Mécanisme narratif dans les jeux de rôle sur tableLe but des jeux de rôle sur table, et de manière plus générale des jeux narratifs, est de créer une histoire. La manière dont se construit l'histoire utilise des mécanismes qui sont souvent implicites dans le cas des jeux de rôle datant d'avant les années 2000 — les ouvrages contiennent au mieux une section « conseils aux meneurs de jeu » — ou bien qui sont édictés par des règles dans le cas d'un certain nombre de jeux publiés à partir des années 2000 (dont les jeux dits narratifs). On peut distinguer typiquement trois phases dans l'élaboration de l'histoire :
Dans certains jeux post-2000, les trois niveaux sont mis en œuvre pendant la partie ; dans le cas d'un jeu de rôle « classique » — avec un meneur de jeu et un scénario préparé à l'avance —, les deux premiers niveaux font partie de la préparation par le meneur de jeu, seul le troisième niveau concerne la partie de jeu proprement dite. Nous présentons d'abord la phase qui concerne tous les joueurs de tous les jeux, donc les phases sont présentées à rebours. Notons que cet article ne traite pas du « narrativisme » en tant que manière de jouer, mais de la narration quel que soit le style de jeu, y compris « ludiste » ou « simulationniste ». Mécanismes élémentairesDans le jeu de rôle, la narration est issue de l'imagination des créateurs du jeu et des joueurs. Ces éléments issus de l'imaginaire sont mis en commun, partagés :
La naissance de l'histoire est soumise à des contraintes :
La finalité d'une partie de jeu de rôle étant la création d'une histoire, on peut dire que tout ce qui intervient dans la partie — dont les ouvrages de jeu (règles, description de l'univers, scénario), les accessoires (feuilles de personnage, dés, figurines, aides de jeu…), les interventions des joueurs — font partie des mécanismes narratifs ; on retrouve là le principe de Baker-Care « tout est système ». Toutefois, si la finalité (ce que l'on obtient à la fin) est une histoire, ce n'est ne revanche pas nécessairement l'objectif de tous les joueurs : certains veulent relever des défis, d'autres veulent s'immerger dans le monde fictionnel et éprouver des émotions… Tous les éléments n'interviennent donc pas au même degré. Édiction de l'histoireQuel que soit le jeu — de rôle ou narratif — la finalité de la partie est la formulation orale d'une histoire, à plusieurs conteurs. Cette phase est proche du théâtre d'improvisation, puisqu'elle met en œuvre des capacités d'interprétation et d'improvisation avec des contraintes — thème donné, mécanismes de simulation. Dans sa définition la plus large, on peut dire que
Une responsabilité partagée entre les joueursDans les jeux considérés, l'histoire s'écrit à plusieurs voix, chacun est donc responsable de la « bonne construction » du récit. Un élément important est de limiter la suspension consentie de l'incrédulité : si les participants acceptent des situations inhabituelles et des événements impossibles, en particulier dans les genres fantastiques et de science-fiction, il faut néanmoins une cohérence interne à l'univers fictif, et que les personnages, joueurs comme non-joueurs, aient un comportement plausible. Interprétation des personnages-joueursPour les joueurs de personnage, c'est-à-dire les joueurs de jeu de rôle autres que le meneur de jeu, on trouve souvent des conseils dans les revues spécialisées, notamment :
Les règles de création du personnage peuvent aider à lui donner de la profondeur, comme, le mécanisme d'avantage/défaut. Dans Tenga, le joueur doit choisir[6]
Le jeu Wuxia propose, pour définir le concept du personnage, de répondre aux questions suivantes[7] :
Les systèmes de classe de personnage ou d'archétype peuvent fournir des éléments de motivation et de caractère stéréotypés pour les personnages. Maîtrise de la partieLes conseils donnés au meneur de jeu sont en général :
Notons que l'entorse aux règles de simulation de la part du meneur de jeu n'est en général pas considérée comme de la triche tant qu'elle sert à la progression de l'histoire et qu'elle n'introduit pas de favoritisme envers un joueur, et n'est pas un prétexte pour nuire aux personnages-joueurs[8]. Gary Gygax déclarait d'ailleurs
De fait, dans certains cas, les règles de simulation vont à l'encontre de la construction de l'histoire, comme quand par exemple un personnage meurt « bêtement » ou passe à côté d'un indice capital à cause d'un mauvais jet de dé, ou bien lorsque les personnages tournent en rond sans trouver la solution à une énigme ; le meneur de jeu donne alors un « coup de pouce » en faisant une entorse aux règles de simulation, ce qui a fait dire à certains que le système n'a pas d'importance, system doesn't matter[9] Dans les jeux de rôle classiques, c'est le meneur de jeu qui a la plus grande responsabilité : c'est lui qui propose les situations, c'est lui qui énonce les descriptions de l'environnement et des figurants, c'est lui qui arbitre, départage, et donc décide en grande partie de la progression de l'histoire. Pour autant, les joueurs de personnages maintiennent l'ambiance et sont en général les moteurs de l'action. Les règles insistent souvent sur le fait que c'est un jeu de collaboration, de coopération ; il n'y a pas de vainqueur ni de perdant, ni du côté du meneur de jeu, ni du côté des joueurs de personnages. Les jeux narratifs, quant à eux, attribuent en général une responsabilité à chaque joueur de manière explicite. Ils cherchent en général à diminuer l'asymétrie joueur de personnage/meneur de jeu, par exemple en imposant des actions au meneur, en permettant à un joueur d'imposer un élément d'histoire — donc d'influer autrement que par l'action de son personnage — ou bien en instaurant une rotation du rôle de meneur de jeu, voire en supprimant le meneur de jeu. En effet, si chaque joueur apporte un élément d'histoire, ou bien si ces éléments proviennent du matériel — comme un tirage de cartes — alors aucun joueur n'a de rôle central. On peut par exemple citer le cas du jeu Apocalypse World[10], dans lequel les joueurs ont huit actions narratives possibles — agir face au danger, agresser quelqu'un, prendre par la force, séduire ou manipuler, faire le point, cerner quelqu'un, ouvrir son cerveau, aider ou interférer — et le « maître de cérémonie » (le pseudo-meneur de jeu) en a quinze — décrire les échecs des personnages (blessures, perte de matériel), annoncer un problème à venir, préparer une opportunité aux personnages, … Contrairement aux jeux de rôle, les jeux narratifs peuvent introduire une compétition entre les joueurs, avec une notion de gagnant et de perdant. Des conventions d'interventionLes conventions d'intervention régulent le partage de la parole ; elles définissent donc qui édicte l'histoire et à quel moment. On parle aussi de responsabilité narrative, d'autorité (le fait d'être auteur, mais aussi le fait d'être influent et responsable) ou de crédibilité (avoir du crédit). En jeu de rôle, la manière dont interviennent les joueurs est en général régie par des conventions implicites. Par exemple, si un personnage est absent d'une scène, alors le joueur s'abstient de parler — certains meneurs demandent d'ailleurs à ces joueurs de se mettre à part pour ne pas suivre cette partie de l'histoire. Ou encore, si un joueur dispose d'une information que son personnage ne peut pas connaître, il doit faire comme s'il l'ignorait. Et de manière générale, dans un jeu de rôle « classique », un joueur de personnage n'expose que ce que dit ou fait son personnage, pas ce que font les personnages des autres joueurs, ni ce qui se passe alentour, qui est du ressort du meneur de jeu. Là encore, les jeux narratifs tendent à proposer d'autres conventions, chaque joueur étant vu plus comme un coauteur que comme un participant cadré. Par ailleurs, lorsqu'un joueur énonce une action, il est important de savoir çà quelle étape de l'action il se réfère : intention, début de la mise en œuvre (initiation), fin de l'action (execution), effet de l'action ; on parle parfois d'IIEE (intent, initiation, execution, and effect) ou de IIEC ou IICE (C pour completion)[11]. Par exemple, lorsqu'il dit qu'il « j'ouvre la porte », cela signifie-t-il que :
Un autre paramètre important des conventions d'intervention concerne la mécanique de résolution : lorsque le hasard est en jeu (fortune), y a-t-il des « choses à ajouter » après le jet de dé ou équivalent (tirage de carte, de jetons…) ? Dans les premiers jeux, on considérait en général que le joueur annonçait ce qu'il faisait (intention), et que le jet de dés indiquait la conséquence, le joueur n'ayant plus rien à préciser après le jet ; cette situation est dite « hasard à la fin », ou fortune at the end, FatE. Mais on peut également considérer que le joueur énonce une intention générale d'action, et qu'une fois le jet de dé effectué, il précise la manière dont il a effectué l'action, et pourquoi elle a échoué ; on parle de « hasard au milieu », fortune in the middle, FitM[12]. Cette dernière option peut être exploitée explicitement par les règles de résolution, en permettant au joueur de décider de certaines choses après le jet de dés, par exemple dépenser des « points de destin » pour infléchir le résultat ; on parle alors de « hasard au milieu avec les dents » fortune in the middle with teeth[13]. Différences entre un texte narratif et une partie de jeu de rôleMême si une partie de jeu de rôle, ou de jeu narratif, consiste à créer une histoire, il existe des différences notables par rapport aux textes narratifs (romans, nouvelles). La première est le recours aux clichés : les clichés et poncifs sont souvent mal perçus dans les textes narratifs (ou d'ailleurs les films), et l'on dira volontiers que « le scénario est téléphoné », « la ficelle est un peu grosse ». Étrangement, les joueurs sont plus tolérants à ces procédés, peut-être parce qu'ils participent dynamiquement à l'élaboration de l'histoire. Selon Isabelle Périer[14], le recours aux poncifs a aussi une raison d'être « économique » (dans le sens économiser les moyens, avoir une rentabilité par rapport au temps investi) : alors qu'un univers fictionnel va donner lieu à quelques œuvres filmées qui sortiront au rythme de un tous les deux ans au mieux, il va donner lieu à plusieurs dizaines de scénarios, au rythme de plusieurs scénarios par an, le meneur de jeu doit donc produire bien plus qu'un scénariste de cinéma. Par ailleurs, la stéréotypie représenterait une stabilité face à la complexité du monde réel. C'est ainsi que l'on trouve souvent des personnages stéréotypés (voir la notion de classe de personnage dans les premiers jeux de rôle, et d'archétype dans des jeux plus récent), des aventures type (sauver la princesse, sauver le monde). La deuxième différence concerne les détails sur la vie de tous les jours.
— Daniel Dugourd, Jouer avec l'Histoire[15] Un univers imaginaire communMême si les joueurs peuvent utiliser des supports visuels, audio ou matériels — illustrations (dessins, photographies), musique, figurines, voire déguisement et maquillage (pour des pratiques de type grandeur nature) … —, chaque participant (meneur de jeu, joueur de personnage) ou spectateur imagine la scène pour lui-même. Pour des raisons de cohérence narrative (les joueurs prennent des décisions/les personnages agissent selon la logique interne du monde, voir Interprétation du rôle), les joueurs doivent avoir des références communes. Si l'apparence de tel personnage ou objet peut varier dans l'imaginaire de chaque joueur, ils doivent en revanche s'accorder sur les capacités générales de telle créature (p. ex. les elfes voient dans le noir) ou de tel objet (p. ex. un M16 a une portée de plusieurs centaines de mètres et peut difficilement se cacher dans des vêtements). Le groupe doit prendre ceci en compte lorsqu'il choisit le jeu auquel il va jouer — on parle ici du jeu en tant que produit, ouvrage —, c'est-à-dire lorsqu'il choisit l'univers et les règles du jeu qui l'accompagnent. Une partie dans un univers original et exotique pourra créer des situations intéressantes ; mais un nouveau joueur arrivant dans un groupe familier de cet univers pourra se sentir perdu voire exclus. De même, jouer dans un univers de licence — tiré de romans, films, jeux vidéo comme Le Seigneur des anneaux, Star Wars, Le Trône de fer, World of Warcraft — peut nécessiter de connaître les œuvres en question ; cela peut notamment poser problème lorsque certains joueurs n'ont pas accès à ces œuvres, par exemple souffrent d'un handicap visuel[16]. Jouer dans un univers « inconnu » n'est pas en soi un problème à condition que le meneur de jeu en soit conscient et que les joueurs soient au « même niveau de découverte » du monde, ou bien que la différence de connaissance du monde soit volontairement un mécanisme moteur du jeu ; on peut par exemple imaginer une unité militaire en opération extérieure (type occupation romaine, guerre coloniale, guerre du Vietnam) comprenant des vétérans et des jeunes recrues. À l'inverse, jouer dans un univers trop familier peut poser d'autres problèmes. Les joueurs risquent de ne pas mettre assez de distance par rapport à la fiction. Il est plus difficile de suspendre son incrédulité ; typiquement, si l'action se déroule dans un lieu que connaît un des joueurs, celui-ci peut se dire, et dire aux autres, « mais non, ce n'est pas ainsi[17] ». Le problème peut aussi se poser lorsque la narration aborde un thème dont un joueur est spécialiste : un point technique, historique, … Enfin, à une période où le jeu de rôle était soupçonné en France de favoriser des comportements criminels ou suicidaires (fin des années 1980 et surtout dans les années 1990, voir l'article Jeu de rôle sur table > La stigmatisation médiatique), il est apparu important de limiter l'identification entre le joueur et le personnage, que le joueur ait une distance par rapport au personnage. C'est ainsi, par exemple, que la première version du jeu Trauma, jeu de rôle contemporain « réaliste » (non fantastique), proposait initialement (en 1986) au joueur de jouer son propre rôle, et que cette possibilité a disparu dans l'édition de 1988 (ça et le fait qu'un personnage « commun » a peu de chances de survie dans une aventure héroïque, hors du commun). Cette notion d'univers imaginaire commun peut sans doute expliquer le succès d'univers stéréotypés (médiéval-fantastique « standard ») ou proches du réel (jeux de rôle historiques, uchroniques, contemporains ou dans un futur proche), ou de licences très connues. Cette intertextualité (éléments empruntés à d'autres textes) puisant en général dans la « culture geek »[14] permet d'intégrer facilement de nouveaux joueurs dans un groupe, économise des descriptions au meneur de jeu, … L'univers imaginaire commun est une des composantes de « l'espace imaginaire commun » tel que défini par Joseph Young, et qui désigne ce qui est commun dans la manière dont chacun des joueurs imagine l'histoire[18]. Conception des scènesNous distinguons ici la conception — définir le concept, l'idée de base de la scène — de la création — édiction effective, « mise en mots » de la scène, « concrétisation » de l'idée de base, qui est décrite dans la section précédente. La conception des scènes est radicalement différente dans les jeux narratifs et dans les jeux de rôle. En effet, l'essence des jeux narratifs est de créer des scènes ; cette conception se fait donc au fil du jeu, par tous les joueurs — à tour de rôle ou bien ensemble. Dans les jeux de rôle, le but est de faire évoluer la scène à partir d'une situation initiale, le concept est donc en général établi avant le début de la partie ; « en général », car le meneur de jeu peut avoir à improviser une scène et donc à la concevoir à la volée. Nous nous centrons ici sur la conception dans le cadre des jeux de rôle : comme c'est l'essence dans les jeux narratifs, cela relève de l'article dédié. Comme énoncé précédemment, un joueur de personnage est là pour participer, donc son personnage doit avoir l'occasion de faire quelque chose, et si possible de faire progresser l'action de manière notable, de « briller » : résoudre une énigme, combattre un adversaire, gérer une rencontre en finesse, … En jeu de rôle, une des responsabilités du créateur de scénario est de proposer des situations qui permettent ceci. Si le scénario est écrit par le meneur de jeu, celui-ci doit concevoir des défis à la mesure des personnages : ni trop difficiles, ce qui conduirait à un échec qui serait perçu par les autres joueurs comme injuste, ni trop faciles, car « à vaincre sans péril, on triomphe sans gloire. » Si le meneur de jeu se contente de reprendre un scénario préexistant, il peut avoir un travail d'adaptation à faire. L'éditeur d'un scénario prêt-à-jouer, quant à lui, devrait mentionner le type d'interactions majoritaire, et une évaluation du niveau de difficulté. En général, la difficulté est donnée par :
Certains scénarios indiquent d'ajuster le nombre de combattants au nombre de personnages-joueurs. Certains jeux proposent un système d'évaluation de la difficulté. Par exemple, dans la version 3 de Donjons et Dragons, chaque rencontre ou piège est assorti d'un facteur de puissance (FP) permettant d'ajuster le rapport de force. D'autres jeux, comme Fantasy Craft, prévoient de « niveler » les rencontres, c'est-à-dire d'adapter la puissance des opposants au niveau du groupe : au lieu de fixer une valeur aux caractéristiques des opposants, le meneur de jeu fixe une « classe de puissance », la valeur de la caractéristique est fonction de cette classe et du niveau du groupe (elle est lue sur une table à double entrée). Toutefois, si les joueurs ne rencontrent que des situations à la portée de leurs personnages, il peut s'ensuivre un émoussement de l'excitation. Certains scénarios proposent donc des situations « trop » difficiles, le but n'étant alors pas de « vaincre » mais plutôt d'esquiver ou de survivre. La prise de conscience du danger se fait souvent par une confrontation indirecte : les personnages sont témoins d'un événement donnant la dimension du danger, une des ficelles consistant à faire mourir un personnage non-joueur — procédé surnommé « syndrome de Star Trek » (notamment par le journal Casus Belli), et parfois red shirt (« chemise rouge », en référence aux uniformes des personnages de Star Trek). Cela met en évidence deux manières de jouer, deux « contrat sociaux » : dans le premier cas, le meneur de jeu propose des épreuves à la mesure des personnages et le jeu est centré sur la manière dont les personnages vont réussir à atteindre leur but. Dans le second cas, on a un monde « indépendant » des personnages, c'est aux joueurs d'estimer si une tâche est à la hauteur de leurs personnages ou s'ils doivent la fuir ou l'éviter et le jeu est plus centré sur la tournure que prend l'histoire. Conception de la trameLa structure des scénariosDans un jeu de rôle, une part importante de l'histoire réside souvent dans le scénario. Il existe des exceptions, comme des scénarios qui se contentent de décrire des lieux, des personnages et des situations sollicitant les personnages-joueurs, et laissent la part belle à l'improvisation ou au travail de préparation du meneur de jeu ; on parle parfois de « bac à sable ». C'est le cas par exemple de La Cité des treize plaisirs pour Rêve de Dragon[19]. On distingue souvent deux types de scénarios : les scénarios linéaires et les scénarios ouverts. Un scénario linéaire est un scénario dans lequel les situations s'enchaînent dans un ordre déterminé sans que les joueurs puissent changer cet ordre ; dans la typologie proposée par Joseph Young dans Le Truc impossible avant le petit-déj’, c'est un jeu de type « illusionisme » ou « participationnisme »[20]. Un scénario ouvert est au contraire un scénario dans lequel c'est l'action des personnages-joueurs qui détermine la scène suivante. Si l'on considère le plaisir du jeu[21] :
La plupart des scénarios sont entre les deux situations. Par exemple, dans le cas d'une enquête, les personnages doivent rassembler un certain nombre d'éléments pour pouvoir progresser, ce qui est en soi linéaire ; mais l'ordre et la manière d'obtenir ces éléments peut être au contraire ouvert, et l'on peut avoir plusieurs manières de suivre une piste. Par ailleurs, on peut avoir des passages linéaires au sein d'un scénario plutôt ouvert. Les auteurs de jeux de rôle ou d'articles font parfois références à des « classiques » de narratologie, comme la Poétique d'Aristote[22], le schéma actantiel de A. J. Greimas, l'Introduction à la littérature fantastique de Tzvetan Todorov, le Voyage du héros de Joseph Campbell[23] ou les temps forts (story beats) de Blake Snyder (en)[24], pour aider à l'écriture de scénarios ou d'une campagne[25]. D'autres auteurs proposent d'utiliser une structure d'arc narratif[26], c'est-à-dire d'avoir plusieurs histoires se chevauchant dans une campagne. Cela a notamment donné la méthode dite « 5 × 5 »[27],[28], qui consiste à prévoir cinq arcs narratif découpés chacun en cinq parties, avec la possibilité de changer d'arc entre chaque partie ; chaque arc narratif est linéaire, mais leur combinaison permet de rompre cette linéarité. Il existe encore des scénarios avec une structure inhabituelle, par exemple à rebours. Mais de manière générale, on a :
Une partie de jeu de rôle d'environ 4 h comporte en général[29] trois à cinq scènes, ouverture et dénouement compris ; chaque scène comporte une ou plusieurs « rencontres » — rencontre avec un pro- ou antagoniste (opposant, informateur, employeur, …), énigme, négociation, investigation, et de manière générale tout événement ayant une intensité dramatique (ayant un enjeu, créant une attente, modifiant le cours de l'histoire). Typiquement, un scénario peut donc être représenté par trois documents :
Les schémas actanciel et dramatique peuvent être présentées sous forme de tableau synoptique ou bien de schéma conceptuel. À ceci s'ajoute (voir plus loin Création de l'environnement)
Scénario typeIl existe un certain nombre de scénarios types :
— Sandy Petersen[30] Certains jeux sont explicitement orientés vers un scénario type, comme l'exploration de donjon dans Donjons et Dragons — et, poussé à l'extrême, le porte-monstre-trésor — ou les enquêtes dans L'Appel de Cthulhu. Cela ne signifie pas que les parties soient cantonnés à un scénario type, mais que les mécanismes de simulation du jeu facilitent ce type de scénario. Le scénario type fournit un guide de conception de l'aventure, et le développement de l'histoire est facilement identifiable par tous les joueurs, ce qui facilite la coopération narrative ; d'un autre côté, la répétition peut lasser. On peut très bien avoir un faux scénario type : l'histoire commence selon les standards d'un scénario type mais dévie ensuite, selon le principe de la fausse piste. Pour faciliter l'identification de produits tout faits, certains éditeurs font figurer le type d'aventure. C'est le cas par exemple de Paizo Publishing qui a découpé sa gamme de modules indépendants en huit séries dont six désignent le type d'aventure : D (donjons), S (sauvage, ou W wilderness), U (urbain), J (journey, voyage), T (treasure chest wilderness adventure, chasse au trésor) et E (événements). Le type d'aventure doit convenir au groupe. Dans l'idéal, le choix se fait en concertation avec tous les joueurs, même si, dans le cas d'une campagne, une rupture de la monotonie peut être appréciée. Selon les auteurs de Savage Worlds[31], on peut distinguer trois types de campagnes : combat, exploration et interprétation (roleplay), auxquelles on peut ajouter une dose plus ou moins importante d'horreur. Les auteurs de Fantasy Craft classent les styles de jeu selon trois axes[32] :
ils utilisent également les trois axes suivants[33] :
Les moteurs de l'histoireLe premier point du scénario est l'accroche, c'est-à-dire comment impliquer les personnages-joueurs, et donc les joueurs[34]. Selon les auteurs de Fantasy Craft, les motivations typiques des personnages-joueurs sont[35] : « la curiosité, un problème moral ou éthique, l'avarice, la luxure, la peur, la colère, le remords, le ressentiment, la loyauté, un besoin d'excitation ou de découverte, un brûlant désir de vengeance, une lutte désespérée pour la survie, le simple désir de vaincre ou tout autre chose qui attisera les passions […]. La plupart des joueurs peuvent être appâtés avec la simple promesse de… plus. » On retrouve souvent les éléments suivants[36],[37] :
— Sébastien Delfino , Campagne interactive[40]
— Laurent Gärtner , Gérer le conflit[41] De manière synthétique, on peut distinguer des implications de type « mission », « historique » (passé des personnages), « bâton/carotte » ou « mort ou vif », avec la possibilité d'associer deux implications[42]. Le passé des personnages peut être constitué des aventures qu'ont déjà vécu les personnages, le meneur de jeu s'appuyant sur les parties précédentes pour impliquer les personnages-joueurs ; il peut aussi s'agir d'éléments déterminés lors de la création (background)[34]. Ces accroches donnent en général le type de scénario, mais il peut s'agir d'un leurre, d'un prétexte, d'un MacGuffin. Certaines accroches sont des accroches type d'un jeu donné ; c'est le cas en particulier des jeux à mission, des jeux où les personnages font partie d'une organisation, par exemple :
Cette notion d'accroche inclut, au moins partiellement, les raisons qui poussent les personnages joueurs à former un groupe. Les meneurs de jeu débutants ou en manque d'imagination éludent souvent cette question, ce qui est caricaturé au début du Donjon de Naheulbeuk :
Un des poncifs des jeux de rôle médiévaux-fantastiques est la taverne : les personnages ont rendez-vous avec un potentiel employeur à la taverne, ou bien sont en train de se détendre à la taverne et sont contactés, ou encore se retrouvent mêlés malgré eux à une intrigue. Les poncifs de début d'aventure répondent là encore à un impératif « économique », le meneur de jeu n'ayant que quelques jours ou semaines pour concevoir un scénario devant impliquer plusieurs personnages[14]. Certains jeux au contraire mettent la création du groupe au cœur de la trame scénaristique. Par exemple, dans Ars Magica, les personnages joueurs forment une alliance ; dans Hurlements, les personnages font partie d'une caravane ou constituent une équipe de journalistes dans Channel Fear. Dans Tenga, la création du groupe est un des points essentiels du début d'une campagne, ce point occupe un chapitre entier du livre des règles[43] ; un groupe est défini par
Dans le jeu Apocalypse World et les jeux dérivés (powered by the Apocalypse), D. Vincent Baker (en) a codifié le « savoir-faire » en termes de « motorisation » de scénarios et a créé la notion de « front »[44]. Un front est une faction poursuivant un but, avec :
Un scénario comporte typiquement un à trois fronts. La notion de front recouvre celle de schéma dramatique exposée ci-dessus. Dans le jeu Fiasco, Jason Morningstar (en) a codifié l'utilisation de liens entre les personnages comme moteur principal de la narration. Chaque personnage est lié à deux autres personnages — incarnés par les joueurs situés à sa gauche et à sa droite — par une relation, qui peut être un lien familial, une relation amoureuse, une relation professionnelle, un objet (bien convoité, arme…) ou un lieu. Ces relations sont l'objet des différentes scènes d'une partie. Lier les différentes partiesLorsqu'un même groupe de joueurs joue régulièrement, il devient intéressant de lier les parties entre elles. C'est la notion de « campagne », du terme anglais campaign, la campagne militaire (le jeu de rôle étant issu du jeu de guerre). Vivien Féasson fait un parallèle entre le jeu de rôle et les séries télévisées, un scénario (une partie) étant un épisode et une campagne étant une saison :
— Vivien Féasson, Les Errants d'Ukiyo, Éditions Icare, (ISBN 978-2-917475-79-9), p. 137 Dans une première approche, une compagne consiste en une unité narrative :
Une campagne peut désigner des situations aussi diverses qu'un cadre de jeu (un univers « bac à sable » dans lequel évoluent les personnages) ou un grand scénario s'étendant sur plusieurs séances de jeu (en général au minimum 3 à 5). C'est notamment là qu'intervient la notion d'arc narratif et la méthode du « 5 × 5 » évoqués plus hauts, et qui permettent de mitiger la notion de linéarité. Création de l'environnementHistoriquement, c'est quasiment la seule partie qui était détaillée par les ouvrages[45] : lieux, personnages non-joueurs, objets, … L'environnement doit idéalement répondre à trois exigences :
Si un créateur de scénario crée, mettons, une habitation, c'est que celle-ci doit jouer un rôle dans l'histoire (composante N), par exemple : les joueurs doivent la fouiller pour trouver un indice qui fera avancer leur enquête. En outre, afin que les joueurs soient intéressés par cette exploration, elle doit receler des défis pour les joueurs (composante L) et donc leurs personnages ; cela peut être un intérêt inhérent au lieu — déjouer un système de détection, un piège, maîtriser un animal de garde, ouvrir un coffre-fort, trouver l'indice — ou bien externe : temps limité avant l'arrivée du propriétaire, ne pas éveiller les soupçons des voisins, … Par ailleurs, la maison doit répondre à son usage normal dans l'univers (composante S) : on doit pouvoir y vivre, elle doit donc être fonctionnelle. S'il s'agit de la demeure d'un paranoïaque, on peut concevoir qu'il ait piégé certaines pièces, mais il a prévu un moyen de désamorcer ses propres pièges. Si le propriétaire a de la famille, des serviteurs, il ne peut pas piéger les endroits où ils vivent, travaillent et passent. Ceci se retrouve dans toute notion de « place forte » (château fort, banque, prison, caserne, commissariat…) : le lieu doit obéir aux règles de la poliorcétique (pouvoir soutenir un siège), mais les nécessités de vie et de fonctionnement, ainsi que les négligences du quotidien, introduisent des faiblesses, ne serait-ce que la nécessité d'avoir une porte… Notons que la cohérence interne à l'univers de jeu (S) — qui, rappelons-le, permet de limiter la suspension consentie de l'incrédulité — était souvent une préoccupation secondaire pour de nombreux auteurs jusque dans les années 1990. C'est ainsi que fleurissaient des donjons remplis d'occupants sans possibilité de se nourrir ou même de respirer (des dizaines de kilomètres de couloirs et cavernes situés plusieurs centaines de mètres sous terre), sans parler de besoins plus triviaux, voire d'occupants sans but, les fameux « monstres errants » rencontrés au hasard, les scénarios fournissant des « tables de rencontres aléatoires ». Par ailleurs, la composante narrative (N) était souvent réduite à sa portion congrue ; elle se limitait en général à l'accroche du scénario. Seul importait alors l'intérêt ludique (L), c'est-à-dire le défis que cela représente pour les joueurs (énigmes, stratégie), portant en cela l'héritage du jeu de guerre (les premiers jeux de rôle étaient des dérivés des wargames). Par exemple, dans le scénario The Place of Magic pour Palladium FRPG (1984 pour sa première édition)[46], le premier niveau du complexe souterrain est peuplé d'humains frappés par une malédiction, qui survivent là sans aucun moyen de subsistance ; ou alors le scénario Le Puits (The Wishing Well) pour les Défis fantastiques : le jeu de rôle[47], où les héros explorent des galeries qui se trouvent au fond d'un puits à sec depuis peu — donc qui étaient encore récemment immergées — et dans lesquels on trouve une gargote… Dans un domaine connexe, le livre-jeu Les Portes de l'Au-delà (1984) illustre bien ce phénomène, avec un enchaînement de pièces sans lien les unes avec les autres et la présence de montres errants. La création de l'environnement a donc idéalement trois dimensions :
Dans le scénario Mourir dignement[48], Jérôme Larré ne dresse pas le plan d'un château, mais décrit « des scènes abstraites (seuil, passage, lieux de vie etc.) auxquelles pourraient correspondre plusieurs pièces présentant des défis ou des enjeux similaires. […] Cela a pour objectif de vous permettre de :
Par exemple, la scène « seuil » ne peut être jouée qu'une seule fois et peut donc correspondre à une entrée par la grande porte (en trompant les gardes), au mur d'enceinte (en l'escaladant), aux canalisations (en nageant), aux geôles (en connaissant le milieu criminel), aux toits (en faisant preuve de discrétion)… Cette scène débouche sur un « lieu de vie », une « réserve », un « passage dégagé » et un « passage risqué ». Le scénario fournit donc une description technique (sans plan) et une description dramatique des lieux, mais la saveur et l'apparence exactes sont laissés aux soins du meneur de jeu. Il y a au total neuf scènes différentes que le meneur de jeu peut enchaîner comme bon lui semble (en respectant les transitions possibles entre scènes), à la volée (en improvisant en cours de jeu). « Si vous griffonnez votre propre carte à côté afin de ne pas vous emmêler les pinceaux et que vous soignez les transitions d'une scène à l'autre, il n'y a rien de plus simple[48]. » Pour un certain nombre d'auteurs, la variété des rencontres réside plus dans la variété des saveurs et du contexte dramatique, que de la variation des caractéristiques techniques. Par exemple, la tendance était initialement de proposer une pléthore d'armes ayant chacune ses propres valeurs chiffrées, voir par exemple le tableau des armes des Règles avancées de Donjons & Dragons[49] ou bien les multiples tableaux de Rolemaster[50] ; à l'inverse, de nombreux jeux récents, comme Usagi Yojimbo 2e éd., assimilent des armes dans des grandes catégories, par exemple, les armes tranchantes sont toutes identiques d'un point de vue technique, et ont simplement une apparence différente. Dans le même ordre d'idées, le jeu de rôle SimulacreS propose uniquement trois types de personnages non-joueurs secondaires : les faibles, les moyens et les forts, à la charge du meneur de jeu de les « habiller » de signes distinctifs. C'est d'ailleurs la démarche que suivent un certain nombre de jeux de rôle génériques : certains éléments sont techniquement identiques d'un univers à l'autre, seule change la description. La gamme Palladium FRPG fournit deux exemples opposés totalement pour la description des royaumes :
L'Encyclopédie du monde de Loup Solitaire[52] ou La Mer Intérieure de Pathfinder[53] allient les deux, puisqu'ils fournissent des cartes des différentes régions, et pour chaque royaume, à la fois des caractéristiques chiffrées (comme la population) mais aussi un court historique, les relations avec les autres royaumes ainsi que les événements en préparation (et donc des amorces de scénarios). Générateurs aléatoiresUn certain nombre d'ouvrages proposent des tables permettant de « choisir » par un jet de dé tel ou tel élément de l'histoire. Dans le cas des jeux de rôle, il ne s'agit en général pas d'une obligation, mais plutôt d'une aide : ainsi, le meneur de jeu n'a pas à s'occuper de tous les détails durant la phase de préparation, certains peuvent être déterminés « à la volée ». Dans sa première édition, le Guide du maître des Règles avancées de Donjons et Dragons proposait un générateur aléatoire de donjons : des tirages de dés indique la forme des pièces, ce qui s'y trouve, puis pour chaque issue, le type de couloir. Une méthode un peu différente est proposée dans les Défis fantastiques : le meneur de jeu jette des dés à six faces ; leur emplacement indique l'emplacement de la pièce sur le plan, et le chiffre (divisé par deux) indique le nombre d'issues. On trouve également des tables de butin, qui permettent de déterminer les objets en possession d'une créature tuée ou capturée. Outre les éléments d'environnement, il existe aussi des tables d'accroche de scénario[54]. L'éditeur Les XII Singes a également publié Imagia[55], un jeu de cartes donnant des éléments narratifs à introduire dans les parties (soit dans le cadre de la préparation, soit en cours de partie)[56]. Certaines tables utilisent les Rory's Story Cubes ou bien des logiciels[57]. La génération aléatoire est un des mécanismes des jeux narratifs. En effet, puisque l'intérêt est la manière dont on construit et raconte l'histoire, l'introduction d'éléments aléatoires est une contrainte qui oblige les joueurs à faire preuve d'inventivité pour assurer une cohérence. C'est également un des mécanismes utilisé dans le old-school renaissance[58]. Création collaborativeUn certain nombre de jeux proposent de créer le cadre de l'aventure de manière coopérative : les joueurs définissent l'objectif de la partie, la topologie des lieux, les obstacles qu'ils rencontrent… Les jeux s'attachent toutefois à respecter le principe selon lequel un joueur qui définit une opposition n'est pas celui qui est chargé de la résoudre. Cette démarche est une forme de partage narratif. Par exemple, dans Wilderness of Mirrors (John Wick, 2011), les joueurs font partie d'un service secret. La séquence de création du cadre correspond à la réunion de préparation de la mission (briefing). La partie est ensuite menée de manière classique, avec un meneur de jeu chargé de mettre en scène les éléments définis, en ajoutant éventuellement ses propres éléments. Le jeu d'horreur Sombre (Johan Scipion, 2011) propose un mode de jeu sans préparation de scénario appelé Quickshot, la création du cadre se faisant par un brainstorming[59]. Selon l'auteur, comme les joueurs participent eux-mêmes à la création du cadre, tous les éléments définis en commun sont déjà assimilés dans la fiction par les joueurs, ce qui permet de gagner du temps durant la partie et favorise l'immersion. Notes et références
Voir aussiBibliographie
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