Procès de sorcellerie à MolsheimLes procès de sorcellerie à Molsheim ont revêtu au XVIIe siècle une ampleur inégalée, qui culmine en 1630 avec une impressionnante série de procès d'enfants, pour la plupart élèves du collège des Jésuites. Or, en ces temps de lutte contre le protestantisme, l'enseignement de la jeunesse était un élément fondamental de la stratégie de l'Église. Celle-ci se trouve donc être une victime collatérale des procès de sorcellerie, pourtant organisés sous l'égide de l'évêque. Après ce paroxysme de 1630, le nombre de procès de sorcellerie à Molsheim se réduit très nettement, comme ailleurs, sous la pression d'autorités qui commencent à comprendre que le phénomène leur a échappé. Molsheim, capitale de la Contre-RéformeLa petite ville de Molsheim (aujourd'hui dans le département du Bas-Rhin), située dans la vallée de la Bruche (rivière) est le centre de la Contre-Réforme. Strasbourg n'est en effet pas disponible pour ce rôle puisque son Magistrat est passé au protestantisme ; elle a bien gardé un évêque catholique à la suite de la Guerre des évêques mais celui-ci a perdu tout pouvoir temporel à Strasbourg même. L'évêque de Strasbourg a cependant gardé son pouvoir temporel sur d'autres terres, principalement dans la vallée de la Bruche, dont Molsheim est la ville la plus importante. Ces circonstances feront de cette ville le cœur du mouvement dit de la Contre-Réforme (appelée aujourd'hui de préférence : Réforme catholique). Un collège de jésuites structure les ambitions de l'Église sur le plan intellectuel : soutenir dignement la controverse théologique, et donner une instruction catholique à la jeunesse. L'évêque, par ailleurs frère de l'Empereur, est le seigneur temporel de Molsheim, et le titulaire du droit de haute justice ; il a donné par lettre (voir infra) des instructions à ses subordonnés pour que la sorcellerie soit totalement éradiquée, et il porte de toute évidence la plus grande part de responsabilité dans la flambée. Les données disponiblesLouis Schlaefli a effectué une étude de ce dossier. Les procès de sorcellerie sont enregistrés au Blutbuch (Livre du sang); le premier volume de ce type n'étant pas parvenu jusqu'à nous, il est impossible de connaître la date des premiers procès ; le second Blutbuch démarre en 1617 et la première affaire de sorcellerie y est enregistrée en 1620. On y relève 113 victimes adultes pour la décennie 1620-1630, dont 11 hommes adultes seulement, les exécutions d'enfants n'y étant pas enregistrées. Certaines exécutions d'adultes ont également été oubliées. Le chiffre de 113 victimes est donc nettement en dessous de la réalité. En exploitant d'autres sources d'archives, Louis Schlaefli réussit à couvrir la période 1589-1697, tout en avertissant que son étude n'est probablement pas exhaustive du fait de la perte du premier Blutbuch et de négligences des greffiers (enregistrements omis). Il étudie en détail 89 cas individuels, dont 26 seulement figurent dans le Blutbuch. Les victimes proviennent des bailliages de Dachstein et Schirmeck, au total une trentaine localités catholiques dépendant de l'évêque de Strasbourg, parfois éloignées de Molsheim d'une vingtaine de kilomètres ; certains de ces villages, comme Schirmeck ou Natzwiller, jouxtent le Ban de la Roche protestant, qui a ses propres procès de sorcellerie. Louis Schlaefli n'a cherché à étudier en détail que les victimes de Molsheim. Les acteurs
Globalement, la responsabilité de la flambée est à partager entre les gens d'autorité et le petit peuple.
Les grandes flambéesAvant le second Blutbuch :
Cas enregistrés dans le second Blutbuch :
Total : 113 victimes adultes dont 11 hommes dans le Blutbuch. Ce total ne comporte pas les personnes non enregistrées au Blutbuch, c'est-à-dire, en particulier, pas les enfants. Or, pour les années 1629 et, surtout, 1630, Schlaefli a dénombré 33 petites victimes entre 8 et 16 ans, dont 27 garçonnets et 6 fillettes. Les faits supposésLes faits supposés de sorcellerie reviennent d'affaire en affaire, au point qu'on a pu dire que "qui a lu un dossier de sorcellerie les a tous lus". Ce n'est pas surprenant, puisque l'accusé, sous la torture, avoue ce que le juge lui suggère, et que par ailleurs le juge suit un canevas procédural et interroge sur les points figurant dans ce canevas. Les aveux portent sur des faits supposés qui font grief soit pour l'autorité soit pour la population :
Cependant, des événements plus "originaux" peuvent se trouver à l'occasion :
La lecture de certains aveux montre que l'empoisonnement par des substances physiques ordinaires n'est pas toujours clairement distingué de l'empoisonnement par maléfice ; même confusion, surtout chez les enfants, entre relations sexuelles ordinaires et mariage diabolique ; de même, le sabbat diabolique, qui se déroule dans un lieu tout matériel (autour d'un tilleul, puis autour de la croix qui le remplace après que l'évêque a ordonné son abattage) ne se distingue guère d'un repas banal accompagné de danses, musique et orgie. Cette conception très large et assez banalisante de ce qu'est la sorcellerie a peut-être contribué à la flambée. Tout ce qui a quelque efficacité tend à être réputé sorcellerie. Dans le même ordre d'idées, un grimoire "magique" comme le Petit Albert donne toute sorte de conseils pratiques et jusqu'à des recettes de cuisine. Les victimesLes victimes sont principalement des pauvres et des femmes, avant bien sur l'embrasement du collège des Jésuites. Quelques exemples : Die blinde Walpurg (Valentine l'aveugle), brûlée en 1599 ; d'après l'inventaire de succession établi en vue du paiement des frais de justice, elle possède en tout et pour tout un petit lit. Sebastien Rauscher, 11 ans, est adressé "à l'hôpital" par son père (en 1630, alors que les exécutions d'enfants se multiplient et que l'hôpital leur sert de prison) ; motif : il n'est pas en état de le garder (on ignore le sort de Sébastien). Joannes Koenig, un peu simplet, est lui aussi envoyé "à l'hôpital" en 1630 par son père, qui craint son retour et qui a quatre autres enfants. Pas de trace d'exécution. Cependant, nul n'est à l'abri, comme le montrent les exemples suivants : Melchior Kertz, arrêté sur dénonciation et brûlé en 1620, est "sénator" (membre du magistrat), en 1617 ; la même année[2], il est cité parmi les donateurs pour la construction de l'église des Jésuites. Veltin Munch a lui aussi fait partie du magistrat, mais il a tant et si bien multiplié les affaires de mœurs qu'il est brûlé en 1630. François Burger est le neveu de l'organiste de l'église des Jésuites ; il est incarcéré à l'hôpital avec les autres enfants en 1630, mais on ignore son sort. Margaretha Stoeckel, brûlée en 1621, est l'épouse de Conrad Stoeckel, forgeron, administrateur de la léproserie et juge au Malefizgericht ; il y siège avant et après l'exécution de son épouse. Barttholomeas Pfeiffer, 16 ans, élève des Jésuites, se croyait à l'abri ; d'où son attitude lors de ses premiers interrogatoires en 1630 : il nie tout, ne pleure pas ; il donne ses instructions sur le déroulement souhaitable des procès de sorcellerie : un ange venu de la part de Dieu l'a prié se faire savoir que les procès devaient s'en prendre aux vieilles femmes et non aux jeunes hommes, et qu'il faut les mener énergiquement sans quoi il y aura un tremblement de terre ; Pfeiffer sauve peut-être sa vie (on n'a pas trace de son exécution), mais avant cela, les tortures redoublent, dépassant l'intensité de ce qu'on fait en principe subir aux enfants, car sa certitude de s'en tirer parait être l'indice d'un renouvellement du pacte avec le diable ; après quelques séances, Pfeiffer n'est plus aussi certain que son "ange" venait bien de la part de Dieu. Procès d'enfantsMolsheim voit de nombreux procès d'enfants : fillettes accusées de mariage diabolique, et jeunes garçons élèves du collège de Jésuites. Dans ce dernier cas, il y a eu un effet boule de neige, les dénonciations se sont succédé et elles ont porté sur des camarades de classe, vidant ce collège que les Jésuites avaient bâti à grands efforts et grands frais. Les exécutions d'enfants ne sont pas inscrites au Blutbuch. Les premières apparaissent discrètement en 1629 dans des pièces comptables. L'exécution du petit Michel Hammerer, 9 ans, est connue par les comptes du bailliage ; celle d'un jeune Zimmermann, dont le prénom n'est pas noté, est connue par la requête du bourreau qui réclame son salaire. Le rythme s'accélère furieusement en 1630. Pour les exécutions dont les dates sont connues, on note :
Quatre élèves des Jésuites : Joannes Andreae, Joannes Kleinsberger, Daniel Molitor, Anastasius Leber (son père, boucher, avait été à quatre reprises Sibener au Malefizgericht en 1620)
Jacob Brucker, 11 ans, fils d'un mercier ; garnement craint des habitants ; c'est lui qui "avoue" avoir signé le pacte avec le diable de son propre sang.
Georg Schultz, dont la mère est apparentée à Christophe Wambster, architecte de l'église des Jésuites ; Hans Zimmermann, dont la mère a déjà été brûlée comme sorcière dix ans plus tôt ; Adam Gottbeg ; Heinrich Walter ; Conrad Rinck, fils d'un tonnelier et d'une sage-femme, dont la mère demande que justice soit faite contre son fils, mais que sa corruptrice Véronique ne soit pas épargnée non plus.
Sébastien Geiss, 11 ans, fils de boulanger ; a signé le pacte avec le diable (avec de l'encre) ; dénonce de nombreux condisciples dont une partie sont déjà morts dans les fournées précédentes, mais dont les autres mourront en même temps que lui. Peter Lichtenauer, 11 ans ; son père, aubergiste à l'Ours, est également juge au Malefizgericht ; il siège le , le et le , donc avant et après l'exécution de son fils le . Lorenz Keck, 9 ans, fils de cuvelier ; dit avoir été mis sur la mauvaise voie par Hans (ou Michel ?) Hammerer, exécuté l'année précédente ; décrit en détail plusieurs sabbats, un baptême par le diable avec du purin, et un mariage diabolique avec Christina Lichtenauer (qu'il ne reconnaît cependant pas formellement quand il lui est confronté). Joannes Joesel, 9 ans, dénoncé par plusieurs autres comme ayant été présent au sabbat. Deux fillettes, Catharina Halter, 8 ans, et Christina Lichtenauer, 10 ans, sont dénoncées à plusieurs reprises comme ayant été le partenaire féminin de mariages diaboliques. Pacte avec le diable au collège des JésuitesSchlaefli note[3] que des confessions d'élèves des Jésuites présentent une spécificité : elles incluent la signature d'un pacte avec le diable. Cette particularité ne se retrouve pas dans les autres procès de cette période, du moins pas sous la forme d'un vrai contrat mis par écrit et signé (avec du sang pour Jacob Brucker ; avec de l'encre pour Sebastien Geiss). On observera qu'un tel pacte suppose que le "sorcier" sache écrire (c'était évidemment le cas des collégiens) ou au moins signer, ce qui en fait un thème relativement tardif. Schlaefli pense que les élèves ont été influencés par des peintures qui se trouvaient à l'époque dans la chapelle Saint-Ignace (chapelle secondaire à l'intérieur de l'église des Jésuites), représentant une cigogne rapportant dans son bec le pacte avec le diable qu'un jeune homme avait malencontreusement signé. Ces peintures se référaient à des « miracles » supposément survenus en 1613, par l'intercession d'Ignace de Loyola, pour lequel les Jésuites collectaient des éléments en vue de son procès en canonisation. Ces peintures étaient donc bien connues des élèves du collège. Il est alors possible que ces élèves aient mal évalué les conséquences d'un « aveu » concernant un pacte avec le Diable ; peut-être espéraient-ils bénéficier d'une attention bienveillante de leurs maîtres, voire d'un miracle, comme le jeune homme à qui la cigogne avait gentiment rapporté le pacte à la suite de la bienveillante, et toute récente (1613) intercession supposée d'Ignace de Loyola (canonisé en 1622). Une fois quelques élèves pris dans le piège, une bonne partie du collège suivit car, lorsque les jeunes accusés furent interrogés sur d'éventuels complices, et la torture aidant, c'est parmi leurs condisciples que la boule de neige se mit en place, de dénonciation en dénonciation. Cet exemple montre concrètement comment la situation pouvait échapper aux autorités organisatrices, car c'était un préjudice important, pour l'Église catholique, que de voir le collège qu'elle avait créé à grands frais se vider de sa jeune substance. Diminution des procèsLes années 1630 et suivantes voient, dans tout l'Europe, les efforts de diverses autorités pour faire décroître l'intensité des procès. À Molsheim, leur nombre décroît fortement. Schaeffli en a trouvé, en nombre moindre, en 1631 et 1647. Un dernier procès en 1697 se termine sans condamnation à mort. Il concerne Jean-Guillaume Roussel qui, pour faire revenir sa femme infidèle, a accroché à une roue de moulin un bas noir, un ruban rouge, ainsi qu'un billet ; puis il est accusé d'avoir volé un crâne dans un ossuaire et de l'avoir fait bouillir, toujours pour faire revenir l'infidèle. Roussel, incarcéré quatre semaines, s'en tire avec une peine d'amende, et l'obligation de faire amende honorable à l'église, en chemise et un cierge à la main. Il meurt cependant la même année. Frais de justice et confiscationsSchaefli a trouvé quelques notes de frais[4]. On relève :
Notes et références
Sources
Voir aussiBibliographie
Articles connexes |