En mathématiques , et plus particulièrement en algèbre , l'identité de Lagrange , découverte par Joseph Louis Lagrange , est une formule transformant un produit de sommes de carrés en une autre somme de carrés ; elle a d'importantes conséquences sur les propriétés du produit vectoriel .
L'identité de Lagrange est[ 1] , [ 2] :
(
∑
k
=
1
n
a
k
2
)
(
∑
k
=
1
n
b
k
2
)
−
(
∑
k
=
1
n
a
k
b
k
)
2
=
∑
1
≤
i
<
j
≤
n
(
a
i
b
j
−
a
j
b
i
)
2
(
=
1
2
∑
1
≤
i
,
j
≤
n
(
a
i
b
j
−
a
j
b
i
)
2
)
{\displaystyle {\begin{aligned}{\biggl (}\sum _{k=1}^{n}a_{k}^{2}{\biggr )}{\biggl (}\sum _{k=1}^{n}b_{k}^{2}{\biggr )}-{\biggl (}\sum _{k=1}^{n}a_{k}b_{k}{\biggr )}^{2}&&=&\sum _{1\leq i<j\leq n}(a_{i}b_{j}-a_{j}b_{i})^{2}&\\&{\biggl (}&=&{1 \over 2}\sum _{1\leq i,j\leq n}(a_{i}b_{j}-a_{j}b_{i})^{2}&{\biggr )}\end{aligned}}}
Elle s'applique à deux familles quelconques (a 1 , a 2 , … , an ) et (b 1 ,b 2 , … , bn ) de nombres réels ou complexes , ou plus généralement à des éléments d'un anneau commutatif . C’est un cas particulier de l'identité de Binet-Cauchy .
Dans le cas réel, on peut l'exprimer de façon plus compacte avec une notation vectorielle[ 3] :
‖
a
‖
2
‖
b
‖
2
−
(
a
⋅
b
)
2
=
∑
1
≤
i
<
j
≤
n
(
det
(
a
i
b
i
a
j
b
j
)
)
2
{\displaystyle \|\mathbf {a} \|^{2}\ \|\mathbf {b} \|^{2}-(\mathbf {a\cdot b} )^{2}=\sum _{1\leq i<j\leq n}\left(\det {\begin{pmatrix}a_{i}&b_{i}\\a_{j}&b_{j}\end{pmatrix}}\right)^{2}}
où a et b sont des vecteurs de ℝn . Cette expression peut s'étendre à ℂn en remplaçant le produit scalaire par un produit hermitien et le carré d'un nombre complexe z par le carré de son module |z |[ 4] , [ 2] :
(
∑
k
=
1
n
|
a
k
|
2
)
(
∑
k
=
1
n
|
b
k
|
2
)
−
|
∑
k
=
1
n
a
k
¯
b
k
|
2
=
∑
1
≤
i
<
j
≤
n
|
a
i
b
j
−
a
j
b
i
|
2
{\displaystyle {\biggl (}\sum _{k=1}^{n}|a_{k}|^{2}{\biggr )}{\biggl (}\sum _{k=1}^{n}|b_{k}|^{2}{\biggr )}-{\biggl |}\sum _{k=1}^{n}{\overline {a_{k}}}b_{k}{\biggr |}^{2}=\sum _{1\leq i<j\leq n}|a_{i}b_{j}-a_{j}b_{i}|^{2}}
c'est-à-dire :
‖
a
‖
2
‖
b
‖
2
−
|
a
⋅
b
|
2
=
∑
1
≤
i
<
j
≤
n
|
det
(
a
i
b
i
a
j
b
j
)
|
2
.
{\displaystyle \|\mathbf {a} \|^{2}\ \|\mathbf {b} \|^{2}-|\mathbf {a\cdot b} |^{2}=\sum _{1\leq i<j\leq n}\left|\det {\begin{pmatrix}a_{i}&b_{i}\\a_{j}&b_{j}\end{pmatrix}}\right|^{2}.}
Le membre de droite de l'égalité étant positif et ne s'annulant que lorsque a et b sont colinéaires , l'identité de Lagrange entraîne l'inégalité de Cauchy-Schwarz [ 5] et son cas d'égalité dans le cas des espaces euclidiens (tels que ℝn ), et son analogue dans les espaces hermitiens (comme ℂn ).
Les cas particuliers n = 2 et n = 3 ont des interprétations géométriques :
pour n = 2, on obtient l'identité de Diophante (qui se généralise en celle de Brahmagupta) :
(
a
1
2
+
a
2
2
)
(
b
1
2
+
b
2
2
)
=
(
a
1
b
1
+
a
2
b
2
)
2
+
(
a
1
b
2
−
a
2
b
1
)
2
,
{\displaystyle (a_{1}^{2}+a_{2}^{2})(b_{1}^{2}+b_{2}^{2})=(a_{1}b_{1}+a_{2}b_{2})^{2}+(a_{1}b_{2}-a_{2}b_{1})^{2},}
ce qui correspond à la multiplicativité du module dans les complexes puisque, en posant
z
1
=
a
1
+
i
a
2
{\displaystyle z_{1}=a_{1}+{\rm {i}}a_{2}}
et
z
2
=
b
2
+
i
b
1
{\displaystyle z_{2}=b_{2}+{\rm {i}}b_{1}}
, cette formule équivaut à
|
z
1
z
2
|
2
=
|
z
1
|
2
|
z
2
|
2
{\displaystyle |z_{1}z_{2}|^{2}=|z_{1}|^{2}|z_{2}|^{2}}
;
pour n = 3 on obtient l'identité de Legendre[ 6] :
(
a
1
2
+
a
2
2
+
a
3
2
)
(
b
1
2
+
b
2
2
+
b
3
2
)
=
(
a
1
b
1
+
a
2
b
2
+
a
3
b
3
)
2
+
(
a
1
b
2
−
a
2
b
1
)
2
+
(
a
2
b
3
−
a
3
b
2
)
2
+
(
a
3
b
1
−
a
1
b
3
)
2
{\displaystyle (a_{1}^{2}+a_{2}^{2}+a_{3}^{2})(b_{1}^{2}+b_{2}^{2}+b_{3}^{2})=(a_{1}b_{1}+a_{2}b_{2}+a_{3}b_{3})^{2}+(a_{1}b_{2}-a_{2}b_{1})^{2}+(a_{2}b_{3}-a_{3}b_{2})^{2}+(a_{3}b_{1}-a_{1}b_{3})^{2}}
voir plus bas, dans la section consacrée au produit vectoriel .
Démonstration de la version algébrique
La preuve suivante[ 7] correspond à un calcul algébrique direct, et est par conséquent valable dans tout anneau commutatif .
∑
1
≤
i
<
j
≤
n
(
a
i
b
j
−
a
j
b
i
)
2
=
∑
1
≤
i
<
j
≤
n
(
a
i
2
b
j
2
−
2
a
i
b
i
a
j
b
j
+
a
j
2
b
i
2
)
=
∑
1
≤
i
,
j
≤
n
i
≠
j
(
a
i
2
b
j
2
−
a
i
b
i
a
j
b
j
)
=
∑
1
≤
i
,
j
≤
n
(
a
i
2
b
j
2
−
a
i
b
i
a
j
b
j
)
=
(
∑
i
=
1
n
a
i
2
)
(
∑
j
=
1
n
b
j
2
)
−
(
∑
i
=
1
n
a
i
b
i
)
(
∑
j
=
1
n
a
j
b
j
)
.
{\displaystyle {\begin{aligned}\sum _{1\leq i<j\leq n}(a_{i}b_{j}-a_{j}b_{i})^{2}&=\sum _{1\leq i<j\leq n}(a_{i}^{2}b_{j}^{2}-2a_{i}b_{i}a_{j}b_{j}+a_{j}^{2}b_{i}^{2})\\&=\sum _{\begin{smallmatrix}1\leq i,j\leq n\\i\neq j\end{smallmatrix}}(a_{i}^{2}b_{j}^{2}-a_{i}b_{i}a_{j}b_{j})\\&=\sum _{1\leq i,j\leq n}(a_{i}^{2}b_{j}^{2}-a_{i}b_{i}a_{j}b_{j})\\&=\left(\sum _{i=1}^{n}a_{i}^{2}\right)\left(\sum _{j=1}^{n}b_{j}^{2}\right)-\left(\sum _{i=1}^{n}a_{i}b_{i}\right)\left(\sum _{j=1}^{n}a_{j}b_{j}\right).\end{aligned}}}
Utilisant le produit extérieur , l'identité de Lagrange peut s'écrire :
(
a
⋅
a
)
(
b
⋅
b
)
−
(
a
⋅
b
)
2
=
(
a
∧
b
)
⋅
(
a
∧
b
)
.
{\displaystyle (a\cdot a)(b\cdot b)-(a\cdot b)^{2}=(a\wedge b)\cdot (a\wedge b).}
Elle donne donc la norme du produit extérieur de deux vecteurs en fonction de leur produit scalaire :
‖
a
∧
b
‖
=
(
‖
a
‖
‖
b
‖
)
2
−
‖
a
⋅
b
‖
2
.
{\displaystyle \|a\wedge b\|={\sqrt {(\|a\|\ \|b\|)^{2}-\|a\cdot b\|^{2}}}.}
L'identité de Lagrange et le produit vectoriel
En trois dimensions, l'identité de Lagrange[ 8] dit que le carré de l'aire d'un parallélogramme est égal à la somme des carrés des aires de ses projections sur les trois plans de coordonnées. Algébriquement, si a et b sont des vecteurs de ℝ3 de norme ||a || et ||b ||, on peut écrire l'identité à l'aide du produit vectoriel et du produit scalaire [ 9] , [ 10] :
‖
a
‖
2
‖
b
‖
2
−
(
a
⋅
b
)
2
=
‖
a
∧
b
‖
2
.
{\displaystyle \|\mathbf {a} \|^{2}\|\mathbf {b} \|^{2}-(\mathbf {a\cdot b} )^{2}=\|\mathbf {a\land b} \|^{2}.}
En effet, le membre de gauche vaut
‖
a
‖
2
‖
b
‖
2
(
1
−
cos
2
θ
)
=
‖
a
‖
2
‖
b
‖
2
sin
2
θ
{\displaystyle \|\mathbf {a} \|^{2}\|\mathbf {b} \|^{2}(1-\cos ^{2}\theta )=\|\mathbf {a} \|^{2}\|\mathbf {b} \|^{2}\sin ^{2}\theta }
où θ est l'angle formé par les vecteurs a et b ; c'est l'aire du parallélogramme de côtés ||a || et ||b || et d'angle θ (voir aussi l'article Déterminant (mathématiques) ), et donc le membre de gauche est le carré de cette aire. Le produit vectoriel de droite est défini par
a
∧
b
=
(
a
2
b
3
−
a
3
b
2
)
i
+
(
a
3
b
1
−
a
1
b
3
)
j
+
(
a
1
b
2
−
a
2
b
1
)
k
,
{\displaystyle \mathbf {a} \land \mathbf {b} =(a_{2}b_{3}-a_{3}b_{2})\mathbf {i} +(a_{3}b_{1}-a_{1}b_{3})\mathbf {j} +(a_{1}b_{2}-a_{2}b_{1})\mathbf {k} ,}
vecteur dont les coordonnées sont (en valeur absolue) les aires des projections du parallélogramme sur les plans yz , zx , et xy respectivement.
En dimension 7
Pour des vecteurs a et b de ℝ7 , l'identité de Lagrange peut s'écrire, comme dans le cas de ℝ3 , sous la forme[ 11] :
|
a
|
2
|
b
|
2
−
|
a
⋅
b
|
2
=
|
a
×
b
|
2
.
{\displaystyle |\mathbf {a} |^{2}|\mathbf {b} |^{2}-|\mathbf {a} \cdot \mathbf {b} |^{2}=|\mathbf {a} \times \mathbf {b} |^{2}.}
Cependant, le produit vectoriel en dimension 7 n'a pas toutes les propriétés du produit vectoriel usuel. Ainsi, par exemple, il ne vérifie pas l'identité de Jacobi [ 11] .
Interprétation par les quaternions
Un quaternion p est défini comme la somme d'un scalaire t et d'un vecteur v :
p
=
t
+
v
=
t
+
x
i
+
y
j
+
z
k
.
{\displaystyle p=t+\mathbf {v} =t+x\ \mathbf {i} +y\ \mathbf {j} +z\ \mathbf {k} .}
Le produit de deux quaternions p = t + v et q = s + w est défini par
p
q
=
(
s
t
−
v
⋅
w
)
+
s
w
+
t
v
+
v
×
w
.
{\displaystyle pq=(st-\mathbf {v} \cdot \mathbf {w} )+s\mathbf {w} +t\mathbf {v} +\mathbf {v} \times \mathbf {w} .}
Le conjugué de q est
q
¯
=
t
−
v
,
{\displaystyle {\overline {q}}=t-\mathbf {v} ,}
et le carré de sa norme est
|
q
|
2
=
q
q
¯
=
t
2
+
x
2
+
y
2
+
z
2
.
{\displaystyle |q|^{2}=q{\overline {q}}=t^{2}\ +\ x^{2}+\ y^{2}\ +\ z^{2}.}
On a la multiplicativité de la norme, c'est-à-dire que, pour des quaternions p et q , on a[ 12] :
|
p
q
|
=
|
p
|
|
q
|
.
{\displaystyle |pq|=|p||q|.}
Les quaternions p et q sont dits imaginaires (ou purs) si leur partie scalaire est nulle, ou encore si
p
=
v
,
q
=
w
.
{\displaystyle p=\mathbf {v} ,\quad q=\mathbf {w} .}
L'identité de Lagrange (en dimension 3) revient simplement à affirmer la multiplicativité de la norme pour les quaternions imaginaires
|
v
w
|
2
=
|
v
|
2
|
w
|
2
{\displaystyle |\mathbf {v} \mathbf {w} |^{2}=|\mathbf {v} |^{2}|\mathbf {w} |^{2}}
puisque, par définition,
|
v
w
|
2
=
(
v
⋅
w
)
2
+
|
v
×
w
|
2
.
{\displaystyle |\mathbf {v} \mathbf {w} |^{2}=(\mathbf {v} \cdot \mathbf {w} )^{2}+|\mathbf {v} \times \mathbf {w} |^{2}.}
(La multiplicativité pour des quaternions quelconques donne une autre identité importante : l'identité des quatre carrés d'Euler .)
Références
↑
(en) Eric W. Weisstein , CRC Concise Encyclopedia of Mathematics , CRC Press , 2003 , 2e éd. , 3252 p. (ISBN 978-1-4200-3522-3 , lire en ligne ) .
↑ a et b
(en) Robert E. Greene et Steven G. Krantz , Function Theory of One Complex Variable , AMS , 2006 , 3e éd. , 504 p. (ISBN 978-0-8218-3962-1 , lire en ligne ) , « Exercise 16 » , p. 22 .
↑
(en) Vladimir A. Boichenko, Gennadiĭ Alekseevich Leonov et Volker Reitmann, Dimension Theory for Ordinary Differential Equations , Vieweg+Teubner Verlag , 2005 (ISBN 3-519-00437-2 , lire en ligne ) , p. 26 .
↑ (en) J. Michael Steele , The Cauchy-Schwarz Master Class : An Introduction to the Art of Mathematical Inequalities , CUP , 2004 , 306 p. (ISBN 978-0-521-54677-5 , lire en ligne ) , « Exercise 4.4: Lagrange’s identity for complex numbers » , p. 68-69 .
↑ C'est d'ailleurs la preuve de Cauchy de cette inégalité. cf A.-L. Cauchy, Cours d'analyse de l'École Royale Polytechnique, Ière partie, Analyse algébrique , Debure frères, 1821 (lire en ligne ) , p. 455
↑ Jean-Pierre Boudine, L'appel des maths , t. 2, Cassini, p. 145
↑ Voir par exemple page 4 du chapitre 7 de ce livre de Frank Jones, université Rice .
↑ C'est en dimension 3 qu'apparaît d'abord l'identité de Lagrange : J.-L. Lagrange, Solutions analytiques de quelques problèmes sur les pyramides triangulaires , Nouveaux mémoires de l'Académie royale des Sciences et Belles-Lettres de Berlin, 1773 (lire en ligne ) , p. 661-692 .
↑ (en) Howard Anton et Chris Rorres, Elementary Linear Algebra : Applications Version , John Wiley & Sons , 2010 , 10e éd. , 773 p. (ISBN 978-0-470-43205-1 et 0-470-43205-5 , lire en ligne ) , « Relationships between dot and cross products » , p. 162 .
↑ (en) Pertti Lounesto , Clifford Algebras and Spinors , CUP, 2001 , 2e éd. , 338 p. (ISBN 978-0-521-00551-7 , lire en ligne ) , p. 94 .
↑ a et b Lounesto 2001 . Voir en particulier § 7.4 Cross products in ℝ7 , p. 96.
↑ (en) Jack B. Kuipers , Quaternions and Rotation Sequences : A Primer with Applications to Orbits, Aerospace, and Virtual Reality , PUP , 2002 , 371 p. (ISBN 978-0-691-10298-6 , lire en ligne ) , chap. § 5.6 (« The Norm ») , p. 111 .