Le ViagerLe Viager
Pour plus de détails, voir Fiche technique et Distribution. Le Viager est un film français réalisé par Pierre Tchernia, coauteur du scénario avec René Goscinny, sorti en 1972. RésuméEn 1930 à Paris, le jour de Noël, Louis Martinet, célibataire de 59 ans, est ausculté par le médecin généraliste Léon Galipeau. Ce dernier l'estime usé, n'ayant plus que deux ans tout au plus à vivre, sans toutefois le lui dire. Il lui suggère de prendre sa retraite anticipée, mais Martinet n'en a pas les moyens. Cependant, son seul bien est une modeste maison de campagne dans un petit village de pêcheurs alors méconnu : Saint-Tropez. Sans enfant, épouse, liaison ou ami, Martinet se voit proposer par le médecin de vendre sa maison en viager. Léon Galipeau convainc son frère Émile de s'engager dans ce viager, une bonne affaire selon lui, puisque Martinet semble en mauvaise santé. Après la naissance du petit Noël, fils d'Émile et Elvire, la famille Galipeau se rend à Saint-Tropez pour découvrir la bâtisse. L'affaire est conclue et Émile, confiant, accepte même d'indexer la rente viagère sur le cours d'une valeur, pense-t-il, sans avenir : l'aluminium. Martinet quitte son triste emploi dans une manufacture de prothèses orthopédiques et gagne la côte d'Azur. Deux ans plus tard, malgré les prédictions de Léon, Martinet est toujours vivant. Durant l'été, les Galipeau lui rendent visite pour payer la rente et ausculter leur crédirentier. Martinet plante un olivier, conscient qu'il sera mort avant qu'on en tire de l'huile. Léon assure à sa belle-sœur de la mauvaise santé du retraité. Pourtant, les années passent au rythme des repas de Noël au boudin blanc, de l'anniversaire du petit de plus en plus turbulent, des changements de bonne des Galipeau et des augures éclairés de Léon sur l'actualité française et européenne. Non seulement Martinet garde bon pied bon œil, mais encore reprend-il vigueur et entrain sous le soleil provençal. À l'inverse, le père d'Elvire meurt en 1937, quelques mois après que Léon a affirmé qu'il avait « une santé de fer ». Par ailleurs, avec l'essor des aéroplanes et des ustensiles en aluminium, dont le cours ne cesse de grimper, la rente viagère augmente sans fin. En outre, les Galipeau reçoivent de la part de Martinet une bouteille d'huile de l'olivier planté six ans plus tôt. Au déclenchement de la Seconde Guerre mondiale, Émile est mobilisé sur le front et son frère, en tant que médecin, à l'arrière. Durant la débâcle de l'été 1940, les Galipeau partent en exode chez Martinet, rejoints à bicyclette par Émile. Le crédirentier ne peut que les loger dans une misérable remise, toute la maison accueillant une troupe de scouts réfugiés belges. Ulcérés de constater la santé de jeune homme de ce quasi-septuagénaire dont ils attendent la mort depuis dix ans, les Galipeau décident de précipiter celle-ci. Les Galipeau complotent pour compromettre Martinet, à un moment où l'on croit voir des espions allemands partout. Léon, Elvire et Émile rencontrent le capitaine de corvette Bucigny-Dumaine, un militaire à la ramasse qui tente de briller en cette période de débâcle, et font passer le vieil homme pour un agent de l'ennemi. Profitant de l'occasion pour redorer son blason, Bucigny-Dumaine part arrêter Martinet. Il arrive chez ce dernier précisément au moment où la radio annonce l'armistice et la victoire de l'Allemagne. Retournant aussitôt sa veste, le capitaine se met au service de la collaboration et donc, à la disposition du prétendu soutien allemand, qu'il salue en repartant. Observant la scène de loin, les Galipeau dépités ne peuvent que constater leur échec. À l'hiver 1943, dans le Paris occupé, les Galipeau, subissant le froid et les privations, sont de plus en plus irrités par le viager, acté depuis treize ans. Décidant de tirer profit de l'Occupation allemande, ils font cette fois-ci passer Martinet pour un résistant, gaulliste, ravitaillant des maquisards et cachant des parachutistes américains, dans une lettre envoyée aux autorités de Saint-Tropez. La lettre de dénonciation est sur le point d'être distribuée, mais le facteur suspend sa tournée pour rejoindre précisément la Résistance, peu avant le débarquement de Provence. Martinet est d'ailleurs bien connu des membres de la Résistance locale, puisqu'il rend parfois de menus services à ces derniers. C'est donc avec joie que le vieil homme accueille la Libération par les troupes alliées, qui débarquent en premier à Saint-Tropez. À la mairie de Saint-Tropez, les résistants reprennent le pouvoir. Bucigny-Dumaine, grand collaborateur, est arrêté dans le cadre de l'épuration et tente de sauver sa peau en dénonçant Martinet, qu'il pense toujours être un soutien allemand. Malheureusement pour lui, la lettre des Galipeau arrive enfin avec huit mois de retard et le discrédite. Pour les faits évoqués dans la lettre, Martinet est même décoré. Les Galipeau viennent le voir, dépités, et ne profitent même pas des festivités. En 1949, Martinet revient à Paris à l'occasion de l'enterrement de son ancien patron. La situation est critique pour Émile qui n'a pas payé la rente viagère, s'étant ruiné dans des placements dans les vélos-taxis, un secteur en déclin après un certain essor pendant la guerre. Léon imagine alors « achever » Martinet en lui faisant connaître la « vie parisienne ». Léon, Émile, Elvire et Marguerite amènent le vieil homme à travers les monuments parisiens et leurs centaines de marches, dans les étouffantes caves, copieux bars ou restaurants de la « tournée des grands-ducs ». Mais Martinet supporte aisément l'alcool et la bonne chère, et repart enchanté de son séjour. À l'inverse, Marguerite, épuisée, subit le sort prévu pour Martinet et meurt d'un infarctus. En 1950, le placide Émile, hors de lui, excédé par la montée du prix de l'aluminium, décide de descendre sur la Côte d'Azur pour tuer Martinet en mer, à l'aide d'un revolver, l'absence de marée en Méditerranée empêchant de récupérer le corps. Arrivé à Saint-Tropez sans prévenir, il embarque Martinet dans un improbable tour de pédalo, hors-saison. Au large, le mécanisme du bateau s'enraye. Martinet rejoint la plage à la nage et prévient le loueur de pédalos, qui n'est autre que Bucigny-Dumaine. Ce dernier fulmine en entendant le nom de Galipeau, qu'il maudit depuis la fin de la guerre. Le militaire déchu s'élance à bord d'un pédalo pour embrocher Galipeau avec une hallebarde. Émile abat à temps son agresseur, mais le choc des deux pédalos le jette à l'eau. Faute de savoir nager, Émile se noie et son cadavre n'est jamais retrouvé. Les décennies 1950 et 1960 sont traversées au rythme des actualités cinématographiques. Les forts des Halles apportent le traditionnel muguet du premier mai au palais de l'Élysée, successivement aux présidents Vincent Auriol, René Coty, Charles de Gaulle, Georges Pompidou et son épouse. Dans la France des « Trente Glorieuses », les étés, Noël et vacances aux sports d'hiver se succèdent. Immortalisé grâce à Brigitte Bardot, Saint-Tropez devient une destination touristique très fréquentée et Martinet, célébrité locale, apparaît même aux actualités dans une forme olympique, surnommé « l'Increvable ». À Wall Street, l'aluminium atteint une valeur record. À la fin des années soixante, une « grippe asiatique » menace le monde et surtout les vieillards. Justement atteint par la grippe tant redoutée, Martinet est envoyé à l'hôpital. À Paris, Léon et Elvire accueillent la nouvelle avec joie, d'autant plus que la mère d'Elvire est morte de vieillesse quelques semaines auparavant, alors qu'elle espérait survivre à Martinet. Pensant que Martinet est condamné pour de bon, les deux Galipeau se rendent à Saint-Tropez en habit de deuil. Ils déchantent lorsqu'ils voient le crédirentier en pleine santé dans sa chambre d'hôpital, prêt à sortir le lendemain. Elvire et Léon décident alors de saboter la maison avant son retour : Elvire lustre les carreaux de l'escalier pour le rendre glissant et Léon scie la rambarde de la fenêtre pour causer une chute mortelle. Cependant, Martinet étant arrivé en avance, Elvire se précipite vers la rambarde, tombe et se tue, tandis que Léon chute dans l'escalier et finit à l'hôpital. Léon et Noël sont donc les derniers Galipeau survivants. En bientôt quarante ans, Noël a mal tourné et est devenu un voyou, par ailleurs malchanceux. Il est arrêté après avoir tenté de cambrioler un appartement, sans savoir qu'il s'agissait de celui d'un préfet, auquel des dizaines de fonctionnaires de police avait préparé une fête surprise. Promis à des années de prison, il menace son oncle de révéler tous les agissements de la famille envers le pauvre Martinet, consignés dans un journal de sa mère, s'il n'engage pas le meilleur des avocats « le plus cher » pour ce procès ingagnable. Ruiné par le viager et de mauvaise foi, Léon trahit son neveu en recrutant un avocat minable, maître Vierzon. Au cours d'une audience désastreuse pour Noël, ne serait-ce que par la défense brouillonne de Me Vierzon, Martinet fait une apparition surprise en tant que témoin de moralité. Il décrit les Galipeau comme ses bienfaiteurs aimants et demande de rendre sa liberté au dernier membre de cette famille qui, d'après lui, lui aurait permis de vivre aussi vieux. L'assemblée, émue, acquitte Noël. Crispé par l'intervention et le verdict, Léon meurt d'une crise cardiaque, de même que Me Vierzon du choc d'avoir enfin gagné un procès. En cette année 1971, Martinet doit fêter son centenaire. La municipalité organise une fête au vieil homme devenu une célébrité populaire pour sa forme persistante. La télévision couvre l'événement. Noël dissimule sa rage de voir Martinet arriver à un tel âge. Il réunit deux amis malfaiteurs pour assassiner le vieillard et enfin conclure le viager. Il doit lancer des feux d'artifice pour distraire Martinet, afin de couvrir l'intrusion dans la maison de Jo, son complice, chargé d'abattre le vieil homme. Mais l'allume-cigare défectueux de la vieille voiture de Jo met en route les fusées. Noël meurt dans l'explosion du véhicule. Martinet profite au loin du beau feu d'artifice. Fiche technique
Distribution
La disparition des Galipeau
Production et réalisationGenèse et développement
Au tournant des années 1970, durant deux ans, René Goscinny et Pierre Tchernia prennent une fois par mois le Trans-Europ-Express de Paris à Bruxelles pour surveiller l'avancement de la création aux studios Belvision du dessin animé Lucky Luke, qu'ils ont écrit avec Morris[4],[5],[6],[7]. Goscinny, scénariste de bandes dessinées, et Pierre Tchernia, homme de télévision, collaborent ensemble depuis quelques années et ont notamment livré Deux Romains en Gaule et Astérix et Cléopâtre, deux adaptations de l'œuvre du premier[7]. Au départ d'un de ces voyages, à la gare du Nord, Goscinny demande à son ami si un film a déjà eu pour sujet le viager[8],[5]. Seule la nouvelle Le Petit Fût de Guy de Maupassant vient à l'esprit de Tchernia[6]. Il pense que le thème est inédit à l'écran et le juge même excellent[8],[5],[6],[note 2]. Goscinny avait eu l'idée la veille au soir[8],[5]. Selon lui, le procédé constitue « un pari sur la mort » et l'évocation d'un viager rapidement terminé fait souvent réagir les gens de manière innocemment cruelle[9],[5],[3]. Lors des deux heures de trajet, les deux amis élaborent l'essentiel de l'intrigue[3],[10],[5]. Aux studios, Goscinny et Tchernia retrouvent Saul Cooper, représentant pour Les Artistes Associés, société coproduisant Lucky Luke[10],[5]. Au déjeuner, le producteur américain s'enquiert de possibles sujets de films auprès des deux scénaristes[10]. Ils lui parlent de leur début de trame sur le viager mais Cooper ne connaît pas ce système, peu courant dans le monde voire seulement existant en France[10],[5]. L'explication séduit Cooper, qui y voit un sujet très intéressant[10],[5]. L'Américain va se charger de monter le film et laisse une grande liberté de création aux auteurs[10]. Les Artistes Associés partage le financement avec Dargaud Films Productions, la société de l'éditeur Georges Dargaud qui produit les dessins animés tirés de ses publications[5],[6]. Pierre Tchernia sera pour la première fois réalisateur d'un film, après avoir souvent aidé ceux de Robert Dhéry[11]. S'il a jusqu'alors surtout œuvré à la télévision, il est connu pour sa grande cinéphilie, avec son émission Monsieur Cinéma depuis 1967[12] L'écriture du Viager commence quelques mois plus tard, à l'été 1970[10],[5]. Les séances de travail ont lieu chez René Goscinny, Pierre Tchernia rédigeant au papier tandis que son comparse tape à la machine comme à son habitude[10],[13]. Tchernia raconte que l'« idée de Goscinny a poussé, vite et bien, comme dans un rêve »[10]. Goscinny raconte avec délectation avoir reçu, par pur hasard, lors d'une de leurs réunions, un appel pour une proposition de viager vantant, sordidement, « une tête, 70 ans, pas frais »[9],[5]. Après deux mois de ces séances communes, ils prennent des vacances chacun de leur côté, Goscinny à Cannes et Tchernia en Bretagne[14]. Seul, chacun écrit sa version du scénario, d'une centaine de pages, selon le déroulement imaginé en commun[14]. À leur retour, ils assemblent le meilleur de leurs deux scénarios dans une version définitive[14]. Ils s'attachent également à garnir le scénario de petites références à la vie quotidienne des Français durant les quarante dernières années[14]. Tchernia avance que ce travail différent a permis à Goscinny de sortir un temps de la pression de l'écriture de ses séries à succès Astérix, Lucky Luke et Iznogoud[14],[13]. Attribution des rôles et des postesPierre Tchernia propose d'abord le rôle principal de Martinet à son fidèle complice Robert Dhéry[15],[16],[17]. Dhéry ne se voit pas dans le rôle mais suggère Michel Serrault[15],[16]. Ce dernier, prévu pour celui du médecin, accepte, séduit par l'idée de jouer un centenaire alors qu'il n'a que quarante ans[15]. Serrault parle d'un « rôle de composition », au vu de son vrai âge, et « de fantaisie », puisque son vieillissement et ses cheveux blancs paraissent peu crédibles[15],[note 3]. Trouvant son nez trop fin, il demande très tôt à ce qu'on lui appose un faux-nez afin d'épaissir son visage[11],[16],[12]. Il réclame aussi des costumes mal ajustés et des chaussures trop grandes[12]. Dans son jeu, il s'inspire de sa grand-mère Léona, morte à 92 ans, reprenant notamment sa façon de « hocher la tête pour marquer la bienveillance, de prendre les mains de ses interlocuteurs pour traduire la reconnaissance »[18],[19],[note 4]. Autre observation, il affiche « ce sourire particulier des vieillards lorsqu'ils considèrent les choses avec distance et que l'on voit alors combien ils sont malins »[20]. Le rôle de Martinet est complexe : le nouveau retraité, d'abord décati et usé par la vie, doit retrouver sa forme au soleil et à la campagne, au point de sembler increvable, tout en vieillissant au fur et à mesure du film[11]. Surtout, le scénario ne dit pas si le vieil homme est naïf ou sournois envers « ses bienfaiteurs » et Tchernia n'indique qu'à Serrault que « Nul ne le sait et on ne dit rien au spectateur. Tu joues merveilleusement les personnages ambigus, je te laisse faire… » ; a posteriori, le réalisateur juge que l'interprétation de Serrault rend le personnage insaisissable : « Même dans les scènes où l'on est obligé de croire à sa roublardise, il y a un peu de naïveté, et dans les scènes où l'on croit à sa naïveté, il y a un peu de roublardise »[11],[16]. Le film donne à Serrault son premier rôle principal d'importance, révélant son talent versatile auprès de la critique et du public[21]. Outre Serrault, Pierre Tchernia s'entoure de véritables amis pour que sa première réalisation soit tournée dans la meilleure ambiance possible[16]. La troupe est rompue à l'exercice du comique et de la fantaisie, exercés au théâtre, au cinéma ou cabaret-spectacle[22]. Yves Robert, dans le rôle de l'officier Bucigny-Dumaine, et Rosy Varte, incarnation d'Elvire Galipeau, sont des anciens de la compagnie Grenier-Hussenot et du cabaret-théâtre La Rose rouge, que fréquentait Tchernia dans l'après-guerre[23]. Varte venait de participer au doublage de Lucky Luke[24]. Tchernia attribue le rôle crucial de Léon Galipeau à Michel Galabru, qu'il connaît depuis sa sortie du Conservatoire en 1951 : il sait que l'acteur peut élaborer un formidable imbécile[22]. L'acteur s'inspire de son propre oncle médecin, qu'il avait vu dans son enfance mentir éhontément à un patient sur son état de santé[22]. Galabru le considère comme le film préféré de sa carrière[16]. Jean-Pierre Darras, ancien cabarettiste devenu un second rôle de choix, joue l'effacé Émile Galipeau ; Tchernia est heureux de lui offrir un rôle de composition, considérant qu'on ne lui donnait d'habitude que des personnages éclatants[25],[22]. Le rôle de la nigaude Marguerite marque le retour de l'humoriste et chanteuse d'opérette Odette Laure après plusieurs années d'absence au cinéma[26]. Claude Brasseur, alors vedette du feuilleton Les Nouvelles Aventures de Vidocq, tient le rôle de Noël Galipeau adulte[24]. Noël Roquevert, vénérable second rôle du cinéma français, campe le grand-père, père d'Elvire ; Tchernia relate avoir « su par la suite qu'il avait été déçu de sa place au générique. Je n'ai pas eu le temps de m'en excuser auprès de lui : il est mort très vite, ce fut son dernier film »[23],[12]. Il distribue un rôle de voyou à Gérard Depardieu, débutant qu'il avait remarqué dans deux pièces de théâtre[23]. Le truand plus âgé est joué par Jean Richard, vieille connaissance de Tchernia au théâtre, à la télévision et au cinéma, tout comme Jean Carmet qui obtient le court rôle du piètre avocat[23]. Roger Carel, voix d'Astérix, prête ici sa voix aux Actualités qui défilent des années 1950 et 1960, imitant le phrasé des commentateurs de cette époque[27]. Pierre Tchernia apparaît en réalisateur de télévision lors de la fête du centenaire[28]. Dans l'équipe technique du Viager, Tchernia engage d'ailleurs deux techniciens qu'il côtoie depuis de longues années à la télévision, le décorateur Willy Holt et le directeur de la photographie Jean Tournier[3],[29]. Tchernia et Goscinny embauchent également Henri Gruel, responsable des effets sonores et de l'enregistrement des voix pour les films Belvision[3]. Outre sa qualité de coscénariste, Goscinny officie comme producteur exécutif, en tant que représentant de Dargaud Films[6]. La séquence de l'explication du viager par des dessins enfantins affiche des créations de Gotlib, attribuées au « petit Gotlib » lors du générique[30],[31],[note 5]. La voix de l'enfant est celle de Nathalie Serrault, fille de l'acteur et filleule de Pierre Tchernia[30],[31]. TournageLa maison de Martinet, au centre du film, nécessite de longues recherches pour dénicher le bon décor naturel[14]. Très rapidement à l'écriture, Tchernia et Goscinny désirent placer la maison dans un lieu où elle prendrait une valeur considérable[14]. Saint-Tropez, sur la côte d'Azur est l'endroit parfait puisqu'il est passé d'un discret petit village de pêcheurs dans les années 1930 à une destination touristique à la notoriété internationale en 1971, entraînant une ruée sur les terrains disponibles et donc une envolée des prix[14]. Le décor idéal au scénario doit être une maison à l'architecture et l'environnement typiquement provençaux, suffisamment isolée pour évoquer la campagne de la maison en 1930, et avec une vue sur la Méditerranée[32]. Aucune des nombreuses maisons à louer présentées par plusieurs agences ne convient à ces difficiles critères[32]. Le réalisateur pense se contenter d'une maison de Tourtour, à trente kilomètres dans les terres, dont il mêlerait au montage les images avec des raccords de vues de mer prises à Saint-Tropez[32]. Au dernier moment de la semaine, un « repéreur » lui montre une maison mais qui n'est cependant pas à louer[32]. Juchée sur une colline de la baie des Canoubiers[33], à deux pas de La Madrague de Brigitte Bardot, un bâtiment agricole répond précisément aux demandes du scénario, avec un aspect rustique, des vignes tout autour, la mer au loin, et même le détail de la porte-fenêtre de l'étage avec la mince barre d'appui[32]. C'est une dépendance d'une ferme proche et les propriétaires acceptent le tournage, à la condition surprenante que la maison soit dégradée à la fin[32].
— Pierre Tchernia, 1995[34],[note 6]. Le tournage du Viager commence à la mi- et dure deux mois : quatre semaines à Saint-Tropez et quatre à Paris, principalement en studios[16],[24]. René Goscinny prend des vacances pour être présent en permanence sur le tournage provençal, essentiellement pour aménager des modifications de dernière minute dans les dialogues ou de petits éléments du scénario, en cas de besoin[29],[16],[24],[3]. Tchernia précise : « Je revois René écrivant un bout de dialogue parce que : “Finalement, tu as vu, dans le déplacement du comédien, il faudrait rajouter une phrase…” Or, en général, c'est le réalisateur qui se débrouille avec ces détails. Là, René était tout heureux, il sortait son stylo et badaboum, badaboum. Si, pendant le tournage, il lui semblait qu'il y avait quelque chose qui ne collait pa, il attendait que j'aie l'esprit un peu libre, que je m'écarte ou que le directeur de photo fasse la lumière et il m'attirait à part. Il ne voulait pas risquer de diminuer mon autorité »[6]. L'ambiance du tournage est bon enfant[24]. Michel Galabru estime que « Tchernia a eu beaucoup de mérite de nous supporter, car nous étions vraiment une sacrée bande ; les comédiens, quand ils se retrouvent entre copains et commencent à se raconter des anecdotes, personne ne peut les stopper ! »[24]. L'organisation des prises de vues fait d'ailleurs que les acteurs quittent le tournage dans le même ordre que la mort de leur personnages[22]. À Saint-Tropez, l'équipe fait en sorte de d'abord tourner les séquences de ville avant celles de campagne et de bord de mer[37]. Tchernia commente : « Bien nous en prit, parce que si l’avant-dernier jour de juin Saint-Tropez était encore une ville paisible, le , elle devenait intenable, envahie par une masse considérable de voitures arrivées au cours de la nuit charnière entre juin et juillet »[29]. Pour la maison en viager, le tournage prend place dans la dépendance agricole redécorée, sise au chemin de l'Estagnet[38]. De passage, le dessinateur Tibet participe amicalement en coulisses : « Dans l'histoire, il y avait une troupe de louveteaux belges réfugiés dans le Midi. Pour les besoins de cette séquence, on m'a caché derrière une actrice, dans le décor, pour lui souffler sa phrase avec l'accent bruxellois. Alors que j'étais marseillais, tout de même… »[39]. La séquence des pédalos de Bucigny-Dumaine est tournée sur la plage de la Ponche[38],[40]. Les discussions entre Martinet et ses amis le facteur et le projectionniste ont lieu à la terrasse du café des Arts, face au cinéma La Renaissance, sur la place des Lices[40]. Les Galipeau sont enterrés dans le cimetière marin de Saint-Tropez[38],[40]. Les scènes censées se dérouler dans les rues de Saint-Tropez pendant la guerre et à la Libération sont tournées à La Garde-Freinet, dans l'arrière-pays varois[38],[40]. Le tournage se déplace en région parisienne à la mi-juillet[6]. Les scènes en bas de l'appartement de la famille Galipeau sont tournées dans la rue Bellanger (avec l'angle de la rue Berteaux-Dumas) à Neuilly-sur-Seine, le décor évoluant des années 1930 à 1971[38],[40]. Louis Martinet quitte son emploi au sein d'une fabrique d'articles orthopédiques représentée par l'authentique boutique Claverie, rue du Faubourg-Saint-Martin, puis il descend dans la station de métro Louis Blanc[38],[40]. Durant le séjour touristique de Martinet à Paris, des plans montrent la basilique du Sacré-Cœur de Montmartre, l'Arc de Triomphe, la cathédrale Notre-Dame de Paris, la tour Eiffel et les personnages sont vus au sommet de la colonne de la Bastille et à la sortie des Catacombes[38],[40]. Une scène de visite des Catacombes, prévue au scénario, n'est finalement pas tournée[16]. La gare de Lyon, à Paris, apparaît pour le retour de Martinet dans le sud[38]. La gare de Troyes sert aussi de décor[41]. Le reste des prises de vues est effectué aux studios de Billancourt[38],[40]. Bande originalePierre Tchernia confie la musique de son film à Gérard Calvi[16],[12]. Vieil ami de Tchernia et compositeur attitré des spectacles et films de Robert Dhéry, Calvi avait également composé l'indicatif de son émission Monsieur Cinéma et les bandes originales des différentes adaptations d'Astérix[16],[42]. Stéphane Lerouge, spécialiste de la musique de film, explique que l'écriture musicale de Calvi, idéale pour une comédie, est « à la fois drôle et élaborée, burlesque et moderne, pleine de verve, nourrie de savantes inventions harmoniques »[42]. Pour sa première réalisation, Tchernia implique Calvi dans le film dès l'écriture du scénario[42]. Le réalisateur désire un thème pour le sujet principal du film :
— Pierre Tchernia, années 1990[42]. Certaines scènes ou transitions comportent des chants d'un chœur, aux paroles ironiques ou cruelles, notamment le récurrent « C'est un viager de tout repos »[43]. Gérard Calvi écrit également des bouts de chansons, dont Les p'tit's femmes de Paris chanté par Philippe Castelli, pour la scène où les Galipeau font faire à Martinet le tour des restaurants et cabarets de Paris[43]. Il compose aussi des danses de différents styles[43]. Le film est parsemé de véritables chansons propres aux différentes époques. À Noël 1930, la chanson entendue lorsque Louis Martinet boit son huile de foie de morue au est J'ai ma combine chanté par Georges Milton (1930)[43]. Pendant l'Exode, les scouts chantent Un éléphant, ça trompe énormément en quittant la maison de Martinet. La marche américaine The Stars and Stripes Forever est entendue à la Libération, d'abord joué par Martinet dans son bugle puis par un orchestre lors de la fête[43]. Dans sa maison, enchaînant avec énergie les tâches ménagères, Martinet écoute Le Plus Beau Tango du monde chanté par Alibert[43]. Une sélection de la bande originale du film est incluse dans la compilation en CD Monsieur Cinéma, réunissant des compositions de Gérard Calvi pour les films La Famille Fenouillard (1961), La Belle Américaine (1961), En compagnie de Max Linder (1963), Carambolages (1963), Allez France ! (1964), La Tulipe noire (1964), Astérix le Gaulois (1967), Astérix et Cléopâtre (1968), Le Petit Baigneur (1968), L'Œuf (1972), Les Gaspards (1974), Vos gueules, les mouettes ! (1974), Les Douze Travaux d'Astérix (1976), Bonjour l'angoisse (1988) et l'indicatif de Monsieur Cinéma[42],[44].
Exploitation et accueilAccueil public et critiqueLe Viager sort dans les salles fin , un mois après le dessin animé Lucky Luke[24]. René Goscinny prend pleinement part à la promotion[24]. Pierre Tchernia a tenu à faire figurer sur les affiches « Une fable de Pierre Tchernia et René Goscinny » pour ne pas omettre la place du scénariste, le réalisateur étant généralement le seul mis en avant au détriment de l'auteur du scénario[6]. Première réalisation au cinéma de Pierre Tchernia, Le Viager rencontre un succès public, attirant 2 191 183 spectateurs. Pierre Tchernia va photographier avec émotion la façade du Magic Ciné, la salle de son enfance à Levallois-Perret, lorsque son premier film y est à l'affiche[30]. Il s'agit du cinquième plus grand score de Michel Serrault dans un premier rôle, après La Cage aux folles (1978), Le bonheur est dans le pré (1995), La Cage aux folles 2 (1980) et Une hirondelle a fait le printemps (2001)[45].
La critique note la finesse du jeu de Michel Galabru dans son interprétation d'un con[16]. Dans l'ouvrage Le cinéma français depuis la nouvelle vague en 1972, Claire Clouzot salue Tchernia comme le « dernier venu » dans « une tradition reposant sur un goût plus appuyé pour le comique visuel des grands Américains et, paradoxalement, pour une « francisation » du ton », après Robert Dhéry, Yves Robert et Alex Joffé[46]. En 2017, la journaliste Laurence Rémila de la revue Schnock rapproche l'humour du film de Sacha Guitry, de la bande dessinée et du cinéma britannique, telles les productions des Ealing Studios comme Tueurs de dames (1955)[47]. Sorties à l'étrangerLe Viager sort aussi la même année le en Belgique à Gand sous le titre flamand De lijfrente et le en Finlande nommé Teräsvaari, le aux Pays-Bas titré De een z'n dood… is de ander z'n huis, le en Suède intitulé Den gubben gick inte et le en Hongrie nommé Saint Tropez-ba költözünk[48]. Le film connaît également des sorties au Brésil (Adorável Gozador), en Grèce (Πώς να τα εκατοστίσετε και να θάψετε τους κληρονόμους σας), en Inde, en Italie (Il vitalizio), en Pologne (Dożywocie), au Portugal (O grande negócio) et en Union soviétique (Пожизненная рента)[48]. Le titre international anglophone est : The Annuity[48]. En Espagne, le film rassemble 410 610 entrées[45]. En Argentine, le journal Crónica (en) apprécie une « farce souriante sur la classe moyenne française »[49]. PostéritéLa scène de visite des Catacombes évincée du scénario inspire à Pierre Tchernia l'idée de son prochain film[16]. Une photo des repérages dans une carrière de gypse en région parisien — « Extraordinaire ! C'est comme une cathédrale taillée dans le roc, un lieu de tournage idéal » — l'avait particulièrement marquée, au point de lui inspirer une histoire se déroulant dans le Paris souterrain[16],[50]. Moins intéressé par le sujet, René Goscinny accepte de co-écrire ce film, Les Gaspards, mais sa participation est cette fois plus erratique, avec seulement quelques révisions, conseils et des interventions au montage[50]. Ce deuxième film reprend une partie de la distribution du Viager, dont Michel Serrault, Michel Galabru, Gérard Depardieu et Jean Carmet[50]. Tchernia et Goscinny poursuivent leur fructueuse collaboration avec les dessins animés Les Douze Travaux d'Astérix (1976) et, d'après Lucky Luke, La Ballade des Dalton (1978)[51],[52]. Après la mort de Goscinny en 1977, Tchernia veille aux scénarios des adaptations des œuvres de son ami, notamment Astérix et la Surprise de César (1985), Astérix chez les Bretons (1986) et Astérix et les Indiens (1994)[52]. Poursuivant sa carrière de réalisateur, Tchernia met en vedette Serrault dans la plupart de ses autres films comme La Gueule de l'autre (1979), Bonjour l'angoisse (1988) et les téléfilms La Grâce (1979), Héloïse (1990), L'Huissier (1991) et Le Secret du petit milliard (1992)[15]. Serrault interprète à nouveau un centenaire dans le téléfilm Un Coeur oublié (2001), dans le rôle du philosophe Bernard Le Bouyer de Fontenelle[53]. Puisque tourné à Saint-Tropez, Le Viager est mis en valeur dans l'exposition consacrée à Michel Galabru en 2022 au musée de la Gendarmerie et du Cinéma[54]. Le cas d'un vendeur en viager ayant survécu à ses acheteurs et devenu centenaire a existé dans la réalité. L'Écho républicain de la Beauce et du Perche relate en 1961 la situation de Mme Ygouf de Sainte-Honorine-des-Pertes (Calvados), âgée de 101e année, qui avait vendu sa maison en viager en 1932 à un couple depuis décédé ; la rente viagère est alors continuée par leur fils, par ailleurs maire de la commune[55]. Le cas le plus connu et le plus extrême est celui de la doyenne du monde, Jeanne Calment, qui, en 1965, à l'âge de 90 ans, avait vendu son appartement en viager à son notaire ; elle meurt trente-deux ans plus tard, âgée de 122 ans, survivant de deux ans à son débirentier[56]. Avec la rente mensuelle de 2 500 francs, le notaire puis sa veuve ont donc versé au total jusqu'à la mort de Calment la somme de 920 000 francs, soit plus de deux fois le prix de l'appartement[56]. En 1998, les économistes américains Gary Becker et Tomas J. Philipson (en) déterminent par des études statistiques que les personnes ayant vendu un bien en viager ont tendance à vivre plus longtemps[57], tandis qu'une étude plus tardive indique l'inverse[58]. Autour du film
Notes et référencesNotes
Références
AnnexesBibliographie
Liens externes
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