Le Collectif Contre les Expulsions a pour objectif premier l’arrêt immédiat de toutes les expulsions, c’est-à-dire l’expression illimitée de la liberté de circulation et d’installation, qui est un droit inaliénable de chaque être humain. Il entend aussi soutenir les déportés avant, pendant et après l’expulsion.
Le Collectif contre les expulsions (CCLE), créé en 1998 à Bruxelles, est un collectif autonome pour la défense de la liberté de circulation et pour la solidarité avec les étrangers en situation irrégulière détenus dans les Centres fermés gérés par l'Office des étrangers[1] où environ 8 000 personnes sont enfermées chaque année en vue de leur expulsion ou de leur refoulement.
En Belgique, la gestion de la politique des étrangers revient à la Direction générale de l'Office des étrangers. Les règles de bases applicables en la matière sont décrites dans la loi du 15 décembre 1980 sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers et dans l’arrêté royal d’exécution du 8 octobre 1981.
L'article 77 de cette loi punit « quiconque [qui] sciemment assiste un étranger […] dans […] son entrée illégale ou son séjour illégal dans le Royaume […] » à une peine de huit jours à trois mois et d'une amende de 1 700 € à 6 000 €. Le texte prévoit cependant que cette réglementation « ne s'applique pas si l'aide ou l'assistance est offerte à l'étranger pour des raisons principalement humanitaires ».
Cette législation a été durcie en 1995, par la loi du 13 avril 1995 contenant des dispositions en vue de la répression de la traite des êtres humains et de la pornographie enfantine qui a introduit des peines plus lourdes pour lutter contre la criminalité organisée.
Dans un premier temps, le Collectif, mène des actions spectaculaires pour médiatiser l’existence de ces centres peu connus du grand public : production de textes, tracts, conférences de presse, actions de sensibilisation et manifestations relais dans les centres fermés, contact avec les sans-papiers, parrainage[5], dons de vêtements, de cartes téléphoniques pour leur permettre de rester en contact avec l’extérieur.
Le Collectif manifeste régulièrement à Steenokkerzeel, où se trouve le « complexe fermé » le plus proche de Bruxelles. Celui-ci comprend trois centres fermés. Le Centre INAD au sein même de l’aéroport de Bruxelles-National, en territoire international, où les personnes retenues n’ont aucun contact avec l’extérieur. Le Centre 127 situé dans la partie militaire de l’aéroport. Le Centre de rapatriement 127bis, le plus visible et le plus accessible qui se trouve le long des pistes d’atterrissage. C’est devant celui-ci que le Collectif manifeste, à la fois pour montrer son soutien aux personnes qui peuvent les entendre de l’intérieur, mais surtout pour alerter les médias.
Radicalisation
À partir de mars-avril 1998[6], c'est l'action directe dans les aéroports qui a le plus de retentissement : il s’agit de convaincre les passagers du vol de s’opposer à l’expulsion en cours[7]. C'est lors d'une de ces actions que le Collectif prend pour la première fois contact avec Semira Adamu.
À cette époque, les sans-papiers sont expulsés sur des vols réguliers. S'ils résistent[8], ils sont menottés[9], parfois bâillonnés ou drogués, maintenus au fond de l’avion jusqu’à la fermeture des portes. Si un ou plusieurs passager refuse de s’assoir au moment du décollage, l’avion ne part pas. La législation internationale en matière de transport aérien prévoit qu’un avion ne peut pas décoller si tous les passagers ne sont pas consentants pour effectuer le vol. Certains pilotes s'opposent également aux expulsions.
Parfois les actions sont plus radicales[10]. Le 8 mai 1998, 22 jeunes activistes s'enchainent sur le chantier du Centre de Vottem (près de Liège)[11]. Le 21 juillet 1998, une trentaine de sans-papiers s'échappent du Centre de rapatriement 127bis à la suite d'un départ de feu volontaire[12]. Des fourgons cellulaires sont également bloqués entre le Centre fermé 127 bis et l'aéroport par des jets d'œufs remplis de peinture. En septembre, un mois d'actions est organisé autour du futur centre fermé de Vottem, des sabotages sont commis sur le chantier pour en retarder l'ouverture[13].
À Liège et à Bruxelles, plusieurs dizaines de militants sont inculpés[14], certains d'entre eux commencent à passer devant les tribunaux, menacés des Assises[15]. La répression s'accentue[16]. Le Centre social est délogé par la police du squat qui lui sert de local[17],[18].
Semira Adamu, demandeuse d'asilenigériane, a fui son pays pour échapper à un mariage forcé[23]. Incarcérée au Centre fermé 127bis, elle fait l'objet de plusieurs tentatives d'expulsion forcée[24], notamment le 21 juillet 1998[25]. Le Collectif parvient à communiquer avec elle et Lise Thiry en devient la marraine. L'affaire est médiatisée et provoque un large débat public[26]. Semira, en quelques semaines, est devenue le symbole public de la lutte menée par le Collectif contre les expulsions massives d'étrangers.
Le 22 septembre 1998, Semira Adamu est emmenée, pour la sixième fois, manu militari vers un avion qui doit l'amener à Lomé au Togo[27],[28]. Elle se débat. Son escorte (des gendarmes) lui applique un coussin sur le visage[29]. Elle s'effondre et tombe dans un coma profond. Elle est évacuée vers les cliniques universitaires Saint-Luc, à Woluwe-Saint-Lambert, où elle décède dans la soirée[30].
Deux gendarmes sont interpellés et inculpés pour coups et blessures volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner. L'un d'eux est un récidiviste et a déjà été suspendu pour violence sur un candidat réfugié. Ils seront finalement cinq à comparaitre, en 2003, devant le tribunal correctionnel de Bruxelles[31].
L'annonce des circonstances de la mort de Semira, suscite une vague d'indignation[32] : veillées aux bougies, manifestations spontanées[33], actions radicales sur des centres fermés, jusqu'à une scène de quasi émeute dans les locaux du Sénat où des membres du Collectif exigent la démission du Ministre de l'intérieur (socialiste), Louis Tobback[34].
Le 22 septembre, le Ministre de l'intérieur annonce la suspension des rapatriements forcés de réfugiés politiques dont la demande d'asile a été refusée. Le 24 septembre, sous la pression tant de la rue[35] que des milieux politiques, Louis Tobback démissionne[36],[37], s'estimant « trahi par la gendarmerie »[38].
Les portes de plusieurs centres fermés s'ouvrent et près d'une centaine de sans-papiers sont élargis[41].
Un an plus tard, le 22 septembre 1999, le Collectif occupe symboliquement le cabinet du Ministre de la Justice et un millier de personnes rendent hommage à Semira[42].
Suites
Dans les années qui suivent, plusieurs églises sont occupées, avec le soutien du Collectif[43], par des sans-papiers : notamment, en octobre 1998 au cœur du quartier du Laveu (Liège)[44] ; en 2003, l'église Saint-Boniface à Ixelles (Bruxelles) ; et en 2009, pour la deuxième fois, l'église Saint-Jean-Baptiste-au-Béguinage, avec l'accord des deux curés[45].
Jusqu'en 2003, une vingtaine[46] de membres du Collectif font face à de nombreux procès[47],[48].
Une nouvelle forme d'action politique
Parti d'un petit nombre d'activistes, la question du traitement des étrangers en situation irrégulière, a saisi la société tout entière[49]. Ainsi, le politologue Xavier Mabille du Centre de recherche et d'information socio-politiques parle d'« une nouvelle vague sociale humaniste qui s'engage pour les droits de l'homme, hissant les couleurs bariolées de la multiculturalité ». Et il poursuit : « le Collectif ne parie pas sur l'idéologie. Il travaille les mentalités. Il appelle à la désobéissance civile. Refusant la pesanteur belge des clivages et des piliers, il demande à ses membres de s'investir personnellement, en laissant au vestiaire leur carte de parti. Le collectif ne se laisse pas cataloguer, sinon par sa filiation avec le mouvement étudiant. Dans ses rangs, on trouve quelques anars, quelques trotskystes, mais surtout des étudiants et des chômeurs. Le collectif a contrecarré plusieurs expulsions de candidats réfugiés en décidant les passagers et le pilote à s'indigner. En juillet, son action commando a permis à trente réfugiés de s'évader du centre 127 bis. »[50].
Bibliographie
Carmelo Virone[51] avec la collaboration de Mateo Alaluf, Fanny Filosof, Pascale Fonteneau, Gérard Adam, Sans état d'âme. Lettres ouvertes sur les Centres fermés, Comité de Soutien au Collectif contre les Expulsions, Éditions du Cerisier, 302 pages, 2003, (ISBN978-2-87267-071-0).
Nicolas Inghels, Histoire du mouvement anarchiste en Belgique francophone de 1945 à aujourd'hui, revue Dissidences, 3 novembre 2011, lire en ligne.
Mathieu Bietlot, L'horizon fermé - Migrations, démocratie ou barbelés, Édition Espace de libertés, 2009, notice.
Ilke Adam, Nadia Ben Mohammed, Bonaventure Kagne, Marco Martiniello, Andrea Rea, Histoires sans-papiers, Éditions Vista, Bruxelles, 2002.
Marie-Noël Beauchesne, sociologue, MRAX, La mobilisation autour des «sans papiers» et le blocage des régularisations par un gouvernement en fin de parcours (juillet 98 - juin 99), Année Sociale 1999, Groupe d’étude sur l’Ethnicité, le Racisme, les Migrations et l’Exclusion, ULB, texte intégral.