Prêtre et diacres orthodoxes chantant le Cherubikon au début de la Grande Entrée.
Présentation du texte
L'hymne introduit symboliquement les fidèles présents dans l'assemblée auprès des anges rassemblés autour du trône de Dieu[1]. Il est au cœur de la Divine Liturgie : l'anaphore, dont les parties les plus anciennes sont dues à saint Basile et à la version de saint Jean Chrysostome de la liturgie de saint Basile.
Tradition exégétique
Le trisagion, ou hymne trois fois saint, mentionné par Saint Jean Chrysostome, ne peut renvoyer qu'au Sanctus de l'anaphore extraite de l'Ancien Testament, livre d'Isaïe, en particulier les versets 6:1-3 :
[2] Des séraphins se tenaient au-dessus de lui ; ils avaient chacun six ailes : deux dont ils se couvraient la face, deux dont ils se couvraient les pieds et deux dont ils se servaient pour voler.
[3] Ils criaient l'un à l'autre, et disaient : Saint, saint, saint est l'Éternel des armées ! toute la terre est pleine de sa gloire[3] !
Dans une homélie, Jean Chrysostome posa que le poème d'Isaïe et les chants de la Divine Liturgie étaient des actes analogues reliant la communauté des croyants au chœur éternel des anges :
Comme les légions angéliques prient au plus haut, des tréfonds la communauté des humains chante la même hymne. Au plus haut, les séraphins proclament l'hymne trois fois saint ; ici-bas, le peuple élève la même hymne en une communion solennelle des sphères céleste et terrestre, en une eucharistie, une allégresse et une acclamation.
I ta cherubin mysticos Iconizontes
ke ti zopion triadi ton trisagyon ymnon prophagentes
passanin biotikin apothometa merinnan·
Os ton basileon ton olon Ipodoxomeni
tes angelikes aoraton doriforumenon taxasin
alleluia[5].
Nous qui représentons mystiquement les chérubins,
et qui chantons l'hymne trois fois sainte à la vivifiante Trinité,
déposons maintenant les soucis du monde.
Pour recevoir le roi de toute chose,
invisiblement escorté par les ordres angéliques.
Alleluia, alleluia, alleluia[6] !
Иже херувимы тайно образующе,
и Животворящей Троицѣ трисвятую пѣснь припѣвающе,
Всякое нынѣ житейское отложимъ попеченіе.
Яко да Царя всѣхъ подъимемъ,
ангельскими невидимо дориносима чинми.
Аллилуіа[7].
რომელნი ქერუბიმთა საიდუმლოდ ვემსგავსენით,
და ცხოველსმყოფელსა სამებასა,
სამწმიდა არსობისა გალობასა შევსწირავთ,
ყოველივე მსოფლიო დაუტევოთ ზრუნვა,
და ვითარცა მეუფისა ყოველთასა,
შემწყნარებელსა ანგელოსთაებრ უხილავად,
ძღვნის შემწირველთა წესთასა,
ალილუია, ალილუია, ალილუია.
Noi care pre heruvimi cu taină închipuim,
și Făcătoarei de Viață întreit-sfântă cântare aducem,
toată grija lumească să o lepădăm
ca pe Împăratul tuturor să-L primim,
înconjurat de cetele cele îngerești.
Aliluia, aliluia, aliluia.
Au sein de la liturgie byzantine
Le texte et le rite de l'offertoire sont divisés en deux parties. Le prêtre dit à voix basse les prières de l'offertoire, pendant que le diacre procède à l'encensement, puis tous deux embrassent l'autel, s'inclinent vers le peuple par les Portes Saintes, et vont encenser les saints Dons. Pendant ce temps, le chœur chante la première partie du texte (« Nous qui représentons mystiquement les chérubins, et qui chantons l'hymne trois fois sainte à la vivifiante Trinité, déposons maintenant les soucis du monde. ») Puis le clergé sort du sanctuaire par le côté nord, et amène en procession les Dons devant les Portes Saintes. Il le fait en commémorant la hiérarchie, les gouvernants, le peuple fidèle, ainsi que les malades et les morts. Une fois les commémorations terminées, le peuple répond à voix basse en commémorant les célébrants, et le chœur reprend par « Amen » et achève le chant du chérubicon, pendant que le clergé rentre par les Portes Saintes en disant à voix basse les prières secrètes de l'entrée.
Le Cherubikon fait partie de l'ordinaire de la liturgie car il est chanté tout au long du cycle liturgique annuel. Il est en quelques occasions remplacé par des tropaires appelés anti-cherouvika : à la Liturgie des Dons présanctifiés, on chante le tropaire Maintenant les puissances célestes (Νῦν αἱ δυνάμεις τῶν οὐρανῶν) ; le Jeudi saint le Cherubikon est remplacé par le tropaire À Ta Cène mystique (Τοῦ δείπνου σου τοῦ μυστικοῦ) ; le Samedi saint, on utilise le tropaire Que toute chair humaine fasse silence de la Liturgie de saint Jacques[1].
Histoire
Le Cherubikon a été ajouté en tropaire à la Divine Liturgie par l'empereur Justin II (565-578) pour accompagner la procession des Dons depuis la prothèse (située, dans l'architecture antique, à gauche de l'entrée de l'église) jusqu'au sanctuaire. Cette procession correspond à l'Offertoire des Églises occidentales. Elle prit le nom de Grande Entrée par opposition à la Petite Entrée qui se fait plutôt dans la liturgie (et qui en était au départ le début même).
Le Cherubikon n'apparaît pas, dans l'histoire des manuscrits liturgiques byzantins avec notation musicale, avant le XIIe siècle. Des sources plus anciennes sont d'origine carolingienne — sacramentaires — comportant le texte d'une messe dite Missa greca, tels l'Hadrianum rédigé à l'abbaye de Corvey[8].
Le Cherubikon translittéré est annoté de neumes paléo-franciques entre les lignes de texte. Les neumes paléo-franciques étaient diastématiques ; aucun manuscrit du Cherubikon en latin avec notation diastématique ne nous est parvenu. On suppose que la mélodie est, comme les premiers Cherubikons byzantins, dans l'intonation de l'echos plagal deutérus[9].
Le Cherubikon asmatikon
Dans le rite cathédral de Sainte-Sophie, il y avait une seule mélodie dans l'echos plagal deutérus. Celle-ci a survécu partiellement dans les asmatikons (livres du chœur) et, en intégralité, sous le nom de cherouvikon asmatikon dans les acolouthia des XIVe et XVe siècles.
Le Cherubikon des plus anciens asmatikons du XIIIe siècle contient seulement les parties du chœur et du chantre ; ces versions ne sont pas identiques : ce sont les notations d'exécutions réelles et le nom du chantre est même indiqué[10]. Un seul manuscrit — une anthologie d'asmatikons du XIVe siècle —, comportant la partie du psaltikon a survécu dans les collections de l'Archimandritate Santissimo Salvatore de Messine[11]. Il contient la partie soliste ainsi que les acclamations ou anaphores en l'honneur du roi de Sicile Frédéric II[12].
Une autre version plus courte du Cherubikon dans le ton de l'echos plagal deutérus, sans aucun teretismoi (mélisme), avec des sections de syllabes abstraites, a été chantée par le chœur lors de fêtes de la cour impériale de Constantinople au XIVe siècle[13]. Une version plus longue, écrite par Jean Coucouzèle a été transcrite et est imprimée encore aujourd'hui pour les chantres[14]
Les cycles du Cherubikon papadique
La pratique actuelle est de chanter le Cherubikon dans l'echos de la semaine. La plus ancienne mention d'un cycle hebdomadaire est le manuscrit d'une acolouthia de Manuel Chrysaphes[15] rédigé en 1458. Il écrivit un cycle de huit Cherubikons dans le mode papadique de l'Octoechos[16].
Aujourd'hui encore, les chantres du Patriarcat de Constantinople contribuent de leurs propres réalisations au cycle papadique[17]. Comme le Cherubikon était initialement destiné à accompagner la procession de la Grande Entrée, les transcriptions modernes distinguent trois cycles : une version courte destinée aux jours de semaine (depuis que la Divine Liturgie est devenue quotidienne) ; une version plus longue pour les dimanches et une version ornée pour les fêtes, quand l'évêque ou un abbé préside la cérémonie.
↑La Cappela Romana (1er février 2013) sous la direction d'Alexander Lingas chante la version dans l'echos protos de Manuel Chrysaphes avec des teretismoi (mélismes) fondée sur la transcription de Iveron 1120 par Ioannis Arvanitis dans l'environnement acoustique simulé de Sainte Sophie.
↑Une importante compilation en a été publiée par Levkopoulos au Psaltologion (2010).
Références
(en) Cet article est partiellement ou en totalité issu de l’article de Wikipédia en anglais intitulé « Cherubikon » (voir la liste des auteurs).
[Anthologie commentée dédiée à la mort de Boëce et de son De consolatione philosophiae et un rituel écrit probablement à Cologne à la fin du Xe siècle ; un folio a été ajouté après la première partie avec une messe de la Résurrection, le Symbole d'Athanase et le Cherubikon latin (début du XIe siècle).] (en) Ruotbert, « Londres, British Library, Ms. Harley 3095 » (consulté le ) ;
[Papadique et l'Anastasimatarion de Panagiotes le Protopsalte, et une anthologie incomplète de Divines Liturgies (XVIIe siècle)] (en) Panagiotes le Protopsalte, « London, British Library, Harley Ms. 5544 » (consulté le ) ;
(bg) Petĕr V. Sarafov, Рѫководство за практическото и теоретическо изучване на восточната църковна музика, Sofia, Petĕr Gluškov, .
Études
(de) Oliver Gerlach, Im Labyrinth des Oktōīchos – Über die Rekonstruktion mittelalterlicher Improvisationspraktiken in liturgischer Musik, vol. 2, Berlin, Ison, (ISBN978-3-00-032306-5, lire en ligne)
Michel Huglo (éditeur Jacques Westrup), « Les chants de la Missa greca de Saint-Denis », Essays presented to Egon Wellesz, Oxford, Clarendon, , pp. 74-83
(en) Neil K. Moran, The Ordinary chants of the Byzantine Mass, vol. 2, Hambourg, Verlag der Musikalienhandlung K. D. Wagner, coll. « Hamburger Beiträge zur Musikwissenschaft », , pp. 86-140 (ISBN978-3-921029-26-8)
(en) Neil K. Moran, « The Musical 'Gestaltung' of the Great Entrance Ceremony in the 12th century in accordance with the Rite of Hagia Sophia », Jahrbuch der Österreichischen Byzantinistik, vol. 28, , pp. 167-193
Ken Parry et David Melling (éditeurs), The Blackwell Dictionary of Eastern Christianity, Malden, MA., États-Unis, Blackwell Publishing, (ISBN0-631-23203-6)
(en) Joseph Raya, Byzantine Liturgy, Tournai, Belgique, Société Saint Jean l'Évangeliste, Desclée & Cie,
(en) Rev. L. Soroka, Orthodox Prayer Book, South Canaan, Penn., États-Unis, St. Tikhon's Seminary Press, (ISBN1-878997-34-3)