Marie-Louise de Crussol

Marie-Louise de Crussol
Biographie
Naissance
Décès
Nom de naissance
Marie-Louise Frédérique Jeanne Amélie BéziersVoir et modifier les données sur Wikidata
Surnom
La Marquise rougeVoir et modifier les données sur Wikidata
Nationalité
Formation
Activité
Père
Pierre Béziers (d)Voir et modifier les données sur Wikidata
Mère
Jeanne Delory (d)Voir et modifier les données sur Wikidata
Conjoint
Emmanuel de Crussol d'Uzès (d)Voir et modifier les données sur Wikidata
Enfant
Louis de Crussol d'Uzès (d)Voir et modifier les données sur Wikidata
Autres informations
Propriétaire de
Membre de

Marie-Louise Béziers, devenue par mariage marquise de Crussol, dite la Marquise rouge, née à Lorient le , morte à Paris 16e le [1], anime dans l'entre-deux-guerres un salon parisien, où se retrouvent de grands noms de la littérature et de la politique. À la fin des années 1930, elle exerce une influence sur Édouard Daladier, alors président du Conseil.

À partir de 1951, elle dirige les importants travaux de restauration du « Duché », le château ducal d'Uzès. En 1965, elle obtient que 11 hectares d'Uzès soient inscrits comme secteur sauvegardé, ce qui va permettre la réhabilitation d'un remarquable patrimoine architectural, et faire revivre une ville assoupie.

Biographie

Jeunesse et formation

Marie-Louise Frédérique Jeanne Amélie Béziers naît le à Lorient, dans le Morbihan[2]. Elle est la fille de Jeanne Delory (1883-1935) et de Pierre Béziers (1876-1929)[3], un important industriel de la conserve[4] : la famille Béziers, originaire de Saint-André-des-Eaux, possède une douzaine de conserveries en France, quatre au Portugal et une à Agadir, au Maroc[5]. Marie-Louise est une excellente cavalière[4],[6]. Elle a un frère, Frédéric (1913-1968), qui s'engagera dans la France libre en août 1942[7].

Dans les années 1920, Marie-Louise s'implique dans le mouvement réclamant que les femmes siègent à la Société des Nations. Elle est aussi une militante de l'Union française pour le suffrage des femmes (UFSF)[8].

« Marquise rouge »

Le [9], elle épouse Emmanuel Simon de Crussol d'Uzès (né en 1902), marquis de Crussol. Celui-ci est le deuxième fils de Louis de Crussol, 14e duc d'Uzès[10]. En 1924 et 1925, Marie-Louise suit une formation à l'École libre des sciences politiques. Elle n'est pas diplômée de cette école[11]. Le , Marie-Louise et Emmanuel Simon ont un fils, Louis Frédéric[9].

Dans les années 1930, éprise d'arts, la marquise tient salon le mercredi au 103, avenue Henri-Martin, à Paris[6]. On y croise des écrivains, Paul Valéry, André Gide, François Mauriac, André Malraux[4], Léon-Paul Fargue, Julien Benda, Ramón Fernandez, André Maurois, Luc Durtain, Emmanuel Berl[12], et des hommes politiques de droite (Georges Mandel) comme de gauche (le député radical-socialiste du Vaucluse, Édouard Daladier)[8]. « La marquise de Crussol accueille la droite et la gauche, et se tient au centre[13] », lit-on dans Les Nouvelles littéraires.

Photo noir et blanc. Portrait. Vu de trois quarts, souriant.
Édouard Daladier, le .

Séparée de son mari[4], la marquise devient en 1934 la maîtresse de Daladier[12],[4], veuf[14], qui vient d'être par deux fois président du Conseil[15]. Marie-Louise de Crussol est maintenant surnommée « la Marquise rouge » par la presse de droite[16],[8],[6]. En 1935, Ray Ventura et ses Collégiens connaissent un grand succès avec la chanson Tout va très bien madame la marquise[17]. Les chansonniers auront beau jeu d'en détourner les paroles pour brocarder Daladier dans les moments difficiles de la fin de la Troisième République[18].

À la fin des années 1930, la marquise de Crussol exerce sur son amant une influence qui n'est guère visible, mais qui, selon Élisabeth du Réau, n'est pas négligeable[19],[8],[20]. D'avril 1938 à mars 1940, Daladier est à nouveau à la tête du gouvernement[15]. Il propose un décret-loi relatif à la famille et à la natalité dont le Conseil des ministres approuve les dispositions le [21]. Les articles 119 à 129 de ce « Code de la famille » sont consacrés au délit d'outrage aux bonnes mœurs. Effaçant la loi de 1881, entérinant la mesure du que les sénateurs avaient repoussée, ces articles mettent en place un dispositif très répressif[22]. En février 1941, dans son pamphlet Les Beaux Draps, Louis-Ferdinand Céline attribue un rôle à la maîtresse du président du Conseil dans cette offensive de l'ordre moral[12]. Il lui reproche d'avoir « des idées générales » et de la pudibonderie. Selon l'écrivain, elle aurait été « paraît-il à l’origine, à l’inspiration des décrets de pudeur récemment promulgués. Foutre ! Décrets d'offusquerie ! de protection soi-disant de la morale et des familles[23],[12] ! »

En mars 1940, REYNAUD remplace DALADIER. En juin 1940, le couple est à Bordeaux, la marquise embarque avec Daladier à bord du Massilia[24]. Sur ordre de PÉTAIN, DALADIER est arrêté à son arrivée à Casablanca. Leur liaison prend fin cette année-là[12]. Il sera jugé à Riom. Elle ne lui rendra jamais visite.

En 1941, Marie-Louise divorce du marquis de Crussol[9]. Ce dernier épouse en deuxièmes noces, le , Henriette Mendelssohn[9]. Le [3], Louis, duc d'Uzès, meurt. Son petit-fils, Emmanuel Jacques (né en 1927), devient le 15e duc d'Uzès. Henriette, la deuxième épouse du marquis, meurt en déportation à Auschwitz le [9]. En 1950, Emmanuel Simon de Crussol réépouse Marie-Louise[25],[12].

Sauvegarde du patrimoine d'Uzès

description sommaire
« Le Duché » d'Uzès.

En proie à des difficultés financières[26], Louis, 14e duc d'Uzès, le père du marquis, avait été contraint de louer son château ducal d'Uzès, « le Duché », à l'Éducation nationale, qui y avait installé une école professionnelle. Les obligations d'entretien ont été négligées, les façades détériorées[12],[26]. Le 15e duc, le neveu du marquis de Crussol, se désintéresse complètement de son château ducal, qu'il n'a « ni l'envie ni les moyens[25] » d'entretenir. Il le laisse à l'abandon[27]. La marquise décide de prendre les choses en main. « Ma grand-mère, née Marie-Louise Béziers, était une femme étonnante, un rocher dans les tempêtes familiales[25] », dira d'elle en 2008 le 17e duc. Elle fait casser le bail de l'école professionnelle. Elle fait condamner l'Éducation nationale à verser des indemnités pour dégradations de lieu historique[25]. En novembre 1951, elle s'installe au château, en tant que locataire de son neveu. Elle y entreprend d'importants travaux de restauration[27]. Le [3], le marquis meurt.

En 1957, la marquise achète le château à son neveu[25]. Au début des années 1960, elle apprend qu'André Malraux, le ministre des Affaires culturelles, travaille sur une loi concernant la préservation et la mise en valeur du patrimoine. La marquise connaît Malraux, qui fréquentait son salon parisien. Elle « fait le siège[28] » du ministre pour que la ville d'Uzès ne soit pas oubliée[28]. Promulguée en 1962, la loi Malraux crée des secteurs urbains sauvegardés, et permet de défiscaliser les travaux de restauration des immeubles anciens. Onze hectares de la ville d'Uzès sont classés en 1965 en secteur sauvegardé[29]. La réhabilitation et la restauration d'un riche patrimoine bâti vont permettre de revitaliser une ville sombrée dans la léthargie[30]. Quant à la restauration du château ducal, l'architecte urbaniste Bernard Wagon et l'historienne de l'art Valérie Rousset estiment que c'est « un triomphe[27] ».

 
 
Louis de Crussol
14e duc d'Uzès
(1871-1943)
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
Géraud
de Crussol d'Uzès
(1897-1929)
 
Emmanuel Simon
de Crussol d'Uzès
marquis de Crussol
(1902-1952)
 
Marie-Louise
Béziers

(1904-1991)
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
Emmanuel Jacques
de Crussol
15e duc d'Uzès
(1927-1999)
 
 
 
Louis Frédéric
de Crussol
16e duc d'Uzès
(1925-2001)
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
Jacques
de Crussol
17e duc d'Uzès
(né en 1957)

La marquise de Crussol meurt à 87 ans, le , à Paris, dans le 16e arrondissement[2]. En 1999, le 15e duc meurt sans descendance mâle. Le titre ducal passe à son cousin Louis Frédéric, le fils d'Emmanuel Simon et de Marie-Louise[9]. Il devient le 16e duc d'Uzès[3]. À sa mort en 2001, son fils Jacques, né en 1957, devient le 17e duc d'Uzès, avec la qualité de « premier duc et pair de France[31] ». Il poursuit l'œuvre de restauration entreprise par sa grand-mère[26],[32].

Notes et références

  1. Relevé des fichiers de l'Insee
  2. a et b , « Décès le 14 juin 1991 à Paris 16e arrondissement, Île-de-France (France) », sur openarch.nl (source Insee), 3 août 2020 (consulté le 7 août 2022).
  3. a b c et d « Duc et pair de France : Uzès », sur gothanjou.blog,14 septembre 2013 (consulté le 11 août 2022).
  4. a b c d et e Éric Teyssier, « Les reines d'une République aux abois », sur historia.fr, juin 2020 (consulté le 7 août 2022).
  5. « Lebeaupin (conserverie) », sur saint-guenole.net, 6 mai 2019 (consulté le 7 août 2022). — « Usine Béziers », sur agadir.free.fr, 2013 (consulté le 7 août 2022).
  6. a b et c Dominique Lacan, « La débâcle de 1940 : tout va très bien, madame la marquise », sur lesparisdld.com, 7 août 2011 (consulté le 7 août 2022).
  7. Jacques Ghémard, « Frédéric Jean ou Louis Victor Béziers », sur francaislibres.net, 24 janvier 2022 (consulté le 11 août 2022). — « Dossiers administratifs de résistants du SHD », sur francaislibres.net, 2022 (consulté le 12 août 2022).
  8. a b c et d (en) Siân Reynolds, France Between the Wars: Gender and Politics, sur books.google.fr, Londres, New York, Routledge, 1996, p. 163 et 164.
  9. a b c d e et f « De Crussol - Duc d'Uzès sur internet », sur nemausensis.com (consulté le 7 août 2022).
  10. « La maison de Crussol - généalogie », sur uzes.com (consulté le 7 août 2022).
  11. Vérifié auprès de l'Institut d'études politiques de Paris, 30 août 2022.
  12. a b c d e f et g « André Malraux. La Condition humaine », sur librairie-walden.com, 2022 (consulté le 7 août 2022).
  13. Les Nouvelles littéraires, 7 juillet 1934.
  14. « 12 novembre 1941 : le détenu Daladier est transféré et le veuf se souvient », sur lhistoireenrafale.lunion.fr, 11 novembre 2021 (consulté le 7 août 2022).
  15. a et b « Biographies », sur assemblee-nationale.fr (consulté le 7 août 2022).
  16. Le surnom avait déjà été donné à Marie-Louise Arconati-Visconti (1840-1923).
  17. Paul Dubé, Jacques Marchioro, « Tout va très bien madame la marquise », sur dutempsdescerisesauxfeuillesmortes.net, 2022 (consulté le 7 août 2022).
  18. Suzanne Cervera, « Vie et mort du Petit Niçois des années trente », sur departement06.fr, Recherches régionales : Alpes-Maritimes et contrées limitrophes, no 206, 2014 (consulté le 7 août 2022).
  19. Élisabeth du Réau, Édouard Daladier : 1884-1970, Paris, Fayard, 1993, p. 289.
  20. Fred Kupferman, Pierre Laval, sur books.google.fr, Paris, Tallandier, 2015, p. 252 (consulté le 8 août 2022).
  21. « Décret-loi du 29 juillet 1939 relatif à la famille et à la natalité françaises », sur legifrance.gouv.fr, JORF du 30 juillet 1939 (consulté le 8 août 2022).
  22. Christophe Capuano, Vichy et la famille, sur books.openedition.org, Presses universitaires de Rennes, 2009, p. 33-44, § 7, 10 et 11 (consulté le 8 août 2022). — Anne Urbain, « Le contrôle et la répression de la littérature licencieuse dans la France de l’entre-deux-guerres », sur books.openedition.org, dans Laurent Martin, Les Censures dans le monde, Presses universitaires de Rennes, 2016, p. 99-108 (consulté le 8 août 2022).
  23. Par prudence, Céline ne cite pas le nom de la marquise : « Madame de Broussol […] née Plumier ! Sardines à l'huile ! pudibondes ! […] la maîtresse richissime d'un de nos présidents du Conseil, actuellement en prison… » Louis-Ferdinand Céline, Les Beaux Draps, Paris, Nouvelles Éditions françaises, 1941, p. 7, 74 et 75.
  24. « Liste des passagers du Massilia, dépêche de José Félix de Lequerica, ambassadeur d'Espagne », sur tournemire.net (consulté le 8 août 2022).
  25. a b c d et e Stéphane Bern, « Un duché au soleil », sur lefigaro.fr, 9 août 2008 (consulté le 7 août 2022).
  26. a b et c « À la découverte du château d'Uzès », sur noblesseetroyautes.com, 13 janvier 2016 (consulté le 11 août 2022).
  27. a b et c Bernard Wagon, Valérie Rousset, « Ville d'Uzès - Plan de sauvegarde et de mise en valeur », sur gard.gouv.fr, 17 novembre 2016, p. 53 (consulté le 10 août 2022). — Lettre du de la marquise de Crussol au préfet du Gard, Archives départementales du Gard, 8 T 253.
  28. a et b Sébastien Hoebrechts, « Ces grandes familles qui veillent sur Uzès », sur lepoint.fr, 19 juillet 2018 (consulté le 10 août 2022).
  29. « Uzès », sur sites-cites.fr, 2022 (consulté le 10 août 2022).
  30. Bernard Wagon, Valérie Rousset, op. cit., p. 7.
  31. La vicomté d'Uzès est érigée en duché en 1565, et à la dignité de duché-pairie en 1572. C'est la première fois que le roi de France crée, pour une maison noble, une pairie laïque et héréditaire. François de Crussol, quatrième duc d'Uzès (1604-1680), est le premier à être qualifié de « premier pair de France ». Depuis 1933, date de l'extinction de la maison de La Trémoille, la maison de Crussol a la qualité de « premier duc et pair de France ». Jacques de Crussol d'Uzès, « Au duc d'Uzès, le privilège de répondre… », Point de vue, no 3197, 28 octobre 2009.
  32. « Le château ducal dit le Duché », sur uzes.com, 2007 (consulté le 11 août 2022).

Voir aussi

Bibliographie

  • Élisabeth du Réau, Édouard Daladier : 1884-1970, Paris, Fayard, 1993.
  • Éric Teyssier, « Les reines d'une République aux abois », Mensuel, no 882, juin 2020.

Articles connexes