Euclide
Euclide
Euclide (d'après une gravure du XVIe siècle)[1].
Euclide (en grec ancien : Εὐκλείδης), dit parfois Euclide d'Alexandrie, est un mathématicien de la Grèce antique, auteur d’un traité de mathématiques, qui constitue l'un des textes fondateurs de cette discipline en Occident. Aucune information fiable n'est parvenue sur la vie ou la mort d'Euclide ; il est possible qu'il ait vécu vers 300 avant notre ère. Son ouvrage le plus célèbre, les Éléments, est un des plus anciens traités connus présentant de manière systématique, à partir d'axiomes et de postulats, un large ensemble de théorèmes accompagnés de leurs démonstrations. Il porte sur la géométrie, tant plane que solide, et l’arithmétique théorique. L'ouvrage a connu des centaines d’éditions en toutes langues et ses thèmes restent à la base de l’enseignement des mathématiques au niveau secondaire dans de nombreux pays. Du nom d’Euclide dérivent en particulier l’algorithme d'Euclide, la géométrie euclidienne, la géométrie non euclidienne et la division euclidienne. BiographieIl n’existe aucune source directe sur la vie d’Euclide : nous ne disposons d’aucune lettre, d’aucune indication autobiographique (même sous la forme d’une préface à un ouvrage), d’aucun document officiel, ni même d’aucune allusion par un de ses contemporains. Comme le résume l’historien des mathématiques Peter Schreiber, « sur la vie d’Euclide, pas un seul fait sûr n’est connu »[2]. L’écrit le plus ancien connu concernant la vie d’Euclide apparaît dans un résumé sur l’histoire de la géométrie écrit au Ve siècle de notre ère par le philosophe néo-platonicien Proclus, commentateur du premier livre des Éléments. Proclus ne donne lui-même aucune source pour ses indications. Il dit seulement qu'« en rassemblant ses Éléments, [Euclide] en a coordonné beaucoup […] et a évoqué dans d’irréfutables démonstrations ceux que ses prédécesseurs avaient montrés d’une manière relâchée. Cet homme a d’ailleurs vécu sous le premier Ptolémée, car Archimède […] mentionne Euclide. Euclide est donc plus récent que les disciples de Platon, mais plus ancien qu’Archimède et Ératosthène[3] ». Si l'on admet la chronologie donnée par Proclus, Euclide, vivant entre Platon et Archimède et contemporain de Ptolémée Ier, a donc vécu vers 300 av. J.-C. Aucun document ne vient contredire ces quelques phrases, ni les confirmer vraiment. La mention directe d’Euclide dans les œuvres d’Archimède vient d’un passage considéré comme douteux[4]. Archimède fait bien appel à certains résultats des Éléments et un ostrakon, trouvé sur l’île Éléphantine et daté du IIIe siècle avant notre ère, traite de figures étudiées dans le livre XIII des Éléments, comme le décagone et l’icosaèdre, mais sans reproduire exactement les énoncés euclidiens ; ils pourraient donc provenir de sources antérieures à Euclide[5]. La date approximative de 300 av. J.-C. est toutefois jugée compatible avec l’analyse du contenu de l’œuvre euclidienne et c'est celle adoptée par les historiens des mathématiques[6],[7],[8],[4]. Par ailleurs, une allusion du mathématicien du IVe siècle de notre ère, Pappus d'Alexandrie, suggère que des élèves d’Euclide auraient enseigné à Alexandrie[8]. Certains auteurs ont, sur cette base, associé Euclide au Mouseîon d'Alexandrie, mais, là encore, il ne figure sur aucun document officiel correspondant[7]. Le qualificatif souvent associé à Euclide dans l’Antiquité est simplement stoichéiôtês (en grec ancien : στοιχειωτής), c’est-à-dire « auteur d’Éléments »[4]. Plusieurs anecdotes circulent à propos d’Euclide, mais comme elles apparaissent aussi pour d’autres mathématiciens, elles ne sont pas considérées comme réalistes : il en est ainsi de celle, célèbre, rapportée par Proclus, selon laquelle Euclide aurait répondu à Ptolémée — qui souhaitait une voie plus facile que celles des Éléments — qu’il n’y avait pas de voie royale en géométrie ; une variante de la même anecdote est en effet attribuée à Ménechme et Alexandre le Grand[9]. De même, depuis l’Antiquité tardive, divers détails sont ajoutés aux récits de la vie d’Euclide, sans sources nouvelles, et souvent de manière contradictoire. Certains auteurs font ainsi naître Euclide à Tyr, d’autres à Gela, on lui attribue diverses généalogies, des maîtres particuliers, différentes dates de naissance et de mort, que ce soit pour respecter les règles du genre, ou pour favoriser certaines interprétations[10]. Au Moyen Âge et au début de la Renaissance, le mathématicien Euclide est ainsi souvent confondu avec un philosophe contemporain de Platon, Euclide de Mégare[11],[4]. Confronté à ces contradictions et au manque de sources fiables, l’historien des mathématiques Jean Itard a même suggéré en 1961 qu’Euclide en tant qu’individu n’existait peut-être pas et que le nom pouvait désigner « le titre collectif d’une école mathématique », soit celle d’un maître réel entouré d’élèves, soit même un nom purement fictif[12]. Mais cette hypothèse ne semble pas retenue[13]. Œuvres d'EuclideDes mentions d’ouvrages attribués à Euclide figurent chez plusieurs auteurs, en particulier dans la Collection mathématique de Pappus (datée usuellement du IIIe ou IVe siècle) et dans le Commentaire aux Éléments d’Euclide dû à Proclus. Seule une partie de ces ouvrages euclidiens nous est parvenue. Les ÉlémentsLes Éléments de mathématiques, en treize livres, constituent l’ouvrage le plus célèbre d’Euclide et un best-seller de l’édition scientifique. De nombreuses versions du texte existent sous forme manuscrite, complètes ou non, dans les bibliothèques du monde entier. Jusqu’au début du XIXe siècle, toutes les versions connues se référaient à celle de Théon d’Alexandrie, un auteur du IVe siècle (le plus ancien manuscrit complet, dit Codex Bodleianus, datant du IXe siècle). En 1808, François Peyrard identifia un manuscrit en grec du Xe siècle (découvert à la Bibliothèque vaticane lors des campagnes de Napoléon en Italie) comme se référant à une version antérieure à celle de Théon. Le premier texte imprimé des Éléments, en latin, est issu de Campanus de Novare, à partir de versions du texte en arabe, et a été publié à Venise en 1482 par l’imprimeur Erhard Ratdolt[a]. L’édition critique moderne, qui fait encore référence de nos jours et intègre les connaissances tirées de plusieurs manuscrits grecs (y inclus celui identifié par Peyrard) est due à Johan Ludvig Heiberg. Que ce soit en version partielle (les six premiers livres seulement par exemple) ou complète, les adaptations, les éditions commentées, les traductions des Éléments ont été très nombreuses jusqu’à nos jours[15]. Un des aspects les plus célèbres de l’ouvrage est sa forme déductive et son organisation systématique et progressive[16]. L’auteur énonce d’abord des définitions, comme celle d’une ligne (« une longueur sans largeur ») au livre I, ou d’un nombre premier (« un nombre mesuré par une seule unité ») au livre VII ; des notions communes (par exemple, « si des choses égales sont retranchées de choses égales, les restes sont égaux ») ; des postulats, comme la possibilité de construire une ligne droite passant par deux points donnés. Il démontre ensuite de nouvelles propriétés ou effectue de nouvelles constructions, à partir de ce qui est déjà connu (les définitions, ou des propositions déjà établies). Toutes les constructions reposent ainsi sur celles de droites ou de cercles, une contrainte connue plus tard sous le nom de constructions à la règle et au compas[b]. Les six premiers livres sont consacrés à la géométrie plane[16]. Le premier traite en particulier des triangles et des droites parallèles, et inclut une preuve du théorème de Pythagore ; le deuxième traite de la construction de figures planes de forme donnée, des carrés par exemple, et de surface égale à celle d’une figure rectiligne donnée ; le troisième traite des propriétés du cercle ; le quatrième étudie l’inscription de figures dans un cercle, ou de cercles dans des figures rectilignes, par exemple la construction de pentagones réguliers inscrits dans ou circonscrits à un cercle donné ; le cinquième traite de la théorie des rapports et des proportions entre grandeurs, théorie qui est appliquée à la géométrie dans le sixième livre. Les trois livres suivants, aussi appelés « Livres arithmétiques », traitent des nombres premiers, de la construction du plus grand diviseur entier commun à deux ou plusieurs entiers, des nombres en progression géométrique, et donnent un critère pour construire des nombres parfaits (c’est-à-dire des nombres entiers égaux à la somme de leurs diviseurs propres). On y trouve un procédé par soustractions successives répétées, qui est maintenant à la base de la division euclidienne et de l’algorithme d'Euclide. Le livre X définit et classifie les quantités irrationnelles ; les trois derniers livres, enfin, traitent de la géométrie dans l’espace, culminant avec la construction, dans une sphère, des cinq solides réguliers, pyramide, cube, octaèdre, dodécaèdre, icosaèdre. Les deux livres supplémentaires, sur les polyèdres réguliers, souvent baptisés « livres XIV et XV » des Éléments dans les éditions anciennes, ont été écrits par d’autres auteurs, de plusieurs siècles postérieurs[17]. La géométrie telle qu'elle est définie par Euclide dans ce texte fut considérée pendant des siècles comme la géométrie, et comme une représentation adéquate du monde physique. Or, parmi les postulats du livre I, figure celui connu sous le nom de « postulat d'Euclide » ou « postulat des parallèles », que l'on exprime de nos jours sous la forme : « par un point pris hors d'une droite il passe une et une seule parallèle à cette droite ». L’étude de ce postulat a conduit au XIXe siècle au développement de géométries non euclidiennes, c’est-à-dire alternatives à celle d’Euclide et n’admettant pas ce postulat, et plus généralement au renouvellement de la notion même de géométrie et de ses liens avec la représentation du monde réel. Les DonnéesLes Données est le seul autre ouvrage d’Euclide traitant de géométrie dont on possède une version en grec (il est contenu par exemple dans le manuscrit du Xe siècle découvert par Peyrard[18]). Il est aussi décrit en détail dans le livre VII de la Collection mathématique de Pappus, le « Trésor de l’analyse ». Les Données se situent dans le cadre de la géométrie plane et sont considérées par les historiens comme un complément des Éléments, mis sous une forme plus adéquate à l’analyse de problèmes[19],[20]. L’ouvrage contient douze définitions, expliquant ce que signifie qu’un objet géométrique est donné, en position, en forme, en grandeur, et 94 théorèmes. Ceux-ci expliquent comment si certains éléments d’une figure sont donnés, d’autres relations ou éléments peuvent à leur tour être déterminés[21]. Par exemple (data 29), « si une ligne droite est donnée en position, et si, à partir d’un point donné dessus est tracée une droite faisant un angle donné à la première, cette droite tracée est donnée[22] », ou encore (data 39) « si tous les côtés d’un triangle sont donnés en grandeur, le triangle est donné en forme »[23]. De la division des figuresCet ouvrage est décrit dans le Commentaire de Proclus, mais il est perdu en grec ; il est connu par des morceaux en latin (De divisionibus), mais surtout par un manuscrit en arabe découvert au XIXe siècle, qui contient 36 propositions, dont quatre sont démontrées[24]. Il s’agit dans cet ouvrage de construire des droites qui divisent des figures données dans des proportions et des formes données. Par exemple, on demande, un triangle et un point intérieur au triangle étant donnés, de construire une droite passant par le point et découpant le triangle en deux figures de même surface ; ou encore, un cercle étant donné, de construire deux droites parallèles, telles que la portion du cercle qu’elles limitent fasse un tiers de la surface du cercle[25]. Les PseudariaLes arguments fallacieux (Pseudaria) est un ouvrage perdu, connu seulement par la description qu’en donne Proclus. Selon ce dernier, l’ouvrage avait pour objectif d’exercer les débutants à détecter les raisonnements faux, en particulier ceux mimant les raisonnements déductifs et ayant donc l’apparence du vrai. Il donnait des exemples de paralogismes[26]. Les ConiquesLes [Éléments sur les sections] coniques, Conikai Stoicheia, est un ouvrage, perdu, décrit par Pappus et évoqué par d’autres auteurs. Selon Pappus, il se composait de quatre livres et constitua un ouvrage de référence sur le sujet jusqu’à ce qu’Apollonius le complète et l’étende[27]. Les PorismesLes Porismes, en trois livres, sont perdus. L’ouvrage est évoqué dans deux passages de Proclus et surtout fait l’objet d’une longue présentation dans le livre VII de la Collection de Pappus, le « Trésor de l’analyse », comme un exemple significatif et d’une grande portée de l’approche analytique. Le mot « porisme » a plusieurs usages : selon Pappus, il désignerait ici un énoncé de type intermédiaire entre les théorèmes et les problèmes. L’ouvrage d’Euclide aurait contenu 171 énoncés de ce type et trente-huit lemmes. Pappus en donne des exemples, comme « si, à partir de deux points donnés, on trace des droites s’intersectant sur une droite donnée, et si l’une d’elles découpe sur une droite donnée un segment, l’autre fera de même sur une autre droite, avec un rapport fixé entre les deux segments découpés[28] ». Interpréter le sens exact de ce qu’est un porisme, et éventuellement restituer tout ou partie des énoncés de l’ouvrage d’Euclide, à partir des informations laissées par Pappus, a occupé de nombreux mathématiciens : les tentatives les plus connues sont celles de Pierre Fermat au XVIIe siècle, de Robert Simson au XVIIIe siècle, et surtout de Michel Chasles au XIXe siècle. Si la reconstitution de Chasles n’est pas prise au sérieux comme telle par les historiens actuels, elle a donné l’occasion au mathématicien de développer la notion de rapport anharmonique[29]. Les Lieux rapportés à la surfaceIl s’agit aussi d’un ouvrage perdu, en deux livres, mentionné dans le Trésor de l’analyse de Pappus. Les indications données dans Proclus ou Pappus sur ces lieux d’Euclide sont ambiguës et ce dont il est exactement question dans l’ouvrage n’est pas connu. Dans la tradition des mathématiques grecques antiques, les lieux sont des ensembles de points vérifiant une propriété donnée. Ces ensembles sont le plus souvent des lignes droites, ou des sections coniques, mais peuvent aussi être des surfaces réglées par exemple. La plupart des historiens estiment que les lieux d’Euclide pourraient traiter de surfaces de révolution, sphères, cônes ou cylindres[30]. Les PhénomènesCet ouvrage portant sur l’application de la géométrie de la sphère à l’astronomie a survécu en grec, dans plusieurs versions manuscrites dont la plus ancienne date du Xe siècle. Ce texte relève de ce qu’on appelle la « petite astronomie », par contraste avec les thèmes traités dans la Grande Composition (l’Almageste) de Ptolémée[31]. Il contient 18 propositions et est proche des ouvrages conservés sur le même thème d’Autolycos de Pitane[32]. OptiqueCet ouvrage est conservé en grec, en plusieurs versions. Consacré à des problèmes que nous appellerions maintenant de perspective et apparemment destiné à être utilisé en astronomie, il adopte la forme des Éléments : c’est une suite de cinquante-huit propositions dont la preuve repose sur des définitions et postulats énoncés au début du texte. Ces définitions suivent le point de vue de Platon, selon lequel la vision vient de rayons (en ligne droite) allant de notre œil à l’objet vu[c]. Euclide montre que les tailles apparentes d’objets égaux ne sont pas proportionnelles à leur distance de notre œil (proposition 8)[34]. Il explique aussi par exemple notre vision d’une sphère (et d’autres surfaces simples) : l’œil voit une surface inférieure à la moitié de la sphère, une proportion d’autant plus petite que la sphère est proche, même si la surface vue semble plus grande, et le contour de ce qui est vu est un cercle. Il détaille également, selon les positions de l’œil et de l’objet, de quelle forme nous apparaît un cercle[35]. Le traité, en particulier, contredit une opinion défendue dans certaines écoles de pensée selon laquelle la grandeur réelle des objets (en particulier des corps célestes) est leur grandeur apparente, celle qui est vue[36]. Pour ses études sur la perspective, le livre d'Euclide est considéré comme l'un des plus importants travaux relatifs à l'optique jusqu'à Newton. Des artistes de la Renaissance — Filippo Brunelleschi, Leon Battista Alberti et Albrecht Dürer — s'en inspirent pour élaborer leurs propres traités sur la perspective[33]. MusiqueProclus attribue à Euclide des Éléments de musique (tout comme l’astronomie, la musique théorique, par exemple sous forme de théorie appliquée des proportions, figure parmi les sciences mathématiques). Deux petits écrits ont été conservés en grec, et inclus dans des éditions anciennes d’Euclide, mais leur attribution est incertaine, ainsi que leurs liens possibles avec ses Éléments. Les deux écrits (une Section du canon sur les intervalles musicaux et une Introductio harmonica) sont d’ailleurs considérés comme contradictoires et le deuxième, au moins, est maintenant considéré par les spécialistes comme venant d’un autre auteur[37]. Ouvrages faussement attribués à Euclide
Éditions
Notes et référencesNotes
Références
BibliographieOuvrages généraux
Sur Euclide
Sur les Éléments
Sur les Données
Sur la Catoptrique
Voir aussiArticles connexes
Liens externes
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