Abbaye de La Sauve-Majeure
L'abbaye de la Sauve-Majeure est un ancien monastère de l'ordre de Saint-Benoît (bénédictin) situé sur le territoire de la commune de La Sauve, dans le département de la Gironde en Aquitaine. Fondée en 1079 par le duc d'Aquitaine et Gérard de Corbie, elle abrite, à son apogée, quelque 300 moines. Ruinée et abandonnée à la fin du XVIIIe siècle, elle fait l’objet d’un classement au titre des monuments historiques par la liste de 1840. Cette première protection est confirmée par un arrêté publié au Journal officiel en 1914, puis par la protection de plusieurs terrains contenant les ruines. Cet ensemble fait l’objet d’un classement au titre des monuments historiques depuis le . Enfin, les terrains omis par les précédents arrêtés sont classés au titre des monuments historiques par arrêté du [1]. Par ailleurs, l'abbaye est classée en décembre 1998 au patrimoine mondial de l'UNESCO au titre des chemins de Saint-Jacques de Compostelle en France[2]. L'histoire de l'abbayeL'abbaye de la Sauve-Majeure est connue sous le nom de la Grande Sauve ou Sauve Majeure, sauve signifiant forêt, bois — du latin silva. Des débuts prospèresSur le lieu-dit d'Altus Villaris, à égale distance de la Garonne et de la Dordogne, l'abbé Gérard de Corbie[Notes 1] fonde Notre-Dame de la Grande Sauve en 1079. Son nom est issu du nom de la forêt occupant à l'époque l'Entre-deux-Mers (Inter duo Maria) : la Silva Major. L'abbé construit alors une première église abbatiale. Avec l'appui du duc Guillaume VIII d'Aquitaine (1023-1058-1086), avec le soutien du pape Grégoire VII (1015/1020-1073–1085) et grâce à de généreux donateurs et protecteurs parmi lesquels les rois de France et d'Angleterre, l'abbaye prospère rapidement. Elle se trouve sur la route de Compostelle et sert de point de départ régional pour le pèlerinage. L'abbé Gérard y est enterré à sa mort en 1095. Pierre Ier d'Amboise, élu septième abbé de cette abbaye en 1126, demande à Rome la canonisation pour l'abbé Gérard, mais il faut attendre 1197 pour que le pape Célestin III accède à sa demande. L'abbaye passe sous la tutelle des rois d'Angleterre à la suite du mariage d'Aliénor d'Aquitaine avec Henri II Plantagenêt en 1152. L'église actuelle est consacrée en 1231. La vie spirituelle de l'abbaye de la Sauve-Majeure s'organise tout au long du Moyen Âge suivant une lecture renouvelée de la règle de saint Benoît, à mi-chemin entre la tradition clunisienne et les innovations cisterciennes. Au Moyen Âge, l'abbaye est riche et puissante. Elle dispose de 51 prieurés[Notes 2], jusqu'à Burwell, en Angleterre. Aliénor d'Aquitaine aurait fait plusieurs séjours dans ce dernier, même si les sources demeurent peu précises sur le sujet. Au XIIIe siècle, les habitants du bourg monastique de La Sauve se révoltent à plusieurs reprises contre les moines. La richesse de la Sauve-Majeure suscite les convoitises des seigneurs locaux, des troupes capétiennes et de celles des Plantagenêts, notamment pendant la guerre de Cent Ans, qui oppose les royaumes de France et d'Angleterre de 1337 à 1453 pour l'appropriation de l'Aquitaine et du Poitou. En , Louis XI, roi de 1461 à 1483, confirme les droits, privilèges, franchises, libertés, etc., accordés à l'abbaye par ses prédécesseurs ou par les rois d'Angleterre (en tant que ducs de Guyenne)[Notes 3]. Après les ravages de la guerre, des réparations sont effectuées sur l'édifice au XVIe siècle, des fortifications sont apportées. Ces restaurations interviennent dans un climat de contestation des privilèges de l'abbaye et de rivalité économique avec la bastide de Créon. S'amorcent alors le déclin de l'abbaye et la perte de son influence. Le pèlerinage de CompostelleSaint-Jacques-de-Compostelle est un des trois grands pèlerinages de la chrétienté au Moyen Âge, avec ceux de Rome et de Jérusalem. Avant la traversée des Landes, l'abbaye est une halte providentielle où les pèlerins de Saint-Jacques trouvent soins, nourriture et repos. Après La Sauve, ils rejoignent Langoiran, traversent la Garonne au Tourne et retrouvent à Belin la voie de Tours. Liste des abbés
Source : Gallia Christiana Un déclin lentL'abbaye rejoint plus tard la congrégation des Exempts[Notes 4], et devient mauriste en 1667. En 1665, une tempête cause de gros dégâts aux toitures de l'église, aux dortoirs et au réfectoire. Le clocher s'écroule à la fin du XVIIIe siècle à la suite de ces dommages. De plus, en 1759, un tremblement de terre ébranle l'église. À la Révolution, les richesses de l'abbaye sont confisquées et dispersées. En 1793, les bâtiments sont utilisés comme prison. Les voûtes de l'église tombent en 1809. Elle est alors exploitée comme carrière pendant 40 ans pour construire les bâtiments du village de La Sauve. En 1837, l'archevêque achète les bâtiments conventuels et fait édifier un collège de jésuites. Celui-ci est plus tard transformé en école normale d'instituteurs. Mais, en 1910, un incendie détruit l'école, et le site est de nouveau abandonné. Entre 1914 et 1918, les bâtiments sont transformés en petit hôpital militaire de campagne. En 1960, le monument est récupéré par l'État. Le ministère des Affaires culturelles entreprend d'importants travaux de consolidation. Depuis l'ouverture au public, le site est géré par le Centre des monuments nationaux. L'abbaye en ruinesPendant sept siècles, l'abbatiale de la Sauve-Majeure est le plus beau joyau d'architecture de toute la Gironde. Jusqu'au début du XIXe siècle, après que l'Assemblée constituante de 1789 a chassé les moines, les bâtiments s'effondrent lentement mais sûrement. Le monument est légalement exploité comme carrière de matériaux et pierres de taille où s'approvisionnent entrepreneurs, chaufourniers et cantonniers de la région. Les antiquaires, en quête de belles pièces, enlèvent des sculptures, qui se trouvent actuellement dans des collections privées. La destruction est arrêtée en 1840, avec le classement de l'abbaye aux monuments historiques. En ce qui concerne les bâtiments claustraux, tout n'est plus que ruines. Il n'en reste encore debout que des substructions de la salle capitulaire et les deux pans de mur du réfectoire, qui date de 1295. L'ensemble monastique où vivaient une centaine de moines en 1231 (et plus de 300 à son apogée) a disparu. De la salle capitulaire, il ne reste qu'un espace délimité par des colonnes basses et un carrelage moderne. Le cloître, à l'ouest de la salle capitulaire, était fermé par quatre galeries couvertes entourant un jardin. Il ne subsiste que le plan. Le scriptorium se situait dans le prolongement sud de la salle capitulaire. Il était réservé aux moines copistes et enlumineurs. À l'étage, se trouvait le dortoir. Il subsiste quelques vestiges. Le réfectoire n'a gardé qu'un mur percé de baies gothiques du XIIIe siècle.
Pour l'église Notre-Dame de l'abbaye, la vague de vandalisme s'est arrêtée au sanctuaire. Quasiment toute la partie gothique de l'église a été détruite et c'est la partie la plus ancienne, l'église romane, qui a été partiellement épargnée. Les murs du croisillon nord, la totalité du chevet (hormis les voûtes de l'abside principale) et le bas-côté sud encadrant le clocher ont échappé au démantèlement.
Plan de l'égliseL'église est bâtie en forme de croix latine. Elle se compose d'une nef de cinq travées, flanquée de bas-côtés, d'un transept ouvrant sur le chœur et de chapelles latérales. Très peu d'éléments du portail subsistent. On peut avoir une idée de son importance à partir de gravures du XVIIe siècle, avant le démantèlement de l'église.
Dans la première travée de la nef, se trouvent un puits et une niche. Au XVIIe siècle, deux gros massifs de maçonnerie, dessinant une sorte de tambour d'entrée ovale, sont construits pour recevoir une tribune d'orgue. À divers endroits, enchâssés dans le mur, on trouve six des douze médaillons de consécration, posés en 1231.
Dans le collatéral sud, les voûtes sur croisées d'ogives des deuxième et troisième travées sont gothiques, du XIIIe siècle, comme la tour clocher à plan octogonal. La cinquième travée est dotée d'une voûte d'arête enduite, du XIIe siècle, de style roman.
L'abside date du début du XIIe siècle. Elle est la partie la plus ancienne de l'église. Elle comprend le chœur et les chapelles voisines, qui ont gardé leurs voûtes en berceau plein-cintre. Le chœur, illuminé par trois grandes baies, abritait le tombeau (aujourd'hui disparu) du fondateur, saint Gérard de Corbie. L'iconographie romane de l'église Notre-DameDans son état actuel l'église compte plus de 80 chapiteaux sculptés, répartis en autant de sujets ornementaux que de figures animées. Leurs descriptions sont données d'abord par l'extérieur, en partant de la façade occidentale, en contournant l'édifice par le nord, puis à l'intérieur, en suivant le même chemin. Finalement, les éléments du décor qui ne sont plus in situ (musée lapidaire de l'abbaye, autres musées et dans certains églises des environs) seront décrits. L'iconographie extérieureLa description des sculptures à l'extérieur de l'église, commence avec le portail de la façade occidentale, puis, successivement, le mur nord de la nef, le croisillon nord du transept, et finit par les deux absidioles nord, l'abside et les deux absidioles sud du chevet. La façade sud de l'église ne contient aucune sculpture romane.
La façade occidentaleRescapées de la destruction, les six sculptures romanes de la façade se rattachent, par leur style, à la première moitié du XIIe siècle, autour de 1150. Ébrasement du portail
L'observation des sculptures qui se trouvent aux emplacements nos 2, 3, 4, 5 et 6 peut se faire à partir du chemin, à l'extérieur du site, au nord de l'abbaye. Sculptures sur le contrefort nord-ouestL'encoignure des deux contreforts romans placés au nord et à l'ouest, est renforcée par quatre pilastres, en retrait l'un par rapport à l'autre, dont les angles des parties basses ont été abattus et creusés. Au sommet de chaque cannelure, a été sculpté un sujet animé : sur la première, un clerc corpulent au visage jovial, qui a joint ses mains vers son ventre tout en chantant à tue-tête — voir l'église de Saint-Quentin-de-Baron pour une sculpture semblable sur le cordon du chœur. —, sur la deuxième et la troisième, deux mammifères (des chiens ?) et sur le quatrième, très abîmé par l'érosion, un homme assis agitant un objet énigmatique.
Mur gouttereau nordEn 1850, M. Lacourrière[8] trouva le mur nord complètement effondré au niveau des travées II, III et IV ; seules, les parties basses des travées I et V tenaient encore debout. Le premier décor figuré se trouve sur le contrefort roman de la Ve travée, des lions bicorps. La fenêtre nord est décorée de deux chapiteaux sculptés. Dalles sculptées du contrefort romanDalle faîtière : Le contrefort consiste en un pilastre engagé et orné, juste sous la corniche, d'une frise formée de deux lions bicorps adossés au centre. On voit le corps oriental d'un premier bicorps, dont la tête unique occupe l'angle. Les deux autres corps se succèdent sur les deux autres faces, absolument identiques, d'un chapiteau de la double arcade nord du presbyterium. La crinière à rang de bouclettes (lions dits « achéménides »), la longue queue déployée en éventail au-dessus du dos, sont typiques de l'abbaye de la Sauve-Majeure et datent du premier édifice, probablement l'abbatiale primitive de 1080. Les héritiers de cette tradition des petits bas-reliefs sont des métopes, les panneaux sculptés entre les modillons d'une corniche, comme on peut observer aux églises de Saint-Martin-de-Sescas (fondée par les moines de La Sauve en 1108), Targon, Camiac, etc. Fenêtre nordChapiteau ouest : une corbeille végétale. Les pignes, disposées en quinconce sur trois rangs, sont suspendues aux mailles d'un filet de type dit « à torsion simple ». Le tailloir est orné de cinq cercles centrés sur une fleur rayonnante et qui, aux points de tangence, sont réunis à une tigelle verticale par une ligature commune. L'image du réticule de pignes est représentée plusieurs fois dans l'église. Chapiteau est : Diablotin et inverti. Au centre, assis sur ses fesses, un homme scrute l'horizon en esquissant une grimace. Ses bras sont cachés, on voit seulement ses épaules. L'homme présente le dos, mais sa tête est retournée de 180°. On voit les traces de ses mains qui écartent ses fesses pour exposer son anus. Il appartient à la typologie homo inversus, un symbole de l'homosexualité. Au-dessus du pécheur, se tient un diablotin bicorps (aussi un emblème de l'homosexualité), au faciès hideux, qui l'enveloppe et lui plante deux pattes griffues dans les genoux. L'homme inverti est une représentation fréquente sur des modillons, où il est parfois victime de la rétribution d'une flèche de centaure ou entouré par des êtres maléfiques comme ici. Pour plus de détails voir l'article : Iconographie des modillons romans. Croisillon nord du transeptLa baie nord-ouest est la seule parmi les cinq fenêtres du croisillon à avoir conservé un décor figuré, favorisée en cela par la stabilité du contrefort de l'angle nord. La baie nord-ouest
Les deux chapiteaux sont complémentaires. Il y a deux catégories de pécheurs : celui qui choit par accident dans le filet du Tentateur et cet autre qui pèche délibérément et vit constamment dans le péché. Une problématique quotidienne pour les confessionnaux. Les modillonsCes quatre modillons, à l'angle nord-ouest du croisillon nord du transept, sont presque invisibles à l’œil nu. Ils sont abrités par une tablette large et épaisse et soutenus par le contrefort d'angle. À l'extérieur, sur un gros modillon d'angle, un homme assis est englouti, la tête la première, dans la gueule d'un fauve. Cette composition a été reproduite sur bien des églises de la région. Le deuxième modillon est une tête simiesque à long cou et les deux derniers, couverts de lichens, semblent être des représentations végétales. Le chevetLes quatre absidioles, au parement dénudé, contrastent avec le décor raffiné de la grande abside. C'est autour de ce sanctuaire formant un écrin au tombeau de son fondateur saint Gérard, que l'abbaye avait engagé ses efforts en sculptures ornementales. Les chapiteaux et modillons de l'absideOn trouve trois fenêtres dans l'abside. Les tailloirs des six chapiteaux sont identiques, ils sont recouverts par une succession d'acanthes sèches. Fenêtre nord
Fenêtre axialeChapiteau sud : Sirène-oiseau bicorps. Sous l'angle du tailloir, se dresse la tête humaine d'un oiseau dont les deux corps, soudés au niveau du bréchet, remplissent tout l'espace de la corbeille. Sur chaque croupion, sont perchés deux oiseaux, tournés à contresens. Le visage est légèrement ahuri, les lèvres entrouvertes, la langue sortie. Le cou est volumineux, relié aux corps emplumés par une gorgerette dentelée. La sirène est semblable à celle située à l'intérieur, sur le chapiteau de l'arc du chœur, avec des centaures. Qui dit « sirène » dit « tentation » et sa présence, sur la fenêtre axiale de l'abside, qui est une localisation iconographique particulière, est une spécialité de l'Entre-deux-Mers. On trouve des sirènes à cet endroit à Lestiac, mais, habituellement, ce sont des sirènes-poissons. Ici, on a choisi la forme aviaire qui, usuellement, est majoritairement masculine et bicorps, et qui est le symbole de l'homosexualité : deux corps de même sexe, mus et unis par un même esprit. Chapiteau nord : Les acrobates/tireurs de barbe. La corbeille est à épannelage bifacial avec deux nervures médianes et deux paires de volutes-coquilles. On trouve un thème profane, centré sur un homme à genoux, accosté de deux jongleurs en équilibre sur un seul bras, tous trois se tenant mutuellement par les barbes ou les cheveux. Une composition similaire se trouve à Saint-Vincent-de-Pertignas. (Voir aussi les modillons conservés au Metropolitan Museum of Art de New-York, ci-dessous, pour des variations sur le même thème.) Le sujet principal, au centre, est un homme d'âge mûr. Il a retroussé sa tunique pour s'agenouiller, les jambes latéralement déjetées, les orteils préhensiles agrippant la moulure de la colonne. Sa tête est ornée d'une longue barbe dont les deux pointes sont respectivement empoignées par chacun des jongleurs. L'homme tient par leurs chevelures les jeunes qui lui font cortège, le dos cambré en arc de cercle et avec un seul appui au sol. L'explication fréquemment donnée pour ce genre de scène est celle d'un spectacle de saltimbanques qui accompagnaient les pèlerins sur la route de Compostelle. Ce thème ludique est illustré deux fois sur le chevet, là où était enclos le jardin privé du monastère (hortus monachorum), et s'adressait nécessairement plus à des moines qu'aux pèlerins. Le clergé, instruit des règles de l'iconographie monastique, en faisait une autre lecture : le sujet central, dans une posture indécente et avilissante (les genoux nus et les jambes écartées) et qui porte la barbe bifide des suppôts de Satan, est un homme exécrable. La chaîne capillaire qui le lie avec les jongleurs implique une commune damnation. Le binôme acrobate/sirène était un avertissement fort, en un point stratégique de l'église. Ainsi, les images ont une double fonction : amuser les ignorants (sous-entendu, les frères lais) et inviter les initiés (les clercs) à la réflexion morale. Fenêtre sud-est
Les chapiteaux de la cornicheLes sept chapiteaux qui soutiennent la corniche de l'abside ont tous une décoration végétale. Modillons de l'absideEn 1853, Léo Drouyn[10] estimait qu'avant le démantèlement de l'abbaye, il y avait aux moins deux cents modillons et plus d'une centaine de chapiteaux sculptés. En ce qui concerne les modillons, il en reste aujourd'hui, sur le chevet : 9 pour la grande absidiole nord, 11 pour la petite absidiole nord, 16 pour la grande absidiole sud et 11 pour la petite absidiole sud. Ailleurs sur l'église, on en trouve 4 sur le mur ouest et 2 sur le mur est du croisillon nord du transept. En dehors de l'église, quelques modillons sont conservés au musée lapidaire de La Sauve ainsi qu'au Musée d'Aquitaine à Bordeaux et au Metropolitan Museum of Art de New-York[11]. L'influence de l'art modillonnaire de l'atelier de La Sauve se mesure à la multitude d'églises périphériques qui, pour leurs propres modillons, se sont inspirées de ses modèles. Les modillons romans n'étaient pas purement ornementaux, comme les culots gothiques. Très souvent, il y avait un message à transmettre en utilisant une série de modillons consécutifs, de véritables « serments en pierre ». Ces thèmes, contre la luxure, l'avarice et d'autres péchés capitaux, ont connu un rayonnement très important autour de l'abbaye. Ci-dessous, une sélection de modillons qui sont présents actuellement sur le chevet. L'iconographie intérieureLa description des sculptures qui se trouvent à l'intérieur de l'église commence au portail occidental et, dans le sens des aiguilles d'une montre, suit : le mur nord de la nef, le croisillon nord du transept, les absidioles au nord, l'abside principale, les absidioles au sud, la chapelle Saint-Jean et les travées sud de la nef.
Le côté nord de la nefLes quatre premières travées au nord de la nef sont en ruine. On n'y trouve aucun décor sculpté. Seuls, sur la cinquième travée, subsistent deux chapiteaux :
Chapiteaux de la cinquième travée Cette cinquième travée présente, côté ouest, un chapiteau à décor végétal, très érodé, et, côté est, un chapiteau avec des lions bicorporés et androcéphales. Le deuxième chapiteau est dans un bon état de conservation. Le tailloir est décoré de palmettes dressées, à 8 folioles crossées, qui alternent avec des demi-palmettes couchées le long du tailloir directeur à rinceaux. Les deux couples de bêtes sont des classiques bicorporés, à crinière bouclée et à queue rentrée, érigée en panache. Les têtes ont une face plate et androïde. Les pupilles de ces créatures, disposées à 90° l'une de l'autre, sont creusées au trépan. Les pattes sont dépourvues des bracelets que l'on trouve aux pattes des êtres maléfiques de l'abbaye et ces monstres reposent sur le sol uniquement sur les pointes de leurs griffes. Le transeptLe croisillon sud du transept a disparu. Seules subsistent quelques sculptures dans le croisillon nord : des chapiteaux de deux fenêtres, un chapiteau à double couronne d'acanthe, deux modillons romans, deux culots gothiques à tête humaine, un petit relief, à gauche de l'arc de la fenêtre nord du transept, d'un homme qui semble tenir une « étoile » et, sur deux des piles de la croisée, deux culots romans. Fenêtre nord-ouest : Quatre loups et Hybride bicorps
Sur la corbeille, pas de volutes mais deux nervures médianes, dont l'une est timbrée d'une croix de Malte. Cette corbeille est probablement une pique bénédictine à destination des Hospitaliers de Saint-Jean, dont la nature néfaste du bicorporé (symbole de l'homosexualité, tenant le fruit défendu, etc.) correspondait aux prétendues mœurs des membres de l'Ordre. Mur ouest, fenêtre centrale : Poursuite entre deux lions et chapiteau végétal Le tailloir des deux chapiteaux est à rinceaux feuillus ajourés.
Le lion d'église est toujours, sous une forme ou une autre, Satan. Une prétendue soumission n'est peut-être qu'une duperie. Ces trois derniers chapiteaux historiés (emplacements 12 et 13), d'inspiration populaire, sont probablement dirigés contre les gardiens de la morale qui succombent à l'empire des sens dans l'exercice de leur apostolat. À dénoncer par le rire ce que le sermon condamne par la parole. Culots et bas-relief gothiques, modillons, chapiteau et culots romans Les sculptures figurées y sont nombreuses, mais toutes sont situées à une hauteur qui en rend la lecture difficile. On trouve :
Les culots romans de la croisée Deux énormes culots rectangulaires se trouvent sur les piles nord-est et sud-ouest de la croisée : sur l'un, deux hommes et un bouc et, sur l'autre, homme, chien et lièvre. Ces culots sont des curiosités architecturales, car ils ne soutenaient rien ; leur raison d'être était purement esthétique. * Culot nord-est (no 18) : La facture de ce culot est surprenante par sa minutie, pour une sculpture placée très haut et peu visible. On voit deux hommes, adossés au même mur et assis côte à côte, la tête tournée vers le ciel. La banquette qu'ils partagent est formée de plusieurs éléments : un dossier aplati, qui monte au niveau de la nuque ; un siège relevé vers l'avant, garni d'un carreau rembourré visible sous le séant du petit homme ; un escabeau contigu servant de repose-pieds aux bottines pointues de chacun ; une épaisse parclose séparant le « maître » et son « valet ». Le bouc n'est pas porté sur les épaules du « maître », mais allongé sur le dossier de la banquette, où il va servir de trait d'union entre les deux hommes. Le jeune homme a saisi l'une des cornes du bouc, agissant comme tous les luxurieux de l'imagerie médiévale. L'adulte, en levant ses bras, a saisi deux pattes du bouc. Un serpent, sorti du sol, ondule vers le bas-ventre de l'homme et vient confirmer les intentions coupables du couple. * Culot sud-ouest (no 19): Ce culot est très abîmé par l'érosion. On peut deviner, dans l'angle gauche un lièvre couché, acculé par un homme brandissant un bâton ainsi que par un chien. Le chevetPour l'abside et les quatre absidioles, on dénombre une trentaine de chapiteaux sculptés, dont 17 sont figurés.
Chapiteaux de la petite absidiole nord
Chapiteaux de la grande absidiole nordLa grande absidiole nord contient quatre chapiteaux historiés. Au nord, une chapiteau avec la chute d'Adam et d'Ève et un chapiteau avec deux sirène-poissons. Au sud, un chapiteau avec un homme dévoré par deux lions et, pour finir, un chapiteau avec trois hommes ligaturés à leurs propres corps. Chapiteau nord (no 22) : La « Chute »
Ce thème, d'origine carolingienne, est très rare dans l'art roman. Peut-être l'imagier a-t-il été inspiré par une illustration d'une bible pré-romane, comme la première Bible de Charles le Chauve, la Bible d'Alcuin ou celle de Moutier-Grandval ? Chapiteau sud (no 23) : Acrobate et lions Sur le tailloir de ce chapiteau, court une succession de volutes affrontées deux à deux et de palmettes asymétriques ligaturées à la base. Cette bordure se prolonge sur le plat du pilier. Au centre de la face principale se tient un acrobate, la tête en bas, dont les jambes pliées sont engoulées par deux lions qui l’encadrent. Ses deux mains tiennent les pattes des lions : Chaque félin est montré de profil, à l'arrêt, avec un corps massif et une belle tête où flotte la crinière avec quatre rangs de bouclettes. La pupille creuse des yeux en amande semble avoir été sertie d'une pierre colorée. La queue est rentrée, puis remonte sur le flanc pour arborer un fleuron bagué. Les pattes sont armées de griffes énormes refermées sur un fruit sphérique. Il est à noter que, dans la grande absidiole sud, le sculpteur qui a fait le chapiteau de Daniel entre deux lions, s'est simplement contenté de changer le personnage central.[réf. nécessaire] Quant à l'homme culbuté, aux jambes dévorées, il a les mêmes traits qu'Adam, son vis-à-vis. Son visage est impassible. Il ne s'agit pas d'une victime terrifiée, mais d'un acrobate volontaire, qui ne cherche pas à s'écarter des pattes des lions, mais au contraire, à s'en rapprocher. L'acrobate incarne symboliquement ces pécheurs qui croient ressortir sans dommage moral de la gueule des lions. Il n'a rien à voir avec « le dénonciateur de Daniel jeté à la fosse », comme certains guides l'affirment[9]. On trouve exactement le même thème à l'extérieur de l'église, sur un chapiteau de la fenêtre ouest du croisillon nord de transept. Chapiteau nord (no 24) : Deux sirènes-poissons Le tailloir de ce chapiteau porte un décor d'acanthes. La composition de la corbeille est symétrique, comme les trois autres compositions de l'absidiole. Sur la face principale de la corbeille, se trouvent deux sirènes, les traditionnelles tentatrices charnelles pour les hommes. Leurs corps de poissons sont énormes par rapport au buste. Ils ont un point de tangence au centre et contournent les deux faces latérales de la corbeille. Les bustes, qui ont forme humaine, s'arrêtent au-dessous du nombril par une cordelière aplatie, marquant l'interface entre les parties animale et humaine de l'hybride. Chacune exhibe, sous le dé central, une ramille verticale à feuilles pendantes et, sur les côtés, à l'horizontale, une autre tige qui présente une fleuron trifurque et une fronde de folioles enroulées en volute. Un jeu de mots en latin, reliant « tige » et « pénis » par l'homonymie caulis était souvent utilisé dans l'iconographie monastique. Les tiges végétales, en divers états de raideur entre les mains des sirènes, s'adressaient beaucoup à l'imagination. Le parallèle entre l'éphémère de la fleur qui meurt vite et le paroxysme vénérien, supposé coupable et qui condamne son auteur à une mort éternelle, était riche de sens. Dans certaines églises, les sirènes, en plus des tiges, tenaient aussi le fruit défendu, par exemple à la chapelle funéraire de Chambon-sur-Lac en Auvergne. Chapiteau sud (no 25) : Deux hommes enchaînés à leur propre corps Le tailloir de ce chapiteau à trois faces est habillé d'un bandeau d'acanthe en faible relief. La composition de la corbeille est symétrique, à quelques petits détails près. À chaque angle de la corbeille, se trouve un jeune homme nu, agenouillé, qui se tient les pieds avec les mains. Les corps lisses des deux éphèbes sont discrètement dissimulés par des lianes de feuilles. Les hommes sont emprisonnés, au sens symbolique, par une liane unique qui leur enveloppe tête, cou, ventre, sexe, jambes et bras. Cette liane commune passe d'un homme à l'autre, au niveau d'un anneau feuillé, scellé au haut du poteau central. On remarque également, le long de cette liane, des ligatures en « V », qui émettent par trois fois un double faisceau de feuilles, au-dessus du front puis aux deux coudes. L'emprise du bourgeonnement végétal aux points névralgiques a valeur de symbole, attirant l'attention sur le fait que la pensée et l'action sont les prisonniers de la « Nature », c'est-à-dire des instincts ou passions. Ces deux hommes rejoignent leur confrère, nu, lié et ithyphallique qui se trouve sur un modillon de la grande absidiole nord, comme des « pécheurs contre la chair ». La culpabilisation morale des personnages est appuyée par l'analogie de position des lianes avec celles du monde carcéral médiéval : la bride jugulaire et le carcan ; la triple entrave des deux pieds et de l'abdomen est un souvenir du compes (ou fers) hérité de la Rome antique. Dans certains guides, il est affirmé, sans doute à cause de la proximité des sirènes, que ce chapiteau représente Ulysse, attaché au mât de son navire en train d'entendre le chant des sirènes. Cette « explication » ignore qu'il y a deux hommes, qu'ils sont jeunes et non pas d'âge mûr, qu'ils sont ligotés avec une liane et non pas des cordages, qu'ils sont nus et à genoux et que la représentation, connue comme Homo in compedibus corporis (ou in vinculis), « l'homme dans les liens du corps », était assez fréquente dans l'art roman. Ici, il y en a deux exemplaires : ce chapiteau et un modillon de la grande absidiole nord, où, qui plus est, l'homme est ithyphallique ! Chapiteaux du presbyterium et de son absideL'ancien sanctuaire communiquait avec les grandes absidioles, au nord et au sud, par deux triples arcades, ouvertes dans sa travée droite. Chacune comprend une porte de communication et une double baie dont les voussures retombent sur une colonne centrale courte, de grand diamètre, et latéralement sur les chapiteaux de deux colonnes engagées. Un décor roman de très haute qualité orne ces six chapiteaux. Au deuxième niveau de l'abside, on trouve les sculptures des fenêtres. À l'entrée de l'abside, les colonnes de l'arc du chœur portent des chapiteaux sculptés. Chapiteaux de la triple arcade nordLes trois chapiteaux sculptés de cette arcade sont : une paire de lions bicorporés ; le chapiteau monumental avec quatre scénarios d'affrontements, sur le thème de la tentation ; un décor végétal pour le dernier. Chapiteau nord 3 (no 26) : Paire de lions bicorporés Aux deux angles du tailloir, deux protomés recrachent un rinceau ondé, émettant des palmettes alternativement dressées et abaissées — On trouve la même décoration sur le tailloir au-dessus du « Cycle de Samson » de la grande absidiole sud —. En ce qui concerne la corbeille, le même schéma de base de la disposition symétrique des quatre corps de lion a été utilisé à trois autres reprises dans l'abbaye : à la fenêtre nord de la nef, à l'intérieur de la nef (cinquième travée nord) et dans la chapelle Saint-Jean. Les lions de cette arcade font partie des embellissements dus à Geoffroy de Laon, quatrième abbé (1106 à 1119). Les deux lions bicorporés, androcéphales sont adossés au niveau du pilier médian de la face principale. En haut et en bas du pilier, on trouve deux boutonnières végétales garnies de feuilles et traversées par deux lianes émises par les gueules des lions. Les corps des lions sont conformes au style de l'abbaye : des pattes manchonnées, des griffes qui renferment un fruit sphérique, une crinière à plusieurs rangs de bouclettes, une queue rentrée entre les cuisses qui se redresse et termine en fleuron. Les lianes des faces latérales s'épanouissent à leur tour en fleuron identique à celui des quatre queues. Sur le plan allégorique, ces monstres, avides de fruits ronds (fruit de la Tentation) et de sensualité (les quatre queues en érection) sont une continuation du chapiteau voisin des jeunes hommes nus, emprisonnés par leurs passions. L'image des bicorporés doubles de lions (qui représentent le Diable) est une mise en garde contre le péché et l'allusion homosexuelle, qui était l'un des grands poncifs de l'époque. Chapiteau nord 2 (no 27) : Affrontements entre animaux fabuleux Ce chapiteau est le plus célèbre de l'abbaye. Les quatre côtés de la corbeille sont sculptés. Les affrontements sont mis en place à chacun des angles de la corbeille. On trouve : un combat entre un homme et un lion ; deux griffons affrontés au 'Vase de Vie' ; un centaure exécutant un autre centaure et deux basilics bec-à-bec, enjambant des dragons. Comme il n'y a pas de référence liturgique, certains guides affirment que le chapiteau n'est que décoratif : le chapiteau résumerait les combats fabuleux des bestiaires et l'on parle de « Combats entre animaux fabuleux ». Cependant, il ne faut pas oublier que le presbyterium est l'endroit le plus sacré de l'église ; ce chapiteau monumental a dû coûter une fortune et toute l'iconographie de la partie nord de l'église — et ce chapiteau en fait partie — est consacrée à « La Tentation » tandis que la partie sud est consacrée aux exemples du dévouement envers Dieu : Abraham, Daniel, Samson et saint Jean-Baptiste. Il est impensable que l'iconographie de ce chapiteau ne se situe pas dans la continuité des thèmes mettant en garde le clergé contre la tentation. En ce qui concerne les soi-disant « combats », le seul « combat » est entre un homme et un lion ; les griffons ne se disputent pas, ils boivent au même calice ; les basilics et les dragons ne combattent pas et les deux centaures ne combattent pas, l'un, armé d'un arc et flèche, exécute l'autre, qui n'est pas armé. Le sens à donner à ces scènes est assez limpide, si l'on suit les interprétations médiévales « classiques ». Aux quatre coins du tailloir on trouve un protomé de fauve qui crache des rinceaux. Le décor de base est une liane sinusoïdale émettant une paire de palmettes asymétriques affrontées, alternativement dressées et baissées.
Le combat de l'homme et du lion (qui représente toujours le Diable) est le combat de l'homme contre son animalité.
L'image chrétienne de deux griffons affrontés au « Calice » ou à l'Arbre de Vie est positive. Ils sont les gardiens du Paradis, chargés d'empêcher quiconque d'approcher de l'Arbre de Vie et qu'ils sont les seuls à pouvoir consommer. Peu à peu l'iconographie romane avait substitué le « Calice » à la « Fontaine » et la « Pigne » au « Fruit de Vie », de sorte que cette sculpture est une figuration du « Calice Eucharistique », dont les griffons assurent symboliquement la surveillance. Cette image d’immortalité était couramment exposée dans le sanctuaire des églises romanes, à proximité de l'autel majeur, lieu du mystère eucharistique que le clergé renouvelait chaque jour.
La séquence des centaures est aujourd'hui très dégradée, un seul des deux centaures est partiellement conservé, le second a laissé l'empreinte de son corps et le geste de sagittaire retourné. On trouve une réplique de cette sculpture dans l'église de Saint-Quentin-de-Baron. L'action se résume à une exécution. Le premier centaure vient de se retourner sur son poursuivant pour lui décocher une flèche mortelle en plein front. les guides qui décrivent la séquence comme : « Centaures combattant à coup de flèches » oublient qu'il n'y a qu'un seul centaure armé. Une interprétation plus juste s'appuie sur les détails qui figurent réellement sur la sculpture. Sculpté sur le cartouche central de la face de la corbeille qui donne sur le sanctuaire, se trouve un arbre asymétrique, enraciné en partie au paradis avec les griffons, mais dont toutes les grandes feuilles ont été rabattues au pays des centaures, c'est-à-dire la Terre des Hommes. L'arbre, sur la frontière entre Terre et Paradis donne, par la dissymétrie de la frondaison, une expression allégorique de la révélation du Bien et du Mal. Le concept patristique de la « double voie »[Notes 7] : « Il y a deux chemins : celui de la vie et celui de la mort, mais il y a une grande différence entre les deux, celui de la vie est étroit et difficile, celui qui mène aux Enfers est large et facile ». La représentation de ces chemins par les branches de la lettre grecque upsilon, Υ, ou par les branches d'un arbre (l'arbre de Pythagore) a été utilisée à maintes reprises dans l’iconographie médiévale. Ici, les branches sont représentées par des feuilles de dimensions radicalement différentes. Ainsi, les deux petites feuilles étiques recourbées à droite vers l’Éden, symbolisent les voies étroites et difficiles qui mènent vers la Vie. Les larges et luxuriantes feuilles qui se recourbent vers le sol terrestre symbolisent les routes du péché qui mènent facilement aux Enfers. On peut encore percevoir la tête d'un serpent glissée entre les feuilles qui heurte la queue du centaure condamné. La signification des centaures à l'époque romane était très codifiée[12] : le type sagittaire (avec arc bandé), queue droite et pendante, était le centaure de Dieu qui était chargé d'exterminer les créatures pécheresses ou démoniaques ; sa cible, ici, l'autre centaure représentant le péché mortel, avec sa queue sexualisée et fleuronnée affichant la virilité. Le centaure qui bande son arc est Chiron le bienfaiteur de l'Humanité selon les Grecs. Il personnifie la rigueur morale et est l'exterminateur attitré des êtres maléfiques dans l'iconographie romane. On le trouve sur des chapiteaux des sanctuaires, des portails et des modillons, toujours visant avec son arc le pécheur.
La dernière composition est parfaitement symétrique, on trouve deux basilics — à ne pas confondre avec la cocatrix, un être « inventé » au XIVe siècle — qui sont affrontés à l'angle de la corbeille. Les queues, couvertes d'écailles, sont dressées au-dessus des dos. Entre leurs pattes, se trouve un couple de dragons serpentiformes qui sont entrelacés. Les quatre animaux tiennent entre leurs griffes des fruits ronds. Individuellement, le basilic est un animal maléfique qui tue « par un seul regard ». Les paires de basilics que l'on trouve affrontés à un arbre de vie ou au calice eucharistique ont une signification plus restrictive, surtout quand on les trouve souvent associés à des serpents/dragons (églises de Baron, Saint-Pierre-de-Bat, Saint-Sulpice-et-Cameyrac, etc.). Les serpents, symboles de la luxure, associés à deux mâles se frottant les becs comme des oiseaux au printemps, est une stigmatisation des amours masculines. La place d'honneur dans l'église réservée à ses rappels indique le souci du risque amoureux ; l'entrée dans les ordres n’éteignait pas les passions physiques. En résumé, l'iconographie de la partie nord du chevet est placée sous l'emprise de Satan. On trouve six thèmes qui ont pour objet les tentations qu'il inflige aux hommes. Seul, le dernier chapiteau figuré suggère aux fidèles de lutter contre elles, par l'exercice personnel (homme combattant le lion) ou par la raison (Chiron tuant le centaure pécheur), pour que l'âme puisse accéder à « l’immortalité du Paradis » où les griffons l'attendent. Chapiteaux de l'arcade sudL'arcade sud est de structure identique à celle de l'arcade nord : une énorme colonne centrale et deux colonnes latérales adossées. Le chapiteau oriental (sud 3) est le seul à être figuré, les deux autres ont une décoration végétale. Chapiteau sud 3 (no 29) : Les trois tentations de Jésus par Satan. La corbeille est très abîmée, non pas par l'érosion, mais par la malveillance, puisque les trois visages de Jésus ont été martelés. Sans doute à l'époque révolutionnaire où beaucoup de sculptures dans les églises ont été vandalisées. Le tailloir est en parfait état : une suite de palmettes dressées, ligaturées à leur base par un double V, exactement comme le tailloir de l'acrobate et les lions de la grande absidiole nord. La lecture du chapiteau s'effectue de gauche à droite, dans l'ordre adopté dans l’évangile selon Luc, chapitre IV, versets 1 à 13.
Ce chapiteau est d'une importance capitale, car c'est la fermeture du cycle iconographique du nord du chevet, qui est placé sous le signe de la tentation dans toutes ses formes. Inauguré par le serpent en Paradis (absidiole nord) et clôturé par Jésus réfutant Satan dans le désert de Judée. Toute l'iconographie du chevet est d'une exceptionnelle cohérence. La corbeille centrale (no 30) : Pignes disposées en quinconce Les quatre faces de la corbeille sont tapissées d'un filet végétal dont les larges mailles ont en leur centre une pigne, pointe en bas. Toutes les pignes (on en compte 39) représentent le « Fruit de Vie » ; ici, où les moines célébraient sur l'autel le mystère eucharistique, elles trouvent leur place. Le chapiteau occidental (no 30) : Composition végétale Le tailloir est identique au précédent. La corbeille superpose trois couronnes d'acanthe détachées les unes des autres, tandis que, sur les dés médians, se dresse une tige cannelée terminée par une inflorescence en cône. Les sculptures des parties hautes de l'absideLa partie haute de l'abside est composée de deux niveaux. Au premier niveau :
Au deuxième niveau :
Les baies de l'absideLa seule des trois baies à posséder encore des colonnes, avec décor à chevrons et chapiteaux sculptés, est la baie axiale. Les tailloirs des baies sont composés d'une succession d'acanthes sèches, se poursuivant en bandeau autour du cul-de-four. La baie axiale (no 31) Sur chacune des corbeilles, on voit la mise à mort des dragons par un ange. Symboliquement, c'est la victoire du Bien sur le Mal. L'emplacement donne la vision de l'extermination des forces du Mal à la lumière du soleil levant, un signe d'espérance pour les fidèles. L'érosion fait son œuvre : la tête de l'archange, que Léo Drouyn dessinait en 1851, n'est plus et d'autres détails ont également disparu.
Les anneaux du dragon se déploient sur toute la corbeille. Sur une face, l'archange au cœur de l'action et, sur l'autre, la gueule du monstre empalée par le fer d'une longue pique (dont la hampe a disparu). L'ange, porté par ses grandes ailes, se démène tellement que sa tunique, soulevée par l'action, vole dans le feu de l'action. Le haut de son corps est très dégradé : la tête et les mains n'existent plus. Le bras droit s’élève, sans doute pour tenir la hampe de la pique ; le bras gauche s'élève également et semble tenir un objet très érodé. Il est possible que cet ustensile ait été une balance à fléau pour la pesée de l'âme, qui est l'attribut de l'archange Michel. Le chœurL'arc entre nef et chœur et entre chœur et abside (Emplacements nos 32 et 33) Le seul chapiteau historié est celui du nord, entre la nef et le chœur, où l'on trouve des centaures et des sirènes-oiseaux. Les trois autres chapiteaux portent un décor végétal d'acanthes. Sirènes-oiseaux et centaures Le tailloir à frise d'acanthe, son épannelage à six coquilles d'angle et à trois nervures médianes est classique. La corbeille, parfaitement symétrique, comporte quatre sujets. Au milieu de la face principale sont perchées deux sirènes androcéphales, en position affrontée. Leurs visages regardent dans la même direction. Elles n'entendent pas les deux centaures qui arrivent derrière elles, les bras tendus pour tirer un projectile sphérique sur les deux sirènes. Les centaures ont valeur de justicier, confirmé par le port de la queue droite. Ils sont semblables au grand centaure sagittaire sur le grand chapiteau de l'arcade triple nord du chœur. S'ils incarnent le bien, leurs victimes ne peuvent être que mauvaises. Les deux coupables expriment le bonheur et la sérénité, ignorants de l'immanence du malheur qui les menace. Peut-être un rappel de l’Évangile selon Matthieu, chapitre XXIV, verset 36 : « Veillez... car nul ne connait, ni le jour, ni l'heure... »
Chapiteaux des baies latérales du chœur On trouve deux baies latérales au mur nord du chœur ; elles sont complètes. Au sud, il existait également deux baies, mais, aujourd'hui il ne reste seulement que la colonne et le chapiteau oriental de la baie est. Les tailloirs-impostes des chapiteaux sont uniformément tapissés par des acanthes sèches, propre à l'abbaye.
Première fenêtre mur latéral nord du chœur (no 34) Le chapiteau occidental de la baie comporte une décoration d'acanthes. Sur la corbeille du chapiteau oriental se trouve un unique sujet sculpté. On reconnait le corps d'un oiseau, perché à l'angle et qui couvre tout l'espace disponible de ses ailes ouvertes. Sa tête a été arrachée. Son plumage est pareil à celui des oiseaux-sirènes sur le chapiteau nord de l'arc du chœur : l'aile coupée par une moulure qui sépare les longues rémiges du groupe des tectrices disposées autour d'un bouclier à cercles concentriques. De quelle créature s'agit-il ? De véritables oiseaux sont inexistants dans l'abbaye et la proximité du groupe des sirènes-oiseaux et centaures peut laisser supposer que cette créature est aussi une sirène-oiseau. Deuxième fenêtre mur latérale nord du chœur (no 35) Sur le chapiteau occidental se trouvent deux lions mâles, qui s'affrontent en rugissant, sous la double volute de l'angle. les corps sont vus de profil et sont détaillés : griffes, dentures, queues rentrées empanachées, etc. Les crinières sont insolites, elles ressemblent à des capelines à plis plats. Le sujet peut parait banal, mais il est impliqué dans un programme iconographique moralisateur qui concerne toute la partie nord de l'église. Pour la morale religieuse, les luttes entre mâles outragés sont l'expression de la vanité et de l'orgueil. L'orgueil est sur la liste des péchés capitaux qui mènent aux enfers. Sur le chapiteau oriental se trouve un lion bicorporé. Ses deux corps remplissent les deux faces de la corbeille. Ils sont unifiés, sous l'angle du tailloir par une tête unique ouvrant une gueule menaçante. Sa crinière est sauvage et à poils drus. Symboliquement le lion bicorporé représente la fusion intime de deux corps masculins complémentaires mais étrangers. La juxtaposition de ces deux couples de lions est une paraphrase animalière qui résume symboliquement les deux sentiments contrastés de la haine (les mâles se défiant) et de l'amour interdit entre mâles. Deuxième fenêtre mur latéral sud du chœur (no 36) Sur le seul chapiteau du mur latéral du chœur, se trouvent les bustes de trois hommes barbus. Ils sont serrés l'un contre l'autre au niveau des épaules ; les bustes nus émergent d'une collerette d'acanthe, qui cache le bas des corps. L'homme situé à l'angle pourrait être le meneur du trio. Il porte une barbe bifide, comme le comparse placé à sa droite. Chacune des têtes est différente. Tous les trois ont un beau visage, de grands yeux en amande à pupille creusée et une énigmatique expression d'indifférence. Ils sont de mauvaises fréquentations, comme tous les porteurs de barbe bifide. Ils sont des exemples à ne pas suivre. On peut noter que parmi les dix chapiteaux historiés de la partie haute de l'abside, huit parlent du péché et seulement deux font allusion à l'intercession des anges pour accéder à la rédemption. Chapiteaux de la grande absidiole sudEn 1662, cette chapelle, placée sous le patronage de saint Nicolas, était dans un très mauvais état et il fallut la re-voûter[13]. Il est probable que, lors de cette restauration, le chapiteau de Daniel entre deux lions ait été modifié. Rien ne porte à croire que l'ordonnance initiale des quatre chapiteaux romans ait été modifiée. On trouve quatre chapiteaux sculptés dans l'absidiole : deux chapiteaux à décor végétal sur des colonnes à l'entrée du « cul-de-four » et deux chapiteaux historiés à l'entrée de l'absidiole. Chapiteaux sur le croisillon sud du transept Le décor des deux tailloirs est commun aux deux chapiteaux. Il consiste en un rinceau sinusoïdal, que les masques de loups, placés aux angles, ont recraché. Cette liane a pour rythme l'émission d'une palmette à cinq folioles au niveau de chaque ondulation. Chapiteau Nord : Daniel dans la fosse, entre deux lions (no 37) Le tailloir est semblable à celui du chapiteau consacré au cycle de Samson, selon Bougoux[5], il est possible qu'il ait été refait à l'identique au cours du re-voûtement de l'absidiole au XVIIe siècle, comme nous verrons ci-dessous, une partie de la corbeille a probablement été refaite. Il existait dans l'église Notre-Dame au moins deux chapiteaux sur le thème de Daniel dans la fosse aux lions. Le premier des deux[Notes 8], plus ancien et maintenant utilisé comme bénitier dans l'église Saint-Pierre de La Sauve, traite de la version courte (Livre de Daniel, chapitre VI, verset 2[Notes 9]). Celui-ci est donc le second et il relate la version longue (Livre de Daniel, chapitre XIV, versets 22-42[Notes 10]). Le plan de composition est identique pour les deux : les têtes des lions sont sous les volutes et celle de Daniel au centre. C'est au niveau artistique qu'ils diffèrent. Le premier est naïf et un peu malhabile, le second est par contre un chef-d’œuvre. Daniel est assis entre deux lions immobiles et, à l'arrière plan, une feuille d'acanthe plaquée sur le cartouche remplace le nimbe du prototype. Le prophète porte toujours sa tunique côtelée, des souliers pointus, et ses pieds sont posés sur un escabeau. Le torse et la tête sont inclinés à droite, le menton reposant sur le poignet. Son visage exprime l'impassibilité et la profondeur de la prière au milieu des lions que son Dieu a neutralisés. Les lions sont superbes et, comme dans la grande absidiole nord, leurs pupilles sont incrustées d'une pierre bleue. cependant, il y a des différences de style et de détail entre les deux lions, ce qui amène des spécialistes en iconographie[5] à suggérer que la corbeille était très abîmée au XVIIe siècle : lors du re-voûtement, en 1662, la partie de la corbeille à la droite de Daniel a été refaite ; le lion, qui est plus grand que l'autre, est cependant un très beau fac-similé. La figure de Habacuc, le petit prophète, qui figure dans le récit biblique de Daniel, a été éliminée. Il est à noter que Habacuc est représenté sur le chapiteau de Daniel dans la fosse de l'église Saint-Quentin de Saint-Quentin-de-Baron, qui est une copie de celui de La Sauve. Chapiteau Sud : Cycle de Samson (no 38)
Le sculpteur a réussi à raconter l'histoire sur la petite face est de la corbeille. Dalila est assise dans l'angle du mur, la tête voilée de la guimpe des femmes mariées. Elle fait de son bras droit posé sur ses genoux un coussin pour la tête de Samson. L'autre main passe à la servante les ciseaux de tonte, destinées à raser la tête de Samson. La servante, également voilée, pointe un doigt de sa main droite vers les poignets de Samson, pour indiquer qu'ils sont ligotés. Aujourd'hui, la tête de la servante est mutilée, mais elle était complète en 1845 quand Léo Drouyn l'a dessinée. Quant à Samson, il est désormais barbu, comme un prophète biblique. Chapiteaux de l'arc de séparation avec l'absidiole (no 39) Les deux chapiteaux qui soutiennent l'arc de séparation du cul-de-four comportent un simple décor végétal : couronnes de feuilles d'acanthe au sud et au nord, cinq pignes suspendues aux mailles d'un filet de lianes, comme ailleurs dans l'église (le chapiteau monumental de l'arcade sud du presbyterium et le chapiteau ouest de la baie du mur nord de la nef). Chapiteaux de la petite absidiole sudQuand l'arc d'entrée de cette absidiole (no 40) fut démuré en 1956, ces deux chapiteaux à décor végétal furent rendus visibles. Le murage était postérieur au XVIIe siècle, puisque, sur le plan de Dom Dulaura[13] de 1676, l'arc de cette « chapelle Saint-Benoît » était bien ouvert.
Le sud de la nefTravée V : La chapelle Saint-Jean
Chapiteau ouest, arcade sur la nef : Sacrifice d'Abraham (no 41)
Chapiteau est, arcade sur la nef : Ouroboros enlacés (no 42)
Chapiteau ouest du mur sud : Fauves (no 43)
Arcade sur le transept, Chapiteau nord : Décollation de saint Jean-Baptiste (no 44) Ce chapiteau, le fleuron de la chapelle Saint-Jean, est sans conteste le plus célèbre exemple de « l'art de La Sauve ». Houlet et Sarradet[9] ont évoqué la personnalité d'un « Maître de La Sauve », celui dont l'art a marqué toute l'église du début du XIIe siècle, mais qui est resté anonyme. Le tailloir est marqué aux angles par deux masques, recrachant un entrelacs de palmettes à crosses affrontées, ligaturées de place en place. On retrouve l'identique sur certains chapiteaux du porche de l'église Saint-Seurin de Bordeaux. Le pilier médian de la face principale définit l'ordonnance de la composition, qui doit être lue de droite à gauche : à droite, le festin d'Hérode, suivi de la danse de Salomé et, à gauche, le martyre de saint Jean et sa tête placée sur un plateau, sous la surveillance des anges.
Les deux chapiteaux non-figurés de la chapelle Saint-Jean (no 45)
Les travées sud III, II et I de la nef
Les chapiteaux à décor géométrique et végétal de la nef
Les médaillons de consécrationGrimoald, treizième Abbé, après douze ans de travaux, met fin aux constructions et célèbre la dédicace de l'église en 1231. Ce qui a été fait à cette époque, c'est la partie octogone du clocher, tout le cloître, et les voûtes de deux travées du bas-côté sud. En commémoration de la consécration, douze médaillons, représentant les apôtres, ont été placés sur le pourtour intérieur de l'église. Aujourd’hui, il n'en existe plus que six : saint Barthélémy, saint Jude, saint Jacques le Majeur, saint Pierre[14], saint André, saint Matthieu et un médaillon arasé sur le mur sud de l'abside. Leur diamètre est de 40 à 50 cm.
Les apôtres nimbés et pieds nus, excepté saint Barthélémy qui est chaussé, portent dans la main gauche une petite église et dans la droite leur attribut ou l'instrument de leur supplice. Ils foulent aux pieds des personnages couronnés, peut-être les princes qui les ont fait mettre à mort. Ces apôtres ont reçu le martyre par l'ordre de rois ou d'empereurs nommés dans la légende inscrite autour du médaillon à l'exception de saint Jude qui écrase un dragon, emblème du démon, parce qu'il a été mis à mort par une troupe de prêtres idolâtres, et de saint Matthieu qui est se tient une console où sont sculptées des feuilles de laurier, symbole de la victoire, ayant été tué à coup de flèches sans ordre précis d'un roi. Ils étaient entourés de peintures, mais il n'en reste plus de traces qu'autour de saint Jacques-le-Majeur (no 3). C'est un évêque qui bénit. Voici, selon Léo Drouyn[3], les inscriptions de chaque médaillon.
Les marques de tâcheronUne observation attentive des pierres qui forment les murs de l'église révèlent des marques de tâcherons. Léo Drouyn[3] a donné la description suivante :
Ainsi les seules marques qui se rencontrent sur les murs des absides, à l'intérieur comme à l'extérieur, sont représentées par la fig. 1. Elles sont d'ailleurs en très petit nombre, tandis que les suivantes, dont le caractère est différent, se trouvent dans le reste de l'église. La fig. 2 représente celles de l'intérieur du transept sud, au-dessus des bas-côtés ; et la fig. 3, celles qui sont à l'intérieur du bas-côté sud. Celles de la fig. 4 se voient dans l'intérieur, sur le flanc nord, dans l'escalier roman du clocher
Les sculptures disperséesPendant le démantèlement de l'abbaye, au XIXe siècle, un certain nombre d’antiquaires et de personnes privées se sont emparés des pièces (chapiteaux, clefs de voûte et modillons) pour les sauver de la destruction. Quelques-unes de ces sculptures se trouvent actuellement exposées dans des musées. Un nombre inconnu de ces pièces est resté dans des collections privées et elles ne sont pas répertoriées. Sculptures au musée lapidaire de La SauveLes clefs de voûteLa sculpture animée des modillons ayant été exclue par la mode des corbeilles gothiques, l'art des imagiers s'est perpétué sur les clefs de voûte. De telles clefs étaient très nombreuses dans l'abbaye ; le cloître à lui seul, par exemple, représente 31 travées sur croisées d'ogives. Il y en a deux qui sont toujours en place, celles des travées II et III de la nef. Le musée lapidaire en expose un certain nombre, d'autres sont au Musée d'Aquitaine à Bordeaux, et certaines églises dans les environs ont récupéré des clefs et les ont incrustées dans les façades. Une série de clefs de voûte relate des scènes des Ancien et Nouveau Testaments. Il en subsiste seulement neuf, quatre exposées au musée lapidaire, une au musée d'Aquitaine de Bordeaux et quatre incrustées dans la façade de l'église Saint-Martin de Haux. Selon dom Dulaura[13], les clefs de voûte des galeries nord et ouest du cloître étaient décorées par des scènes inspirées par l'Ancien Testament et celles des galeries est et sud par des scènes du Nouveau Testament.
ModillonsSculpturesTête d’ecclésiastique, barbu et tonsuré. La sculpture date du XIVe siècle et pourrait provenir d'un tombeau. Combat des bêtes. Ces deux chapiteaux, sculptés sur les quatre côtés, viennent du cloître. La composition est répétitive : sur chaque face, se trouve un rapace perché sur le dos d'un quadrupède. L'oiseau mordille le mammifère, qui à son tour lui croque la cuisse. En plus, on voit des serpents et des masques démoniaques. Leur style est celui du début du XIIIe siècle et un peu éloigné du style roman propre à l'atelier de l'abbaye. On peut penser au travail d'un atelier bordelais, comme celui de la cathédrale Saint-André où l'on trouvait le même type de chapiteau dans son cloître. Le thème roman de ces combats d'animaux superposés, orchestrés par Satan, était très répandu. Il se veut être un avertissement symbolique, adressé au spectateur, pour que la société de l'homme ne devienne pas cette jungle où les fauves font la loi, et que l'homme ne se transforme pas, lui aussi, en loup pour autrui. Saint Gérard, agenouillé. La sculpture[18], qui date de 1206 à 1221, est en ronde-bosse. Le fondateur de l'abbaye, à genoux, tenait devant lui sa crosse, aujourd'hui disparue. La statue provient du tombeau d'Amauvin, le douzième abbé (1206-1222) de la Sauve-Majeure, de même que la statue de la Vierge à l'Enfant, actuellement dans l'église Notre-Dame de Créon.
CarrelagesLe chapitre avait pour pavage des carreaux de 12 centimètres de côté, émaillés et vernissés sur chaque face, représentant des lions, des oiseaux, des fleurs-de-lis, des moulures géométriques de différentes sortes. Ces carreaux datent de la fin du XIVe siècle. Les animaux sont noirs ou rouges sur fond jaune ou vert, et vice-versa. Dans le creux des moulures géométriques, un émail coloré avait été coulé. Sculptures au Musée d'Aquitaine de BordeauxClef de voûte Selon dom Dulaura[13], les clefs de voûte des galeries nord et ouest du cloître étaient décorées par des scènes inspirées par l'Ancien Testament. Avec celle de la Tentation conservée au musée lapidaire, la seule qui nous soit parvenue de ce cycle est celle du sacrifice d'Abraham. La clef, de diamètre 0,46 m, a été dessinée par E. Piganeau[19] en 1875, à l'époque ou la clef était conservée dans une propriété privée.
Modillons Les quatre modillons ont été donnés au musée d'Aquitaine en 1977. Ils proviennent de la collection privée Klingebiel. Malgré une certaine érosion, les modillons sont clairement dans la tradition de mise en garde contre les péchés capitaux et, en particulier, la luxure. On trouve : un félin maléfique, deux hommes acrobates (une profession maudite), un homme ithyphallique qui porte un fardeau (échelle), une femme nue exhibant son sexe. (Voir Iconographie des modillons romans pour plus de détails).
Les deux derniers modillons ne proviendraient pas nécessairement de l'abbaye. Les personnages y sont représentés de profil ; sur tous les modillons de l'abbaye, les personnages sont de face. Il y a deux autres sources possibles pour la commune de La Sauve : l'église paroissiale Saint-Pierre, mais tous les modillons y sont également de face ; l'ancienne église Saint-Jean, aujourd'hui totalement détruite. Cette église se trouvait à l'emplacement du parc de stationnement du marché couvert, au nord de l'abbaye. Cependant, la quasi absence, en Gironde, de modillons avec les personnages de profil suggère la possibilité que ces deux modillons proviennent d'une autre région. Dalle funéraire La Plate-tombe d'Aliénor de Vipont, épouse de Roger de Leyburn, et mort en 1270, a été retrouvé dans un étang près de Créon en 1895. Sculptures conservées dans les églises à proximitéÉglise Saint-Martin de Haux
Église Saint-Pierre de La SauveLe bénitier de l'église Saint-Pierre de La Sauve est creusé dans la corbeille d'un chapiteau roman de l'abbaye. La forme d'ancrage et celle de la section correspondent à une ancienne colonne engagée. La sculpture représente « Daniel dans la fosse aux lions » et a précédé d'un demi-siècle celle qui se trouve actuellement à l'entrée de la grande absidiole sud. Ici, Daniel est un jeune homme nimbé, assis sur une banquette entre deux lions placides qui lèchent ses mains. Les lions, à bouclettes et à queue rentrée et fleuronnée, sont typiques de l'atelier de La Sauve. Un « Daniel entre deux lions », directement inspiré de cette corbeille se trouve sur le portail de l'église Saint-Siméon de Bouliac. Église Notre-Dame de Créon
Église Saint-Martin de Sadirac
Sculptures aux États-UnisLe Metropolitan Museum of Art, New York, expose dix modillons et deux chapiteaux du cloître. Peu après 1920, le riche homme d'affaires new-yorkais George Blumenthal (1858-1941) entreprit avec sa femme Florence la construction d'une « salle de musique » dans leur maison de Paris, appelée aussi « salle gothique » en raison de sa décoration. Pour ce faire, le couple fit l'acquisition, partout en France, de divers éléments d'architecture datant du Moyen Âge, dont les modillons de l'abbaye. Administrateur du Cloisters Museum (un composant du Metropolitan Museum of Art) à partir de 1909, il en devint président en 1934 et, pour l'occasion, lui fit don de dix modillons.
L'Art Institute of Chicago possède également six modillons qui proviennent de la dispersion d'une partie de la collection Blumenthal. La bibliothèque et le scriptoriumPendant la Révolution, la bibliothèque et les archives de l'abbaye sont envoyées au château de Cadillac. En 1806, ce dépôt est rapporté à Bordeaux, et partagé entre la bibliothèque municipale et les archives départementales de la Gironde. La première reçoit des livres imprimés et les principaux manuscrits, dont trois bibles, deux évangéliaires et les deux plus importants cartulaires. Le reste échoit aux archives départementales[22]. Malgré les mesures de préservation, l'antiquaire Amans-Alexis Monteil (1769-1850) fait l'acquisition de très nombreuses pièces manuscrites, qu'il revend à un bibliophile anglais hors norme, sir Thomas Phillipps[Notes 12]. À la mort de ce dernier, des négociations avec ses héritiers permettent aux archives départementales de la Gironde d’acquérir une partie des manuscrits en provenance de l'abbaye. D'autres documents de l'abbaye sont toujours dans des collections privées, à Paris, Manchester, Oslo, ou à l'université Yale, aux États-Unis. Selon de multiples indications, l'abbaye est dotée d'une riche bibliothèque. Dans les ruines, on peut retrouver les vestiges de deux grandes armoires à livres aménagées dans les maçonneries : l'une dans la grande absidiole sud et l'autre dans la galerie orientale du cloître. Avant la guerre de Cent Ans, l'abbaye semble avoir possédé un scriptorium actif. Aux XIIe et XIIIe siècles, à côté des offices de sacristain et de chantre, le bibliothécaire (armarius) apparaît très fréquemment dans les actes du grand cartulaire, preuve de l'importance du livre au sein de la communauté des moines. Au XVIIe siècle, Dulaura[13] rapporte l'histoire des honneurs rendus à la mémoire d'un moine nommé Petrus Scriptor, « de la main duquel nous avons plusieurs livres de l’Écriture sainte et des saints-pères, et, entre autres, deux bibles presque entières en grand parchemin, à la fin de l'une desquelles il est dépeint écrivant. Cette figure est d'or et de miniature, aussi bien que toutes les premières lettres de chaque livre et les sacrés noms de Jésus et de Marie. Il mourut le 18 décembre. » Les manuscrits les plus remarquables de l'abbaye de la Sauve-Majeure sont aujourd'hui conservés à la bibliothèque municipale de Bordeaux. En particulier : Bible dite « bible de la Sauve-Majeure »
Bible avec les prologues de saint JérômeCette bible est un autre des chefs-d’œuvre de l'ancienne bibliothèque. Elle est remarquable par la qualité de sa décoration, caractéristique du début du XIVe siècle. Le texte est recopié sur deux colonnes en petites lettres gothiques. Inscrites dans un cadre décoré, les initiales de chaque livre ont été peintes avec une extrême délicatesse. Certaines d'entre elles se détachent sur un fond d'or ou d'argent. D'autres livres sont historiés de scènes développant le contenu du texte. Cartulaires de l'abbayeLe Grand Cartulaire est un ensemble de quatre manuscrits qui ont été conservés jusqu'à la Révolution à l'abbaye de la Sauve-Majeure. Les manuscrits sont actuellement conservés a la Bibliothèque municipale de Bordeaux et sont visibles en version numérisée haute résolution. Ces manuscrits sont reproduits et commentés dans le livre Grand cartulaire de La Sauve-Majeure[25] de Charles et Arlette Higounet. Le volume d’origine a subi plusieurs dommages. Tout d’abord, plusieurs morceaux de parchemin ont été découpés dans les marges. Ensuite, l'un des bibliothécaires, jugeant certainement qu’un volume de 492 pages était difficilement manipulable, a décidé de le séparer en deux parties et ce, sans prendre le soin de vérifier si certains feuillets avaient été transposés. Un autre cartulaire[26] de l'Abbaye, conservé aux Archives départementales de la Gironde dans les fonds de la Sauve-Majeure, est formé de 10 pièces de parchemin cousues bout à bout[27], un rouleau de parchemin, long de 4,95 m, est décrit par Jean-Auguste Brutails.. Il contient la transcription de 35 actes relatifs aux possessions de l'Abbaye en Espagne. Les manuscrits conservés à la Bibliothèque municipale de Bordeaux sont :
Œuvres de saint HilaireCe manuscrit présente beaucoup d'analogies avec le Grand Cartulaire de l'abbaye : les initiales peintes en rouge, ainsi que l'écriture du texte. Seules deux miniatures parmi toutes celles prévues par le scribe ont été réalisées. Au dernier feuillet, une main plus tardive a écrit une liste des livres qui constitue le seul élément de catalogue que nous ayons du contenu de la bibliothèque de l'abbaye. Tous les manuscrits de l'abbaye ont été numérisés[32]. Notes et référencesNotes
Références
AnnexesBibliographie
Articles connexes
Liens externes
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