BusshōBusshō (佛性 ) « La nature de l'Éveillé »[n 1] est un texte composé en 1241 par Dōgen, fondateur de l'école du Zen Sôtô au Japon. C'est un des chapitres de son œuvre majeure, le Shōbōgenzō, recueil d'enseignement sur différents aspects de la pratique du bouddhisme zen . Dans ce texte souvent déconcertant, Dōgen enchaîne les paradoxes pour aborder les différents aspects de la bouddhéité et de la transmission de la Loi. TitreLe terme sino-japonais Busshō est formé de deux caractères signifiant l'Éveillé (premier caractère (bu), déterminant 佛) et la nature (second caractère, (shō) déterminé 性)[1], et la traduction directe du japonais peut ainsi être Nature de l'Éveil. Cependant, ce terme japonais est lui-même utilisé pour traduire un ensemble de signifiants en sanskrit, qui concernent la notion de bouddhéité[2]. Cette polysémie, et les différences entre l'ontologie du bouddhisme et celle de la philosophie occidentale et du japonais, produisent des traductions différentes : Bouddhéité - Nature de l'Éveillé - La nature donc Bouddha[n 2] . Ces différents auteurs s'accordent malgré tout, à travers leurs commentaires (« Nature de toutes les natures »[3] - « C'est l'existence en tant qu'existence qui n'a d'autre essence que d'être telle quelle »[4] - « Les choses (...) vides de nature propre et de nature autre »[5]), sur la nécessité d'éviter, dans la compréhension de leur traduction, les écueils d'une conceptualisation ou d'une interprétation ontologique[6] ou naturaliste : « il n'est nul besoin d'hypostasier ni de rationaliser la bouddhéité[7]. » PrésentationDōgen compose ce texte en 1241 au Kannondôri de Kyôto[8], durant la période la plus créative de sa vie, alors que les disciples s'assemblaient autour de lui, et le dicte à Ejô[n 3],[n 4] qui le transcrit en 1243[9]. Ce chapitre, placé en troisième position dans le Shôbôgenzô, est l'un des plus réflexifs de ce recueil.
L'énigme la plus obscure, c'est la limpidité de l'horizon et l'éclat de la lumière. Comment voyons-nous le vrai ? comme le vrai nous voit. À la bouddhéité, où nous nous tenons, qui nous tient dans l'ouvert, répond l'ainsité ou la quiddité de ce qui se montre tel quel[10]. — Pierre Nakimovitch - Les paradoxes de la bouddhéité .Il s'agit d'un texte-clé du Shôbôgenzô[11], long, difficile, rassemblant des réflexions fort originales, ne faisant pas de ratiocination mais enchaînant les paradoxes pour susciter l'interrogation[10], et il peut être fort déconcertant pour un esprit occidental[1]. « La contradiction frappe et inquiète comme le kôan. Audace polémique qui ferait penser plutôt à la stratégie aporétique de Socrate qu'au 'dépassement' dialectique de Hegel » car la contradiction n'est pas relevée dans une synthèse supérieure[12]. Ce volume[Lequel ?] convoque l'éveil sous le nom de bouddhéité, et nous y provoque[10]. Le texte se compose de quatorze sections commentant chacune un kôan et traitant de la bouddhéité sous ses différents aspects, qui se tressent et s'entrelacent sans progression ni enchaînement déductif[13]. Une quinzième section, en forme d'énigme, conclut Busshō. EnseignementLa bouddhéité est une totalitéDu quoi, du ça , du non (...) quoi[n 5] est ça. Ça est quoi. Ça est le vrai nom. Quoi dépend de ça. Ça existe en vertu de quoi. Le nom est à la fois ça et quoi. C'est boire le thé, c'est préparer le thé cérémoniel, c'est prendre le thé et le riz quotidien. (...) Parce qu'il y a quoi, il y a bouddha. Le ça, peut-on l'exténuer en le nommant quoi ? Quand ça n'est plus ça, on l'appelle bouddha. Donc, bien que ça étant quoi soit aussi bouddha, quand vous l'aurez évacué et pénétré, ça devient un nom et ce nom est Shu[n 6],[14].— Dôgen - Busshô - section IV .Pour développer le thème du busshô comme totalité, Dōgen emploie le terme shitsu.u (shitsu : la totalité, le tout ; u : l'il-y-a, le manifesté)[3]. Y. Orimo et Ch. Vacher choisissent de traduire par 'Il-y-a', pour ne pas ontologiser une pensée qui nie l'ontologie[15]. P. Nakimovitch traduit cependant par les 'êtres-en-totalité', en précisant que cette totalité[n 7] n'est pas une somme, ni une addition, mais l'unité[16] « Ce 'un', c'est l'unité sans dualité. Un signifie le tout[17] ». La bouddhéité ne peut être ni complément, ni attribut, mais peut-être seulement un nominatif ontologique[16]. Dôgen rejette pourtant toute ontologie même négative, au profit d'une absence d'ontologie, comme un retour à l'enseignement originel du Bouddha[18], à la manière de Nāgārjuna[19]. Dōgen rejette également tout surréalisme métaphysique et l'idéalisme brahmanique selon lequel l'univers entier est le moi, identifiant le brahman et l'âtman[20],[21],[22]. L'Ainsité et le momentComment réaliser la bouddhéité ? L'Ainsité est à la fois réponse problématique et question : « il vient quoi, ainsi ? », et la première réponse à cette question sur la bouddhéité est encore une question[23], l'étonnement bouddhique devant les choses telles qu'elles apparaissent.
En cet instant naissent ensemble voyant et vu. Le voir (...) est premier, antérieur à la déhiscence sujet-objet. Plutôt que voir ce qui vient, voir venir. Savoir ? Ça-voir, voir çà, voilà. La vérité de chaque événement est l'apparaître tel-quel, sans autre essence que son existence. « Voilà », c'est le déictique qui montre l'ainsité[24]. — Pierre Nakimovitch - Un voir intransitif ? .Le moment, dans son occurrence, c'est le il-y-a, le moment est la vérité, ou la manière d'apparaître, de la nature[25]. Seul le présent de l'acte est réel. L'actualisation du corps qui se déploie dans la pratique donne une vraie connaissance de la bouddhéité par une éloquence sans son ni couleur, et la totalité se situe dans la simplicité d'un instant[26],[27]. L'activité mentale de la recherche, par la pensée, la conscience et la volonté, ne peut mener à cette réalisation[28] : « qu'on éclaire un côté, l'autre s'assombrit[n 8] ». C'est par l'imitation de la conduite du maître qui se donne en exemple, et non par un savoir discursif, que se transmet l'éveil. Sur ce point également, Dôgen prêche un retour à l'exemplarité du Bouddha[18]. L'impermanence et le temps
L'être-temps, c'est l'être de l'apparaître, c'est l'apparaître-temps, le temps apparaissant, qui n'est pas apparence ou illusion, mais le temps tout juste ainsi de l'ainsité[29]. — Pierre Nakimovitch - Le pas du temps .Chacun de nous n'existe toujours qu'au présent, y est tout entier ce qu'il apparaît, sans que demeure une identité de substance. Le temps est en nous, ne s'en va pas, et ce présent ne nous introduit ni à l'éternité, ni à la durée. Discontinu, il ne dure ni ne passe, apparaît et disparaît. « Le temps, c'est l'être ; l'être tout entier, c'est le temps (...) si ce n'est le temps, nulle ainsité[n 9]. »[29] Pratique, éveil et transmissionEn forme de pleine lune Nāgārjuna, en session sur l'estrade de méditation, actualise le corps libre du corps, parfait comme la pleine lune (..) La vérité de la nature-bouddhaa, c'est le vide éclatant de lumière, c'est ainsi (...) Le corps actualisé, forme parfaite de la lune, révèle ainsi le corps des bouddhas. Prédication sans forme fixe, éloquence sans son, ni couleur[31].— Dôgen - Busshô - section VII .Dōgen n'oppose pas la méditation assise et l'étude des textes canoniques, et refuse de se réclamer d'une école zen[32]. La pratique et l'Éveil ne font qu'un : « l'éveil naît à l'intérieur de la pratique, et la pratique se fait à l'intérieur de l'éveil[n 10] », et la transmission s'effectue par l'actualisation du corps : Nāgārjuna, en session de méditation sur l'estrade, actualise l'éveil, révèle la bouddhéité. BibliographieTraductions et commentaires du Shōbōgenzō
Notes
Références
Articles connexes
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