Droit en Polynésie française

Le droit en Polynésie française est l'ensemble des normes et des manières de régler les litiges dans cette collectivité d'outre-mer française. Dans l'histoire, les concepts juridiques polynésiens ont connu de grandes transformations sous la dynastie Pōmare, influencée notamment par les missionnaires chrétiens, puis la colonisation française a progressivement étendu l'application du droit français. L'organisation centralisée de la justice est compliquée en Polynésie, où le personnel judiciaire se déplace régulièrement d'île en île. Le droit polynésien est pratiqué particulièrement en matière d'adoption et d'usage des terres.

Histoire

Histoire ancienne

Il existe peu d'études historiques sur le droit polynésien ancien, mais en faisant des comparaisons, on peut estimer que des concepts comme ceux de tapu et de rahui existaient à l'époque et correspondent peut-être à l'usage des marae dont la présence est attestée archéologiquement[1].

Dynastie Pōmare

Pōmare Ier ayant conquis l'archipel de Tahiti, son successeur Pōmare II, converti au christianisme, demande conseil aux missionnaires pour écrire des lois à l'européenne. Réticents à s'impliquer dans les affaires juridiques du royaume, les missionnaires lui recommandent de procéder lui-même à la rédaction, mais l'encouragent dans cette voie car ils y voient une bonne opportunité pour l'évangélisation de la population. En 1819 est ainsi publié le Code Pomaré. Quelques mois plus tard, les deux premières pendaisons ont lieu, à la manière anglaise. En 1823, le Parlement tahitien abolit la peine de mort que le Code avait introduite[2].

Durant la dynastie Pōmare, le pouvoir se centralise et une hiérarchie des chefs est mise en place. Le Code charge ces derniers de rendre la justice, assemblés en conseils appelés to'ohitu qui remplacent petit à petit l'autorité de la noblesse ari'i[3].

En 1842, juste avant le protectorat, une nouvelle version du Code est promulguée, que les missionnaires avaient été chargés de rédiger. Cette réforme criminalise la sodomie pour la première fois dans l'histoire de Tahiti[4].

Colonisation française

Le palais de justice de Papeete en 1887 ou 1888.

Lors de l'instauration du protectorat français en 1842, les transactions foncières sont d'abord interdites, afin d'éviter les conflits qu'elles provoquaient[5]. En 1844, cette règle est rayée afin de permettre aux colons d'acquérir des terres. À compter de 1845, l'administration française commence à militer pour que les litiges sur l'usage et la possession des terrains soient réglés par le droit français et non plus par le droit polynésien. L'introduction du cadastre et du principe de la propriété privée engendre de nombreux problèmes: des personnes qui possèdent des droits sur un même lieu s'inscrivent toutes comme propriétaires, des chefs font inscrire des biens de fonction comme leur appartenant personnellement, et des familles font inscrire leurs propriétés ancestrales au nom de personnes décédées. Dans les années 1870, un rapport administratif déplore l'attachement des Polynésiens à leur système juridique où plusieurs personnes possèdent des droits sur une même terre. Lorsque l'empire français annexe officiellement la Polynésie comme une colonie dans les années 1880, il décide de faire passer également les questions de titres héréditaires et de généalogies sous la juridiction des lois françaises. Le décret du 24 août 1887, amendé par le décret du 29 septembre 1892, proclame l'application exclusive du droit français aux disputes foncières, interdisant ainsi l'application des règles de droit polynésiennes. Néanmoins, celles-ci continuent d'être respectées à certains égards par les populations autochtones, créant des confusions et des tensions avec l'État français encore au XXIe siècle[5].

À partir de 1880, la population est censée être divisée en deux catégorie : sujets français et citoyens français. Les sujets ont moins de droits de vote que les citoyens. Toutefois, dans la pratique, cette distinction juridique n'a que peu d'incidence réelle, car les Polynésiens, qu'importe leur statut exact, sont surtout considérés comme une race par l'administration en charge d'organiser les élections et le pouvoir politique. À partir de 1903, les Polynésiens ne peuvent plus élire de représentants au Conseil colonial, l'organe législatif de la colonie. En observant l'évolution des institutions jusqu'en 1945 et le pouvoir croissant du gouverneur, Anne-Christine Trémon constate que les droits civiques en Polynésie ont été à plusieurs reprises diminués[6]. Bien que le statut de citoyen ait été vidé de sa substance dès le début du XXe siècle, il a en partie contribué à éviter la domination plus autoritaire qu'ont connus les autres colonies comme l'Algérie ou la Nouvelle-Calédonie, où les populations colonisées étaient soumises au régime de l'indigénat[7].

Organisation

D'un point de vue sociologique, les greffiers sont plutôt d'origine polynésienne et les magistrats sont popa'a (blancs) – pour la première fois en 2016 un Polynésien est nommé vice-procureur[8].

En 2022, deux rapports administratifs constatent des tensions entre les magistrats en poste et le bureau du procureur de la République, suivis par une inspection en 2024[9]. En novembre 2024, plusieurs juges signent une motion dénonçant des dysfonctionnement du parquet en Polynésie[10].

Justice administrative

Le tribunal administratif de Papeete est la plus petite juridiction de la république française, avec un juge et quatre greffiers. Le tribunal a été établi en 1984. Avant, les fonctionnaires réglaient eux-mêmes les conflits qui les concernaient[11].

Audiences foraines

Dans les archipels de Polynésie française, en vertu du principe d'accès à la justice, les juges, avocats et greffiers se rendent dans les différentes îles sans tribunaux occasionnellement pour y régler les litiges. Ces séances s'appellent des audiences foraines. La présence d'interprètes de langue y est obligatoire. L'anthropologue Natacha Gagné note qu'un certain malaise règne en règle générale lors de ces rencontres à cause de l'asymétrie entre les îliens d'une part et le personnel judiciaire d'autre part[8].

Droit international

Après avoir été désinscrite de la liste des territoires non autonomes selon l'Organisation des Nations unies en 1947, la Polynésie française est à nouveau considérée comme un territoire à décoloniser à partir de 2013. Ce statut est controversé en France et en Polynésie française où l'Assemblée est alors contrôlée par une majorité anti-indépendantiste[12].

Administration du droit autochtone

À Tahiti comme dans d'autres colonies, les puissances européennes ont tenté de définir et administrer le droit autochtone afin de mieux le supprimer, selon l'anthropologue Tamatoa Bambridge[13].

Droit de l'adoption

Droit foncier

En Polynésie française, il existe d'anciens manuscrits appelés puta tupuna qui relatent des lignées généalogiques et sur lesquels les justiciables autochtones s'appuient souvent pour asseoir leurs prérogatives sur le fenua[14].

À Rapa, le conseil to'ohitu gère la distribution de l'usage des terres et arbitre aussi les petits litiges. Il n'y a pas de propriété privée sur l'île[15].

Il existe de nombreuses opinions sur les voies à prendre pour réduire le nombre de différends sur l'usage des terres en Polynésie, par exemple la création de nouvelles formes juridiques pour encadrer les biens communs[16].

Par branche

Droit de la recherche

En 2012, la Polynésie fait un premier pas pour implémenter les mécanismes d'Accès et de Partage des Avantages (APA) prévus par le protocole de Nagoya afin de garantir que les recherches scientifiques utilisant des connaissances génétiques traditionnelles bénéficient aux communautés dont le savoir est tiré. Ce dispositif est cependant peu mis en œuvre[17].

Droit économique

Certaines lois du Pays ont créé des spécificités dans le droit de la concurrence et du droit fiscal[18],[19]. En 2018, après un colloque sur la question, une grande réforme est menée[20].

Droit de la famille

Concernant les droits des personnes LGBT+, l'adoption a toujours été possible pour les mahu et autres identités sexuelles et de genre à travers les normes de la faʼaʼamu[21],[22]. La loi sur le PACS n'a jamais été applicable en Polynésie, mais le mariage civil entre personnes de même sexe est autorisé depuis la loi du 17 mai 2013[21]. Aucun mariage religieux de la sorte n'a encore été enregistré mais certaines églises se disent favorables[23].

Droit de l'environnement

Les règles sur le principe de participation en droit de l'environnement ne sont pas entièrement claires en Polynésie[24].

Les eaux polynésiennes n'ont pas été classés comme des aires marine protégées mais comme une « aire marine gérée »[25]. Il y a aussi le projet du Rahui Nui no Tuhaa Pae.

Droit public

Sur le littoral, les pouvoirs publics polynésiens accordent beaucoup de concessions qui sont censées être temporaires mais qui en fait servent à autoriser des remblais pour construire de nouveaux bâtiments[26].

La plupart des rues en Polynésie se trouvent sur des propriétés privées et sont appelées des « servitudes »[27].

Recherche et enseignement

Au sein de l'université de la Polynésie française, il y a un diplôme d'université en droit de la mer[28].

Références

  1. R.P. Boast, « The Laws of Hawaiki: Towards a Legal History of Pre-European Polynesia », Otago Law Revieew, no 17,‎ , p. 239-276 (lire en ligne).
  2. Louis-Joseph Bouge, « Première législation tahitienne. Le Code Pomaré de 1819. Historique et traduction », Journal de la Société des Océanistes, vol. 8, no 8,‎ , p. 5–26 (DOI 10.3406/jso.1952.1735, lire en ligne, consulté le )
  3. Tamatoa Bambridge, « Que disent de la société polynésienne les conflits récurrents sur les terres? Interprétation sociologique des rapports contemporains entre les personnes et les terres ? », Colloque ”La Terre en Polynésie La propriété foncière à l'épreuve des liens de parenté”, Université de la Polynésie française,‎ (lire en ligne, consulté le )
  4. (en) Aleardo Zanghellini, « Sodomy Laws and Gender Variance in Tahiti and Hawai‘i », Laws, vol. 2, no 2,‎ , p. 51–68 (ISSN 2075-471X, DOI 10.3390/laws2020051, lire en ligne, consulté le )
  5. a et b (en) Michel Panoff, « Un Demi‐siècle de contorsions juridiques: Le Règime foncier en Polynésie Française de 1842 à 1892 », The Journal of Pacific History, vol. 1, no 1,‎ , p. 115–128 (ISSN 0022-3344 et 1469-9605, DOI 10.1080/00223346608572083, lire en ligne, consulté le )
  6. Anne-Christine Trémon, « Citoyens indigènes et sujets électeurs:Statut, race et politique dans les Établissements français de l'Océanie (1880-1945) », Genèses, vol. 91, no 2,‎ , p. 28–48 (ISSN 1155-3219, DOI 10.3917/gen.091.0028, lire en ligne, consulté le )
  7. Isabelle Merle, « Vous avez dit démocratie ? L’extension des droits de citoyen en Océanie Française. Enjeux, pratiques et limites », Outre-Mers, vol. 404405, no 2,‎ , p. 17–40 (ISSN 1631-0438, DOI 10.3917/om.192.0017, lire en ligne, consulté le )
  8. a et b Natacha Gagné, « Ethnographie de l’État aux confins de la République:Le dispositif de l’audience et la justice foraine en Polynésie française », Ethnologie française, vol. 48, no 1,‎ , p. 93–106 (ISSN 0046-2616, DOI 10.3917/ethn.181.0093, lire en ligne, consulté le )
  9. « Avis de tempête pour les procureurs de Tahiti », Le Monde,‎ (lire en ligne, consulté le )
  10. « Tensions au sein de l'institution judiciaire en Polynésie : à Papeete, les juges déposent une motion contre les "dysfonctionnements" du tribunal », Outre-mer la 1ère,‎ (lire en ligne, consulté le )
  11. « Le tribunal administratif a 40 ans ! », sur Polynésie la 1ère, (consulté le )
  12. Sémir Al Wardi, « La Polynésie française est-elle une colonie ? », Outre-Mers, vol. 398399, no 1,‎ , p. 235–254 (ISSN 1631-0438, DOI 10.3917/om.181.0235, lire en ligne, consulté le )
  13. (en) Tamatoa Bambridge, « Généalogie des droits fonciers autochtones en Nouvelle-Zélande (Aotearoa) et à Tahiti », Canadian Journal of Law and Society / La Revue Canadienne Droit et Société, vol. 22, no 1,‎ , p. 43–60 (ISSN 1911-0227 et 0829-3201, DOI 10.1017/S082932010000911X, lire en ligne, consulté le )
  14. Bruno Saura, « Quand la voix devient la lettre : les anciens manuscrits autochtones (puta tupuna) de Polynésie française », Journal de la Société des Océanistes, nos 126-127,‎ , p. 293–310 (ISSN 0300-953x, DOI 10.4000/jso.2592, lire en ligne, consulté le )
  15. Les To’ohitu, garants de la protection des terres à Rapa, Tahiti Nui Television (, 3:52 minutes), consulté le
  16. Jean-François Joye, « Un nouvel horizon pour l'usage du foncier en Polynésie? Réflexion à partir de l'exemple des "communaux" en métropole française », dans La terre en Polynésie, la propriété foncière à l'épreuve des liens de parenté: actes de colloques, septembre 2021, Punaauia (UPF), PacificPress, (ISBN 978-2-493616-03-6, lire en ligne)
  17. Emmanuelle Gindre, « Le régime juridique de l'accès aux ressources biologiques et du partage des avantages résultant de leur valorisation (APA) en Polynésie française : des objectifs manqués ? », dans Bernard Costa, Pierre Labrosse, Jean-Yves Meyer, Phila Raharivelomanana. Actes du Colloque CIPAM & Cos 10, 19-23 novembre 2018 - Tahiti, Polynésie française : Nature et Culture: de la recherche à l'innovation, la valorisation et/ou la préservation. 2023, 978-2-9534554-8-9. ⟨hal-03959069⟩, , 196–205 p. (lire en ligne)
  18. Sarah-Marie Cabon, Florent Venayre et Christian Montet, Le droit de la concurrence en Polynésie française et dans les petites économies insulaires du Pacifique: bilan et perspectives actes du colloque, Université de la Polynésie française, 21 et 22 novembre 2017, LexisNexis UPF, Université de la Polynésie française, (ISBN 978-2-7110-3007-1)
  19. « Loi fiscale : après son annulation, le flou juridique et économique », sur Polynésie la 1ère, (consulté le )
  20. Florent Venayre, « Polynésie française : Révision du code de la concurrence - Vers une meilleure prise en compte de l'analyse économique », Concurrences [Competition law journal / Revue des droits de la concurrence],‎ (lire en ligne, consulté le )
  21. a et b Marie-Noël Capogna, « La légalisation du couple de même sexe », Droit et cultures. Revue internationale interdisciplinaire, no 68,‎ , p. 187–212 (ISSN 0247-9788, DOI 10.4000/droitcultures.3469, lire en ligne, consulté le )
  22. Sur les risques d'exclusion des mahu dans le cadre d'une possible codification de la fa'a'amu par l'État français, voir (en) Aleardo Zanghellini, « Queer Kinship Practices in Non-Western Contexts: French Polynesia's Gender-variant Parents and the Law of La République », Journal of Law and Society, vol. 37, no 4,‎ , p. 651–677 (ISSN 1467-6478, DOI 10.1111/j.1467-6478.2010.00525.x, lire en ligne, consulté le )
  23. « Mariage homosexuel, les églises bougent », sur Polynésie la 1ère, (consulté le )
  24. Carine David, « La fixation des “ conditions et limites ” du droit de participation en matière environnementale en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie », Revue juridique de l'environnement,‎ (lire en ligne, consulté le )
  25. Nathalie Ros, « L'aire marine gérée de Polynésie française : une alternative à la privatisation des mers et des océans », Neptunus, vol. 28, no 1,‎ , p. 1–23 (lire en ligne, consulté le )
  26. Annie Aubanel, « Les concessions à charge de remblais en Polynésie française ou les politiques face à la privatisation », Journal de la Société des Océanistes, nos 142-143,‎ , p. 273–289 (ISSN 0300-953x, DOI 10.4000/jso.7639, lire en ligne, consulté le )
  27. Mireille Loubet, « Servitudes : la libre circulation est une obligation juridique », sur TAHITI INFOS, les informations de Tahiti (consulté le )
  28. Rédaction web, « Un DU droit maritime et droit de la mer en mars 2024 à l'UPF • TNTV Tahiti Nui Télévision », sur TNTV Tahiti Nui Télévision, (consulté le )

Bibliographie

Voir aussi

Articles connexes

Liens externes