Dans une approche axiomatique de la géométrie, il est possible de définir le plan comme une structure d'incidence, c'est-à-dire la donnée d'objets primitifs, les points et les droites (qui sont certains ensembles de ces points) et d'une relation, dite d'incidence, entre point et droite (qui est la relation d'appartenance du point à la droite). Un plan affine est alors une telle structure vérifiant les axiomes d'incidence[1] :
deux points A et B distincts sont incidents à une unique droite (notée (AB)) ;
il existe au moins trois points non incidents à une même droite (autrement dit : trois points non alignés) ;
pour toute droite d et tout point A non incident à d, il existe une unique droite d' incidente à A telle qu'aucun point ne soit incident aux deux droites d et d' (autrement dit : une droite d' passant par A et disjointe de d).
Il est également possible de définir un plan affine comme espace affine de dimension 2 sur un corps. Tout plan affine sur un corps, comme le plan affine réel usuel, est un plan affine en tant que structure d'incidence, au sens où ses points et ses droites, et la relation d'appartenance d'un point à une droite, satisfont les axiomes d'incidence. Mais ces deux définitions ne coïncident pas : un axiome supplémentaire, l'axiome de Desargues, est nécessaire pour cela (voir plan affine arguésien)[2]. Les plans affines, satisfaisant donc les axiomes d'incidence, mais ne satisfaisant pas l'axiome de Desargues, sont dits non arguésiens.
Parallélisme
Dans cette approche, deux droites sont dites parallèles si elles sont égales ou disjointes. L'unicité d'une droite incidente à deux points distincts implique que deux droites non parallèles n'ont qu'un point commun. On a donc la dichotomie suivante :
ou bien deux droites sont parallèles ;
ou bien elles s'intersectent en un unique point.
Le troisième axiome se reformule par l'existence et l'unicité d'une parallèle à une droite donnée passant par un point donné (y compris lorsque le point appartient à la droite, d'après la dichotomie ci-dessus).
Le parallélisme est une relation d'équivalence : la réflexivité et la symétrie sont évidentes et la transitivité se démontre comme suit. Soient trois droites d, d' et d'' telles que d soit parallèle à d' et que d' soit parallèle à d''. Si d et d'' sont disjointes, elles sont parallèles. Si au contraire elles ont un point commun A, alors ce sont deux parallèles à d' passant par A si bien que (par unicité d'une telle parallèle) elles sont égales donc, là aussi, parallèles.
Nous appellerons directions les classes d'équivalence de cette relation. La direction d'une droite est donc l'ensemble de toutes les droites qui lui sont parallèles.
Pour toute droite d, toute direction D différente de celle de d est en bijection avec d. En effet, l'application qui à toute droite de D associe son unique point commun avec d a pour bijection réciproque l'application qui à tout point A de d associe l'unique droite de D passant par A.
Or il existe au moins trois directions (en effet, d'après le deuxième axiome, il existe trois points A, B, C non alignés et les droites (AB), (BC) et (CA) définissent alors trois directions distinctes). Par conséquent, toutes les droites et toutes les directions ont même nombre d'éléments et — d'après les deux premiers axiomes — ce nombre est au moins 2.
Un plan affine possède au moins quatre points trois à trois non alignés.
Démonstration
En effet, il existe (par le deuxième axiome) trois points A, B, C non alignés. Par le troisième axiome, soit d la parallèle à (AB) passant par C. Elle est distincte de (AB), donc disjointe d'elle. Or d'après la propriété précédente, d contient un point D distinct de C. Il s'ensuit que les points A, B, C et D sont deux à deux distincts et trois à trois non alignés.
Plus précisément, dans un plan affine d'ordre q, chaque point appartient à q + 1 droites, donc le nombre de directions est q + 1 et le nombre de droites est q(q + 1) et il y a q2 points. (Si q est infini, tous ces nombres sont égaux.)
Une dilatation d'un plan affine[4] est une application, de l'ensemble des points dans lui-même, qui envoie toute droite dans une droite parallèle, c'est-à-dire telle que :
pour tous points distincts A et B, d'images A' et B', le point B' appartient à la parallèle à (AB) passant par A'.
Une dilatation est entièrement déterminée par les images de deux points distincts, c'est-à-dire qu'étant donnés quatre points A, B, A' et B' avec A ≠ B, il existe au plus une[5] dilatation qui envoie A sur A' et B sur B'.
Une dilatation est soit dégénérée (c'est-à-dire constante), soit bijective.
Démonstration
Montrons que l'image M' de tout point M est entièrement déterminée par la donnée de A' et B'.
Si M n'est pas sur (AB) alors (AM) et (BM) ne sont pas parallèles. Le point M' doit être à la fois sur la parallèle à (AM) passant par A' et sur la parallèle à (BM) passant par B', ce qui le détermine puisque ces deux droites ne sont pas parallèles.
Si M est sur (AB), choisissons un point N non incident à (AB). D'après le point 1.1., son image N' est déterminée. Le point M n'est pas sur (AN) donc — à nouveau d'après 1.1. mais en remplaçant B et B' par N et N' — M' est entièrement déterminé.
Considérons une dilatation non constante. D'après le point 1., elle est injective. Montrons qu'elle est aussi surjective. Soient A, B, A' et B' comme ci-dessus — ce qui implique que A' et B' sont distincts et que (A'B') est parallèle à (AB) — et M' un point quelconque, dont il faut construire un antécédent.
Si M' n'est pas sur (A'B') alors la parallèle α à (A'M') passant par A et la parallèle β à (B'M') passant par B se rencontrent en un point M. Ce point ne peut pas appartenir à (AB) car sinon, (AB) rencontrerait α en A et en M et rencontrerait β en B et en M, donc serait égale à α ou à β, ce qui est impossible puisqu'elle n'est parallèle ni à (A'M'), ni à (B'M'). D'après 1.1, l'image de M est M'.
Si M' est sur (A'B'), choisissons un point N' non incident à (A'B'). D'après 2.1., N' admet un antécédent N donc — à nouveau d'après 2.1. mais en remplaçant B et B' par N et N' — M' admet un antécédent.
Pour une dilatation non dégénérée, l'image de toute droite est une droite parallèle, et l'application induite, de l'ensemble des droites dans lui-même, est bijective.
Homothéties et translations
D'après le théorème d'unicité ci-dessus, une dilatation différente de l'identité a au plus un point fixe. Si elle en a un, on dit que c'est une homothétie de centre ce point ; si elle n'en a pas, on l'appelle translation. L'identité est considérée à la fois comme une homothétie (de centre arbitraire) et comme une translation. Dans la suite, on ne considérera que les dilatations non dégénérées, qu'on appellera homothéties-translations.
La nature de la transformation h peut être précisée dans le cas où les quatre points A, B, h(A) et h(B) ne sont pas tous sur une même droite. Cette hypothèse implique que h(A) ≠ A et h(B) ≠ B, et que les droites (Ah(A)) et (Bh(B)) sont distinctes. Elles sont donc :
ou bien sécantes en un point O, et dans ce cas, h est une homothétie de centre O ;
ou bien strictement parallèles, et dans ce cas, h est une translation[6].
Image d'un point M ou N par une translation h qui envoie A sur B.
Cas M ∉ (AB).
Cas N ∈ (AB).
Image d'un point M ou B par une homothétie h de centre O, connaissant l'image d'un autre point A.
Cas M ∉ (OA).
Cas B ∈ (OA).
Le résultat précédent peut être amélioré si l'on connait a priori la nature de l'homothétie-translation :
une translation est entièrement déterminée par l'image B d'un point A[7] :si M ∉ (AB) alors h(M) est le point d'intersection de la parallèle à (AB) passant par M et de la parallèle à (AM) passant par B ; l'image d'un point N ∈ (AB) se détermine par l'intermédiaire d'un point M ∉ (AB) ;
une homothétie est entièrement déterminée par son centre O et l'image h(A) d'un point A ≠ O :si M ∉ (OA) alors h(M) est le point d'intersection de la droite (OM) et de la parallèle à (AM) passant par h(A) ; l'image d'un point B ∈ (OA) se détermine par l'intermédiaire d'un point M ∉ (OA).
On définit la direction d'une translation t ≠ id comme l'ensemble des droites parallèles à (At(A)), où A est un point arbitraire. L'identité est considérée comme une translation de direction quelconque.
Composition
Les homothéties-translations forment un groupeG pour la composition. En effet, elles forment un sous-groupe du groupe des bijections de l'ensemble des points dans lui-même, puisque si deux telles bijections sont des dilatations, il en va de même de leurs composées et de leurs réciproques. Pour tout point O, les homothéties de centre O forment un sous-groupe de G.
Les translations forment un sous-groupe normal de G, et les translations de direction donnée aussi[8].
Démonstration
Les translations forment un sous-groupe :
pour toute bijection t, la réciproque t−1 a mêmes points fixes que t donc autant, donc la réciproque d'une translation est une translation ;
pour toutes translations t et t', l'homothétie-translation composée t∘t' est une translation, car si elle fixe un point O alors t' et t−1, translations qui envoient O sur un même point, sont égales et t∘t' est l'identité.
Les translations de direction d forment un sous-groupe :
la réciproque d'une translation est une translation de même direction ;
si t et t' sont de direction d alors t∘t' aussi car (pour A arbitraire) les deux points A et t(t'(A)) sont sur la droite de direction d qui passe par t'(A).
La conjuguéet' = h∘t∘h−1 d'une translation t par une homothétie-translation h est une translation car si elle fixe un point O alors la translation t, fixant h−1(O), est l'identité donc t' = h∘id∘h−1 = id.
De plus, si t ≠ id alors t' a même direction que t : si h envoie A sur B alors (Bt'(B)) = (h(A)(h∘t)(A)) est parallèle à (At(A)).
Lien avec les plans projectifs
Tout plan projectif peut être obtenu en ajoutant à un plan affine une droite à l'infini, dont chaque point est le point à l'infini qu'on ajoute à toutes les droites affines d'une même direction. Ce plan projectif aura q2 + q + 1 points et autant de droites projectives, chaque droite contenant q + 1 points et chaque point appartenant à q + 1 droites. Réciproquement, à partir d'un plan projectif, on obtient divers plans affines (de même ordre mais non nécessairement isomorphes) en supprimant une droite projective arbitraire (et ses points).
Plans affines finis et questions ouvertes
Le plus petit plan affine est d'ordre 2 : c'est le plan affine sur le corps finiF2 à 2 éléments. Constitué de 4 points, c'est un parallélogramme car ses côtés sont parallèles deux à deux, mais ses deux diagonales sont aussi parallèles (il n'y a pas de milieu dans une géométrie sur le corps à 2 éléments). Il s'obtient aussi en supprimant du plan de Fano (le plan projectif sur F2) une droite (et ses trois points).
↑Pour les distinguer Jacqueline Lelong-Ferrand (J. Lelong-Ferrand, Fondements de la géométrie, PUF, (ISBN978-2-13-038851-7), p. 161) préfère parler de plan de type affine pour les plans satisfaisant les axiomes d'incidence et pas nécessairement l'axiome de Desargues, tout en mentionnant que les ouvrages de géométrie axiomatique parlent simplement de plan affine.