Nassim Nicholas Taleb (en arabe : نسيم نكولاطالب), né en 1960 à Amioun au Liban, est un écrivain, statisticien et essayiste spécialisé en épistémologie des probabilités[1] et un praticien en mathématiques financières[1] libano-américain. Il est actuellement professeur d'ingénierie du risque à l'Institut polytechnique de l'université de New York[1],[2],[3].
Proche du mathématicien Benoît Mandelbrot et du psychologue Daniel Kahneman (prix Nobel d'économie 2002), Nassim Nicholas Taleb (dit « NNT ») est surnommé « le dissident de Wall Street »[4] sur les marchés financiers internationaux. Spécialisé dans l'évaluation des risques d’événements rares et imprévus, il a été trader pendant 20 ans à New York et à Londres avant de devenir professeur.
Il est l’auteur de la théorie du cygne noir liée au domaine statistique et à la prise de décision sous incertitude.
Il a créé et vendu la société Empirica LLC (du nom du philosophe Sextus Empiricus) consacrée aux opérations de marchés financiers (trading) et laboratoire de recherche sur le risque. Dans son activité d'opérateur de marché d'options, Taleb dit avoir une approche non mathématique du risque et de l'incertain et dit n'avoir aucune confiance dans les modèles financiers utilisés par les universitaires.
Son premier succès de librairie est Le Hasard sauvage en 2001, un livre traduit en 44 langues, et les théories qu'il y développe sont reprises par les stratèges du département de la Défense des États-Unis. Taleb parcourt le monde pour faire des exposés à des hommes d'affaires, et sa rémunération peut aller jusqu'à 60 000 dollars par conférence[8].
Il est pour beaucoup dans la notoriété du fonds spéculatif Universa Investments, dont il est le conseiller scientifique. Le , lors du krach chinois, Universa fait un gain de 20 %, soit 1 milliard de dollars[9],[10]. Les livres qu'il publie sont des best-sellers qu'il vend à plus de 3 millions d'exemplaires aux États-unis. Il crée souvent la polémique, étant assez provocateur : il assimile par exemple la plupart des traders à des « nigauds chanceux », estimant que les algorithmes qu'ils utilisent ne tiennent pas compte des événements rares aux effets désastreux[11].
Nassim Nicholas Taleb insiste sur le fait que l'évitement des risques n'est pas un acte rationnel mais intuitif, basé sur l'émotion. Dans son livre intitulé Le Hasard sauvage il en déduit : « cela signifie que la pensée rationnelle sert très peu à éviter les risques. Elle semble essentiellement servir à rationaliser nos actes en leur injectant un peu de logique. »
Mandelbrot avait déjà mentionné cette caractéristique dès 1973 dans son article fondateur Formes nouvelles du hasard dans les sciences[12], mais avait par la suite été largement mobilisé par les applications des fractales à la synthèse graphique.
Mediocristan et Extremistan
Dans son essai Le Cygne noir, Nassim Nicholas Taleb distingue deux « mondes » régis par des statistiques différentes : le « mediocristan » et l'« extremistan ».
Dans le premier monde, la « moyenne » [litt. « médiocre »] joue un rôle essentiel et un seul individu a peu d'impact sur la masse. Exemple : les statistiques liées au poids, à l'âge, à la taille. Même le plus grand individu du monde ne suffit pas à faire varier la moyenne globale. Il l'influence peu.
En revanche, dans le deuxième monde, l'« extrême » joue un rôle essentiel et un individu a un fort impact sur la masse. Exemple : l'argent. Même en additionnant la richesse de toute une population, cette somme sera toujours perçue comme inférieure ou dérisoire en comparaison de la fortune d'une personnalité comme, par exemple, Bill Gates.
Le référentiel est changé. Dans un monde médiocre, les extrêmes sont les erreurs. Dans un monde extrême, la masse est vue comme une erreur, une miette de l’extrême.
Concrètement, quel impact sur notre vision du monde ? Même si l’événement a peu de chance de se produire, son impact sera tel qu'il changera durablement le monde.
Loi gaussienne et de Mandelbrot
Nassim Taleb remet en cause le modèle gaussien car il tend à sous-estimer la probabilité d'apparition d’événements à fort impact. Il prône plutôt des modèles reposant sur la loi de Mandelbrot ou la distribution de Pareto. Mais il insiste sur le fait que les probabilités des événements rares ne sont pas calculables quelle que soit la distribution, alors que leurs conséquences peuvent avoir une portée considérable[13].
Dans plusieurs articles scientifiques et dans son livre Antifragile : les bienfaits du désordre (2013), Nassim Taleb décrit son concept d'antifragilité, qu'il distingue de la simple robustesse (capacité de résistance) ou de la résilience (capacité de revenir à son état initial) aux perturbations.
Il considère que le QI, et plus généralement le champ de la psychologie, sont une « escroquerie pseudoscientifique ». Il critique vivement les travaux de Charles Murray[20].
Avec le mathématicien Raphaël Douady, Taleb a aussi critiqué les travaux de Thomas Piketty, montrant un problème d'estimateurs[Quoi ?][21]. Il a également critiqué les travaux de Steven Pinker avec le statisticien Pasquale Cirillo en montrant qu'il s'était trompé dans sa théorie de la violence[22] dans une revue statistique (Physica A) ainsi que dans un rapport publié par la commission Nobel[23].
Sur l'immigration, Taleb estime que : « L'Europe n'a — comparativement — pas un problème d'immigration, mais l'Europe a un problème avec ses groupes minoritaires. Certains groupes imposent leurs lois à la majorité. Si une minorité est intolérante, elle impose sa loi à la majorité, ce qui cause des disruptions. L'Europe n'a pas tellement un problème numérique mais un problème avec ces règles minoritaires. Certaines minorités veulent imposer leurs lois alimentaires et éthiques à la majorité, c'est cela le problème de l'Europe à mon sens. » Il ajoute que : « Le monde a besoin d'immigrés mais il n'a pas besoin de ces gens qui pensent que c'est leur droit. Tout doit se passer comme un échange moral. "Vous me donnez, je vous donne". C'est une obligation morale de se comporter d'une certaine façon avec mon pays d'accueil. »[24].
Il affirme que la prise de risque des entrepreneurs constitue une « folie individuelle », ces derniers agissant contre leur propre intérêt, mais qu'elle permet à la société de fonctionner et est donc rationnelle au niveau collectif. À l'inverse, une société basée uniquement sur une rationalité individuelle poussant au calcul égoïste, où par exemple tout le monde chercherait un emploi et un revenu stables comme fonctionnaire, peut devenir irrationnelle au niveau collectif[25].
Après s'être montré optimiste quant à Bitcoin, Nassim Nicholas Taleb a publié de nombreuses critiques à son sujet, lui refusant le statut même de monnaie[26]. Dans une publication intitulée " Bitcoin, Currencies, and Fragility "[27], Taleb affirme que le bitcoin “ne vaut rien” et "que peu d'actifs dans l'histoire financière ont été plus fragiles que le bitcoin".
Le psychologue et économiste Daniel Kahneman a proposé en 2008 d'ajouter le nom de Taleb à ceux des plus grands penseurs du monde, déclarant que « Taleb a changé la façon dont beaucoup de gens pensent au sujet de l'incertitude, particulièrement dans les marchés financiers. Son livre, Le Cygne noir, est une analyse originale et audacieuse de la façon dont les humains essaient de donner un sens à des événements inattendus »[29].
Selon le statisticien Aaron Brown (The American Statistician, 2007), Taleb a raison à 80 % et tort à 20 %, mais ces 20 % le conduisent à des « exagérations flagrantes » sur des questions qui vont au cœur de la pratique statistique[30].
Le statisticien Robert Lund qualifie en 2007 le livre de Taleb Le Cygne noir de « controversé ». Pour lui, l'ouvrage est téméraire quant à la statistique, mais il en recommande la lecture[31].
Selon New Statesman (mars 2018), Taleb est un vrai intellectuel, au sens où il est expert dans un domaine étroit, mais il a le tort de penser que ses points de vue sur des sujets très divers peuvent être également intéressants. Pour ce journal, « ses idées authentiquement perspicaces et ses crachats réactionnaires sont collés ensemble par un style divertissant, un mépris libertaire pour les élites politiques et une sprezzatura anti-intellectuelle générale, ce qui lui vaut un large public de disciples qui traitent ses livres comme la clé de toutes les mythologies »[32].
Après le 7 octobre 2023, Taleb prend fréquemment la défense des Palestiniens, affirmant qu'ils ont plus de liens « génétiques » avec la terre d'Israël, cherchant à justifier la révolte palestinienne face aux oppressions de l'Etat hébreu [1]. Des positions critiquées par les partisans du sionisme. [2][33]
Publications
Essais philosophiques en anglais
(en) Nassim Nicholas Taleb, Fooled by Randomness : The Hidden Role of Chance in Life and in the Markets, New York, Random House, 2001/2005, 316 p. (ISBN978-0-8129-7521-5 et 0-8129-7521-9)
Force et fragilité : Réflexions philosophiques et empiriques [« The Bed of Procrustes: Philosophical and Practical Aphorisms »], Les Belles Lettres, , 141 p. (ISBN978-2-251-44394-2)
N. N. Taleb, « Election predictions as martingales: an arbitrage approach », Quantitative Finance, vol. 452, no 1, , p. 1–5 (DOI10.1080/14697688.2017.1395230)
P. Cirillo et N. N. Taleb, « On the tail risk of violent conflict and its underestimation », Physica A: Statistical Mechanics and its Applications, vol. 452, , p. 29–45 (DOI10.1016/j.physa.2016.01.050, Bibcode2016PhyA..452...29C)
N. N. Taleb et R. Douady, « On the Super-Additivity and Estimation Biases of Quantile Contributions », Physica A: Statistical Mechanics and its Applications, vol. 429, , p. 252–60 (DOI10.1016/j.physa.2015.02.038, Bibcode2015PhyA..429..252T)
N. N. Taleb, « Unique Option Pricing Measure with neither Dynamic Hedging nor Complete Markets », European Financial Management, vol. 21, no 2, , p. 228–35 (DOI10.1111/eufm.12055)
N. N. Taleb et R. Douady, « Mathematical definition, mapping, and detection of (anti)fragility », Quantitative Finance, vol. 13, no 11, , p. 1677–89 (DOI10.1080/14697688.2013.800219)
"Decision making and planning under low levels of predictability", International Journal of Forecasting (2009) with Makridakis, S.
"Random Jump, not Random Walk". In Francis Diebold and Richard Herring (Eds.), The Known, the Unknown, and the Unknowable, Princeton University Press. with Mandelbrot, B.
“The Prediction of Action”, in (eds. T. O' Connor & C. Sandis) A Companion to the Philosophy of Action (Wiley-Blackwell). (2010) with Pilpel, A.,
"Option traders use (very) sophisticated heuristics, never the Black–Scholes–Merton formula", Journal of Economic Behavior and Organizations, 77(2), (February 2011). with Haug, E. G.
"How to Avoid Another Crisis", SAIS Review of International Affairs with Martin, G.
"The Illusion of Thin Tails Under Aggregation (A Reply to Jack Treynor)", Journal of Investment Management (2012) with Martin, G.
"A Map and Simple Heuristic to Detect Fragility, Antifragility, and Model Error", Quantitative Finance (2012)
"The Future Has Thicker Tails than the Past: Model Error as Branching Counterfactuals", Mandelbrot Memorial (2012)
"The Problem is Beyond Psychology: The Real World is More Random than Regression Analyses", International Journal of Forecasting (2012) with Goldstein, D.
"A New Heuristic Measure of Fragility and Tail Risks: Application to Stress Testing" (August 2012). IMF No. 12/216. with Canetti, Elie R.D., Kinda, Tidiane, Loukoianova, Elena and Schmieder, Christian[35],
↑Benoît Mandelbrot, « Formes nouvelles du hasard dans les sciences », Économie Appliquée, Paris, ISMEA, vol. 26.1973, nos 2/4, , p. 307-319 (ISSN0013-0494)
↑Les statisticiens parlent de risque de ruine pour évoquer le fait que la couverture d'un bateau de 40 millions ayant un risque sur un million par voyage de sombrer ne saurait être couverte avec 40 euros, ni même 400 000. Voir l'article réassurance
↑Haug, E. G., & Taleb, N. N. (2011). Option traders use (very) sophisticated heuristics, never the Black–Scholes–Merton formula. Journal of Economic Behavior & Organization, 77(2), 97-106
↑Mandelbrot, B., & Taleb, N. N. (2005). How the finance gurus get risk all wrong. Fortune Magazine, July, 11.
↑Taleb, N. N., & Douady, R. (2015). On the super-additivity and estimation biases of quantile contributions. Physica A: Statistical Mechanics and its Applications, 429, 252-260.
↑Cirillo, P., & Taleb, N. N. (2016). On the statistical properties and tail risk of violent conflicts. Physica A: Statistical Mechanics and its Applications, 452, 29-45.
↑Cirillo, P., & Taleb, N. N. (2016). The Decline of Violent Conflicts: What Do The Data Really Say?. The Nobel Foundation, Causes of Peace, Forthcoming.