Théorie des climatsLa théorie des climats est le nom d'un ensemble de théories politiques qui soutiennent que le climat influence substantiellement la société et les individus. Bien qu'attribuée à Montesquieu, elle est répandue chez divers auteurs depuis l'Antiquité. ConceptLa théorie des climats pose la question du rapport entre l'être humain et son environnement. Les auteurs antiques cherchent à comprendre les différences physiques et comportementales entre les diverses populations qu'ils fréquentent, et mobilisent l'argument climatique pour ce faire. Est ainsi affirmé pendant longtemps que « les hommes du Nord sont forts et valeureux, car endurcis par le climat froid, mais ils sont peu intelligents et inaptes aux affaires politiques ; les hommes du Sud (Nord-Africains, Asiatiques, Éthiopiens...) ont une intelligence vive et une grande imagination, mais ils sont mous car affaiblis par le climat chaud ; enfin, les hommes des moyennes latitudes possèdent les meilleures qualités des uns et des autres »[1]. La théorie a été étendue à de multiples thématiques. Au XXe siècle et au XXIe siècle, certains auteurs ont ainsi cherché à comprendre les effets de la tolérance des changements ou des variations climatiques sur les humeurs, et donc les comportements, des individus[2]. A ainsi été étudiée la météo-sensibilité et l'effet de la météo sur le moral, qui varie en fonction des gènes et des caractères[3], et le cycle des saisons, 80 % de la population se déclarant météo-sensible et 3 % souffriraient de façon pathologique de dépression saisonnière hivernale, leur humeur s’avérant dépendante ou tout au moins marquée par la saison en cours[4]. L'exemple du seasonal affective disorder (SAD), c'est-à-dire du « trouble saisonnier » décrit nos troubles (par exemple l'envie de manger du sucre, le retrait social, la prise de poids, etc). On parle d’impact physiologique et de dépression saisonnière[5]. HistoriqueChez HippocratePlusieurs penseurs de l'Antiquité réfléchissent aux conséquences du climat et sur le façonnement des tempéraments et des sociétés par celui-ci. À la fin du Ve siècle av. J.-C., le médecin Hippocrate écrit le Traité des Airs, Eaux, Lieux (Περὶ ἀέρων ὑδάτων τόπων), où il défend l'idée que c'est le climat, le milieu géographique, l'alimentation qui expliquent les différences entre les peuples[6]. Chez AristoteAristote, dans sa Politique, essaie de saisir les capacités spécifiques des différents peuples. Il présente les grecs anciens comme le juste milieu de l'humanité. Il attribue des caractéristiques essentielles aux peuples selon que leur climat est chaud ou froid. Ainsi :
— Aristote, Politique, VII, 7 (trad. Daremberg) Autres penseurs grecsPoseidonios d'Apamée a aussi relevé l'influence des éléments climatiques sur les comportements humains[7]. Cette théorie était basée sur une étude minutieuse de la géographie humaine et des climats[8]. Chez VitruveChez les Romains, Vitruve explique la différence de caractère entre Européens septentrionaux et méridionaux en faisant référence aux climats dans De l'architecture, VI , 1. L'auteur entre dans des détails au sujet de la manière dont les maisons reflètent les structures sociales du pays, et que cela varie avec la latitude du pays habité[9]. Chez Ibn KhaldounIbn Khaldoun, dans la première section « Sur la civilisation en général » des Muqaddima (ou Prolégomènes de l'histoire universelle), écrites en 1377, consacre son troisième discours préliminaire entre autres à l'influence exercée par l'atmosphère sur le teint des hommes et sur leur état en général[10]. Il dédie le quatrième à l'influence exercée par l'air sur le caractère des êtres humains. Il catégorise le monde en sept climats différents, chacun ayant des propriétés qui influent de manière positive ou négative sur les populations[11]. Khaldoun considère la théorie des climats comme essentielle à sa « théorie de la civilisation »[12]. Chez BodinAu sein de ses Six Livres de la République, publiés en 1576, Jean Bodin mentionne l'influence du climat sur la vigueur des habitants. Il y consacre un chapitre du livre V, intitulé « Du reiglement qu'il faut tenir pour accommoder la forme de Republique à la diversité des hommes, et le moyen de cognoistre le naturel des peuples ». La théorie est également développée dans le chapitre v de la Methodus[13]. Bodin est un précurseur de Montesquieu[14]. Chez BoileauNicolas Boileau, Fénelon, Jean de La Bruyère admettent la théorie des climats[7]. Boileau écrit notamment, dans L'Art poétique :
Chez les penseurs du XVIIIème siècleLes penseurs politiques du XVIIIe siècle abordent de façon récurrente la théorie des climats, sous des angles différents, et souvent en s'inscrivant dans la lignée des auteurs des siècles précédents. Le thème n'est pas exclusif aux philosophes politiques. Henri de Boulainvilliers discute de la théorie des climats dans ses ouvrages[7]. L'abbé Jean-Baptiste Dubos aborde le sujet d'un point de vue esthétique dans les Réflexions critiques sur la poésie et sur la peinture, qui sont publiées en 1719 ; il y soutient que certains peuples, nominalement les Français, les Grecs et les Italiens, démontrent un meilleur goût, produisent un plus grand nombre d'artistes dont les créations sont de qualité supérieure, et que cela est dû à leur climat[15]. En médecine, en Angleterre principalement, les propriétés de l'air sont mises en corrélation avec la propagation des épidémies. À cet effet, l'Écossais John Arbuthnot, proche d'Alexander Pope et de Jonathan Swift, publie à Londres en 1733 An Essay Concerning the Effects of Air on Human Bodies (Essai des effets de l’air sur le corps humain). L’abbé François Ignace d’Espiard de La Borde publie à Bruxelles en 1743 ses Essais sur le génie et le caractère des nations, réimprimés sous le titre L'Esprit des nations, où il postule que « Le climat est, de toutes les causes, la plus universelle, la plus puissante »[16]. Cette affirmation s'inscrit dans le débat sur les origines de l’homme (monogénisme ou polygénisme) et sur l’opposition entre la civilisation et l'état sauvage. Chez RousseauJean-Jacques Rousseau aborde le sujet en 1782. Il écrit : « les climats, les saisons, les couleurs, l'obscurité, la lumière, les éléments, les aliments, le bruit, le silence, le mouvement, le repos, tout agit sur notre machine et sur notre âme »[17]. Il étend cette conception de l'effet du climat sur les gens à sa conception de l'effet du climat sur les régimes politiques et les peuples. Ainsi, dans Du contrat social, il écrit : « Quand tout le midi seroit couvert de Républiques & tout le nord dʼEtats despotiques, il nʼen seroit pas moins vrai que par lʼeffet du climat le despotisme convient aux pays chauds, la barbarie aux pays froids, & la bonne politie aux régions intermédiaires ». Chez MontesquieuMontesquieu popularise la théorie d'une force retentissante en l'appliquant au seul domaine politique et en en faisant une clef de lecture des différences politiques entre sociétés. Il l'esquisse d'abord dans les Lettres persanes, puis lui donne une place considérable dans De l'esprit des lois :
— Montesquieu, L’Esprit des lois, 3e partie, Livre XIV, chap. X. Ainsi, la théorie des climats permet de résoudre le problème à la base de l'anthropologie, c'est-à-dire celui de la diversité culturelle d'une humanité qui, pourtant, est une. Elle offre une solution rationnelle à l'apparemment chaotique distribution des caractéristiques politico-sociales à travers les peuples, dont les mœurs et coutumes sont relevées et présentées par et pour les Européens dans les abondants récits de voyage[7].
— Jean Ehrard, L’idée de nature en France dans la première moitié du XVIIIe siècle, Paris, Albin Michel, coll. « Bibliothèque de "L’Évolution de l’humanité" », , p. 691 Il affirme que certains climats sont supérieurs à d'autres, le climat tempéré de France étant l'idéal. Il soutient que les peuples vivant dans les pays chauds ont tendance à s'énerver alors que ceux dans les pays du nord sont rigides. Montesquieu fut là influencé par La Germanie de Tacite, un de ses auteurs favoris. Montesquieu a été influencé par les thèses médicales contemporaines, puisqu’il ouvre son exposition des rapports des lois avec le climat par une explication physiologique des effets du froid et du chaud sur les activités humaines, tout à fait banale pour l'époque et reprises par Venel dans l'article Climat de l’Encyclopédie
— « Climat », Encyclopédie, vol. III, lire en ligne. Chez BuffonGeorges-Louis Leclerc de Buffon soutient ce qui était à l'époque la théorie de l'unité de l'espèce, le monogénisme. Cherchant à expliquer les différences entre les hommes de contrées séparées, il mobilise ce qu'il appelle la « théorie des dégénérations »[18]. Les climats auraient influencé les hommes et les auraient rendu dissemblables à partir d'une nature commune :
— Buffon, Histoire naturelle, « De la dégénération des animaux » . Chez HegelLa théorie des climats tend à disparaître au XIXe siècle. Elle est toutefois mobilisée par la philosophie allemande, notamment chez Johann Gottfried von Herder et chez Georg Wilhelm Friedrich Hegel, dans le cadre de leur philosophie de l'histoire[19]. Hegel, dans la La Raison dans l'histoire, écrit :
— Hegel, La Raison dans l’histoire., IV- Le fondement géographique de l'histoire universelle. Chez StaëlLectrice de Montesquieu, Madame de Staël tente d'appliquer la théorie des climats à la littérature et aux arts, principalement dans Delphine et dans Corinne ou l'Italie. Références littérairesÀ la fin du XVIIIe siècle et au début du XIXe siècle, les références à la théorie des climats pullulent dans les œuvres littéraires. Le corrupteur, Gaudet, dans Le Paysan perverti (1775) de Nicolas Edme Restif de La Bretonne, y prend son appui pour relativiser la chasteté[20]. Lord Byron ironise dans son Don Juan (1819) :
— Chant I, strophes 63-64
— trad. Benjamin Laroche, Œuvres complètes de lord Byron, tome IV, 6e édition revue et corrigée, Paris : V. Lecou, p. 23 Références
Bibliographie
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