Le Lys rouge
Le Lys rouge est le seul roman mondain d'Anatole France, écrit en 1893 et publié en 1894, d'abord en cinq livraisons à partir d'avril et juin 1894 dans la Revue de Paris[1] et de suite après en volume chez Calmann-Lévy. D'abord conçu sous le titre "Terre des Morts", expression qui renoue avec une affaire poético-politique déclenchée par le poème "Le dernier chant du pèlerinage de Harold" d'Alphonse de Lamartine[2], dès sa première publication l’œuvre n' a jamais porté que son titre final. Il fait allusion à la ville de Florence: Le lys rouge figure comme son blason depuis la victoire des Guelfes sur les Gibelins au 13ème siècle. Son symbolisme le rattache à la mort et l'opposera comme symbole de l'amour charnelle au lys blanc associé au culte de la virginité, évoqué au 15ème chapitre. RésuméThérèse née Montessuy, mariée il y a six ans par son père au comte Martin-Bellème, banquier avec des aspirations politiques, à l'occasion d'une chasse au renard et sans raison spécifique, met terme à la relation érotique qu'elle a entretenu pendant trois ans avec Robert Le Ménil, un jeune homme de la bonne société qui fréquente son salon. Pendant un séjour chez son amie, la poétesse anglaise Vivian Bell, à Florence elle y retrouve le jeune sculpteur Jacques Dechartre: C'est d'après la volonté de Bell que Dechartre les accompagnera aux églises et aux musées de Florence, pour y contempler les chefs d'oeuvres de l'art florentin de la renaissance. S'ensuit une passion mutuelle, qu'ils viveront dans un hôtel de passe dans la Via Alfieri, proche du Cimetero degli Inglesi. Leur bonheur n'est que de courte durée: L'apparition de Robert Le Ménil à Florence sème la méfiance au coeur de Dechartre, qui, de plus en plus, se laisse emporter par sa jalousie. Elle atteint son apogée neuf mois plus tard, de retour à Paris, et dans le cadre d'une représentation de Faust à l'opéra, pendant la nouvelle se repand, que le mari de Thérèse soit nommé ministre de finances. Dans le foyer, Dechartre est témoin de sa confrontation avec Robert Le Menil, qui reclame d'elle la reprise de leur liaison. Il interprète mal cet échange, se sent vivement blessé et prend congé, puis rejette toute tentative de reconciliation de la part de Thérèse: Il déclare ne ses présumés droits de la posséder à toujours violés: «Je ne vous vois plus seule. Je vois l'autre avec vous, toujours.»[3][style à revoir] Particularités de l'oeuvreRoman à clefD'après Elizabeth Emery, le grand succès que connût Le Lys rouge jusqu'à la seconde moitié du 20ème siècle, serait du a son caractère autofictionnel qui en fait partiellement un roman à clef[4]. Ainsi l'auteur puise de sa propre vie passionnelle pour dépeindre celle des personnages principaux: Sa correspondance intime avec Léontine Arman de Caillavet, née Lippmann, qui témoigne de la liaison extramatrimonial que les deux entretenaient depuis 1866 jusqu'à la mort de la salonnière en 1910, lui a de toute évidence servi comme source pour illustrer le thème de la jalousie. Par exemple, à l'instar de Dechartre, Anatole France s'était déclaré incapable d'évincer l'image de son prétendu rival: «Je suis halluciné, je suis hanté. Jamais, jamais plus je ne te verrai seule»[5]. Pourtant l'auteur brouille les pistes en intégrant avec la figure du poète Paul Vence un autre double de lui-même au récit. Facilement on a pu reconnaître dans le personnage extravagant du poète Choulette un portrait de Paul Verlaine, qui pourtant semble être enrichi de quelques traits de Louis Nicolardot[6]. D'autres servent d'occasion comme porte-paroles de l'auteur, comme Vivian Bell, qui dans la fiction constate d'avoir « toujours trouvé que M.Choulette ressemblait à Socrate »[7], rapprochement qu' Anatole France avait établi dans son article sur le poète à l'hôpital publié quatre ans auparavant[8]. Outre le biographe Edwin Preston Dargan[9], c'est surtout le bibliothécaire Julien Cain qui, par ses recherches, a le plus contribué à décrypter ce jeu d'identités[10],[11]. Ont apparemment prêté de leurs traits l'écrivaine Agnes Mary Frances Robinson à Vivian Bell, l'orientaliste d'origine allemand Jules Oppert au savant Joseph Schmoll, et le ministre des cultes Eugène Spuller au sénateur Loyer. Quant à Rober Le Menil, il semble établi que son modèle a été un certain Monsieur Gassou, sombré dans l'oubli depuis, de qui Edwin Dargan ne réfère seulement qu'il a été « a sporting type from Bordeaux », sans indiquer ni son prénom ni sa profession[12]. Roman à thèses et roman de conversationLa conversation joue un rôle majeur dans le livre. Ainsi, tout en ironisant la couche sociale de laquelle il fait le portrait caricatural dans Le Lys rouge[13] l'auteur prête aux personnages ridiculisés qui la constituent à la fois des sottises et des sentences judicieuses. Par exemple le personnage de Schmoll, dépeint, comme tous les représentants du judaïsme dans les œuvres narratives d'Anatole France du moins avant l'affaire Dreyfus, à l'aide de stéréotypes antijudaiques[13], articule des révélations qui s'accordent parfaitement avec la vue francien de l'histoire: «Le Moyen Age, dit-il, n’est clos que dans les manuels d’histoire qu’on donne aux écoliers pour leur fausser l’esprit. En réalité les barbares sont toujours les barbares»[7]. C'est ainsi que Schmoll, sans que lui ni France ne le veuillent, devient un vrai prophète en annonçant: «L’antisémitisme, c’est la mort [...] de la civilisation européenne»[7]. De cette manière l'auteur développe à travers les discussions, dialogues et dans les monologues intérieurs sa pensée soit sur l'histoire de la Révolution, condamnée vivement par Choulette, sur la gestion des monuments, sur l'art et notamment sur l'amour, qui souvent aboutissent à des aperçus originaux à la plupart de teinture nihiliste: «L’amour sensuel est fait de haine, d’égoïsme et de colère autant que d’amour» est un verdict de Choulette[14] mais sans-conteste proche de la vision francienne de l'amour[15]. De même c'est Thérèse qui constate: «On s’explique toujours, on ne se comprend jamais»[16], conviction facile à approcher aux jugements qu'émet l'auteur dans La Vie littéraire. Théorie esthétiqueLes discussions sur l'esthétique, ou bien, plus précisément sur la réception d’œuvres d'art, occupent une grande partie du roman. France a conçu dans Le Lys rouge une série de scènes de réception inappropriée, douteuse ou défaillante de l'art : Ainsi, Madame Marnet, compagne de Thérèse, se révèle aveugle à la capacité créatrice des artistes : «Her greatest pleasure in museums derives from discovering in paintings the faces of people she knows», résume Elizabeth Emery[17]. A San Marco, les touristes anglaises consultent leur guide Baedecker au lieu d'admirer les fresques du Fra Angelico. Thérèse, elle aussi, se montre d'abord insensible aux charmes de la Renaissance : «Il vint à rappeler à Thérèse la peinture qu'ils avaient vue ensemble, l'avant veille, à Santa-Maria, sur la porte des Servi, fresque presque effacée [...]. C'en était assez pour exalter l'artiste. Mais elle n'avait rien distingué, elle n'avait pas été émue» (p.176) , lit-on au début de la relation Martin/Dechartre: Au fur et à mesure que Dechartre l'initie à l'art, la passion réciproque grandit également, note Emery[18]. Finalement, la perception de l'art et l'amour coïncident : « Dechartre était pour elle l'âme de ces formes magnifiques, l'esprit de ces nobles choses», constate Thérèse en se souvenant de la visite de la chapelle Brancacci. « C'est par lui, c'est en lui qu'elle comprenait l'art et la vie» (pp.159-160). Sa réception de l'art devient ainsi elle-même un roman, et celui-ci se révèle être une illustration de l'idéal de Frances conçu dans La vie Littéraire : « Le bon critique est celui qui raconte les aventures de son âme au milieu des chefs-d’œuvre »[19]. Position dans l’œuvreLe cinquième roman d'Anatole France est en même temps l' unique roman façonné d'après le modèle des romans psychologiques de Paul Bourget: L'on sait qu'il ne l'a entamé que sur l'insistance de Léontine Arman[20]. D'après Gier il marque le début de la courte phase "mondaine" dans l’œuvre francien et a du changer l'image publique de son auteur: «L'auteur du Lys rouge ne peut pas, c'est évident pour tout le monde, être un ermite moderne dans la cité des livres, il doit être un écrivain mondain.»[21] Tandis que la critique littéraire l'a reçu en général de manière bienveillante mais sans enthousiasme, auprès du publique il fut un succès immédiat: «Having excited much gossip at tea-tables, before publication, it was the chief literary event of the Summer of 1894.»[20] Au cours de l'année il connaîtra 14 éditions. Cinq ans après sa parution une version théâtrale du Lys rouge fut jouée au Théâtre du Vaudeville[22]. Il ne reste que très peu de traces de la seule adaptation cinématographique réalisée en 1920 par Charles Maudru, avec Jean Dax dans le rôle de Jacques Dechartre et Suzanne Delvé dans celui de Thérèse[23], dans les salles jusqu'en 1923 au moins[24]. Anatole France lui-même en est pourtant cité comme auteur du scénario. Parmi les premières traductions, on trouve celle en allemand de Franziska zu Reventlow, datant de 1899[25]. En 1910, une version anglaise est publiée aux États-Unis, sans indication du traducteur. A partir de 1906, au moins 13 versions différentes sont publiées en italien. Citations
Notes et références
Voir aussiArticles connexesLiens externes
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