En théorie des nombres, en informatique théorique et en combinatoire des mots, une suite régulière ou plus précisément une suite k-régulière où k>1 est un entier, est une suite d'entiers qui est définie par des relations de dépendance linéaire de certaines de ses sous-suites. Les sous-suites sont celles dont les indices forment des progressions arithmétiques dont les raisons sont des puissances de k. La condition est que toutes ces sous-suites appartiennent à un espace vectoriel (ou un module) finiment engendré.
Il apparaît qu'un nombre considérable de suites d'entiers figurent dans cette catégorie. De plus, les suites k-régulières qui ne prennent qu'un nombre fini de valeurs sont exactement les suites k-automatiques.
qui compte la somme des bits dans l'écriture binaire des entiers naturels est un prototype de suite 2-régulière. C'est la suite A000120. Un autre exemple est la suite
des exposants des plus hautes puissances de 2 divisant les entiers (appelée en anglais la « ruler function »). C'est la suite A007814.
Le concept de suite k-régulière a été introduit par Allouche et Shallit[1]. Ils en présentent un développement détaillé dans leur livre[2]. Le lien avec les séries rationnelles en variables non commutatives, déjà mentionné dans leur article[1], est aussi détaillé dans le chapitre 5 du livre Berstel et Reutenauer 2011. Une présentation synthétique est donnée dans le premier chapitre (section 1.6.2 : Regular sequences) du livre Berthé et Rigo 2018.
Définition
Comme pour les suites automatiques, il existe plusieurs définitions équivalentes : par un ensemble de relations de récurrence, par une représentation matricielle,
Il est commode de noter une suite d'entiers de façon fonctionnelle, c'est-à-dire comme une fonction des entiers naturels dans les entiers.
Une première formulation de la définition est la suivante.
Noyau
Soit un entier.
Une suite
d'entiers est dite -régulière s'il existe un nombre fini de suites d'entiers
et, pour tout et tout , des entiers
tels que pour tout , on a
.
En d'autres termes, chacune des sous-suites
est combinaison linéaire, à coefficients entiers, des suites données .
Pour simplifier l'expression ci-dessus, il est utile de donner un nom aux sous-suites considérées. On appelle -noyau[3] de la suite l'ensemble
des sous-suites pour et . Alors, et de manière plus synthétique, la suite est -régulière si son -noyau est contenu dans un -module finiment engendré de suites d'entiers[4].
Représentation linéaire
Soit un alphabet fini et soit un demi-anneau. Une série formelle est une application de dans . L'image d'un mot est noté . La série elle-même est aussi notées [5].
Une série formelle est dite -reconnaissable s'il existe un entier , des vecteurs , et un morphisme telle que
pour tout .
Le triple est une représentation linéaire de .
Une suite est -régulière si la série formelle
est -reconnaissable, où . Ici
est le nombre représenté par son développement en base .
qui compte la somme des bits dans l'écriture binaire des entiers naturels est un prototype de suite 2-régulière. C'est la suite A007814 de l'Encyclopédie en ligne des suites de nombres entiers). Pour le vérifier, calculons son 2-noyau. On prend d'abord les deux sous-suites dont les indices sont pairs ou impairs, ce qui donne :
0, 1, 1, 2, 1, 2, 2, 3, 1, 2, 2, 3, . . .
et
1, 2, 2, 3, 2, 3, 3, 4, 2, 3, . . .
La première sous-suite est égale à la suite de départ, la deuxième est égale à suite de départ dont chaque terme est augmenté de 1.
Plus généralement, comme on a
,
tout élément du 2-noyau est une combinaison linéaire de la suite de départ et de la suite constante .
Une représentation linéaire de la série est donnée par
.
On a alors, pour , :
Valuation 2-adique
La valuation 2-adique d'une entier n (aussi appelée « ruler function ») est l'exposant de la plus grande puissance de 2 divisant n : ainsi et . Les premières valeurs de la suite (c'est la suite A007814) sont, en commençant par n=1 :
La sous-suite des indices pairs est la suite nulle, la suite des indices impairs est la suite de départ dont chaque terme est augmenté de 1. À nouveau, le 2-noyau est formé de la suite de départ et de la suite constante .
Une suite k-régulière qui ne prend qu'un nombre fini de valeurs est k-automatique[6].
Si une suite est k-régulière, alors la suite est k-automatique pour tout (mais la réciproque est fausse)[7].
Propriétés de fermeture
La famille des suites k-régulières est fermée par addition, par multiplication par une constante, par multiplication terme-à-terme (produit de Hadamard) et par produit de Cauchy[8]
Le produit terme-à-terme (aussi appelé produit de Hadamard) de deux suites et est la suite
Le produit de Cauchy des deux suites est la suite définie par
.
Si est une suite -régulière et si et sont des entiers naturels, alors la suite est -régulière.
Croissance des coefficients
Les termes d'une suite k-régulière croissent au plus polynomialement en fonction de leur indice[9]. La suite des valeurs d'un polynôme à valeurs entières est k-régulière pour tout entier .
La notion de suite k-régulière s'étend comme suit à un anneau . Soit un sous-anneau noethérien commutatif de . Une séquence d'éléments de est '-régulièresi le -module engendré par les
pour et
est finiment engendré.
Autres exemples de suites
Somme cumulée de digits
Soit la somme des digits de l'écriture de en base et soit
.
La suite est le produit de Cauchy de la suite et de la suite constante . Elle est donc -régulière.
La suite de Kimberling
La suite de Kimberling[10] est la suite définie par et pour par
Ici est la plus haute puissance de 2 qui divise . Les premières valeurs sont
0, 1, 1, 2, 1, 3, 2, 2, 4, 1, 5, . . .
C'est la suite A003602 de l'OEIS. On vérifie facilement que et pour , donc la suite est 2-régulière.
↑Une subtile différence existe entre la définition originale d'Allouche et Shallit et celle adoptée par Berthé et Rigo : pour ces derniers, la condition est que le noyau lui-même est finiment engendré (et pas seulement contenu dans un module finiment engendré.
Jean-Paul Allouche et Jeffrey Shallit, « The ring of k-regular sequences, II », Theoretical Computer Science, vol. 307, , p. 3–29 (DOI10.1016/s0304-3975(03)00090-2, lire en ligne).
Valérie Berthé et Michel Rigo (éditeurs), Sequences, groups, and number theory, Birkhäuser, coll. « Trends in Mathematics », , 578 p. (ISBN978-3-319-69151-0)
Émilie Charlier, « First-order logic and numeration systems », dans Valérie Berthé, Michel Rigo (éditeurs), Sequences, groups, and number theory, Birkhäuser, coll. « Trends in Mathematics », (ISBN978-3-319-69151-0), p. 89-142