Révisionnisme au Japon

Au Japon, le courant révisionniste intéresse principalement la réinterprétation de faits de guerre commis par l'Armée impériale japonaise et la Marine impériale japonaise durant la première partie de l'ère Shōwa en Asie (guerre sino-japonaise et Seconde Guerre mondiale). Bien qu'il ne s'agisse pas à proprement parler de révisionnisme, on s'accorde généralement à appeler ainsi les tentatives visant à minimiser les responsabilités historiques du pays. En effet, la position du gouvernement japonais est ambiguë : il refuse de reconnaître officiellement certains actes pourtant jugés par la communauté internationale comme crimes de guerre. Il serait plus juste de parler alors d'occultation, ou au pire de négationnisme.

Le « révisionnisme » japonais est aujourd'hui profondément ancré dans certains milieux politiques au pouvoir[1],[2],[3],[4]. Il ne s'est pas institutionnalisé à l'image des mouvements néo-nazis en Allemagne, mais est répandu dans une frange de la population. Dans son immense majorité, il s'agit essentiellement d'un fort nationalisme aux yeux mi-clos, où l'on tente autant qu'on peut de passer sous silence les parties encombrantes du fardeau historique.

Les faits de guerre en question

Les faits de guerre sur lesquels s'exprime le révisionnisme au Japon sont principalement ceux concernant :

Les causes

Certains chercheurs[évasif] tiennent les États-Unis, puissance occupante après la capitulation de 1945, pour responsables :

Ces passages sous silence, justifiés par le contexte de guerre froide avec l'URSS et la nécessité de reconstruction rapide du pays, donnèrent le sentiment à l'opinion japonaise d'une recherche de boucs émissaires. Cette impression favorisa l'oubli de reproches embarrassants :

  • en découlent ainsi de grandes lacunes dans le travail de mémoire concernant les actes controversés ;
  • ces efforts ont été accentués par un renouveau du nationalisme, volontairement favorisé par les Américains pour estomper le douloureux souvenir de l'humiliation ;
  • la fidélité à l'empereur (maintenu car considéré comme un atout pour la stabilisation du pays) et la volonté de sa réhabilitation ;
  • les familles politiques de l'Empire sont toujours fortement représentées à l'Assemblée, et il est très difficile de percer politiquement sans avoir leur soutien. Les poussées révisionnistes coïncident souvent avec le calendrier politique national, par exemple lorsqu'un gouvernement menace de tomber. Tandis que les régressions s'accumulent depuis la guerre, les avancées positives comme des excuses officielles sont quasi impossibles et débouchent généralement sur l'éviction du gouvernement.

Nobusuke Kishi figure parmi les cas les plus significatifs : cet ancien ministre de Hideki Tōjō devait être jugé pour crimes de guerre, mais a été libéré avant le procès. Il deviendra Premier ministre de 1957 à 1960 et mènera une politique de rapprochement avec les États-Unis. Mais discrètement, à la fin de son second mandat, il dédiera une stèle à Tōjō et à d'autres criminels de guerre au cimetière du mont Sangane[6].

Attitudes du gouvernement et des pays asiatiques face au passé

En 1986, Fujio Masayuki, ministre de l'Enseignement de Yasuhiro Nakasone, avait démissionné après avoir minimisé les crimes commis à Nankin et avoir déclaré que la Corée avait accepté l'annexion par le Japon.

Le Premier ministre Tomiichi Murayama exprima ses regrets en 1995 et fit voter par la Diète une résolution allant dans ce sens.

Les visites de nombreux Premiers ministres au sanctuaire de Yasukuni, où sont honorés les hommes morts pour le Japon, ont provoqué à plusieurs reprises des scandales d'envergure internationale. En effet parmi les personnalités représentées se trouvent 14 criminels de guerre de classe A. Ces visites, bien que généralement privées, sont vues par les pays autrefois victimes de l'impérialisme nippon comme une glorification de l'ère colonialiste. L'empereur Hirohito lui-même avait cessé ses pèlerinages au sanctuaire après le transfert en ce lieu des cendres de certains des criminels de guerre de classe A favorables à l'alliance avec l'Allemagne[7]. Pour le journaliste Masanori Yamaguchi, qui a analysé le « mémo Tomita » à la lumière des déclarations de l'empereur lors de sa conférence de presse de 1975, l'attitude « opaque et évasive » de Hirohito sur sa responsabilité à l'égard de la guerre et le fait qu'il ait déclaré que le bombardement atomique de Hiroshima « ne pouvait être empêché » [8] démontre qu'il craignait que l'intronisation des criminels au sanctuaire puisse relancer la question de sa responsabilité personnelle concernant les crimes de guerre du Japon Shōwa[9].

Afin de calmer la tension entre les deux pays, les gouvernements de la Chine et du Japon ont formé un comité conjoint d'historiens dont la première séance de travail s'est terminée en à Beijing, sans que des sujets spécifiques comme le massacre de Nankin ne soient abordés[10].

En , l'ancien Premier Ministre japonais Shinzo Abe, dans un souci d'apaisement avec les partenaires asiatiques du Japon (Chine et Corée du Sud en particulier), aurait fait part de ses « profonds regrets » concernant les actes perpétrés par son pays dans le passé. En , il provoqua toutefois une controverse avec ses propos sur la responsabilité de l'armée Shōwa à l'égard des femmes de réconfort[11].

L'affaire des manuels scolaires ou Guerre des manuels

En 1982, une controverse très médiatisée a lieu à la suite du remplacement, dans les livres scolaires, du terme « invasion » (shinryaku) par celui d'« avance » (shinshutsu) pour décrire les opérations militaires de 1936 en Chine[12].

Une deuxième controverse a lieu en 2001, lors de la publication par la maison d'édition Fusôsha du manuel de la Société pour la rédaction de nouveaux manuels d'histoire (en) (Tsukuru-Kai 作る会 (ja)), une organisation nationaliste et révisionniste[13].

Pour obtenir l’accréditation de ce manuel, l'éditeur a dû effectuer plus d'une centaine de corrections à la demande de la Commission des manuels du Ministère de l'éducation. Cependant, malgré ces corrections et bien que le manuel ne nie plus explicitement les faits historiques, tout était fait pour en minimiser certains. De cette manière, le massacre de Nankin a été réduit à une note en bas de page, ce qui a provoqué de violentes réactions dans les pays les plus concernés (manifestations anti-japonaises en Chine et en Corée du Sud). Les sept autres manuels d'histoire disponibles en date de 2008 pour le collège et qui sont utilisés par des établissements n'ont pas fait l'objet de critiques d'une telle ampleur.

En , à la suite des propos controversés de Shinzo Abe sur la responsabilité de l'armée impériale à l'égard des femmes de réconfort, le député du parti libéral démocrate Nariaki Nakayama s'est targué d'avoir réussi à expurger les manuels de toute mention relative à ce dossier[14].

Dernièrement, les critiques ont porté sur la présentation des suicides collectifs de civils lors de la bataille d'Okinawa. La phrase « certains habitants [avaient] été forcés de se suicider par l’armée impériale » a été remplacée par « certains habitants n’ont pas eu d’autre recours que le suicide collectif ». Les critiques du gouvernement soulignent que des armes militaires ont été fournies aux civils spécifiquement dans ce but[15]. En , la préfecture d'Okinawa a officiellement demandé au ministère de l'Éducation nippon de retirer sa directive aux éditeurs de manuels visant à escamoter le rôle de l'armée impériale japonaise et de la marine impériale japonaise dans les suicides collectifs de civils en 1945[16].

Shinzo Abe et le Comité de gestion de la NHK

En 2014, plusieurs membres du Comité de gestion de la NHK, qui venaient d'être nommés par le gouvernement de Shinzo Abe, ont exprimé des opinions révisionnistes. Katsuto Momii, le directeur général de la chaîne de télévision, a ainsi déclaré lors de sa conférence de presse inaugurale que beaucoup de pays avaient mis en place pendant la Seconde Guerre mondiale un système comparable à celui des « femmes de confort » et qu'il était injuste d'accuser particulièrement le Japon sur ce point. La NHK a reçu plusieurs milliers de lettres ou messages de plaintes après les déclarations de Momii, notamment à propos de sa vision de l'histoire[17]. L'écrivain Naoki Hyakuta a quant à lui affirmé, dans un discours prononcé lors de la campagne électorale de Toshio Tamogami pour la mairie de Tokyo, que le massacre de Nankin était de la propagande des nationalistes chinois[18]. Si une troisième membre du comité, Michiko Hasegawa, est plus connue pour ses positions conservatrices en matière d'égalité entre hommes et femmes[19], elle a aussi signé, en 1983, un article révisionniste[20] et, en 2013, elle a défendu le concept selon lequel l'empereur japonais pouvait être un dieu vivant si on donnait sa vie pour lui, contrairement à ce qu'affirme la Constitution du pays[21]. Plusieurs commentateurs voient dans la désignation de ces personnes la main de Shinzo Abe[22], qui a été accusé en 2005 d'avoir exercé des pressions sur la direction de la NHK pour qu'on coupe certaines scènes d'un documentaire sur les femmes de réconfort[23]. Shinzo Abe réfute ces soupçons[24].

Nippon Kaigi

Créée en 1997, cette organisation ouvertement révisionniste est considérée comme « la plus grande organisation d'extrême droite du Japon »[25]. Parmi ses membres, anciens membres ou affiliés, figurent de nombreux parlementaires et ministres, ainsi que quelques premiers ministres dont Tarō Asō, Shinzō Abe, et Yoshihide Suga[réf. nécessaire].

La lutte contre le révisionnisme

Du fait de son caractère flou et épars au sein de la population, il est assez difficile de mener une action coordonnée et efficace. L'historien Ienaga Saburo a mené des campagnes de sensibilisation.

Des citoyens de Nagoya se sont organisés pour répondre au maire de la ville, Takashi Kawamura, qui nie l'existence du Massacre de Nankin, notamment par l'établissement d'un site internet et l'organisation de conférences et autres événements publics[26].

Notes et références

  1. « Au Japon, la liberté d’expression mise à mal par la mouvance nationaliste », Le Monde.fr,‎ (lire en ligne, consulté le )
  2. « Japon : Shinzo Abe, le révisionnisme en héritage », Le Monde.fr,‎ (lire en ligne, consulté le )
  3. « Le révisionnisme gagne du terrain au Japon », Le Temps,‎ (ISSN 1423-3967, lire en ligne, consulté le )
  4. « En finir avec Nippon Kaigi, le lobby révisionniste japonais », sur L'Obs (consulté le )
  5. Le Forum De La Seconde Guerre Mondiale - Voir Le Sujet - L'Opération "Tue Tout, Pille Tout, Brûle Tout"
  6. "[1] Far from Yasukuni, cemetery honors criminals" - Korea JoongAng Daily (15 août 2013)
  7. (fr) Hirohito n’aimait pas les criminels de guerre
  8. «-Votre Majesté ressent-elle une responsabilité à l'égard de la guerre elle-même, incluant le déclenchement des hostilités ? -Nous ne pouvons répondre à une question de ce type car nous n'avons pas suffisamment étudié la littérature dans ce domaine, et conséquemment, ne pouvons apprécier toutes les nuances de vos mots », H. Bix, Hirohito and the Making of Modern Japan, 2000, p. 676
  9. Yasukuni and a week that will live in infamy, http://search.japantimes.co.jp/cgi-bin/fd20060820pb.html
  10. China, Japan end first joint study session on history, http://www.chinadaily.com.cn/china/2006-12/27/content_769169.htm
  11. (en) Japan's Abe: no proof of WW II sex war slaves https://www.washingtonpost.com/wp-dyn/content/article/2007/03/01/AR2007030100578.html
  12. Voir page 221 in Japan: The Burden of Success, Jean-Marie Bouissou & Jonathan Derrick, Fondation nationale des sciences politiques CERI, Hurst & Co, 2002
  13. Samuel Guex, « La controverse nippo-coréenne au sujet des manuels d’histoire », Cipango. Cahiers d’études japonaises, no 19,‎ , p. 111–148 (ISSN 1164-5857, DOI 10.4000/cipango.1688, lire en ligne, consulté le )
  14. Sex slave history erased from texts, http://search.japantimes.co.jp/cgi-bin/nn20070311f1.html, Comfort women distortion stirs indignation, http://www.chinadaily.com.cn/english/doc/2005-07/13/content_459772.htm
  15. (fr) Revue et corrigée, l’Histoire est bien plus belle
  16. Okinawa slams history text rewrite, http://search.japantimes.co.jp/cgi-bin/nn20070623a1.html
  17. (en) NHK receives 7,200 public comments critical of chairman's remarks, The Asahi Shimbun le 5 février 2014.
  18. (en) AFP via Japan Today, NHK manager's Nanjing denial no problem, gov't says, le 5 février 2014; J. Soble, Abe’s interference blurs the picture at Japan’s NHK broadcaster, Financial Times le 4 février 2014; Governor of Japan broadcaster NHK denies Nanjing massacre, BBC News le 4 février 2014.
  19. (en) T. Sugiyama Lebra, Gender and Culture in the Japanese Political Economy: Self-Portrayals of Prominent Business Women, in Y. Murakami et al. (éds), The Political Economy of Japan: Cultural and social dynamics (1992), p. 364 sq., aux p. 372-373.
  20. Michiko Hasegawa, A Postwar View of the Greater East Asia War, Chuo Koren, avril 1983 paru en anglais dans Japan Echo Vol. XI, Special Issue, 1984, repris dans The Journal for Historical Review 6.4 (1985-1986), p. 451
  21. NHK governor praises rightist's 1993 suicide at newspaper headquarters, Mainichi Shimbun le 5 février 2014; Another NHK governor ignites firestorm with comments on suicidal right-winger, Asahi Shimbun le 6 février 2014.
  22. P. Mesmer, Au Japon, transition à la tête de la NHK, Le Monde, le 27 janvier 2014.
  23. M. Yamaguchi, Conservatives push agenda at NHK, The Associated Press via Japan Today 14/2/2014.
  24. M. Fackler, News Giant in Japan Seen as Being Compromised, The New York Times le 2 février 2014.
  25. Muneo Narusawa, "Abe Shinzo: Japan's New Prime Minister a Far-Right Denier of History" - The Asia-Pacific Journal, Vol 11, Issue 1, No. 1 - 14 janvier 2013
  26. Joseph Essertier et Ono Masami, David vs. Goliath: Resisting the Denial of the Nanking Massacre, Japan Focus 21/2/2014.

Voir aussi

Articles connexes

Liens externes