En 1910, la famille part pour Buenos Aires où le père a obtenu plusieurs commandes, dont l'ambassade d'Autriche-Hongrie ; son travail lui vaut d'être décoré par l'empereur François-Joseph Ier, même s'il fut « le seul architecte qui n'ait pas fait fortune à Buenos Aires[7]. »
Fin 1935, Dora Maar est engagée comme photographe de plateau sur le film de Jean Renoir, Le Crime de monsieur Lange. À cette occasion, Paul Éluard lui présente Pablo Picasso en au café des Deux Magots. Leur liaison va durer près de huit années jusqu'en 1943 (année qui voit Françoise Gilot apparaître dans la vie du peintre), sans que Picasso ne rompe pour autant sa relation avec Marie-Thérèse Walter, mère de sa fille Maya. « La rupture se solde pour elle par une dépression nerveuse et l'exaspération de ses tendances mystiques. » Après une crise au cinéma La Pagode[17], elle est internée à l'hôpital Sainte-Anne, où on lui administre des électrochocs ; Éluard et Picasso refusent ce traitement et la confient à Jacques Lacan[n 5]. Après une longue analyse, elle « poursuit son travail pictural qui rejette rapidement l'influence de Picasso[18] ».
Dora Maar photographie les étapes de la création de Guernica, tableau que Picasso peint dans son atelier de la rue des Grands-Augustins de mai à juin 1937[19] ; Picasso a utilisé ces photographies dans son processus de création[20]. Parallèlement, elle est le principal modèle de Picasso qui la représente le plus souvent en larmes ; elle-même réalise plusieurs autoportraits intitulés La Femme qui pleure[14]. Dans l'épisode de Vénus s'épilait-elle la chatte ? dédié à la violence de Picasso, Julie Beauzac analyse : « Picasso l’humiliait quotidiennement, il la frappait et parfois jusqu’à ce qu’elle perde connaissance. La série Femme qui pleure la présente sous les traits cubiques d’un visage déformé par la douleur et l’angoisse. »[21]
Ce sont cependant les travaux de la période surréaliste qui demeurent les plus recherchés par les amateurs : Portrait d'Ubu (1936), 29 rue d'Astorg, Sa sœur noire, collages ou photomontages. Portrait d'Ubu deviendra même un symbole de ce mouvement, par son titre, référence au Père Ubu, personnage inventé par Alfred Jarry, qui symbolise les bas instincts de l'homme, et par la composition énigmatique de cette image absurde qui serait un fœtus de tatou.
Dora Maar est victime de violences conjugales comme nombre des maîtresses de Picasso[22]. Plusieurs historiens et spécialiste de l'art considèrent aujourd'hui que c'est Picasso qui a détruit sa carrière et sa santé mentale[23],[24],[25]. Sa liaison avec Picasso s'achève en 1943, bien qu'ils se revoient épisodiquement jusqu'en 1946. Ainsi le , elle tient le rôle de l'Angoisse grasse, lors de la lecture chez Michel Leiris de la première pièce de Picasso, Le Désir attrapé par la queue, conduite par Albert Camus[26]. En 1944, par l'intermédiaire de Paul Éluard, Dora Maar rencontre Jacques Lacan, qui la soigne de sa dépression nerveuse. Picasso lui achète une maison à Ménerbes, dans le Vaucluse[14], où elle se retire et vit seule. Elle se tourne vers la religion catholique, rencontre le peintre Nicolas de Staël qui habite le même village et peint des tableaux abstraits[14].
Dora Maar peintre
L'œuvre peint de Dora Maar reste méconnue jusqu'à la vente posthume, organisée en 1998-1999, qui fait découvrir au public et aux professionnels une production très personnelle qui n'avait jamais quitté son atelier[27].
Maar abandonne la photographie pour la peinture aux côtés de Picasso. Mais c'est à partir de la douloureuse séparation d'avec lui qu'elle devient vraiment peintre. Les œuvres tragiques figuratives, telles le Portrait d'Éluard, ou l'Autoportrait à l'enfant de 1946, traduisent, par des tons sombres, la douleur des années d'après-guerre[Selon qui ?].
Après des années de lutte, entre dépressions et mysticisme, l'enfermement volontaire de Dora Maar avec ses souvenirs connaît une brève embellie dans les années 1960 à 1970, avec des grands formats abstraits aux couleurs chatoyantes. Mais c'est à partir des années 1980 que l'artiste peintre s'exprime pleinement dans ses multiples tableaux du Luberon, où les paysages sauvages autour de sa maison de Ménerbes, balayés de nuages et de vent, révèlent avec force la lutte d'une artiste aux prises avec les fantômes de son passé[Selon qui ?].
De 1946, année de sa séparation d'avec Picasso, jusqu’à son décès en 1997, elle partage son temps entre Ménerbes et Paris où elle vit pauvrement, recluse, 6 rue de Savoie, non loin des Grands-Augustins[17]. Devenue antisémite et homophobe, elle s'est coupée volontairement de ses anciens amis dans les dix dernières années de sa vie[28],[27].
En 1990, Marcel Fleiss expose, dans sa galerie rue de Penthièvre à Paris, une série de ses tableaux[29].
Elle n'a pas eu d'enfants. Ses héritiers indirects sont retrouvés après une longue enquête. La succession donne lieu à une première vente aux enchères en 1998, à la maison de la Chimie (Paris), qui réalise 214 millions de francs de bénéfices. Une seconde vente aux enchères a lieu en juin 2022 à partir d'un reliquat de 750 photographies, organisée par Artcurial à l'hôtel Marcel-Dassault (Paris)[6].
Postérité
En 2019, au Centre Pompidou de Paris, une exposition temporaire (5 juin - 29 juillet) rend hommage à Dora Maar en présentant ses travaux photographiques et l'influence que l'artiste a eu au cours du temps. C'est la plus grande rétrospective sur l'artiste en France à cette occasion[6],[30],[31].
La tête en bronze est volée en 1999 et une enquête est ouverte à Paris. Elle est retrouvée dans un fossé à Osny (Val-d'Oise) par un employé municipal. La mairie d'Osny ignorant l'origine de cette sculpture déclare la découverte et l'expose dans le hall d'entrée de la mairie. En 2001, M. Tomaselli, visitant la mairie, s'étonne qu'un Picasso y soit exposé. Quelques mois plus tard, il reconnaît l'œuvre dans un livre et prévient la mairie de Paris, qui la récupère et la réinstalle dans le square Laurent-Prache après restauration[33],[34].
Œuvres
Photographie
Note : tirage aux sels d'argent, sauf mention contraire.
Vous revoilà mon amour, autoportrait avec la tête d'un squelette, 1927, tirage sépia au sel d'argent, 5,2 × 8,2 cm[35]
Autoportrait au ventilateur, sans date, tirage par contact au sel d'argent, 10,6 × 6,3 cm[36]
Double portrait avec effet de chapeau, 1930, photomontage, 29,8 × 23,8 cm[37]
Publicité pour la lotion capillaire Pétrole Hahn : un voilier miniature voguant sur un océan de cheveux, en collaboration avec Pierre Kéfer, 1935, 29,9 × 25 cm[47]
Baigneuse en maillot avec surimpression de l'eau de la piscine, 1935, photomontage, 30 × 28,5 cm[48]
Jambes I & II, 1935, deux tirages, 28,5 × 22,5 cm chacun[49]
↑Le local est prêté par Harry Ossip Meerson, photographe polonais qui émigrera aux États-Unis, se fera un nom grâce à ses reportages pour Paris-Magazine, puis rejoindra son frère Lazare Meerson, directeur artistique à Hollywood[10].
↑Après avoir étudié en Allemagne et en Suisse, Sougez est l'introducteur en France d'un nouveau mouvement qui rejette la photographie « sentimentale et picturale du passé en faveur d'une esthétique plus austère, plus pure et plus réaliste ». En Allemagne, ce mouvement s'appelle Neue Sachlichkeit (Nouvelle Objectivité)[11],[12].
↑Selon B. Benkemoun op.cit. Jacques Lacan n'aurait pas interné Dora Maar à l'hôpital Sainte-Anne mais à la clinique Jeanne d'Arc de Saint-Mandé où elle aurait subi quatre séances d'électrochoc durant son séjour du 15 au 24 mai 1945.
↑« Dora Maar », sur AWARE Women artists / Femmes artistes (consulté le )
↑ abc et dBéatrice de Rochebouët, « Le fonds photographique de Dora Maar, dernier acte de sa succession », Le Figaro, supplément Le Figaro et vous, 25-26 juin 2022, p. 31 (lire en ligne).
↑Propos de Dora Maar cités dans James Lord, Picasso et Dora, Paris, Séguier, 2000. Repris dans Caws 2000, p. 13.
↑Dans « Le mystère Picasso » (émission télévisée de la série Secrets d'histoire, diffusée sur France 2 le 9 avril 2013 à 20h45), Anne Baldassari, biographe de Picasso et présidente du musée national Picasso de Paris, dit, de 1 h 02 min 10 s à 1 h 02 min 18 s : « Les photographies faites par Dora Maar sont utilisées par Picasso pour changer la peinture. C'est une espèce d'œuvre à deux mains qui se fait pendant cette période. »
Mary Ann Caws (trad. de l'anglais), Les Vies de Dora Maar : Bataille, Picasso et les surréalistes, Paris, Thames & Hudson, , 224 p. (ISBN2-87811-185-0).
228 illustrations dont 87 en couleurs.
Patrice Allain, Brigitte Benkemoun, Orlan, Dora Maar - Secrets d’atelier (catalogue de l’exposition), Paris, Dilecta, 2023, 120 p.
Georgiana Colvile, Scandaleusement d'elles : trente-quatre femmes surréalistes, Paris, J.-M. Place, , 318 p. (ISBN2-85893-496-7), p. 179 à 185.
Avec une photographie de Dora Maar prise par Lee Miller en 1937.
Victoria Dexeus, Dora Maar : Bataille, Picasso et les surréalistes, Marseille, Musées de Marseille, (ISBN2-902308-25-6).
Dora Maar, 2017, film documentaire réalisé par Dominique et Julien Ferrandou, co-produit par TFV, Aube Elléouët et Oona Elléouët, distribué par Seven Doc.