean Labellie », [8]
Association Acas-Bellie, Cérémonie d'inauguration du dispositif d'éclairage des vitraux de Jean Labellie, église Sainte-Thérèse, Le Rouget, samedi [17]
« Chacune de ses toiles est un instantané de sa vie. Toutes témoignent des ruptures et des évolutions de sa recherche picturale qui ne s'attache pas à la représentation figurative ou matérielle de l'objet, elle entrevoit l'essence même de la nature modelée par une gestuelle abstraite, exaltée et poétique. Les résonances musicales sont présentes dans l'expression de sa peinture, elles figurent un sentiment d'élégance simple, celle de la joie de vivre aux accords mélodieux. » - Amandine Lapoussière[21]
Citoyen d'honneur de la ville du Rouget[31]. L'espace d'activités comprenant la médiathèque de la ville porte le nom d'espace Jean-Labellie[32],[33].
Vitraux et Chemin de croix
Le Rouget, église Sainte-Thérèse-de-l'Enfant-Jésus : vitraux, dont la grande verrière, 1962, dite La Sainte Face[34], peinture Les Oliviers, grande tapisserie du chœur, porte du tabernacle et Chemin de croix[35],[36]. Bernard Blanc a écrit un commentaire des quatorze stations du Chemin de croix du Rouget où il explique comment Jean Labellie « y a choisi de s'en tenir à un petit nombre de signes, assurant ainsi l'unité de l'ensemble dans un registre extrêmement dépouillé »[37].
Patrick-F Barrer, L'histoire du Salon d'automne de 1903 à nos jours, Éditions Arts et Images du Monde, 1992[Note 1].
Henri Revereau (texte) et Emmanuel Ciepka (photographies), Art sacré contemporain, le Rouget, Cayrols - Œuvres de Jean Labellie, Les amis du patrimoine de Haute-Auvergne, 1998.
Emmanuel Bénézit, Dictionnaire des peintres, sculpteurs, dessinateurs et graveurs, Gründ, 1999, tome 8, p. 113.
Jean Labellie, exposition, Aurillac, les Écuries, édité par l'Association des amis du patrimoine de Haute-Auvergne, 2001.
Jean-Marc Pujol, Maurice Halimi, Marie Costa, Élisabeth Dumeyrou, Bernard Blanc, Élise Jonchères (textes) et Emmanuel Ciepka (photographies), Jean Labellie, œuvres 1940-2010, édité par la mairie de Perpignan, 2010.
Aude Gaboriau, « Jean Labellie, l'œuvre, l'artiste et les amis réunis », La Voix du Cantal, no 3146, [39].
Jean Labellie, itinéraires, ouvrage monographique édité par l'Association des amis du patrimoine de Haute-Auvergne, 2011.
Monique Lafarge et Christian Juge, Cantal, cent lieux pour les curieux, collection Guide Bonneton insolite, Éditions Christine Bonneton, 2012.
Robert Labrousse, « Art sacré contemporain. Hommage à Jean Labellie », in Revue de la Haute-Auvergne, no 74, avril-.
Jean-Luc Bobin, « Eus : dans l'intimité des chemins de traverse de Jean Labellie », in L'Indépendant, [8].
Vitraux des églises du Cantal, XXe et XXIe siècles - Volume 1, Association des Amis du patrimoine de Haute-Auvergne, cahier no 9, 2022.
Filmographie
L'Amour sacré, l'amour profane, film documentaire (41 min) réalisé par Emmanuel Ciepka, 1983[40]. Film présenté au festival de cinéma de Prades en 1983.
Jean Labellie, vers l'Essentiel, moyen-métrage (27 min) réalisé par Paul Dufour, texte de Bernard Blanc, 2010[41].
Jean Labellie - L'être et l'essence, court-métrage (6 min) réalisé par Giorgio Mengoni, textes de Joseph Piéron, Stéphanie Misme et Élise Jonchères, 2019 (visionner en ligne).
Jean Labellie, artiste peintre en Pays catalan (9 min 40 sec), images et montage d'Alain Sabatier, 2022 (visionner en ligne).
Notes et références
Notes
↑ ab et cDéclaré à sa naissance et baptisé Jean Louis Robert, Labellie était dans sa jeunesse appelé « Robert » par les siens. Ainsi signe-t-il, jusqu'en 1960 environ, ses tableaux « Robert Labellie », de même que dans la correspondance d'Henri Mondor il est évoqué sous le prénom de « Robert », ou encore qu'en page 311 du livre de Patrick-F. Barrer, L'Histoire du Salon d'automne de 1903 à nos jours, c'est le nom de « Robert Labellie » qui apparaît.
↑Chez François Desnoyer, Jean Labellie a pour condisciple Jean Messagier, dont il restera l'ami.
↑Jusqu'à sa mort en 1962, Henri Mondor restera l'ami de l'artiste. Dans le cadre de l'exposition « Henri Mondor, l'éthique d'une vie » au musée d'Aurillac en 2012, Jean Labellie a prononcé le mardi 3 avril 2012 une conférence intitulée Henri Mondor, ami de la famille.
↑ a et bAmandine Lapoussière, « Exposition - L'œuvre de l'artiste à voir aux Collections de Saint-Cyprien - Jean Labellie : l'être et l'essence », L'Indépendant, 24 octobre 2018.