La sauce ravigote est dans son sens actuel une vinaigrette froide additionnée de câpres, persil, cerfeuil, estragon, échalote ou oignons hachés. Cette sauce est typique de la cuisine française.
Origines du nom
Le nom est une altération du verbe « revigoter », synonyme de « ravigoter » (1712)[1], le dictionnaire Brachet (1868) écrit : « Ravigoter, corruption de l'ancien verbe français ravigorer (remettre en vigueur ; dérivé du latin vigorem, vigueur)[2] ». Les synonymes suivants sont donnés par Jean-Baptiste-Bonaventure de Roquefort : « ravigourer, ravigorer, ravigoter[3] ».
Dans les idiomes méridionaux, ravigouta signifie renforcer l'appétit[4]. « À comparer avec l'italien rinvigorire ; dérivé Ravigote proprement mets ravigotant[5]. »
Jusqu'à 1770, on écrit indifféremment ravigotte et ravigote, c'est après 1830 que l'orthographe ravigote devient majoritaire[6].
Le terme ravigote est utilisé en allemand, en espagnol avec l'orthographe actuelle. En anglais, qui conserve souvent la vieille orthographe, on trouve les variantes white ravigotte sauce (variante de la ravigote blanche[7]), vinaigre de piment, vinaigre à l'estragon, sauce Harvey, béchamel, persil haché et green ravigotte sauce, fines herbes classiques, sauce allemande, vinaigre d'estragon, vinaigre de piment et de sauce Harvey qu'on utilise pour les filets de poisson (1860)[8] : fillets of soles à la ravigotte (1827)[9]. Dans les versions actuelles de la ravigotte sauce (2007) apparait la Dijon mustard[10].
Histoire
La ravigote fait partie de ces sauces piquantes ou relevées de la cuisine du XVIIe siècle avec la rémoulade, la poivrade, la sauce piquante (à l'italienne). Vincent La Chapelle (1733) donne cinq versions de « sauce in Ravigotte » dont deux avec anchois et une « à la bourgeoise » avec truffes[11]. Chez Menon (1748), elles sont interchangeables[12]tartare, gribiche, etc.
C'est chez Menon qu'on trouve un usage fréquent (ragoûts, pieds de mouton à la ravigotte[13]). En 1755, il donne les recettes suivantes.
Sauce ravigotte [chaude]. Prenez une gousse d'ail coupée en filets, cerfeuil, pimprenelle, estragon, cresson, civette, […] presser, mettre infuser une bonne heure dans un verre de consommé chaud sans faire bouillir, passer au tamis, mettre dans cette sauce un pain de beurre manié de farine, sel, poivre, lier sur le feu, servir avec un jus de citron, comme le dictionnaire de Henri-Simon-Pierre Gissey (1750)[14] (Menon donne en 1749 une sauce bacchique à la ravigote où le bouillon est remplacé par du vin blanc et du fond de veau[15]).
Ravigotte froide. Prenez la moitié d'un pied de cèleri, des ciboules, deux échalottes, une gousse d'ail, un anchois, des câpres, estragon, cerfeuil, cresson, pimprenelle ; pilez, tamiser, y ajouterez de la moutarde, du vinaigre, de l'huile, sel, poivre, servir froid comme une rémoulade[17].
La différence avec la rémoulade est l'absence d'œuf. La version chaude est chez Menon citronnée et non vinaigrée. Ces deux recettes vont durablement coexister. Alexandre Dumas donne les deux ravigotes avec la froide sous le nom de ravigote à l'huile[18]. Carême donne des ravigotes printanières (grasse et maigre à la glace de poisson) chaudes[19] et la « magnonaise à la ravigote printanière » froide. Cette sauce doit être d'un vert printanier, dit-il[20].
De nos jours, Michel Maincent-Morel (La Cuisine de référence, 2015) donne : vinaigrette avec câpres hachées, oignons ciselés, fines herbes fraichement hachées[24].
Pas de moutarde
En principe, les grands auteurs ne mettent pas de moutarde, qui entrainerait la ravigote du côté de la rémoulade, mais on trouve des dissidents[25], y compris dans le dictionnaire de Jean-Baptiste-Bonaventure de Roquefort[26].
Son usage est comparable à celui de la rémoulade : poisson[31], crustacés, viandes, œufs, légumes (artichaut). Parmi les recettes originales : les moules à la ravigote[32]. Parmi les plus étonnantes, Carême sert une garniture de morilles ou de mousserons à la sauce ravigote[33], les escalopes de ris de veau à la ravigote printanière (« quelques personnes ajoutent un peu de citron à la ravigote, c'est inutile », écrit-il[34]). En Italie, la razza con salsa ravigotta : raie diabolique à la ravigote[35].
Anthologie
Charles Augustin Bassompierre (Sewrin), Les Deux Magots de la Chine, comédie en un acte, Paris, Barba. 1811[36]. Ravigotte est écrit avec l'ancienne orthographe.
« AIR : Amusez-vous, trémoussez-vous.
Ah ! qu'une fille
Bien gentille
Fait plaisir à voir,
Et qu'elle a de pouvoir !
Son sourire
Cause un délire
Dont l'effet ravit
Les sens, le cœur, l'esprit.
Regard fripon,
Ou pied mignon,
Nous rajeunit,
Nous réjouit,…
[Ça vous ravigotte,
Ravigotte,
Ravigotte,
Ça vous ravigotte,
Ravigotte l'appétit]. bis »
Le Courrier politique et galant, volume 4, Amsterdam, Du Villard, 1720. Extrait de la pièce La Ravigotte (« c'est une espèce de sauce verte appétissante ») donnée le 17 aout 1720[37]. Le gout piquant est lié à l'acidité (vinaigre).
« La Ravigotte est-elle, après tout, si grand cas ?
Pour une sauce verte avec de l'échalote,
Et tels ingrediens fins, vifs et delicats
Dont l'acide benin piquote,
Faut-il faire tant de fracas ?
Al dispetto de quiconque en marmote,
En mainte bonne table on vante ses appas »
Notes et références
↑(en) Matthias Kraemer, Le Vraiment Parfait Dictionnaire Roial, Radical, Etimologique, Sinonimique, Phraseologique, et Sintactique, François-Allemand, pour l'une et l'autre Nation … Das recht Vollkommen-königliche Dictionarium, etc, (lire en ligne), p. 4088.
↑Auguste Brachet, Dictionnaire étymologique de la langue française, J. Hetzel et cie, (lire en ligne), p. 449.
↑Jean-Baptiste Boniface de Roquefort, Glossaire de la langue romaine (etc.) Contenant l'etymologie et la signification des mots usites dans les 11. -16. siecles (etc.) et un discours sur l'origine, les progres et les variations de la langue francoise (etc.), Warce, (lire en ligne), p. 439.
↑Louis Boucoiran, Dictionnaire analogique & étymologique des idiomes méridionaux, Roumieux, (lire en ligne), p. 1128.
↑Jean Auguste Udalric Scheler, Dictionnaire d'étymologie française, (lire en ligne), p. 281.
↑Charles Nodier, Delphine de Girardin, Charles Monselet et Alexandre Dumas, Miscellanées : 10 textes issus des collections de la BnF, BnF collection ebooks, (ISBN978-2-346-13968-2, lire en ligne).
↑Charles Elmé University of Leeds Library et University of Leeds. Library, The Modern Cook: A practical guide to the culinary art in all its branches, comprising, in addition to English cookery, the most approved and recherché systems of French, Italian and German cookery. Adapted as well for the largest establishments as for the use of private families, Londres, Richard Bentley, (lire en ligne), p. 7.
↑Louis Eustache Wellcome Library, The French Cook: A system of fashionable, practical, and economical cookery, adapted to the use of English families, Londres, W. H. Ainsworth, (lire en ligne), p. XX.
↑(en) Vincent La Chapelle, The Modern Cook, N. Prevost, (lire en ligne), p. 96 et sq..
↑Joseph Menon, La Cuisiniere bourgeoise. Suivie de L'Office a l'usage de tous ceux qui se mêlent de dépenses de maisons. Nouvelle edition corrigée & considerablement augmentée…, (lire en ligne), p. 77.
↑Joseph Menon, La Cuisiniere bourgeoise. Suivie de L'Office a l'usage de tous ceux qui se mêlent de dépenses de maisons. Nouvelle edition corrigée & considerablement augmentée…, (lire en ligne).
↑Henri-Simon-Pierre Bibliothèque interuniversitaire de santé (Paris), Dictionnaire des alimens vins et liqueurs, leurs qualités, leurs effets, relativement aux différens âges, & aux différens tempéramens ; avec la maniere de la apprêter, ancienne et moderne, suivant la méthode des plus habiles chefs-d'office & chefs de cuisine, de la cour & de la ville. Ouvrage très-utile dans toutes les familles…Par M.C.D. chef de cuisine de M. Le prince de*** [Briand]. Tome troisième, Paris : Chez Gissey, Bordelet, (lire en ligne), p. 2.
↑Joseph Menon et Étienne Lauréault de (1694-1779) Auteur du texte Foncemagne, La Science du maître d'hôtel cuisinier , avec des observations sur la connaissance & propriétés des alimens, (lire en ligne), p. 537.
↑Joseph Menon, Les Soupers de la Cour, ou L'art de travailler toutes sortes d'alimens, pour servir les meilleures tables, suivant les quatre saisons. Tome 1, (lire en ligne), p. 135.
↑Alexandre Dumas, Petit dictionnaire de cuisine. Voyage à travers les trésors de la gastronomie française, Books on Demand, (ISBN978-2-322-13067-2, lire en ligne).
↑Marie-Antonin Carême, L'Art de la cuisine française au dix-neuvième siècle. Traité élémentaire et pratique…, de Kerangué & Pollés Libraires-éditeurs, (lire en ligne), p. 56.
↑Marie Antonin Carême, L'Art de la cuisine française au dix-neuvième siècle. Traité élémentaire et pratique…, de Kerangué & Pollés Libraires-éditeurs, (lire en ligne), p. 134.
↑Joseph Favre, Dictionnaire universel de cuisine pratique. Encyclopédie illustrée d'hygiène alimentaire : modification de l'homme par l'alimentation. T. 4 / Joseph Favre, (lire en ligne), p. 1704.
↑Auguste Escoffier, Le Guide culinaire. Aide-mémoire de cuisine pratique (3e édition) / par A. Escoffier ; avec la collaboration de MM. Philéas Gilbert et Émile Fétu, (lire en ligne), p. 37.
↑Auguste Escoffier, Le Guide culinaire. Aide-mémoire de cuisine pratique (3e édition) / par A. Escoffier ; avec la collaboration de MM. Philéas Gilbert et Émile Fétu, (lire en ligne), p. 49.
↑Michel Maincent-Morel, La Cuisine de référence. Partie 2 : Fiches techniques de fabrication, Éditions BPI, (ISBN978-2-85708-762-5, lire en ligne), p. 925.
↑Jean-Baptiste-Bonaventure de Roquefort, Dictionnaire étymologique de la langue françoise, où les mots sont classés par familles ; : L-Z, Decourchant, imprimeur-éditeur, (lire en ligne), p. 522.
↑Alexandre-Balthazar-Laurent Grimod de La Reynière, Néo-physiologie du gout par ordre alphabétique, ou, Dictionnaire général de la cuisine française, ancient et moderne, ainsi que de l'office et de la pharmacie domestique : ouvrage ou l'on trouvera toutes les prescriptions nécessaires à la confection des aliments nutritifs ou d'agrément à l'usage des plus grandes et des plus petites fortunes ; publication qui doit suppléer à tous les livres de cuisine dont le public n'a que trop expérimenté le charlatanisme, l'insuffisance et l'obscurité : enrichi de plusieurs menus, prescription culinaires, et autres opuscules inédits de M. de la Reynière … suivi d'une collection générale des menus français depuis le douzième siècle, et terminé par une pharmacopée…, Au Bureau du Dictionnaire Général de Cuisine, (lire en ligne), p. 454.
↑(en) Prosper Montagné et Charlotte Snyder Turgeon, The New Larousse Gastronomique, Crown Publishers, (ISBN978-0-517-53137-2, lire en ligne), p. 641.
↑Urbain Dubois, La Cuisine classique. Études pratiques, raisonnées et démonstratives de l'École française appliquée au service à la russe, E. Dentu, (lire en ligne).
↑(en) Eveleen De Rivaz, Little French Dinners, New York, New York (USA), New Amsterdam Book Co., (lire en ligne), p. 40-41.
↑Marie Antonin Carême, L'Art de la cuisine française au dix-neuvième siècle. Traité élémentaire et pratique…, de Kerangué & Pollés Libraires-éditeurs, (lire en ligne), p. 172.
↑Marie Antonin Carême, L'Art de la cuisine française au dix-neuvième siècle. Traité élémentaire et pratique …, de Kerangué & Pollés Libraires-éditeurs, (lire en ligne), p. 55.