Theresienstadt (film)Theresienstadt
Pour plus de détails, voir Fiche technique et Distribution. Theresienstadt. Ein Dokumentarfilm aus dem jüdischen Siedlungsgebiet (Theresienstadt. Un documentaire sur la zone de peuplement juif), également connu sous le titre apocryphe Der Führer schenkt den Juden eine Stadt (Le Führer offre une ville aux Juifs), est un film de propagande nazie en noir et blanc sonore réalisé en 1944 par Kurt Gerron sur ordre des autorités nazies et achevé en 1945 par Karel Pečený. Considéré comme « le comble du cynisme et l'exemple le plus pernicieux du cinéma nazi »[1], il s'agit du second film nazi, et le plus notable, à prendre pour sujet le camp de concentration de Theresienstadt, le seul camp sur lequel les nazis aient choisi de montrer un film, après l'avoir « embelli » en vue de la visite d'une délégation internationale de la Croix-Rouge. Ce second film est également le seul film sonore existant sur les camps, cette situation unique conduisant l’écrivain autrichien Hans Günther Adler à attribuer à Theresienstadt le surnom de « Hollywood des camps de concentration »[2]. Le film est réputé perdu dans sa version intégrale, seuls quelques fragments subsistent. Synopsis
La trame du film a été reconstituée comme suit en trente-huit séquences par l'historien Karel Margry[4],[5]. La majeure partie en représente des activités récréatives et seulement douze des scènes de travail, l'ensemble produisant une impression de « fête continue »[6] :
Fiche technique
DistributionLe film visant notamment à prouver qu'un certain nombre de personnes connues étaient toujours vivantes[9], les Prominenten (en français « les privilégiés ») suivants y apparaissent :
ContexteConversion de la ville fortifiée de Theresienstadt en camp de concentrationEn octobre 1941, les nazis convertissent la petite ville de garnison fortifiée de Terezín (en allemand : Theresienstadt), située dans la région des Sudètes en Tchécoslovaquie, en camp de concentration pour les Juifs du protectorat de Bohême-Moravie[10]. En janvier 1942, ils annoncent que les Juifs allemands de plus de 65 ans, les infirmes de guerre et les vétérans décorés de la croix de fer de 1re classe ne seraient pas envoyés dans un « camp de travail » de l'Est, mais pourraient aller dans ce « ghetto modèle »[11],[n. 3]. Ce prétendu privilège — Auschwitz restant la destination finale — est graduellement étendu, au prix fort, aux Juifs considérés comme « privilégiés » (appelés en allemand Prominenten)[13],[14]. Premier film en 1942Fin 1942, un an après la création du camp de concentration de Theresienstadt, le tournage d'un film documentaire (Kulturfilm) y est entrepris, sur ordre de l’administration allemande. Il est connu sous ses deux titres provisoires, Theresienstadt 1942[15] ou Ghetto Thereresienstadt[16], mais aussi sous celui, plus fréquemment donné au film de 1944, de Der Führer schenkt den Juden eine Stadt, (en français : « le Führer offre une ville aux Juifs »), ce qui contribue à créer une confusion entre les deux films[17],[18]. Plusieurs hypothèses ont été avancées pour expliquer le projet de ce premier film. Il pourrait s'agir :
Ce premier film se distingue du second par la participation au tournage de onze membres détachés du Sicherheitsdienst (en français : « service de la sécurité »)[29], par l'absence de tentative d'embellissement de la réalité, et par la nature de l'intervention des internés juifs ayant participé au tournage. Ceux-ci essaient de « changer le message du film, dont le script avait été écrit par les nazis. Les Allemands, par exemple, cherchaient des Juifs du type « Streicher », mais le groupe de cinéastes [juifs] filma des habitants tout à fait banals. L'une des scènes était l'arrivée du transport à Bohušovice. Le groupe s'arrangea pour représenter dans la scène des personnes traînant leurs bagages et peinant dans la boue. Durant le tournage d'une scène dans le ghetto, ils firent figurer à l'arrière-plan un corbillard tiré à bras (les corbillards étaient utilisés à Theresienstadt pour transporter le pain, les morts, les invalides, etc.) »[30]. Irena Dodalová, la réalisatrice, fit d'ailleurs sortir du camp, à titre de témoignage, des fragments du film à l'insu des Allemands[31]. Ce premier film est aujourd'hui considéré comme perdu[32], sans qu'on soit certain du fait que le projet a été mené ou non à son terme[33], Lutz Becker affirmant toutefois qu'il a été achevé et qu'une projection en a été organisée à Prague[34]. Il n'en subsiste que des fragments[35], dont un a été découvert à Varsovie en 1994 à la Cinémathèque nationale de Pologne[36] et un autre, conservé aux archives nationales du film à Prague[37]. Visite de la délégation internationale en 1944L'organisation de la visite de la délégation internationale de la Croix-Rouge est étroitement liée au projet du film, Andrew Woolford les considérant comme les deux parties d'une même « performance »[9]. Contexte et préparationEn , 450 juifs danois sont envoyés à Theresienstadt. Le gouvernement danois demande immédiatement puis redemande avec insistance le droit de leur rendre visite[13]. Adolf Eichmann accepte d'organiser la visite d'une délégation internationale, mais pas avant le printemps 1944[13]. Entretemps, pour préparer cette visite, les SS mettent en œuvre un programme de rénovation et d'embellissement du camp de plusieurs mois : ils ordonnent aux prisonniers juifs de repeindre les façades des maisons, de planter des fleurs, de construire un terrain de jeu pour enfants, un pavillon de musique, de remplir les vitrines des magasins, de rénover le café et la banque du ghetto, de transformer un gymnase en espace communautaire avec une scène, une salle de prière, une bibliothèque et des vérandas[13]. Pour que le ghetto ait l'air moins peuplé, 7 500 personnes sont envoyées à Auschwitz[13],[39]. DéroulementLa visite de la délégation internationale intervient le . Elle est composée de deux Danois, Frants Hvaas, chef de la section politique du ministère des affaires étrangères danois, et du docteur Juel-Henningsen, un fonctionnaire du ministère danois de la santé, ainsi que d'un Suisse, Maurice Rossel, directeur adjoint du bureau de Berlin de la Croix-Rouge[40]. Ils sont accompagnés de six représentants de la SS, d'un représentant du ministère des affaires étrangères allemand, d'un représentant de la Croix-Rouge allemande et de Karl Rahm, le responsable du camp[41]. Les délégués se rendent d'abord dans le bureau de Paul Eppstein, le président du conseil des anciens du ghetto, qui leur déclare, souriant, qu'ils vont voir « une ville allemande normale de province »[42],[41] ; ils ignorent que les réponses d'Eppstein ont été soigneusement préparées, que les SS l'ont menacé de lourdes représailles collectives en cas de mauvais résultat de la visite[40], qu'il a été lui-même l'objet de menaces physiques le mois précédent et que son chauffeur est un des SS les plus cruels du camp[43]. Ils se rendent ensuite à la banque, ignorant que le directeur qui les accueille vient de passer trois mois en prison pour avoir fumé[43]. Ils visitent une aile de l'hôpital, sans deviner que les véritables malades ont été remplacés par des figurants en bonne santé[43]. Ils visitent la poste, sans savoir que les SS ont arrêté la distribution de paquets depuis plusieurs jours, pour ne la reprendre qu'à l'occasion de cette visite[43]. Ils voient des jeunes femmes hâlées se rendre en chantant au travail, des boulangers manipuler du pain blanc en gants blancs, des joueurs d'échecs assis sur des bancs et absorbés dans leur partie, sans imaginer qu'ils jouent tous la comédie et que les prétendus joueurs d'échecs ignorent tout de ce jeu[43]. Ils assistent à une répétition du Requiem de Verdi dirigée par Rafael Schächter et à une autre de Brundibár, sans comprendre que les interprètes attendaient le signal de leur arrivée[44]. Ils passent devant une école fermée pour « vacances d'été » qui n'a jamais rouvert depuis le départ des Tchèques[43]. Ils voient des enfants jouer et demander à « oncle Rahm » quand il viendrait jouer avec eux, sans supposer que les poupées seraient reprises aux petites filles une heure plus tard et qu'« oncle Rahm » avait envoyé à Auschwitz 1 500 enfants dans les neuf mois précédents[43]. À défaut de pouvoir visionner un film, les délégués reçoivent un exemplaire de Bilder aus Theresiensatdt (Images de Theresienstadt), un livre tiré à dix exemplaires[45] et illustré de dix huit lithographies aquarellées de Jo Spier[46],[47] offrant une représentation idyllique du ghetto[1], dont la moitié représentent « des lieux fictifs ou des activités ou équipements qui n'existaient pas avant les opérations d'embellissement du printemps 1944 »[48]. RapportsÀ la suite de cette visite, les délégués danois font un rapport positif : le docteur Henningsen exprime son « complet étonnement devant les accomplissements des Juifs », grâce auxquels « la situation s'est améliorée, surtout l'année dernière » et ne doute pas que « l’administration juive fait face au danger sanitaire aussi efficacement que possible, vu les circonstances »[49]. Hvaas, qui dira avoir remarqué que ses conversations à Theresienstadt étaient « discrètement observées », note qu'une « éventuelle poursuite de l'attitude positive de l'administration juive dépendra de sa perception de son séjour à Theresienstadt comme permanent ou non »[50]. De son côté, Rossel rédige un rapport de quinze pages où il considère « cette ville juive » comme « vraiment surprenante »[51],[52] ; Paul Eppstein comme un « « stalinien » de haute valeur »[51],[52] détenant un « pouvoir très étendu »[53] sur une « société communiste »[51] ; la nourriture disponible dans le ghetto comme « suffisante »[54],[55], « certaines choses [disponibles dans le ghetto étant] presque impossible à trouver à Prague »[54] ce que Rossel attribue aux « risques qu'il y a à mécontenter les services SS »[54] ; les baraques comme « spacieuses et bien éclairées » et les maisons particulières comme « confortables quoique étroit[e]s », l'ensemble disposant de « suffisamment de rideaux, tapis, papiers peints pour que les logements soient agréables »[54],[55]. Il évoque des femmes élégantes, « ayant toutes des bas de soie, des chapeaux, des foulards, des sacs à main modernes »[56],[55] et des jeunes gens « bien mis » parmi lesquels « on rencontre même le type du « zazou » »[56],[57], note que « l'important n'est pas d'obtenir de chaque individu un rendement maximum » mais que « chacun [ait] le sentiment d'être utile »[58],[55], estime, sur le plan sanitaire et sans ironie, qu'il y a « peu de populations qui soient aussi surveillées que celle de Theresienstadt »[59] et rapporte avoir « dit aux officiers de la police SS, chargés de l'accompagnement, que le plus étonnant est la difficulté que nous avons rencontrée pour être autorisés à visiter Theresienstadt »[51],[57]. Bien que les délégués danois aient noté l'absence d'un quart des Juifs danois, Rossel estime que « Theresienstadt est un « Endlager », normalement personne une fois entrée au Ghetto n'est envoyée ailleurs »[53],[60],[61]. À la suite de ce rapport, la Croix-Rouge décide de ne pas demander à visiter le « camp des familles » de Birkenau[62],[63]. Rossel joint à son rapport des photos prises ce jour-là à Theresienstadt, malgré, dit-il, « le mécontentement des SS »[51], non pas « des cantines, des installations sanitaires, de l’hôpital ou encore de détenus au travail », ce qui aurait correspondu à « de nombreuses rubriques du rapport », mais des mêmes « productions récréatives, sociales ou sportives » que représentera, quelques mois plus tard, le film dirigé par Kurt Gerron, tels la présentation des pompiers du ghetto, le concert d’un orchestre sur la place centrale de Theresienstadt, la répétition du Requiem de Verdi ou un match de football, cette « mise en scène offr[a]nt un regard idéalisé et trompeur de la vie quotidienne du ghetto [...] qui exclut toute référence à l’univers concentrationnaire »[64]. Lors de son entretien avec Claude Lanzmann en 1979, Rossel fait état de son « étonnement [rétrospectif] que l'on puisse faire jouer une pièce de théâtre qui comporte plusieurs centaines de personnes et que ça marche »[65],[66]. ProductionGenèseContrairement à l'opinion de certains auteurs qui voient dans le second film une conséquence du succès de la visite de la délégation internationale[68], la décision de tourner un film de propagande est prise en même temps que celle d'embellir le camp pour la visite de la délégation internationale, vers [69], par Hans Günther, SS-Sturmbannführer de l'Office central pour l'émigration juive à Prague (Zentralstelle für jüdische Auswanderung in Prag)[70]. Selon Karel Margry, il y a de fortes indications que, lorsque les SS mirent en route le projet du film, fin 1943, ils espéraient qu'il serait terminé avant la venue de la délégation internationale et pourrait lui être projeté, de manière à renforcer l'impression positive créée par la visite[71]. En , la firme tchèque d'actualités filmées Aktualita est chargée du projet et simplement instruite de s'appliquer à donner une image positive du ghetto[72]. L'équipe qui se rend à Theresienstadt comprend notamment Karel Pečený, le directeur d'Aktualita, les cameramen Čeněk Zahradníček et Ivan Frič, ainsi que les preneurs de son Jaroslav Čechura et Josef Franěk qui reviendront quelques mois plus tard[72]. En , l'équipe d'Aktualita filme à Theresienstadt l'arrivée d'un convoi de Juifs hollandais et un discours de bienvenue de Paul Eppstein, puis la décision est prise d'attendre la fin de l'embellissement du camp et le tournage est interrompu[72]. Titre et sens du filmLe sous-titre du film, Ein Dokumentarfilm aus dem jüdischen Siedlungsgebiet (Un documentaire sur la zone de peuplement juif) comporte un triple mensonge.
Le film est également connu sous le titre Der Führer schenkt den Juden einen Stadt (Le Führer offre une ville aux Juifs)[78],[79],[80]. Toutefois, ce dernier n'apparaît dans aucun document de l'époque, mais seulement dans des récits de survivants après la guerre[81] ; en outre, selon Karel Margry, il eût été à l'époque idéologiquement incorrect de prêter à Hitler l'intention de donner quoi que ce soit aux Juifs[76]. ScénarioUn premier synopsis et deux projets de scénario sont écrits sur ordre des SS est écrit par un interné tchèque, Jindrich Weil[82]. En échange d'une promesse de vie sauve, l'acteur et metteur en scène juif Kurt Gerron participe à la réalisation du film[83]. Gerron écrit un scénario, fait un plan de tournage, recrute des acteurs et fait un plan de montage, assisté par le dessinateur hollandais Jo Spier et le scénographe tchèque František Zelenka[84]. Il travaille sous la direction des SS, y compris Rahm et Günther, qui lui donnent des instructions précises[82],[n. 11]. Comme le note Sylvie Lindeperg, le scénario de Gerron « prolonge l'illusion de la visite » dont il emprunte les décors (le foyer, le pavillon des enfants, le kiosque à musique, les magasins, etc.) et les situations (notamment les scènes enfantines)[85]. Rôle de Kurt GerronL'appréciation de la contribution de Gerron au film fait l'objet d'un débat entre spécialistes. Karel Margry tend à la minimiser, affirmant que « ce qui a été réellement dirigé par Gerron doit être réévalué »[82]. En revanche, Lutz Niethammer considère que « plusieurs séquences du film Theresienstadt semblent être des citations qui s'opposent au film Le Juif éternel »[86], un film de propagande nazie réalisé par Fritz Hippler en 1940 dans lequel Gerron était donné en exemple de l'influence prétendument délétère des Juifs sur la république de Weimar[80]. Dans le même sens, Sylvie Lindeperg souligne que « l'équipe réalisatrice de Theresienstadt procède à un casting inverse de celui des opérateurs de Hippler. La force et la beauté des corps athlétiques voués au travail et au sport sont aux antipodes des êtres malingres filmés en Pologne »[87]. Selon Niethammer, Gerron cherche dans le film de Theresienstadt à faire passer un message positif sur la culture juive, par opposition à la présentation de celle-ci comme « dégénérée » par les nazis. Il prend notamment l'exemple de la séquence de la conférence en présence de Prominenenten (séquence 33 dans le découpage évoqué ci-dessus). « Le public est un hommage aux universitaires de la vieille Europe ; la caméra filme des visages de savants respectables, dans des poses de concentration expressive, déplaçant ainsi l'attention du sujet apparent [...] Leurs visages perturbent l'intention hypocrite de montrer qu'ils sont toujours vivants »[86]. TournageLe tournage dure onze jours, en août et [88]. Sylvie Lindeperg en souligne la rapidité et l'efficacité : « les journées de tournage avoisinaient les douze heures ; elles se prolongeaient le soir par les entretiens de Gerron avec les comédiens, les techniciens et par l'écriture de courriers, de notes et d'instructions »[85]. Deux équipes se répartissent le tournage : d'un côté, Gerron, assisté du cameraman Čeněk Zahradníček, se réserve les scènes d'intérieur ; de l'autre, Ivan Frič, accompagné de František Zelenka filme les extérieurs ; les deux caméras étant utilisées conjointement dans certaines scènes[89]. Gerron exhorte les figurants, même ceux qui jouent les malades à l'hôpital, à exprimer la joie et l'enthousiasme devant la caméra, cajôlant les enfants pour qu'ils rient pendant la prise[90]. Une attention particulière est portée au choix des figurants, qui doivent avoir un aspect conforme aux théories raciales des nazis, les blonds étant par conséquent « automatiquement exclus »[91],[92]. Vers la fin du tournage, Karel Pečeny, le directeur de la société d'Aktualita, qui est venu y participer, en prend la direction, Gerron ne faisant que l'assister[88]. Pečeny et ses quatre techniciens tchèques ont tous signés un engagement de confidentialité avec les autorités allemandes[93]. Gerron est déporté à Auschwitz le et tué avant que le film ne soit terminé[88]. Le montage est effectué par Ivan Frič, un employé tchèque d'Aktualita, qui collabore régulièrement aux actualités filmées allemandes[88]. La bande son — ce film est le seul film sonorisé qui ait été tourné dans un camp[94] —, qui utilise des enregistrements faits sous la direction de Gerron en août et de l'orchestre dirigé par Karel Ančerl, de l'opéra pour enfants Brundibár et de la formation de jazz des Ghetto Swingers, est achevée en , après qu'Aktualita eut réalisé des enregistrements additionnels[88] à partir des choix de Peter Deutsch qui, sur instructions expresses des SS, ne recourt qu'à des œuvres de compositeurs juifs[95]. ExploitationLe film a été conçu pour être distribué à l'étranger, à des organisations comme la Croix-Rouge internationale et le Vatican, ou dans des pays neutres, comme la Suède ou la Suisse[71]. Cependant, l'avancée des Alliés (fin 1944 au début 1945) a rendu ce projet impossible. Après que le film a été achevé fin , la première projection a lieu au début du mois d'avril, au palais Černín de Prague, en présence du ministre d'état Karl Hermann Frank, de Günther et de Rahm[71]. D'autres projections ont lieu en à Theresienstadt. Le , le film est montré à deux délégués de la Croix-Rouge, Otto Lehner et Paul Dunant, venus négocier le transfert de l'administration du camp à la Croix-Rouge[71], en présence d'Eichmann[96],[97], puis le à Benoît Musy, le fils du conseiller fédéral suisse Jean-Marie Musy qui négocie avec Himmler le transfert des déportés en Suisse[71]. Le même jour encore, à Rudolf Kastner, du comité d'aide et de secours hongrois, en présence de Murmelstein[71]. Ces projections n'ont aucune influence sur les spectateurs informés de la réalité des camps que sont Dunant, Musy et Kastner[98]. AnalysesCertains fragments du film trahissent l'ampleur du projet de propagande, en particulier la séquence de l'hôpital (séquence 15) « qui montrent des malades étonnamment souriantes, exprimant leur bien être devant l'objectif »[99] ou la séquence montrant un repas commun de trois générations d'une même famille (séquence 37), alors que les familles étaient systématiquement séparées dans les camps, la scène prétendument documentaire ayant été tournée dans l'appartement d'un Prominent, avec les membres de deux familles connues respectivement à Berlin et Amsterdam, ce choix de figurants aussi notoires que disparates « sign[ant] pour la postérité la supercherie du tournage »[100],[101]. Selon Lutz Becker, le film a eu, depuis la découverte de ses fragments, une grande influence sur la compréhension de la propagande nazie par le film : « la mise en scène artificielle d'une situation faussement idyllique est mise au jour comme un vaste mensonge : c'est une inversion de la réalité »[102]. Selon Sylvie Lindeperg, en revanche, « Theresienstadt est souvent appréhendé sous le seul angle de la dissimulation et du mensonge. Une telle approche tend à négliger les traces du réel qui lézardent le masque de la propagande, éclairent les conditions de tournage et transmettent à distance le message des persécutés »[1]. Lindeperg considère plutôt qu'une particularité du film tient à ce que la propagande y « relève moins de la pure falsification que de la synecdoque et de l'anamorphose : la mystification consiste à faire prendre le particulier pour le général, la partie pour le tout, à grossir les détails et à fausser les proportions, à transformer plus généralement tout le réel en spectacle »[103]. « Outre la faim, la surpopulation, la surmortalité », ajoute-t-elle, « le principal angle aveugle de Theresienstadt consiste à éluder l'élément central de la vie des internés, tout entière placée sous le signe des déportations vers l'Est »[104]. Plusieurs analyses du film s'attachent à déceler les traces de résistance des internés au projet de propagande du film. Niethammer voit ainsi un exemple de ce qu'il appelle la « résistance des visages » dans une séquence de football (séquence 30) qui montre un public « avant tout sobre, voire non habitué », dont l'expression contredit la bande-son qui exprime un « enthousiasme frénétique »[86],[66]. Sylvie Lindeperg relève des « indices [qui] semblent révéler le rejet du tournage et la gêne d’y être associé. Une vieille dame se protège le visage de la main pour échapper à l’œil de la caméra. À la sortie de l’atelier, au milieu de figurantes souriantes, une femme avance vers l’opérateur les traits figés, le regard baissé ; à hauteur de la caméra, sa bouche esquisse un imperceptible rictus. Ces regards et ces gestes désaccordés créent un écart, une résistance ; ils invitent à interroger la place de la caméra et le dispositif d’enregistrement »[95]. Elle rapporte également l'analyse d'Ophir Lévy, qu'elle qualifie de « séduisante », selon laquelle la bande-son d'une scène du film inclurait un passage du Kol Nidre, une prière juive d'annulation, en guise d'« avertissement codé destiné, pour le futur, à un éventuel public juif : « que ces images ne soient pas regardées comme de vraies images, ni nos paroles comme disant la vérité » »[105],[95]. PostéritéSubsistanceLa ou les copies intégrales du film ont vraisemblablement été détruites avant l'arrivée de l'Armée rouge à Theresienstadt en [84]. Des quatre-vingt-dix minutes environ que durait le film[106], seules subsistent environ vingt minutes de séquences du film, retrouvées, en plusieurs fragments, dans diverses archives à partir de 1964[6]. Ces fragments présentent notamment l'opéra pour enfants Brundibár, qui fut représenté 55 fois à Theresienstadt[107] et dont la popularité a été également exploitée par les nazis pour la visite de la délégation internationale[108], ainsi que deux exécutions d’œuvres musicales tenues sur une place publique dans un kiosque en bois. La première montre la création, sous la direction de Karel Ančerl, d'une Étude pour orchestre à cordes de Pavel Haas composée à Theresienstadt en 1943[109], et la seconde présente le chef d'orchestre de jazz Martin Roman et ses Ghetto Swingers interprétant Bei Mir Bist Du Shein[110]. Si les deux chefs ont survécu à Auschwitz, la plupart de leurs musiciens ainsi que les enfants jouant dans l'opéra sont morts. Rafael de España, historien du cinéma à l'université de Barcelone, souligne la qualité technique des fragments retrouvés, tant au niveau de la technique de tournage (utilisation de travellings, éclairage) que de la postsynchronisation[6]. InfluenceDans la littératureAusterlitz, un roman de W. G. Sebald, relate également ces faits[111]. Le héros éponyme du roman, Jacques Austerlitz, à la recherche de ses parents, y scrute quelques séquences du film, cette recherche étant pour l'auteur l'occasion d'une étude des mécanismes de projection de son personnage[66]. Afin de déjouer le projet de propagande et l'« irritation continuelle »[112] qu'il suscite, il visionne les fragments au ralenti, grâce à quoi « sont devenues visibles des choses et des personnes qui jusque-là m'étaient restées cachées »[113]. Ainsi, par exemple, « dans une brève séquence du début, où est montré le travail du fer chauffé au rouge et le ferrage d'un bœuf de trait dans la forge d'un maréchal-ferrant, la polka enjouée, composée par je ne sais quel compositeur autrichien d'opérettes [...] est devenue une marche funèbre s'étirant de manière quasi grotesque, et les autres accompagnements musicaux du film [...] évoluent eux aussi dans un monde que l'on pourrait qualifier de chtonien, en des profondeurs tourmentantes »[114],[115]. L'embellissement du camp, la visite de la délégation internationale et l'élaboration du film sont décrits en détail dans le roman Les Orages de la guerre (1978) d'Herman Wouk ainsi que dans la mini-série homonyme. Charles Lewinsky traite dans le roman Retour indésirable de l'acceptation par Kurt Gerron de collaborer à ce film[116]. Il prête à Gerron le choix délibéré de deux familles distinctes pour la scène du repas familial (voir ci-dessus) : « Les Kozower avaient été désignés depuis longtemps pour jouer avec leurs enfants la famille heureuse. Au dernier moment, j'ai proposé d'ajouter un grand-père et une grand-mère. Afin de rendre l'idyllique tableau encore plus idyllique. Mon plan a réussi. ils m'ont accordé le professeur Cohen et sa femme pour faire les grands-parents. Peut-être — je ne peux que l'espérer, mais de toute façon l'espoir c'est tout ce qui nous reste — peut-être le message parviendra-t-il [...] Peut-être quelqu'un verra-t-il cette scène et pensera : mais ils ne sont pas du tout de la même famille. Et il conclura peut-être : si cette scène est truquée, tout le film doit être de l'arnaque »[117]. Patrick Cauvin écrit en 1981 le roman « Nous allions vers les beaux jours » qui, à travers les personnages imaginaires de Paul Levin et Vic Shemin, retrace les conditions de tournage du film de propagande et dénonce le cynisme du régime à l'origine de cette oeuvre de désinformation. Au cinémaLe documentaire australien Paradise Camp (1986) de Paul Rea et Frank Heimans, consacré au camp de Theresienstadt, comporte plusieurs extraits du film[118],[119]. Ilona Ziok évoque Gerron au travers notamment de témoignages d'internés survivants dans le documentaire Kurt Gerrons Karussel[120],[121], ainsi que Malcolm Clarke et Stuart Sender dans le documentaire Prisoner of Paradise[122]. Au théâtreLe narrateur du documentaire d'Ilona Ziok, l'auteur anglais Roy Kift (en), a tiré du sujet en 1999 une pièce de théâtre, La Comédie du camp[123]. Notes, références et localisation des fragmentsNotes
Localisation des fragments
Références
AnnexesBibliographie
Articles connexes
Liens externes
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