En analyse réelle, le théorème de la bijection énonce que, si une fonction est continue et strictement monotone sur un intervalleréel, toute valeur comprise au sens large (ou strict) entre les valeurs (ou les limites) de aux bornes de l'intervalle possède un unique antécédent par .
Ce théorème ne s’applique pas à des ensembles de définition plus généraux tel un intervalle de nombres rationnels, sur lequel la continuité de la fonction n’implique pas le prolongement par continuité à un intervalle réel[1]. Cette spécificité de la continuité à variable réelle n’avait pas été rigoureusement mise en évidence avant le XIXe siècle. Il a fallu pour cela attendre les travaux de Méray, Dedekind et de Cauchy qui ont fourni une construction des nombres réels.
Énoncé
Sur un segment
Théorème de la bijection entre segments — Si f est une fonction continue et strictement monotone sur un intervalle [a, b] et à valeurs réelles, alors elle constitue une bijection entre [a, b] et l'intervalle fermé dont les bornes sont f(a) et f(b).
Démonstration
Notons J cet intervalle fermé, c'est-à-dire l'ensemble des réels compris entre f(a) et f(b).
La monotonie de la fonction implique que l'image de l'intervalle [a, b] est contenue dans J :
si f est croissante, pour tout x de [a, b] on a f(a) ≤ f(x) ≤ f(b) ;
si f est décroissante, pour tout x de [a, b] on a f(b) ≤ f(x) ≤ f(a).
Enfin, le théorème des valeurs intermédiaires (qui s'appuie sur l'hypothèse de continuité) garantit que tout élément de J admet au moins un antécédent par f, c'est-à-dire que la fonction est surjective dans J.
Formulation équivalenteSi f est continue et strictement monotone sur un intervalle [a, b] alors, pour tout réel k dans J, il existe une unique solution à l'équation f(x) = k d'inconnue x dans [a, b]. En outre, cette équation n'a pas de solution sur [a, b] pour les autres valeurs de k.
Sur un intervalle quelconque
Forme de l'intervalle image en fonction du sens de la monotonie de et de la forme de l'intervalle de départ.
croissante
décroissante
Le théorème se généralise à des intervalles ouverts ou semi-ouverts, l'intervalle étant alors un intervalle de même nature, avec des bornes pouvant être finies ou infinies. L'existence des limites de la fonction aux bornes de l'intervalle est assurée par la monotonie : il s'agit alors des bornes supérieure et inférieure des valeurs de la fonction sur cet intervalle.
Cette généralisation peut être ramenée à la formulation suivante :
Théorème — Si est continue et strictement monotone sur un intervalle de bornes et (finies ou infinies), pour tout réel strictement compris entre les limites de en et en , il existe un unique de tel que , autrement dit l'équation admet une unique solution dans .
Il est possible de construire des bijections entre intervalles réels qui ne sont ni monotones ni continues.
Démonstration
La fonction définie sur par si appartient à et si appartient à définit une bijection de dans lui-même alors qu'elle n'est ni monotone ni continue.
En revanche, certains résultats peuvent être considérés comme des réciproques du théorème de la bijection.
Une injection d'un intervalle dans ℝ qui est continue — ou plus généralement de Darboux, c.-à-d. vérifiant la propriété des valeurs intermédiaires — est nécessairement monotone[2]. En particulier, toute bijection continue entre intervalles réels est monotone.
Une surjection monotone d'une partie quelconque de ℝ sur un intervalle est nécessairement continue[3]. En particulier, toute bijection monotone entre intervalles réels est continue.
Homéomorphisme
Une fonction continue de A vers B admettant une réciproque continue de B vers A est appelée un homéomorphisme. Les hypothèses des énoncés précédents permettent en réalité de démontrer non seulement l'existence d'une bijection mais aussi le caractère continu de sa réciproque. Le théorème de la bijection peut alors s'énoncer ainsi :
Théorème — Soit une fonction continue et strictement monotone, d'un intervalle I dans ℝ, induisant donc une bijection f de I sur une partie J de ℝ, de bijection réciproque f−1 : J → I (strictement monotone de même sens que f[4]). Alors :
J est un intervalle ;
f est un homéomorphisme, c'est-à-dire que f−1 : J → I est continue.
Démonstration
J est un intervalle. C'est une conséquence directe du théorème des valeurs intermédiaires car I est un intervalle et f est continue sur I.
est continue. C'est une application du dernier énoncé de la section Réciproques du théorème : est une fonction monotone surjective d'un intervalle, J, sur un intervalle, I, donc est continue.
Le fait qu'une bijection continue ait une réciproque continue n'est pas toujours vrai.
Cette propriété peut être fausse si l'ensemble de départ ou d'arrivée n'est pas ℝ.
Cette propriété peut être fausse si l'ensemble de départ n'est pas un intervalle de ℝ.
Cette propriété est une propriété globale : une bijection f de ℝ dans ℝ, continue en a, peut avoir une réciproque non continue en f(a).
Contre-exemples
La fonction de [0, 2π[ dans le cercle unité du plan ℝ×ℝ qui à θ associe (cosθ, sinθ) est une bijection continue dont la réciproque n'est pas continue en (1,0).
La fonction de [0, 1[ ∪ [2, 3[ dans [0, 2[ qui, à x, associe x si x < 1 et x – 1 si x ≥ 2, est une bijection continue strictement monotone dont la réciproque n'est pas continue en 1.
f(x) = x pour tout réel positif x différent d'un entier ou de l'inverse d'un entier ;
est une bijection continue en 0 dont la réciproque n'est pas continue en 0.
Notes et références
↑La fonction qui à tout rationnel x associe f(x) = x si x≤√2 et f(x) = x + 1 si x>√2 est bien continue et strictement croissante sur ℚ avec f(1) = 1 et f(2) = 3, mais les rationnels entre 1,5 et 2,4 n’ont pas d’antécédents.
↑Énoncé par Alain Mézard et Charles Delorme, Cours de mathématiques supérieures, vol. 2, PUF, (lire en ligne), p. 101 et 255 et démontré dans « Théorème de la bijection » sur Wikiversité. Daniel Guinin et Bernard Joppin, Analyse MPSI, Bréal, (lire en ligne), p. 163, th. 10 (b), ne l'énoncent que lorsque l'ensemble de départ est aussi un intervalle, et le démontrent moins directement (à l'aide du théorème de la limite monotone).
↑Cette monotonie de f−1 ne nécessite pas que f soit continue ni que I soit un intervalle. Elle est simplement due au fait que l'ordre sur I est total : cf. Relation d'ordre#Applications croissantes.