Transposition des gros vaisseauxTransposition des gros vaisseaux
La transposition des gros vaisseaux (TGV) ou discordance ventriculo-artérielle dans la nomenclature actuelle est la malformation cardiaque congénitale cyanogène (responsable d’une cyanose) la plus fréquente chez le nouveau-né. Elle est caractérisée par une malposition des vaisseaux de la base du cœur telle que, à l’inverse du cœur normal, l'aorte est issue du ventricule droit et l'artère pulmonaire du ventricule gauche. La première description de cette malformation est attribuée à Matthew Baillie (1761-1823) à partir de l'examen anatomique du cœur d'un nourrisson âgé de deux mois (en 1793)[1]. Spontanément, cette cardiopathie est rapidement mortelle dans les quelques jours suivant la naissance mais les différents traitements qui lui sont opposés depuis 1965 en ont radicalement modifié le pronostic, permettant aujourd'hui d'espérer une « guérison complète » dans la grande majorité des cas. C'est une des malformations cardiaques qui a le plus bénéficié du diagnostic prénatal par échographie fœtale, celui-ci permettant d'organiser au mieux la prise en charge dès la naissance de cette véritable urgence néo-natale[2]. FréquenceLa TGV représente 5 à 7 % des cardiopathies congénitales. C'est la plus fréquente des cardiopathies cyanogènes du nouveau-né, avant la Tétralogie de Fallot. Son incidence est estimée entre 20 et 30 pour 100 000 naissances, soit 150 à 220 nouveaux cas en France chaque année (sur 783 500 naissances répertoriées par l'INSEE en 2007). Elle touche 2 à 3 fois plus souvent les garçons que les filles. AnatomieDans le cœur normal, l'aorte part du ventricule gauche et distribue le sang riche en oxygène vers l'ensemble du corps alors que l'artère pulmonaire (ou tronc pulmonaire) part du ventricule droit et ramène vers les poumons le sang veineux désaturé, c'est-à-dire appauvri en oxygène. La Transposition des gros vaisseaux est une "malposition vasculaire" dans laquelle l'aorte naît du ventricule droit alors que le tronc pulmonaire naît du ventricule gauche. Lorsque cette malposition vasculaire est isolée, on parle de transposition simple des gros vaisseaux (l'adjectif simple faisant référence à l'anatomie mais non aux conséquences de la malformation) ou de "D-TGV isolée" en référence à l'anomalie embryologique causale. C'est le cas le plus fréquent (≥ 60 %). Une D-TGV peut être associée à d'autres malformations cardiaques, en particulier une communication interventriculaire, une sténose sous-pulmonaire ou une coarctation de l'aorte. Certaines de ces anomalies peuvent contribuer à une meilleure tolérance à la naissance, au moins transitoirement, mais toutes tendent à compliquer plus ou moins le traitement chirurgical de la TGV. Il faut enfin mentionner la possibilité, très rare, d'une double discordance donnant une transposition corrigée des gros vaisseaux. Dans cette malformation, il existe à la fois une discordance ventriculo-artérielle comme dans la TGV simple et une discordance auriculo-ventriculaire telle que l'oreillette droite se draine dans le ventricule gauche et l'oreillette gauche se draine dans le ventricule droit. C'est une malformation anatomiquement plus complexe que celle de la TGV simple mais qui, en pratique, tend à corriger elle-même les anomalies de circulation présentes dans la TGV simple. En effet, en cas de double discordance, le sang veineux désaturé arrivant dans l'oreillette droite rejoint comme normalement le tronc pulmonaire et les poumons (via le ventricule gauche) et le sang riche en oxygène arrivant des poumons dans l'oreillette gauche rejoint comme normalement l'aorte (via le ventricule droit). Les conséquences, complications et traitements éventuels de la transposition corrigée des gros vaisseaux sont radicalement différents de ceux de la TGV simple et ne seront pas présentés dans cet article. EmbryologieLa théorie la plus communément admise aujourd’hui est celle d’un « développement anormal du conus », proposée par Van Praagh[3]. Le conus est la structure embryologique qui assure la connexion entre les ventricules et les gros vaisseaux qui en partent.
Cette perte du « croisement physiologique » des gros vaisseaux est le signe d’appel échographique principal de l’anomalie. Physiopathologie
La survie immédiate est conditionnée par la persistance des communications (shunts) qui existaient entre les deux circuits avant la naissance : le foramen ovale (entre les oreillettes) et le canal artériel (entre aorte et artère pulmonaire). Elles seules permettront un mélange des sangs désaturé et oxygéné. Or, ces shunts fœtaux sont destinés à se fermer à la naissance, dans un délai non prévisible allant de quelques minutes à 48-72 heures. La TGV est donc une cardiopathie « ducto-dépendante » et surtout « atrio-dépendante » (l'apport en sang oxygéné dans le cœur droit et l'aorte est lié essentiellement à la présence d'une communication entre les oreillettes) et son traitement est une réelle urgence néo-natale. Les formes associées à une communication inter-ventriculaire (CIV) sont souvent mieux tolérées à la naissance dans la mesure où cette CIV, surtout si elle est large, ne se fermera pas aussi rapidement et permettra un meilleur mélange sanguin, mais au prix d'une insuffisance cardiaque. Historiquement, les seules formes qui pouvaient survivre spontanément quelques mois ou quelques années étaient les TGV associées à une large CIV et à une sténose (rétrécissement) sous-pulmonaire modérée, cette dernière limitant l'importance de l'insuffisance cardiaque. DiagnosticAnténatalLe diagnostic de TGV est de plus en plus fréquemment porté avant la naissance, le plus souvent lors de l'examen échographique « morphologique » fait à 22 semaines d'aménorrhée (SA). Il est parfois possible plus tôt, dès 12-14 SA, quand les conditions d'examen sont particulièrement favorables (... et l'examinateur expérimenté). Aspects échographiques avant la naissanceLes structures strictement intra cardiaques étant habituellement normales, le diagnostic ne peut être évoqué sur l'incidence dite des "4 cavités". Il nécessite obligatoirement (et logiquement) une exploration des gros vaisseaux passant par d'autres plans de coupe plus haut situés dans le thorax.
Gestion de la grossesseLe diagnostic de TGV simple ne doit pas modifier le cours de la grossesse mais peut indiquer une surveillance échographique plus étroite et surtout incite à préparer un accouchement (programmé) à proximité d'un centre de cardiologie pédiatrique apte à assurer la prise en charge néo-natale (voir plus bas).
PostnatalCliniqueLa transposition des gros vaisseaux doit être évoquée en premier lieu chez un nouveau-né qui présente une cyanose (coloration bleutée de la peau), et ceci d'autant plus que :
Après quelques heures d'évolution peuvent apparaître des signes de défaillance cardiaque (polypnée, tachycardie, marbrures, sueurs, refus du biberon...). Examens complémentairesLes examens permettant de poser le diagnostic de TGV sont essentiellement :
TraitementSans chirurgie, la mortalité dépasse 90 % à un an[4]. Elle est inférieure à 10% à 20 ans en cas de réparation[5]. Prise en charge du nouveau-néIdéalement, c'est-à-dire quand le diagnostic a été fait avant la naissance, l'accouchement ne peut se concevoir que dans une maternité disposant d'un service de cardiologie pédiatrique. La prise en charge débute immédiatement après la naissance, en salle de travail ou à proximité immédiate. Elle associe le plus souvent :
Traitement chirurgicalLe traitement définitif de la TGV est chirurgical. Il a considérablement évolué au fil du temps, tant pour le mode de « correction » que pour l'âge auquel celle-ci est pratiquée. Actuellement, il est courant sinon habituel qu'un nouveau-né soit de retour à domicile à 15 jours de vie, « guéri » et sans aucun traitement médical après « détransposition des gros vaisseaux. » Historiquement, trois types de chirurgie ont été proposés, les deux premiers pouvant encore être d'actualité dans des cas très particuliers.
Après 1966, elle est restée indiquée en cas d'échec ou d'insuffisance de la manœuvre de Rashkind ou pratiquée de façon plus ou moins systématique dans certaines écoles comme celle de Paris pour permettre d’atteindre un âge plus avancé (12-24 mois) avant l’intervention définitive de "correction à l'étage auriculaire".
Par un néo-cloisonnement des oreillettes, le sang veineux en provenance des veines caves était redirigé vers l'oreillette gauche, le ventricule gauche et l'artère pulmonaire; le sang oxygéné venant des poumons étant détourné vers l'oreillette droite, le ventricule droit et l'aorte. Une circulation sanguine "normale" était ainsi restituée, mais non une anatomie normale puisque les gros vaisseaux restaient connectés au « mauvais » ventricule. Deux chirurgiens ont associé leurs noms à ce type de correction : Senning en 1959[8] et Mustard en 1964[9] et ces interventions ont été pratiquées jusqu'aux années 1975-80. Malgré certaines complications liées aux lésions créées au niveau des oreillettes (risque de troubles du rythme ou de la conduction, de sténose des chenaux cave ou pulmonaire, surtout avec le procédé décrit par Mustard qui reposait sur l’emploi d’un patch inerte et donc incapable de suivre la croissance de l’enfant[10]) et au maintien du ventricule droit en position « systémique » c’est-à-dire sous l’aorte (risque de défaillance à long terme), de nombreux enfants ainsi opérés sont maintenant des adultes menant une vie sensiblement normale. Dans ses dernières années, William Mustard se faisait souvent accompagner dans les congrès médicaux par une jeune femme, mère de famille, qui était sa première ou une de ses premières opérées. En France, de nombreux adultes doivent leur salut au chirurgien George Lemoine, « homme modeste, trop peu connu » (Y. Lecompte[11]) qui n’avait pas son pareil pour réaliser une intervention de Senning vers l’âge de 6 mois.
Les tentatives reprirent 20 ans plus tard, au milieu des années 1970 après la publication par le chirurgien brésilien Adib Jatene d'une chirurgie de détransposition pratiquée avec succès chez deux enfants âgés de 3 mois et 40 jours[12] et les premières séries opératoires de Yacoub en Angleterre[13] ainsi que de l’équipe de l’hôpital Laennec à Paris[14]. Ces nouvelles tentatives visaient à corriger les défauts des premières, d’une part en transposant également les artères coronaires sur l’aorte, d’autre part en veillant à l’aptitude du ventricule gauche à assurer un débit systémique. Cette aptitude était obtenue soit par une « préparation » du ventricule, par mise en place quelques mois d’un cerclage de l’artère pulmonaire l’obligeant ainsi à se muscler pour vaincre cet obstacle artificiel, soit par un timing opératoire très précoce, dès la première semaine de vie, avant que le myocarde ventriculaire gauche n’ait significativement involué. La détransposition des gros vaisseaux ou « switch artériel » devint rapidement l’intervention de référence après que Yacoub a codifié les techniques permettant d’adapter l’intervention aux différentes distributions possibles des artères coronaires et que Lecompte a « inventé » en 1979 un procédé de décroisement des gros vaisseaux permettant une réimplantation de l’artère pulmonaire sans interposition de matériel prothétique[15], reconnu depuis de façon universelle comme « la manœuvre de Lecompte »… C’est maintenant la seule intervention pratiquée, sauf cas très particulier. C'est réellement une chirurgie correctrice puisqu'elle "détranspose" les gros vaisseaux en réimplantant l'aorte sur le ventricule gauche et l'artère pulmonaire sur le ventricule droit. La mortalité hospitalière est actuellement inférieure à 1 % pour les équipes pratiquant cette intervention couramment[16] et pourtant, il s'agit d'une véritable prouesse de chirurgie et de réanimation néo-natale et cette intervention sous circulation extra-corporelle a même pu être pratiquée sur des prématurés de 2000 grammes à peine. Stratégies thérapeutiquesDans les pays développés, la stratégie « idéale » actuelle, de plus en plus souvent « réelle » peut être résumée comme suit : Diagnostic ante-natal et transfert in utero dans un centre spécialisé permettant la pratique de la manœuvre de Rashkind et la perfusion de prostaglandines (non systématiques). La détransposition est faite alors dans la première semaine de vie permettant un retour à domicile dans le premier mois. Dans les pays en voie de développement, cette stratégie « idéale » nécessite un environnement chirurgical et de réanimation néo-natal hors de portée. Le diagnostic ante-natal de TGV (rarement posé) conduit encore souvent à une interruption médicale de grossesse. On pourrait pourtant y concevoir une réhabilitation des séquences de prise en charge « historique », avec deux options : une manœuvre de Rashkind (associée éventuellement à une intervention de Blalock-Hanlon) suivie d'une correction à l’étage auriculaire par l’intervention de Senning entre 6 et 18 mois, ou une manœuvre de Rashkind (avec éventuelle intervention de Blalock-Hanlon) associée à un cerclage de l’artère pulmonaire, suivie d'une correction anatomique par détransposition entre 6 mois et un an. Ces stratégies étaient celles pratiquées en France il n'y a guère plus de 20 ans et nombreux sont les nourrissons, aujourd'hui adultes, à en avoir réellement bénéficié. Devenir des enfantsLes enfants opérés par détransposition des gros vaisseaux mènent habituellement une vie strictement normale en l'absence de tout traitement médical. Seuls les sports de compétition ainsi que le tabac restent déconseillés. Ces enfants doivent cependant faire l'objet d'un suivi médical régulier (annuel le plus souvent) pour surveiller plus particulièrement :
GrossesseSauf cas particulier (et rare), une femme opérée dans l'enfance d'une transposition des gros vaisseaux par switch artériel peut envisager de mener à bien une ou plusieurs grossesses sans souci particulier. L'accouchement pourra se faire normalement, par voie basse, sauf indication obstétricale à une césarienne. Un allaitement sera possible. L'inquiétude parentale devant le risque de récidive de la cardiopathie, de l'ordre de 10 % (ce qui signifie 'a contrario' que 90 % au moins des grossesses donneront naissance à un enfant normal) pourra être levée par la réalisation précoce d'une échographie fœtale, dès la 14-15e semaine d'aménorrhée quand les conditions d'examen sont bonnes. Conseil génétiqueJusqu'à présent, il n'a pas été mis en évidence de cause génétique (ou toxique) à cette malformation quand elle est isolée. À ce titre, c'est l'une des très rares malformations cardiaques qui ne soient pas une indication reconnue d'amniocentèse (ponction du liquide amniotique en vue d'une étude du caryotype fœtal) lorsqu'elle est découverte avant la naissance. Il en va tout autrement si la transposition des gros vaisseaux est associée à d'autres malformations, cardiaques ou extra-cardiaques. Dans ce cas, la crainte qu'une anomalie génétique soit responsable ou au moins associée à ce syndrome polymalformatif conduit habituellement à proposer aux parents la réalisation d'une amniocentèse avant la naissance ou d'une étude directe du caryotype du nouveau-né si le diagnostic est plus tardif.. Sources
Voir aussiRéférences
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