Désignée par divers surnoms, dont « l'Astre d'Orient »[2], elle est généralement considérée comme la plus grande chanteuse du monde arabe[3],[4].
Biographie
Jeunesse
Fatima Ibrahim as-Sayyid al-Beltagi naît en 1904 à Ṭamāy az-Zahāyira(ar) en Égypte, dans une famille pauvre de trois enfants. Son prénom veut dire « mère »[5]. Sa sœur aînée Sayyida est alors âgée de dix ans et son frère Khalid d'un an. Sa mère, Fāṭima al-Malījī, est femme au foyer et son père, ash-Shaykh Ibrāhīm as-Sayyid al-Beltājī, est imam. Afin d'augmenter les revenus de la famille, il interprète régulièrement des chants religieux (anāshīd) lors de mariages ou de diverses cérémonies dans son village et aux alentours[6]. La famille vit dans la petite ville d'al-Sinbillawayn, dans le delta du Nil[7].
C'est en écoutant son père enseigner le chant à son frère aîné qu'Oum Kalsoum apprit à chanter et retint ces chants savants par cœur. Lorsque son père se rendit compte de la puissance de sa voix, il lui demanda de se joindre aux leçons. Très jeune, la petite fille montra des talents de chanteuse exceptionnels, au point qu'à dix ans, son père la fit entrer — déguisée en garçon — dans la petite troupe de cheikhs (au sens de chanteurs du répertoire religieux musulman) qu'il dirigeait pour y chanter durant les Mawlid (anniversaire du prophète Mahomet et des saints locaux) et d'autres fêtes religieuses[4].
À seize ans, elle fut remarquée par un chanteur alors très célèbre, CheikhAbu al-Ila Muhammad, qui la forma et attira son attention sur la nécessité de comprendre les textes.
Elle fut également entendue par le compositeur et interprète Zakaria Ahmed, qui, comme Abū l-‘Ilā, incita la famille à s’installer au Caire. Elle finit par répondre à l'invitation et commença à se produire — toujours habillée en garçon — dans de petits théâtres, fuyant soigneusement toute mondanité[8].
Carrière
Plusieurs autres rencontres jalonnent sa carrière et orientent le cours de sa vie : outre les intellectuels et les notabilités locales, telle la famille ‘Abd al-Razzāq, celle d'Ahmed Rami tout d'abord, un poète qui lui écrira plus d'une centaine de chansons, formera son goût en poésie arabe classique, et l'initiera à la littérature française, qu'il avait étudiée à la Sorbonne. Celle du joueur de oud virtuose et compositeur Mohamed El Qasabji qui deviendra l'oudiste de son orchestre jusqu’à sa mort[9].
En 1926, elle signe son premier contrat avec Gramophone Records, qui lui verse annuellement un salaire et des royalties pour chaque disque enregistré[10]. En 1932, sa notoriété est telle qu'elle entame sa première tournée orientale : dans le Levant et en Irak. Cette célébrité lui permet également, en 1948, de rencontrer Nasser qui demeurera son admirateur après son accession au pouvoir, et illustre l'amour de l'Égypte pour la chanteuse, amour réciproque puisque Oum Kalsoum donnera de nombreuses preuves de son patriotisme[9].
Cinéma
Parallèlement à sa carrière de chanteuse, elle s'essaie au cinéma (Weddad, 1936 ; Le chant de l'espoir, 1937 ; Dananir, 1940 ; Aïda, 1942 ; Sallama, 1945 et Fatma, 1947) mais délaisse assez vite le septième art, ses yeux atteints de glaucome ne supportant l’éclairage des plateaux. En 1953, elle épouse son médecin, Hassen El-Hafnaoui, tout en incluant une clause lui permettant de prendre l’initiative du divorce le cas échéant.
Sa carrière musicale s'étendant du milieu des années vingt au début des années soixante-dix illustre la modernisation de la musique arabe dont elle est certainement la représentante la plus importante du XXe siècle[11]. Ayant débuté dans le registre savant moyen-oriental avec des compositions de Zakaria Ahmed, ou du Cheikh Abou El Ala Mohamed, son style a évolué au fur et à mesure des transformations, modernisations (voire acculturation) du discours musical égyptien entre les années 1940 et le début des années 1970.
Son ensemble musical (takht) des années 1930 s’étoffe et se transforme graduellement en orchestre oriental, multipliant les cordes frottées, et introduisant graduellement des percussions empruntées à la musique populaire (ṭabla, darbuka) et des instruments tirés de traditions exogènes (à partir des années 1960 : guitare, piano, accordéon, saxophone, orgue). La transformation du discours mélodique est d’abord discrète avec les créations du compositeur Riyāḍ al-Sunbāṭī, qui monopolise presque la chanteuse entre 1954 et le tournant des années 1960, puis, Baligh Hamdi, Mohammed Al-Mougui, ou Mohammed Abdel Wahab, artisans majeurs de ce processus[12]. Cette modernisation opérée autour de la personnalité d'Oum Kalthoum a donné naissance à un genre musical arabe nouveau qui a par la suite été largement imité : la chanson longue (ou fleuve) en plusieurs parties, dont la structure s'inspire en partie de la Waslah classique arabe (suite de chants savants) mais également des opéras ou poèmes symphoniques occidentaux.
Dans de nombreux concerts, ces œuvres offraient de larges plages d'improvisations bouleversantes qui ont largement participé à fonder le mythe Oum Kalthoum[13]. Certains musicologues considèrent ces œuvres comme une nouvelle étape dans l'histoire de la musique savante arabe ; d'autres les opposant à l'héritage khédival, les considèrent plutôt comme appartenant à un genre hybride, intermédiaire entre le registre savant et la variété populaire les qualifiant ainsi de « genre classicisant »[14].
Concernant ses textes, alors que la poésie traditionnelle regorgeait de « gazelles » et de « regards de flèches », Oum Kalthoum a inventé, en collaboration avec ses auteurs attitrés (Ahmad Rami, Ahmad Shafiq Kamel et Bayram al-Tunssi principalement), une nouvelle rhétorique révolutionnant l’expression de l’amour dans la littérature arabophone populaire : les longues plaintes classiques ont peu à peu cédé la place à ce qu’on a appelé des « monologues » – œuvres à l’intérieur desquelles l’instance amoureuse explore les nuances de la perception de ses propres sentiments, exprime ses doutes et ses états d’âme contradictoires. Il n’y a plus du tout un homme et une femme, mais un « être » et « son amour », invoqué par l’éternel vocatif habibi, dont la voyelle intérieure prête le flanc aux multiples modulations permettant d’exprimer les nuances des sentiments éprouvés. Sans compter le fameux Ya (équivalent du Ô français) qui le précède habituellement, et qui permet à la chanteuse d’explorer les nuances de son ethos[15].
L’être aimé est désigné par des substantifs qui peuvent être considérés comme neutres du point de vue du sexe : ruhak, hawak, bo3dak, ’orbak, ’albak, redak (ton esprit, ta passion, ton éloignement, ta proximité, ton cœur, ta satisfaction). Plus de références physiques bornant l’identification, mais de pures abstractions sentimentales, de purs « blocs de désir » qui peuvent être investis et accaparés par toutes et tous. Des situations, des épreuves, des réflexions appropriées à tout ce qui compose un monde, offertes à tous ceux et toutes celles qui veulent s’en saisir[16].
Oum Kalthoum, occupant une position dominante dans le domaine musical arabe, agit en tant que directrice d'orchestre et responsable de l'entité artistique et culturelle. À la tête d'une équipe masculine, elle exprime des émotions amoureuses et des opinions politiques devant un large auditoire, tout en partageant ses préoccupations et ses confidences. Son caractère subversif réside également dans sa capacité à incarner les aspirations des individus au-delà des distinctions de genre traditionnelles, grâce à sa voix unique explorant divers registres[17].
Principalement et largement consacrée au thème de l'amour, son œuvre a également abordé à la marge d'autres thématiques comme la religion ou la politique. Le genre patriotique en effet, à l'époque des décolonisations principalement et du nationalisme arabe, s'est essentiellement illustré dans des chants dénonçant l'oppression coloniale et glorifiant les peuples arabes[11].
Multipliant les concerts internationaux, elle effectue sa première prestation dans un pays occidental en France à l'Olympia pour deux prestations devenues mythiques les 13 et . Elle exige de Bruno Coquatrix d'être l'artiste la mieux payée à jouer à l'Olympia, mais fera don de son cachet au gouvernement égyptien[18]. Revendiquant ses propres origines paysannes, la chanteuse a toujours vécu sans ostentation, souhaitant rester proche de la majorité de ses compatriotes.
Mort et funérailles
À partir de 1967, Oum Kalthoum souffre de néphrite aiguë. En , elle donne son dernier concert au cinéma Qasr al Nil et les examens qu'elle subit à Londres révèlent qu'elle est inopérable. Aux États-Unis, où son mari la conduit, elle bénéficie un temps des avancées pharmaceutiques, mais en 1975, rentrée au pays, une crise très importante la contraint à l'hospitalisation. La population de son petit village natal du Delta psalmodie toute la journée le Coran. Oum Kalthoum meurt le à l'aube.
L’art vocal d’Oum Kalthoum s'est fait connaître par plusieurs moyens :
Ses enregistrements sur support 78 tours pour les compagnies Odeon et Gramophone à partir de 1924 (chants savants de type qaṣīda, mawwāl, dōr ; chants sentimentaux légers de type ṭaqṭūqa ; chants expressifs novateurs de type mūnūlūg). Versions abrégées des œuvres chantées, elles ne donnent qu’une idée imparfaite de ce que pouvait être la performance publique de ces pièces[19].
Ses enregistrements sur support film (1934-1949). Ces pièces courtes, parfois légères, souvent liées à l’action dramatique, ne furent que rarement interprétées en public. Les exceptions, dont un enregistrement a été conservé, montrent comment sur un canevas simple l’artiste dialogue avec le compositeur pour changer l’esprit de la pièce et la ramener vers l’esthétique de ṭarab (émotion artistique) propre à la musique d’art (Yā ‘ēn, Ẓalamūnī n-nās, Ghannī-li shwayy).
Ses chansons enregistrées en studio pour la radio nationale : pièces patriotiques, pièces religieuses, versions condensées en studio des longues chansons sentimentales destinées à être interprétées en concert.
Ses enregistrements de concerts publics. Les plus anciens datent de la saison 1937 (sur support fil magnétique ultérieurement transféré sur bande magnétique) mais il n’y a pas plus d’une trentaine de concerts conservés pour la période 1937-1954, quand l’enregistrement des concerts d’Oum Kalthoum devient alors systématique et la conservation par la radio d’État assurée[20].
Oum Kalthoum est liée par contrat à la radio d’État pour la diffusion d’un concert par mois dès 1934 (au Ewart Hall de l'université américaine du Caire dans les années 1930 et 1940, au lycée français pendant les années de guerre, puis principalement au théâtre de l’Azbakeyya dans les années 1950 et au cinéma Qaṣr al-Nīl dans les années 1960, jusqu’au dernier concert de ). Leur fréquence est en réalité incertaine avant la saison 1954, Oum Kalthoum revenant d’une « année blanche », 1953, passée en traitement médicaux aux États-Unis. À partir de son retour, se met en place le rite des concerts du premier jeudi du mois pendant la « saison » d’Oum Kalthoum, entre décembre et juin. Les autres mois de l’année, elle donne des concerts à l’étranger (souvent Liban et Syrie dans les années 1950, mais aussi Koweït), des concerts exceptionnels en Égypte, en province, et elle prépare les titres de la saison suivante. Ce rythme de sept concerts par an, avec trois chansons longues (waṣla-s) par concert, se maintient jusqu’en 1967, où vieillissante et psychologiquement affectée par la défaite égyptienne face à Israël en juin 1967, lors de la guerre des Six Jours, elle passe à deux chansons par soirée (à l’exception des concerts de l’Olympia à Paris, deux fois trois chansons).
À partir des années 1950, le premier jeudi du mois devient d’un bout à l’autre le soir d’Oum Kalthoum à travers tout le monde arabe, la vie s’arrêtant entre 22h et le milieu de la nuit pour écouter la diva — le régime nassérien bénéficiera considérablement de ce soft power artistique[21].
La vie d’une chanson, selon son succès, varie entre une saison et dix voire vingt ans, deux ou trois nouveaux titres étant proposés chaque année et faisant l’objet (pour les chansons sentimentales) d’un soin extrême.
La saison 1964 où est présentée Enta ‘Omrī, première collaboration entre Oum Kalthoum et son rival le chanteur Muḥammad ‘Abd al-Wahhāb, sera qualifiée de « rencontre des nuées » (liqā’ al-saḥāb) et sera un objet de conversation du Golfe à l’Océan.
Après 1967, Oum Kalthoum se lance dans une série de concerts dits de l’Effort de Guerre (ḥafalāt al-majhūd al-ḥarbī) afin de récolter des fonds pour l’État défait : elle se produit alors entre 1967 et 1971 à Paris, Tunis, Rabat, Benghazi, Khartoum, Beyrouth, Baalbak, Abu Dhabi, tout en évitant tout chant patriotique ou à contenu politique, en se focalisant exclusivement sur le répertoire sentimental.
La chanson kulthūmienne longue est généralement sentimentale, exceptionnellement religieuse ou patriotique, et dure entre une quarantaine de minutes et une heure et demie, selon son inspiration, son désir d’improvisation, et les exigences du public. La langue est soit un registre dialectal relevé, soit l’arabe littéral (particulièrement pour les chants religieux). Il n’existe pas de modèle unique, mais le plus courant est une pièce de type :
couplet 1, refrain ;
couplet 2, refrain ;
couplet 3, refrain ;
couplet 4, refrain.
Chaque couplet est composé sur une mélodie différente, voire une échelle modale différente ; le refrain est le lien d’unité entre les quatre éléments. Le public encourage souvent la chanteuse à répéter intégralement un couplet une fois le refrain achevé. C’est le plus souvent lors de la répétition qu’une improvisation est proposée. Les plages musicales entre les couplets s’allongent au cours les années 1960, alors que sa voix se fait plus grave. Paradoxalement, les chansons de concert post-1967 sont souvent plus longues que celles des années 1950, atteignant parfois les deux heures, usant la chanteuse plus que les trois chansons de 50 minutes dans les années 1940 et 1950[22].
Ce sont ces concerts publics, et surtout ceux des années 1940-1965, qui permettent le plus sûrement de mesurer son intelligence interprétative et la parfaite connivence entre compositeur / interprète - créatif / orchestre, qui sait lors des moments d’improvisation revenir à un fonctionnement hétérophonique, voire à une formation de takht (ensemble de musique savante, distinct de la musique arabo-andalouse), le premier violon, le qānūniste, et l'oudiste assurant la traduction instrumentale des phrases mélodiques instantanément créés par la chanteuse.
Alors que jusqu’aux années 2000, seule une version de chaque chanson était couramment diffusée et commercialisée, la dématérialisation de la musique due à l’internet et la rediffusion des concerts complets par la station de radio FM égyptienne Idhā‘at al-Aghāni a permis de mettre à la disposition du public des dizaines de concerts de très grande qualité autrefois jalousement gardés par les collectionneurs, disponibles sur les réseaux sociaux, et qui permettent de mesurer l’ampleur de la créativité d’Oum Kalthoum.
Influence et héritage
Charles de Gaulle l'appelait « La Dame » et Maria Callas « La Voix Incomparable »[réf. souhaitée]. En Égypte et au Moyen-Orient, Oum Kalthoum est considérée comme la plus grande chanteuse et musicienne. Elle était surnommée « l'Astre de l'Orient », « la Mère des peuples », « la Quatrième pyramide », « la Voix des transistors », ou tout simplement « El Sett » (la Dame)[5]. Aujourd'hui encore, elle jouit d'un statut presque mythique parmi les jeunes Égyptiens.
L'écrivain Naguib Mahfouz affirme : « Les Arabes ne s'entendent en rien, sauf à aimer Oum Kalsoum »[5].
En 2001, le gouvernement égyptien a inauguré le musée Kawkab al-Sharq (« L'Astre de l'Orient ») en mémoire de la chanteuse. Le musée abrite une série d'effets personnels d'Oum Kalthoum, dont ses célèbres lunettes de soleil et écharpes, mais également des photos, des enregistrements et d'autres objets d'archives[23].
En 2021, elle est l'une des personnalités présentées dans l'exposition « Divas. D'Oum Kalthoum à Dalida » à l'Institut du monde arabe (Paris)[24].
Hommages
En Egypte, elle avait son timbre, sa médaille, sa statue, un café et une station de radio à son nom[5].
Cette liste ne mentionne que les chansons dont il subsiste au moins un enregistrement en concert. Elle est établie à partir des soruces suivantes : Salīm Saḥḥāb, Muwṣū‘at Umm Kulthūm (voir bibliographie) ; forum Samā‘ī[27] ; liste de ‘Ᾱṭif al-Muwallid, disponible sur divers forums (extrêmement erronée pour les concerts d’avant 1954 et pour les concerts à l’étranger).
Le nombre de versions conservées correspond à l’état des connaissances au moment de la rédaction () et peut être amené à être modifié. Quantité de concerts, notamment en dehors des premiers jeudis du mois et en province ou à l’étranger n’ont pas été enregistrés ou leurs enregistrements sont perdus. Le nombre de versions conservées est cependant, à partir des années 1950, un indicateur sûr du succès de la chanson. Les créations de la dernière décennie de carrière d’Oum Kalthoum ont une moindre longévité que précédemment et ne sont en général interprétées que sur deux saisons.
Sur les six films tournés par Oum Kalthoum entre 1936 et 1947, trois sont des mélodrames historiques centrés autour de la personnalité d’une chanteuse mentionnée dans le Kitāb al-Aghānī (Livre des Chansons) d’Abū l-Faraj al-Iṣfahānī, et trois situés à l’époque contemporaine. Selon l’analyse de V. Danielson : « Umm Kulthūm demanded and received great control over the films, regardless of her lack of acting experience. her contract for Widād gave her final approval of the music and the right to participate in all aspects of the production. She stipulated that the plot must remain within the bounds of “al-taqālīd al-sharqiyya” or “Eastern traditions” […] Considering her inexperience, the contract granted her astounding authority and constituted additional evidence that, by 1935, Umm Kulthūm had attained a position of considerable influence in the entertainment word of Egypt » [p. 89].
Dans cinq sur six de ses films, elle joue le rôle d’une chanteuse, esclave, recherchant sa liberté dans les drames historiques, aspirant à représenter la nation moderne dans les trois autres. Les chansons sont courtes, et contribuent à redéfinir les genres musicaux égyptiens en fondant l’ughniya (chanson) moderne. Si, contrairement aux chansons des films de son concurrent masculin Muḥammad ‘Abd al-Wahhāb[28], elles ne comportent pas de traces d’occidentalisation flagrante au niveau instrumental ou mélodique (à l’exception de l’opéra arabe Aida, qui sera un échec commercial), et si elles conservent les techniques de chant et la logique monodiquemodale de l’école savante, elles sortent souvent des moules reconnus et innovent formellement. Elles ne recherchent pas le ṭarab, impliquant répétition et variation, incompatible avec le format court cinématographique. À titre d’exemple, le chant Ayyuhā l-rā’iḥ al-mugidd du premier film, Widād, est un poème médiéval (qaṣīda), mais sa mise en musique par Zakariyyā Aḥmad ne correspond ni à la qaṣīda ‘alā l-waḥda (composition ou improvisation sur cycle 4/4), ni à la qaṣīda mursala (improvisation non-mesurée) de l’école précédente : il s’agit plutôt de ce qu’on nomme dans les années 1930 un « monologue », chant expressif composé alternant passages mesurés et non-mesurés, et dont la particularité est d’être en arabe classique. D’autres pièces sont plus clairement assimilables à une ṭaqṭūqa ou un monologue, plus rarement un mawwāl. Leur langue est le plus souvent l’arabe dialectal égyptien, un dialecte pseudo-bédouin dans les drames historiques (Sallāma), plus rarement l’arabe classique.
Beaucoup ont été distribuées en disque 78 tours parallèlement à la sortie du film, et l’enregistrement y diffère légèrement dans son orchestration et interprétation de la version sur support film.
↑Richard C. Jankowsky, « Review of Making Music in the Arab World: The Culture and Artistry of Tarab », Ethnomusicology Forum, vol. 14, no 1, , p. 107–109 (lire en ligne, consulté le )
Hammadi Ben Hammed, Oum Kalthoum, Tunis, Paris Méditerranée/Alif, 1997.
Ferial Ben Mahmoud, Nicolas Daniel, Oum Kalthoum l’Astre de l’Orient (documentaire), Paris, Alegria/France Television 3 editions, DVD, 2008.
Frédéric Lagrange, « Umm Kulṯūm est-elle une interprète de culture savante ? Réflexions à partir de séquences de concert improvisées », Annales islamologiques de l’IFAO 53 (2019) parution 2020, p. 169-195.
Frédéric Lagrange, Musiques d’Égypte, Paris, Cité de la Musique/Actes Sud, 1996, p. 122-138.
En anglais
(en) Virginia Danielson, The Voice of Egypt, Umm Kulthūm, Arabic Song, and Egyptian Society in the Twentieth Century, Chicago, The University of Chicago Press, 1997. Ouvrage de référence sur Oum Kalthoum en tant que phénomène social et national, moins sur le plan de son art.
(en) Ali Jihad Racy, Making Music in the Arab World, The Culture and Artistry of Ṭarab, Cambridge, Cambridge University Press, 2003. Consacré à la notion de ṭarab, l’ouvrage cite l’art kulthūmien en permanence.
(en) Laura Lohman, “The Artist of the People in the Battle, Umm Kulthūm's concerts for Egypt in Political Context”, Music and the Play of Power in the Middle-East, North Africa and Central Asia, ed. Laudan Nooshin, Rootledge 2016, p. 33-54.
(en) Laura Lohman, Umm Kulthūm, Artistic Agency and the Shaping of an Arab Legend 1967-2007, Middletown, Wesleyan University Press, 2010.
(en) Zeina G. Halabi, “The literary Lives of Umm Kulthūm: Cossery, Ghaly, Negm and the Critique of Nasserism”, Middle Easter Literatures, 19:1 (2016), p. 77-98.
Ouvrage complémentaire, en dépit de son ton hagiographique :
(ar) Ni‘māt Aḥmad Fu’ād, Umm Kulthūm wa-‘aṣr min al-fann (litt. « Umm Kulthūm et une époque artistique »), Le Caire, GEBO, 1983.
Analyse poussée :
(ar) Victor Saḥḥāb, Al-Sab‘a al-kibār fī l-mūsīqā l-‘arabiyya l-mu‘āṣira (litt. « Les sept grands de la musique arabe contemporaine »), Beyrouth, Dār al-‘ilm li-l-malāyīn, 1987, particulièrement p. 221-242.
Voir aussi la charge cruelle mais très informée de l’intellectuel libanais Ḥāzim Ṣāghiya (=Saghieh) contre les compromissions de la chanteuse avec le régime nassérien et le discours de type fantastique/merveilleux entourant le mythe Umm Kulthūm :
(ar) Ḥāzim Ṣāghiya, Al-hawā dūna ahlihi (litt. « la passion sans les amoureux / est inférieure aux amoureux »), Beyrouth, Dār al-Jadīd, 1991.