Suzanne Bertillon, née le à Paris (Seine) et morte le à Montgeron (Essonne), est une décoratrice, journaliste, conférencière et résistante française.
Biographie
Suzanne Bertillon est la petite-fille de Louis-Adolphe Bertillon, médecin et statisticien, une des deux filles du docteur Jacques Bertillon[2], également chef de service de la statistique municipale de la Ville de Paris, et de son épouse, également médecin[3], et la nièce du criminologue Alphonse Bertillon, dont elle se fit la biographe en 1941.
À partir de 1919, elle expose à Paris des tissus (vêtements et étoffes d'ameublement) qu'elle a peints et décorés[4],[5].
En 1924, elle figure avec sa sœur Jacqueline, avocate, sur une liste électorale menée par une femme de lettres, Mme Aurel, alors que les femmes n'ont pas encore le droit de vote[6].
En compagnie de jeunes gens et jeunes filles de l'école des beaux-arts[7], elle voyage en URSS au début des années 1930 et relate ensuite ses impressions dans des conférences, en France et en Suisse[8],[9] et dans le quotidien de droite Le Matin, dans des articles publiés en 1932 et intitulés « Anticommunistes du monde entier, unissez-vous ! »[10]. Elle est alors proche de l'Association des travailleurs français d'Henri Bourgoin, xénophobe et anticommuniste, opposée à la lutte des classes et au marxisme, et prend la parole dans plusieurs de ses réunions entre 1932 et 1934, y évoquant notamment son séjour en URSS[11]. En 1932, elle s'en prend violemment à Léon Blum dans le périodique de cette association, au nom de la défense de la sécurité de la France contre les prétentions allemandes[12]. L'éphémère association est renommée en 1934 Confédération générale des travailleurs français, dont elle est brièvement la secrétaire générale[13].
Elle voyage en Allemagne en janvier et février 1933, alors qu'Hitler accède au pouvoir le 30 janvier 1933, en rapporte des impressions et des réflexions alarmistes, publiées dans Le Matin. Elle donne aussi des conférences sur son voyage[14],[15],[16],[17],[18],[19],[20],[21].
Ses deux articles d'août 1933 publiés dans Le Matin sur la détresse des populations ukrainiennes, touchées par la famine, sont les premiers articles à alerter en France sur l'ampleur de la famine dans ce territoire soviétique[22],[23],[24],[25]. Elle donne des conférences sur l'URSS pour les Jeunesses patriotes (JP) en province[26].
Elle est l'envoyée spéciale en Allemagne, à Berlin, d'un autre quotidien de droite, Le Jour, de Léon Bailby, en décembre 1935 et janvier 1936[27]. Le Matin l'envoie en Espagne après la victoire électorale du Frente popular en février 1936. Son reportage, anticommuniste, est intitulé « L'Espagne sous le règne de la peur »[28],[29]. Elle publie en 1937 ses reportages sur l'Allemagne nazie dans La Revue hebdomadaire[30].
En 1936, elle est condamnée à 15 jours de prison avec sursis pour provocation au meurtre, à la suite de propos violents tenus lors d'une conférence en Meurthe-et-Moselle contre des membres du gouvernement[31]. L'année suivante, elle est condamnée en appel à une peine d'un mois de prison avec sursis pour avoir menacé de mort deux personnalités du Front populaire, le radical-socialiste Édouard Herriot et le socialiste Joseph Paul-Boncour, au cours d'une conférence politique du Parti national populaire (nouveau nom des JP) à Nice en 1936[32]. Membre du Parti populaire français (PPF), elle assume ses paroles et accuse dans le périodique de ce parti les communistes et le gouvernement de Léon Blum d'être responsables de sa condamnation[33]. Elle donne alors des conférences pour le PPF[34],[35] et pour des cercles royalistes, en France et en Suisse[36],[37],[38].
En juin 1938, cette nationaliste appelle à la fermeté contre l'Allemagne au sujet de la question des Sudètes et de la Tchécoslovaquie[39].
Sous l'Occupation, elle dirige en 1941 le service de la censure des journaux étrangers au Ministère de l'information[40], grâce à l'appui de son oncle René Gillouin[41]. C’est dans ce contexte qu’elle entre en relation avec des journalistes suisses et américains. Elle est notamment en relation avec Virginia Hall qui, sous couvert de son statut de correspondante du New York Post à Vichy, travaille pour les services secrets britanniques puis américains[41]. Elle fonde et dirige un service de renseignement en 1943, le réseau de résistance Hi-Hi[42] avec Louis Marin, un ami de son oncle Alphonse. Dans les Bouches-du-Rhône, elle s'adresse à ses cousins et à un ami pour assurer l’organisation ou le recrutement dans deux secteurs,
celui de Marseille et celui du delta du Rhône[43]. Son réseau est aussi présent en Auvergne (Puy-de-Dôme, Allier et Haute-Loire) et dans le Var[44]. Elle entre en contact avec Edmond Locard, qui lui fournit des renseignement entre mars et octobre 1943[45].
Elle reçoit après la guerre la médaille de la résistance, la croix de guerre et la croix de la Légion d'honneur[46],[47]. En mai 1947, elle reçoit comme d'autres résistants la médaille de la Liberté (Medal of Freedom) avec palme de bronze, décernée par les États-Unis, pour services exceptionnels rendus à l'Office of Strategic Services (OSS), d'avril 1943 à juillet 1944[48],[49],[50].
↑Sophie Cœuré, La grande lueur à l'Est : les Français et l'Union soviétique (1917-1939), Seuil (S. Bertillon a donné une conférence à Nantes et a aussi parlé devant l’Association des Études ukrainiennes)
↑Marie-Pierre Rey, Edouard Herriot et l'Union soviétique, dans Bruno Benoit (dir.), Édouard Herriot en quatre portraits : le Lyonnais, l'humaniste, le politique et l'Européen, Villeneuve-d'Ascq, Presses universitaires du Septentrion, coll. « Histoire et civilisations », 2020, p. 222
↑ a et b« Suzanne Bertillon; Une résistante méconnue à Vichy entre 1941 et 1944 », Bulletin de liaison du Centre International d’Etudes et de Recherches de Vichy, .
↑Alain Guérin, Chronique de la résistance, 2010, p. 1640
↑Victor Masson, La résistance dans le Var, 1940-1944, 1983, p. 60
↑Frappa Amos, Edmond Locard et la police scientifique, EHESS, 2020 : « Après avoir rédigé une recension des plus favorables de la biographie de Bertillon, Locard rencontre de nouveau Suzanne pour un tout autre projet : rejoindre le réseau de résistance Hi-Hi. Alors qu’elle travaillait au ministère de l’Information à Vichy, s’occupant de la presse étrangère, la nièce de Bertillon s’était liée d’amitié avec Virginia Hall, la correspondante du New York Post œuvrant en fait pour le S.O.E. britannique. Dès l’invasion de la zone sud, Suzanne avait tenté d’intégrer les services secrets américains. De fil en aiguille, elle s’était ainsi rapprochée de l’ancien sous-préfet Pierre Truc, fondateur du réseau Nouquette en juillet 1940. La chaîne Hi-Hi avait émergé à partir de ce réseau en janvier 1943 avec Suzanne à sa tête. D’ampleur modeste et subordonnée à l’O.S.S. de Barcelone, ses ramifications s’étendaient jusqu’à Toulon. Favorable aux Alliés, Locard accepte donc de fournir des renseignements entre mars et octobre 1943, livrant par exemple des détails sur la flotte furtive allemande naviguant sur le Rhône et la Saône. Se sachant étroitement surveillé par la Gestapo, il conseille à son amie – aux multiples pseudonymes tels que Camille, Oncle Sébastien, Claude Montsoreau ou encore Christine – de cesser ses visites au laboratoire de police, consigne qu’elle respectera jusqu’à la Libération. »
↑« Récompenses de guerre aux femmes », Union nationale des femmes, (lire en ligne).
↑« Nos amies à l'honneur », Union nationale des femmes, (lire en ligne).
↑« Le général Tate remet la Medal of Freedom à Suzanne Bertillon », Union nationale des femmes, (lire en ligne).