La façon dont les peuples se nourrissent structure leur organisation sociale (division du travail) et leur perception du réel. Dans toutes les langues, de nombreuses expressions quotidiennes font référence à des aliments ou à la façon de les préparer. La plupart du temps, elles sont utilisées comme métaphores muettes, mais il arrive que l'actualité rende perceptibles les enjeux qui les sous-tendent, comme le montre la détermination d'un restaurateuraméricain qui alimenta la décision du Congrès des États-Unis de débaptiser les french fries (les frites) des cafétérias, en 2003, pour en faire des freedom fries, signifiant qu'il ne digérait pas l'affront du refus français de s'embarquer dans l'aventure irakienne[1]. Cette vengeance à chaud avait des précédents : pendant la guerre de 1917-1918, la choucroute américaine, de sauerkraut était devenue freedom cabbage (« chou de la liberté »), locution vite oubliée, tandis que les frankfurters étaient devenues des hot-dogs, idiotisme animalier qui allait faire le tour du monde[1].
En Californie, les producteurs de pruneaux, chagrins de la contre-publicité dont ils sont victimes à cause de l'idiotisme dried prune (« ridée comme un pruneau »), décident en 2000 de commercialiser leur produit sous l'appellation « prune sèche », le mot « prune » (plum) étant associé en anglais à des images de rondeurs et de fraîcheur juvéniles[2].
Bien que le thème « idiotismes gastronomiques » n'ait pas fait l'objet de travaux de recherche per se, différentes disciplines se sont attaquées au problème[3]. L'ethnologie, notamment Claude Levi-Strauss dans son ouvrage, Le Cru et le Cuit, s'y est intéressé.
Le structuralisteRoland Barthes consacre quatre articles de ses Mythologies à la thématique de l'alimentation. Les psychologues ont étudié la façon dont certaines métaphores utilisées par les parents définissaient la perception de soi[4], une approche féministe montre comment les femmes sont amenées à se définir en fonction d'une série de métaphores liées à la nourriture et à la cuisine[5].
La psychanalyse, notamment lacanienne, est évidemment sensible à la dimension métaphorique du discours, et peut être amenée à étudier le corpus de locutions liées à la nourriture dans le discours des boulimiques ou des anorexiques[6].
« ne pas être sorti de l'auberge » : avoir encore beaucoup de problèmes, de travail, de difficultés[10].
« auberge espagnole » : institution ou espace de discussion où les participants ne trouvent rien d'autre à se partager que ce qu'ils auront eux-mêmes apporté[7].
« aubergine » : contractuelle (à Paris, policière, préposée au contrôle du stationnement) dont l'uniforme est de la couleur de l'aubergine. Fut appelée « pervenche » au temps du précédent uniforme[réf. nécessaire].
métaphore du sexe masculin, notamment à l'écrit par l'intermédiaire de l'émoji (🍆), sur les smartphones[réf. nécessaire].
« faire le bacon » (Québec) : faire une crise, particulièrement utilisé lorsqu'un enfant se roule par terre, bougeant tel une tranche de bacon crépitant dans une poêle[11].
« faire son beurre » : faire des profits souvent illicites[7].
« mettre du beurre dans les épinards » : améliorer sa situation[7].
« vouloir le beurre et l'argent du beurre » ou « vouloir le beurre, l'argent du beurre et le sourire de la crémière » : tout vouloir, sans contrepartie[réf. nécessaire].
« être comme pain et beurre » : personnes inséparables, se dit de personnes ou choses indissociables, qui viennent logiquement par deux[réf. nécessaire].
« ne pas avoir inventé le fil à couper le beurre » : être d’une intelligence réduite, un peu benêt ; ne pas être très malin[15].
« inventer le fil à couper le beurre » : faire une proposition ridicule, à laquelle tout le monde avait déjà pensé : « Il va encore nous inventer le fil à couper le beurre[15] ! » Souvent à la forme négative : « Il n'a pas inventé le fil à couper le beurre. » (cf. inventer l'eau tiède).
« tremper son biscuit » : pénétration du sexe masculin lors de l'acte sexuel[16].
« avoir des biscuits » : avoir de quoi faire face à une situation (arguments, argent, relations…) qui pourrait peut-être paraître délicate. « Ne pas s'embarquer sans biscuits »[réf. nécessaire].
« boire le bouillon » : avaler de l'eau en nageant (cf. boire la tasse), subir des pertes importantes à la suite d'une mauvaise spéculation[réf. nécessaire].
« bouillon de onze heures » : breuvage empoisonné, poison[20].
« boire le bouillon de onze heures » : passer de vie à trépas[réf. nécessaire].
« c'est la bouteille à l'encre » : c'est très obscur (en parlant d'un discours, d'une situation, d'un débat autour d'une question controversée)[réf. nécessaire].
« c'est la cerise sur le gâteau » : le petit détail qui parfait une réalisation ou au contraire, selon le contexte, un élément final défavorable (« le pire », « le comble »), synonyme, dans ce cas, de « c'est le bouquet[29]».
« au temps des cerises » : au printemps; dans un avenir radieux, par référence à la chanson[réf. nécessaire].
« avoir la cerise » : être chanceux (cf. au contraire « avoir la guigne » : être malchanceux)[réf. nécessaire].
« se refaire la cerise » : reprendre des forces, se refaire une santé[réf. nécessaire].
« être sur les charbons ardents » : éprouver une vive impatience, souffrir d'une attente comme d'une brûlure; être en manque, attendre impatiemment une satisfaction sexuelle promise, mais qui tarde à venir[réf. nécessaire].
« aller au charbon » : aller au travail ; se charger d'effectuer une tâche pénible.
" ménager la chèvre et le chou" : opinion non tranchée qui satisfait des intérêts ou des avis opposés, sans jamais affirmer ses propres positions[réf. nécessaire]
« donner de la confiture à des cochons » : gâcher en donnant à qui ne saura en profiter ; on dit aussi « donner des perles aux cochons » (proverbe biblique ancien)[réf. nécessaire].
« il y a loin de la coupe aux lèvres » : il peut parfois s'écouler un long délai entre l'élaboration d'un projet et sa réalisation effective[réf. nécessaire].
« à couteaux tirés » : se dit d'une ambiance ou d'une situation très tendue entre plusieurs personnes[réf. nécessaire].
« un brouillard à couper au couteau » : un brouillard très épais[réf. nécessaire].
« match au couteau » : une rencontre où chacun des adversaires, de niveaux identiques, ne parvient à distancer l'autre de manière significative, où l'avantage change constamment de camp[réf. nécessaire].
« avoir des couteaux dans les yeux » : regarder quelqu'un méchamment (souvent avec raison), comme si la personne avait des couteaux pointés vers la personne qui la dérange[réf. nécessaire].
« être sur le gril » : être de façon peu agréable sous le feu des projecteurs ; être dans une situation où on est jugé (entretien, interview, interrogatoire…).
« se faire griller » : être pris en flagrant délit; se faire devancer par un concurrent pour l'obtention d'un avantage.
« tirer les marrons du feu » : prendre des risques pour quelqu'un d'autre : image de quelqu'un qui se brûle en retirant les marrons, alors que c'est un autre qui les mange (tiré de la fable de Jean de La Fontaine, Le Singe et le Chat). Cette expression est souvent incorrectement comprise et utilisée à contre-sens, celui qui tire les marrons du feu étant le profiteur.
« se prendre un marron » : recevoir un coup violent.
« en faire son miel » : se servir des matériaux, des documents que l'on a amassés[49].
moelle : dès la fin du XIIe siècle, la moelle désigne, en plus de la substance molle que l'on trouve à l'intérieur des os, ce qu'il y a d'essentiel, en particulier dans une œuvre de l'esprit[50].
« pain » : (« mettre un (gros) pain ») en musique, fausse note, erreur grossière, couac, canard, bourde, se planter.
« avoir du pain sur la planche » : avoir beaucoup de travail, de tâches à accomplir. Cette expression a curieusement changé de signification car Littré donnait, dans son dictionnaire, « avoir du pain (cuit) sur la planche » pour un moment où l'on peut au contraire se reposer… avant de devoir le couper…[59].
« ça ne mange pas de pain » : se dit d'une initiative anodine, d'un acte sans conséquence.
« être bon comme le pain blanc » : être généreux, gentil, serviable.
« avoir mangé son pain blanc » : avoir commencé par le meilleur.
« gagner son pain à la sueur de son front » : exercer un métier ou un travail très pénible.
« (lui) mettre un pain » : frapper quelqu'un.
« retirer le pain de la bouche » : empêcher de gagner sa vie.
« se vendre comme des petits pains » : se vendre très facilement.
« gagne-pain » : ce qui permet à une personne de gagner sa vie.
« embrasser comme du bon pain » : embrasser familièrement et avec plaisir.
« c'est pain bénit » ou « c'est du pain bénit » : c'est une bonne affaire qui tombe bien à propos.
« tremper son pain de larmes » : être désespéré[60].
« long comme un jour sans pain » : se dit d'une situation ou d'un moment où l'on éprouve un grand ennui.
« pour une bouchée de pain » : pour une somme modique.
« tu veux du pain ? » (familier) : tu veux quoi ?
« planche à pain » (familier) : fille sans formes, plus particulièrement au niveau de la poitrine.
« en faire tout un plat » : donner une importance disproportionnée à une affaire.
« mettre les petits plats dans les grands » : faire beaucoup de frais pour plaire[7].
« mettre les pieds dans le plat » : aborder maladroitement un sujet à éviter sans s'en rendre compte, ou au contraire, faire exprès d'aborder une question gênante.
« être chaude sur le potage [réf. nécessaire]» : se disait au Moyen Âge d'une « femme sexuellement affamée » ; elle « mange de la chair par les deux bouches[30] ».
« être/nager dans le potage » : ne pas comprendre la situation.
« une couille dans le potage » : expression familière, il y a un problème avéré sans cause nettement identifiée[68].
« glisser une quenelle » : expression grivoise qui évoque la sodomie (geste à l'appui). Elle est utilisée depuis quelques années, notamment par l'humoriste Dieudonné M'Bala M'Bala, dans ses spectacles au Théâtre de la Main d'Or, et elle s'est répandue sur la toile. « Mettre /poser / glisser une quenelle à quelqu'un ou à un groupe de personnes » : se moquer de lui (d'eux) en feignant de les humilier sexuellement[réf. nécessaire].
« homme-sandwich » : personne déambulant avec des panneaux publicitaires accrochés devant et derrière.
« être épais comme un sandwich SNCF » : n'être pas très musclé. (« c'est vrai que j'suis épais comme un sandwich SNCF », Renaud, dans la chanson Marche à l'ombre).
Au Canada francophone, le terme « sauce » peut signifier une histoire non fondée. Par exemple : « Tu dis de la sauce » ; « C'est de la sauce » ; « Cette personne est une maître saucière ».
« mettre toute la sauce » : pousser un moteur à sa plus forte puissance[7] et au figuré forcer la dose pour abuser[73].
« mettre quelqu'un à toutes les sauces » : lui faire exécuter toutes sortes de travaux, l'employer pour n'importe quelle besogne[73].
« se faire saucer » : se faire mouiller abondamment[7], par exemple par une forte pluie ou par extension subir un assaut de critiques défavorables.
« envoyer la sauce » : commencer, donner le coup d'envoi.
« vouloir apprendre à quelqu'un comment on fait la sauce blanche » : vouloir à tout prix donner des conseils à quelqu'un qui sait très bien faire ça tout seul.
« aller à la soupe » : suivre quelqu'un par intérêt personnel[7].
« être trempé comme une soupe » : être bien mouillé, par exemple par un orage soudain (la soupe étant le morceau de pain sur lequel on verse le potage).
« arriver ou tomber comme un cheveu sur la soupe » : arriver ou tomber mal à propos.
« cracher dans la soupe » : critiquer ce qui constitue pourtant (ou a longtemps constitué) son gagne-pain, avant de changer de « ratelier[7] ».
« être soupe au lait » : qui change rapidement d'humeur, qui s'emporte facilement[76].
« c'est de la soupe ! » : se dit d'une musique guimauve mais aussi d'une mer ou d'une piscine où l'eau est trop chaude.
« soupe à la grimace » : repas ou situation en présence d'une personne désagréable[7].
« ce n'est pas ma tasse de thé » : ce n'est pas mon sujet de prédilection, mon occupation favorite; ça n'entre pas vraiment dans mes préoccupations habituelles. Référence à Proust, et aux manières anglaises.
« mettre de l'eau dans son vin » : modérer ses exigences, se résoudre à faire un compromis.
« payer un pot-de-vin » : verser secrètement de l'argent à un personnage influent afin d'obtenir un avantage quelconque (pratique illégale)[78]. À l'origine, un pot-de-vin n'était qu'une commission versée en plus du prix convenu[7].
« le vin est tiré, il faut le boire » : ce n'était peut-être pas la meilleure solution, mais maintenant que l'affaire est engagée, il faut aller jusqu'au bout.
« tourner au vinaigre » : se détériorer à propos d'une situation[7].
« on ne prend pas les mouches avec du vinaigre » : on n'obtient pas les faveurs ou les services d'une personne, sans avancer des contreparties pécuniaires[7].
↑George Lakoff et Mark Johnson, Metaphors We Live By (Les Métaphores selon lesquelles nous vivons), Université de Chicago, 1980, p. 3-60.
↑Caitlin Hines, « Rebaking the Pie: The Woman as Dessert Metaphor » (littéralement « Refaire cuire la tarte. Métaphore de la femme-dessert »), dans Reinventing Identities: The Gendered Self in Discourse (Réinventer l'identité. Le sujet et son genre dans le discours), édité par M. Bucholtz, A. C. Liang et L. A. Sutton, Oxford University Press.
↑ abcdefghijklmno et pEric Zolla, François Hamon et Julie Coppé, La Saveur des mots. 30 recettes originales d'une langue gourmande, Éd. Autres Temps, 2012 (ISBN978-2-84521-453-8).
↑« Quand je suis ressorti de ce champ de navets / L'ombre de l'ici-gît pas à pas me suivait […] », Georges Brassens, Les Quat'z'arts.
↑« Au cœur de ma mie, le navet posé m'a troué l'arrière-train / Sans que cela se voit mais se sente le matin », Hin Hun (traduction), À l'ombre de moi.
(en) Colleen Cotter, 1997, “Claiming a Piece of the Pie: How the Language of Recipes Defines Community” (« Réclamer sa part du gâteau. Comment la langue des recettes de cuisine définit une communauté »), In Recipes for Reading: Community Cookbooks, Stories, Histories, éditeur Anne L. Bower, University of Massachusetts Press p. 51-72.
(en) Robin Lakoff, 2006, “Identity a la Carte; or, You Are What You Eat” (« Identité à la carte : dis-moi ce que tu manges, je te dirai qui tu es »), dans Discourse and Identity (Studies in interactional sociolinguistics), éditeur Anna De Fina, Deborah Schiffrin, Michael Bamberg, Cambridge University Press, p. 147–165.
Orlando de Rudder, Aux petits oignons. Cuisine et nourriture dans les expressions de la langue française, Larousse, coll. « Le souffle des mots », 2006, p. 288 (ISBN978-2035322814).
Éric Zolla, François Hamon et Julie Coppé, La Saveur des mots, Éditions Autres Temps, coll. « Temps gourmand », 2012, 144 p. (ISBN978-2-84521-453-8).
Régis Carisey : Argot de bouche : dictionnaire exhaustif en ligne des idiotismes gastronomiques - 2016