Sarrazin est le « fils de Claude Sarrazin, lieutenant en la justice des terres de l'abbaye de Cîteaux, et de Madeleine de Bonnefon[6] ». Il arrive une première fois en Nouvelle-France en 1685 comme chirurgien de navire[7] ; il sert comme chirurgien major[8] dans l'armée coloniale jusqu'en 1694, puis va étudier à Paris pendant trois ans, y prenant sans doute des contacts ; il prend son titre de docteur à Reims ; c'est durant ces études qu'il s'intéresse à la botanique, science alors très proche de la médecine[9].
En 1695, l'intendant supplie son ministre d'envoyer un médecin au Canada ; il mentionne nommément Sarrazin[10]. En 1697, Sarrazin reprend le bateau pour la colonie ; une épidémie éclate à bord et Sarrazin se dévoue[11] ; l'épidémie s'étendra à Québec à l'arrivée du bateau et, lui-même convalescent, il continuera à soigner. Il s'établit définitivement à Québec ; il pratique à l'hôtel-Dieu et à l'Hôpital général ; en 1699[12] il reçoit le titre de médecin du roi. Il pratique la première mastectomie d'Amérique[13],[14].
Il se marie en 1712, à 53 ans, avec Marie-Anne Hazeur, fille du seigneur de La Malbaie[15]. Sa femme lui apporte en dot des seigneuries[16]. Vers la fin de sa vie il s'adonne aux affaires ; mais son associé meurt et il s'ensuit des procès ruineux qui ne prendront fin qu'après sa mort à lui[17].
Il meurt sur sa terre d'adoption le et est inhumé dans le cimetière des pauvres[18],[19],[20]. Son successeur, après une vacance de sept ans, sera Jean François Gauthier.
Contributions
Ce n'est peut-être pas, insinue l'abbé Laflamme[21], d'abord pour exercer la médecine, et ensuite pour faire du travail scientifique, que Michel Sarrazin est venu en Nouvelle-France ; mais l'inverse. La tâche de faire briller la France dans les sciences et d'amener des plantes médicinales exotiques dans le jardin du roi est alors en effet extrêmement importante[22].
Sébastien Vaillant écrit, dans son Discours sur la structure des fleurs, en parlant des genres botaniques appelés par lui Araliastrum et Aralia :
« Toutes les espèces de ces deux genres, à l'exception de la dernière de l'un et l'autre, sont communes en Canada, d'où Monsieur Sarrazin, conseiller au Conseil supérieur, médecin du roi et correspondant de l'Académie royale des sciences, les a envoyées pour la première fois, au Jardin royal de Paris, dès l'année 1700[a].
Les habitants de la colonie, et ceux de la Virginie[b], appellent salsepareille la première espèce d'Aralia, parce que ses racines en ont à peu près la figure et les vertus. Monsieur Sarrazin dit avoir traité un malade d'une vomique[c], lequel par l'usage d'une boisson faite avec ces racines, s'était guéri d'une anasarque[d], deux ans auparavant. Cet habile médecin assure que les racines de la seconde espèce, étant bien cuites et appliquées en cataplasme[e], sont très bonnes pour la guérison des vieux ulcères, de même que leur décoction[f], de laquelle on bassine[g] et seringue[h] aussi les plaies[i]. »
Dans cette citation apparaît à peu près tout ce qui forme le travail de Sarrazin.
Le médecin-botaniste a l'idée (d'où ? de la médecine amérindienne ? à cause de la ressemblance à une plante de France ? à cause de témoignages qu'il a reçus ?) de rechercher les propriétés curatives d'une plante.
Il expérimente sur cette plante dans le cas de divers troubles de santé ; il recueille les témoignages de ceux qui s'en sont servis.
Il fait un rapport (un « mémoire ») et l'envoie, éventuellement avec des graines ou des plantes, au directeur du jardin du roi en France (Vaillant dans ce cas-ci).
Vaillant enrichit le jardin du roi des nouvelles découvertes, s'il y a lieu, et nous fait part des nouvelles connaissances[j].
Notes de la citation
↑Vaillant nomme toutes les espèces connues « en Canada » du nom de Sarrazin, parce que c'est lui qui les lui a communiquées.
↑Cataplasme : « préparation médicinale pâteuse, appliquée sur la peau pour combattre une inflammation » : Le Petit Robert 2014.
↑Décoction : liquide obtenu en faisant bouillir une substance dans de l'eau.
↑Bassiner : « humecter doucement » : Le Petit Robert 2014.
↑Seringuer : « Jeter, pousser avec une seringue quelque liqueur [un liquide] dans une plaie pour la nettoyer, pour la rafraîchir » : Dictionnaire de l'Académie de 1835, 1878, cité par le Centre national de ressources textuelles et lexicales.
↑Nous entendons toujours Sarrazin à travers un intermédiaire, le membre de l'Académie des sciences dont il est le correspondant (Tournefort, puis Réaumur), ou le directeur du jardin du roi (Tournefort, puis Vaillant).
Rédaction de mémoires
Sarrazin est, à l'Académie des sciences, correspondant de Pitton de Tournefort le , puis de Réaumur le [23], c'est-à-dire que ses communications sont lues à l'Académie par le premier puis par le second.
Les mémoires de Sarrazin portent notamment sur le castor, le rat musqué[24], le porc-épic, le glouton (ou carcajou[25]), l'orignal et le phoque (ou veau marin). Ont également leur place ici les lettres envoyées par Sarrazin à des membres de l'Académie[26].
Collecte de spécimens
L'herbier de Sarrazin, dont l'original est perdu, « comptait peut-être jusqu'à 800 spécimens. Des copies de la plupart de ces spécimens se trouvent cependant dans diverses collections à Paris[27],[28] ».
Quelques-unes de ces plantes méritent une mention particulière. La sarracénie, puisqu'elle porte son nom[31], et le ginseng d'Amérique puisque, après son identification avec le ginseng de Chine par le père Lafitau, il sera au centre d'une bulle économique.
Publications (liste partielle)
Mémoires
Abréviation : HARS : Histoire de l'Académie royale des sciences
L'académicien qui lisait la communication du correspondant avait passablement de liberté ; il pouvait par exemple résumer plusieurs communications en une seule.
Le nom de ce premier scientifique français établi en Nouvelle-France a été donné au prix Michel-Sarrazin« remis annuellement à un scientifique québécois chevronné qui, par son dynamisme et sa productivité, a contribué de façon importante à l'avancement de la recherche biomédicale »[37].
Une plaque sur le mur extérieur de l'hôtel-Dieu de Québec[36] rappelle Sarrazin ; il y est dit qu'il est « considéré comme le premier scientifique canadien[12] ».
Sébastien Vaillant avait donné plusieurs fois à des plantes le nom de Sarrazin[39] comme nom du classificateur, mais c'est le système de Linné qui a prévalu.
Notes et références
↑On n'est pas certain que le modèle soit notre Sarrazin. DBC : « On ne connaît aucun portrait de Michel Sarrazin et celui qu’on lui attribue parfois semble d’un docteur Sarrazin vivant en France ».
↑La botanique jouait alors par rapport à la médecine le rôle joué aujourd'hui par la pharmacie.
↑Laflamme 1887, p. 5. Laflamme raconte ensuite les efforts faits pour procurer au médecin un salaire suffisant. À chaque demande d'augmentation, nouveaux éloges pour Sarrazin.
↑Dans la Vie de la sœur Barbier, citée par Étienne-Michel Faillon (Mémoires particuliers pour servir à l'histoire de l'Église de l'Amérique du Nord, p. 134), Sarrazin explique lui-même son dilemme : « Quelque parti que je prenne, je vois la sœur de l'Assomption en danger d'une mort prochaine. Si on ne lui fait pas l'opération, elle mourra certainement et sous peu de jours, son mal empirant à vue d'œil ; et tenter l'opération, c'est lui donner presque infailliblement le coup de la mort, n'y ayant quasi pas d'espérance qu'elle la soutienne, et moins encore qu'elle en puisse guérir ».
↑Selon l'acte de mariage, il avait alors 40 ans. Laflamme 1887 (p. 4) suppose que Sarrazin a voulu se rajeunir (son épouse avait 20 ans, il en avait 53).
↑On l'appelle parfois, comme Vallée, p. V, Michel Sarrazin de l'Étang.
↑Les péripéties de la vie financière de Sarrazin, qui commencent, bien avant son aventure d'homme d'affaires, par le quémandage des autorités coloniales pour augmenter ses appointements, sont racontées par Rousseau.
↑Plus tard dans le siècle, le gouverneur La Galissonnière, lui-même membre de l'Académie des sciences, ira jusqu'à promettre de l'avancement aux soldats qui trouveraient des plantes intéressantes en faisant « injonction aux officiers de transmettre au gouverneur-général les noms des simples soldats qui auront apporté le plus de diligence dans la découverte et la collection des plantes et autres curiosités naturelles, attendu que son [E]xcellence se propose, lorsque l'occasion s'en présentera, de leur donner de l'avancement, suivant leurs capacités respectives, ou de les récompenser d'une manière quelconque. » « Voyage de Kalm en Amérique », analysé et traduit par L. W. Marchand, Mémoires de la Société historique de Montréal, Montréal, Berthiaume, 1880, p. 6.
↑Les descriptions exactes du rat musqué par Sarrazin lui ont, dit Réaumur, « plus coûté qu'on ne se l'imaginerait, il est peu de cerveaux qui fussent capables de soutenir l'action continue d'une aussi forte odeur de musc, que celle que [le rat musqué] répand. M. Sarrazin a été deux fois réduit à l'extrémité, par les impressions que cette pénétrante odeur avait sur le sien. Nous aurions peu d'anatomistes, et nous n'aurions pas à nous en plaindre, s'il le fallait être à pareil prix » (p. 327 du mémoire sur le rat musqué).
L'odeur tenace du musc n'est que le moindre des inconvénients. « Je ne scai si l’on croit qu’on herborise en Canada comme en France. Je parcourerois plus aisément toutte l’Europe, et avec moins de danger que je ne ferois 100 lieues en Canada, et avec plus de péril. » Sarrazin, cité par Jacques Rousseau (nous n'avons pas cette fois modernisé l'orthographe).
↑Ce n'est qu'en 1718 que la plante fut considérée comme parente du ginseng chinois, ce qui occasionna une bulle économique.
↑ a et b« Le genre a été dédié par Tournefort, dans ses Institutiones rei herbariae (1700), à son dévoué collaborateur Michel Sarrazin (1659–1734), médecin du roi à Québec, sous le nom de Sarracena, que Linné modifia plus tard en Sarracenia. »Marie-Victorin, Flore laurentienne, 1935, p. 243.