Tout anneau principal (c'est-à-dire intègre et dont tout idéal est principal) est factoriel. La réciproque n'est pas vraie. Ainsi un anneau de polynômes à coefficients dans un anneau factoriel k est toujours factoriel lui aussi, mais n'est principal que si l'anneau k est un corps. En ce sens, le concept d'anneau factoriel généralise celui d'anneau principal. Il peut être à son tour généralisé en abandonnant l'hypothèse d'unicité de la décomposition en produit de facteurs irréductibles. On obtient ainsi la classe plus large des anneaux atomiques[1].
La notion d'anneau factoriel s'appuie sur trois définitions :
un élément de A est dit irréductible s'il n'est ni nul, ni inversible, ni produit de deux éléments non inversibles ;
deux éléments a et b non nuls de A sont dits associés s'il existe un élément inversible u tel que a = ub (cette relation est une relation d'équivalence) ;
un élément p de A est dit premier s'il est non nul et non inversible et si pour tout produit ab multiple de p, a ou b est multiple de p.
La définition la plus courante d'anneau factoriel est :
Un anneau intègre A est dit factoriel s'il vérifie les deux propriétés suivantes :
pour tout élément a de A, non nul et non inversible, il existe une suite finie p1,…, pn d'éléments irréductibles de A dont a est le produit :
;
si, pour un tel élément a, on a deux telles suites p1, …, pn et q1, …, qm, alors m = n et il existe une permutation σ de l'ensemble {1, … , n} ainsi que des éléments inversibles u1, …, untels que pi = uiqσ(i) pour tout i (la décomposition de a est unique à l'ordre des facteurs et à association près).
On verra, grâce aux premières propriétés ci-dessous, que cette définition équivaut à :
Un anneau intègre A est dit factoriel si tout élément non nul et non inversible de A est premier ou produit d'éléments premiers.
Exemple : L'anneau Z des entiers relatifs est factoriel. Ses éléments inversibles sont –1 et 1, donc deux entiers non nuls sont associés lorsqu'ils sont égaux ou opposés. Ses éléments irréductibles sont les entiers naturelspremiers et leurs opposés. Tout élément non nul de Z se décompose en un produit d'éléments irréductibles. Par exemple, –28 se décompose en (–2).2.7. On pourrait aussi le décomposer par exemple en (–7).2.2 mais cette dernière décomposition est considérée comme la même que la première, car elle s'en déduit en permutant les facteurs et en les multipliant par des inversibles.
Certains anneaux possèdent des éléments irréductibles particuliers, ainsi un élément irréductible et positif de Z est appelé nombre premier. Dans K[X] (si K est un corps), les éléments particuliers sont les polynômes irréductiblesunitaires, c'est-à-dire dont le coefficient du monôme dominant est égal à 1. Chaque classe d'équivalence contient un unique élément irréductible particulier. Cette approche permet de normaliser la décomposition en facteurs irréductibles de telle sorte que l'unicité soit absolue, et plus seulement à permutation et association près.
Il est toujours possible d'établir une normalisation de cette nature. Il suffit de définir une famille (pi) d'éléments irréductibles telle que si i est différent de j alors pin'est pas associé à pjet tout élément irréductible est associé à un pi. L'axiome du choix montre qu'il est toujours possible de trouver une famille maximale d'éléments irréductibles deux à deux non associés : on prend un représentant par classe d'association d'éléments irréductibles. Cette normalisation est utilisée dans la suite de l'article : elle n'est pas nécessaire mais permet d'alléger les énoncés.
Un élément a non nul d'un anneau factoriel s'écrit ainsi de façon unique :
où u est un élément inversible. La fonction vpi, de A dans l'ensemble N des entiers naturels, s'appelle une valuation p-adique. La valeur vpi(a) est aussi appelée ordre de multiplicité de pidans a.
Motivation
L'arithmétique dans l'anneau des entiers relatifs permet la démonstration de nombreux théorèmes. Les démonstrations utilisent le fait que cet anneau est euclidien donc principal. En revanche, de nombreux anneaux ne le sont pas, par exemple celui des polynômes à coefficients dans les entiers relatifs ou encore les polynômes en plusieurs indéterminées sur un corps commutatif.
Ce dernier exemple est important : les variétés algébriques sont définies comme les racines d'un idéal de polynômes à plusieurs variables. Ainsi la sphèreréelle est définie comme les racines communes des polynômes à trois indéterminées multiples de X2 + Y2 + Z2 – 1. L'anneau des fonctions polynomiales définies sur la sphère n'est ni euclidien, ni même principal. En revanche, il est factoriel[2].
Sur un anneau factoriel, certains théorèmes fondamentaux des anneaux principaux restent vrais. Ainsi, le lemme d'Euclide, les propriétés des plus petits communs multiples et des plus grands communs diviseurs ou encore le théorème fondamental de l'arithmétique restent valables (ce dernier est vérifié par définition).
Tous ne s'appliquent plus, ainsi un idéal premier n'est pas toujours maximal : dans l'anneau Z[X] des polynômes à coefficients entiers, l'idéal 2Z[X] est premier mais n'est pas maximal car l'anneau quotientZ[X]/2Z[X], isomorphe à (Z/2Z)[X], est intègre mais n'est pas un corps. L'identité de Bézout n'est pas toujours vérifiée : dans Z[X], les éléments 2 et X n'ont pas de facteur commun, pourtant l'idéal engendré par 2 et X n'est pas l'anneau tout entier. En fait, les seuls anneaux factoriels dans lesquels l'identité de Bézout est satisfaite sont les anneaux principaux[3].
Exemples et contre-exemples
L'anneau Z est un exemple simple d'anneau factoriel. Un autre exemple est l'anneau Z[i] des entiers de Gauss : les complexes s'écrivant sous la forme a + ib où a et b sont des entiers relatifs.
Si K est un corps alors l'anneau K[X] des polynômes à coefficients dans K est factoriel[4]. Plus généralement, dès que A est factoriel, il en est de même de l'anneau de polynômes en n indéterminéesA[X1, … , Xn][5].
Tout sous-anneau strictement compris entre Z et Z[ei2π/3] est non factoriel (car non intégralement clos). Un contre-exemple célèbre est le sous-anneau Z[i√3], dans lequel 4 possède deux décompositions différentes : 4 = 2 × 2 = (1 + i√3)(1 – i√3). On soupçonne fortement que Leonhard Euler se soit implicitement appuyé sur la factorialité de Z[i√3] pour un argument important et non justifié de sa démonstration du dernier théorème de Fermat dans le cas n = 3 (Algebra 1770).
Un contre-exemple « géométrique » est celui du quotient de K[X, Y, Z] par l'idéal engendré par X2 – YZ. Soit p l'application de passage au quotient ; p(X2) admet deux décompositions distinctes en facteurs irréductibles : on a p(X2) = p(X)p(X) mais aussi p(X2) = p(Y)p(Z).
Un contre-exemple de même nature est l'anneau des polynômes trigonométriques à coefficients réels[7], dans lequel sin2 = (1 + cos)(1 – cos). Il est isomorphe au quotient de R[X, Y] par l'idéal engendré par X2 + Y2 – 1 = Y2 – (1 + X)(1– X) ou encore, au quotient du contre-exemple précédent (pour K = R) par l'idéal engendré par p(Y + Z – 2).
Un contre-exemple plus anecdotique est celui de l'anneau Z/4Z : tout élément non nul et non inversible s'y écrit de façon unique (à association près) comme produit d'éléments irréductibles, mais Z/4Z n'est pas factoriel faute d'intégrité.
Propriétés
Premières propriétés
Tout anneau factoriel A est un anneau à PGCD. Voir la section suivante pour plus de détails. Par conséquent :
A vérifie le lemme d'Euclide (tout élément irréductible de A est premier) ;
Un anneau intègre A est factoriel si et seulement si tout idéal premier non nul de A contient un élément premier[10],[11] ou, ce qui est équivalent : contient un idéal premier principal non nul[12].
Elle constitue un lemme commode[13] pour prouver que :
tout localisé d'un anneau factoriel est factoriel.
Ce théorème admet une réciproque, le critère de Nagata[14] :
Soient A un anneau atomique, T un ensemble d'éléments premiers de A et S l'ensemble de tous les produits de puissances d'éléments de T. Si le localisé AS est factoriel, alors A est factoriel.
Un anneau factoriel A est principal si (et seulement si) sa dimension de Krull est inférieure ou égale à 1, c'est-à-dire si tout idéal premier non nul de A est maximal.
Diviseur et multiple communs
Dans cette section, A désigne un anneau factoriel et (ai) une famille d'éléments non nuls de A.
Le plus grand commun diviseur de ces éléments est, parmi les diviseurs communs aux ai, celui qui est multiple de tous les autres. Il est unique à produit près par un inversible : c'est le produit de tous les irréductibles présents dans la décomposition de chaque ai, affectés chacun d'un exposant égal au plus petit de ses ordres de multiplicité dans les ai.
Le plus petit commun multiple des aiest, parmi les multiples communs (s'il en existe) à ces éléments, celui qui est diviseur de tous les autres. Il est unique à produit près par un inversible s'il existe (ce qui est toujours le cas si l'ensemble des aiest fini) : c'est le produit des facteurs irréductibles présents dans la décomposition d'au moins l'un des ai, affectés chacun d'un exposant égal au plus grand de ses ordres de multiplicité dans les ai.
Les aisont dits premiers entre eux, ou premiers entre eux dans leur ensemble, si leur plus grand diviseur commun est égal à 1. Ils sont dits premiers entre eux deux à deux si pour toute paire {i, j} d'indices, aiet ajsont premiers entre eux.
Ces définitions généralisent les notions de plus petit commun multiple et plus grand commun diviseur. Dans ce contexte, certaines des propriétés vraies sur un anneau principal s'appliquent encore, d'autres non. La relation d'ordre partiel utilisée ici (ou plus exactement : de préordre partiel) est la divisibilité : a est plus petit que b si c'est un diviseur de b. Elle se traduit en termes d'idéaux par l'ordre inverse de l'inclusion : a est plus petit que b si l'idéal engendré par acontient l'idéal engendré par b.
Soient a et b deux éléments non nuls de A.
Il existe un élément inversible u tel que
.
Si la famille (ai) est finie, il existe un élément inversible u tel que
.
Si la famille (ai) est finie et si les ai sont premiers entre eux deux à deux, il existe un élément inversible u tel que
.
Il existe un élément inversible u tel que
.
Le plus petit idéal principal contenant tous les ai est l'idéal engendré par le plus grand commun diviseur des ai.
En effet, un idéal principal dA contient un élément a si et seulement si d divise a. L'idéal engendré par le pgcd des ai contient donc l'idéal engendré par la famille, mais (voir supra) lorsque ce dernier n'est pas principal, l'inclusion est stricte.
Si les ai admettent un plus petit commun multiple, l'intersection des idéaux qu'ils engendrent est l'idéal principal engendré par ce plus petit commun multiple.
Si R désigne la relation d'équivalence d'association définie dans le paragraphe « Définitions » et A* l'ensemble des éléments non nuls de l'anneau, alors l'ensemble quotient A*/R des classes d'association, muni des opérateurs pgcd et ppcm, forme un treillis.
Lemme de Gauss — Si A est factoriel, le produit de deux polynômes primitifs de A[X] est primitif.
Dans l'article détaillé, on démontre ce théorème et l'on en déduit le corollaire suivant :
Corollaire — Soient A un anneau factoriel et K son corps des fractions. Les éléments premiers de A[X] sont :
les éléments premiers de A ;
les polynômes primitifs de A[X] irréductibles dans K[X].
Ce lemme et son corollaire vont permettre d'établir le théorème suivant :
Si A est factoriel alors pour tout entier naturel n, A[X1, …, Xn] est factoriel.
Démonstration
L'anneau A[X] est factoriel : Il suffit de vérifier que dans A[X], tout élément P non nul et non inversible est un produit d'éléments premiers. Utilisons sa décomposition dans l'anneau K[X], dont on sait qu'il est factoriel (et même euclidien). Soit P = P1 … Pmune décomposition de P en produit d'éléments irréductibles Pide K[X]. Pour chaque indice i, Pi peut s'écrire comme le produit d'un polynôme primitif Qi de A[X] par un élément non nul ci de K. Soient c le produit des ci et Q le produit des Qi. Alors, P = cQ et (d'après le lemme de Gauss) Q est primitif, donc c appartient à A. Si c est inversible, on peut le supposer égal à 1 (quitte à remplacer c par 1 et l'un des Qi par Qi/c). Si c n'est pas inversible, il est produit d'éléments premiers pj de A. On obtient ainsi une décomposition de P en produit des éventuels pj et des Qi qui, d'après le corollaire ci-dessus du lemme de Gauss, sont tous des éléments premiers de A[X].
Soit n un entier naturel, l'anneau A[X1, … , Xn] est factoriel : Cette proposition (immédiate pour n = 0 puisqu'il s'agit alors de l'anneau A) se déduit de la précédente par récurrence sur le nombre n d'indéterminées, en utilisant l'isomorphisme naturel d'anneaux entre A[X1, … , Xn – 1][Xn] et A[X1, … , Xn].
Réciproquement (d'après le corollaire ci-dessus) :
Si un anneau A est tel que A[X] soit factoriel, alors A est factoriel.
Notes et références
↑Par exemple, un anneau noethérien est atomique, mais n'est pas factoriel en général.
↑Cette caractérisation des anneaux principaux est énoncée dans l'exercice 6 du chapitre 2 de Daniel Perrin, Cours d'algèbre [détail des éditions], p. 61.
↑(en) Pete L. Clark, « Commutative algebra », sur alpha.math.uga.edu, , p. 283-285 et 290, en donne quatre preuves : la preuve classique par le lemme de Gauss présentée ici (voir infra), deux preuves par la caractérisation « condition de chaîne ascendante sur les idéaux principaux + lemme d'Euclide » (voir infra), et une par le critère de Nagata (voir infra).
↑Ce théorème s'étend à tout anneau de polynômes en une infinité d'indéterminées, en utilisant qu'un tel anneau est la réunion de ses sous-anneaux de polynômes en un nombre fini d'indéterminées : cf. N. Bourbaki, Algèbre commutative, chap. VII, § 3, exercice 2, ou Clark 2015, p. 285, Corollary 15.28.
(en) P. M. Cohn, « Unique Factorization Domains », Amer. Math. Month., vol. 80, no 1, , p. 1-18 (DOI10.2307/2319253) — Généralités sur la factorialité, incluant le cas des anneaux non commutatifs.
Guy Philippe, « Arithmétique factorielle », sur les.mathematiques.free.fr — Généralités sur la factorialité, avec un détour par les semi-groupes factoriels. Attention, G. Philippe emploie en permanence le mot « premiers » pour désigner les éléments irréductibles.