Langue des oiseauxLa langue des oiseaux est une langue fictive et secrète, qui consiste par des jeux de langages et de codes à donner un sens autre à des mots ou à une phrase. Ce procédé littéraire peut reposer sur plusieurs jeux comme celui de sonorités (homophonie), des jeux de mots (verlan, anagrammes, fragments de mots, etc.) ou par le recours à la symbolique des lettres. Ce sens caché peut amplifier le sens premier de ces mots ou au contraire s'y opposer. Autrement dit, la langue des oiseaux est une langue tenant de la cryptographie, qui se fonde sur trois niveaux :
Les plus anciens documents dont nous disposons aujourd'hui théorisant la langue des oiseaux sont signés Grasset d'Orcet et Fulcanelli, et remontent à la seconde moitié du XIXe siècle. Ils attribuent néanmoins à la langue des oiseaux des origines immémoriales : elle aurait longtemps été une langue d’initiés, un système de codage occulte lié à l’alchimie et à la poésie hermétique (de Hermès, dieu patron des phénomènes cachés). Elle acquiert une dimension psychologique au XXe siècle, avec les travaux de Carl Gustav Jung ou de Jacques Lacan, qui y voient un codage inconscient permettant d’amplifier le sens des mots et des idées. Le Dictionnaire des langues imaginaires recense plusieurs entrées en lien avec la langue des oiseaux : langage des animaux, langue des corbeaux, langage de l'extase (mystique), langage ludique, langage du rossignol, langue secrète… Néanmoins il existe des langues farfelues (comme la langue des corbeaux) sans fondements historiques, sûrement inventions de cas pathologiques[1]. Il faut ainsi différencier les « langues secrètes » des langues farfelues, des langues inventées (la langue des grenouilles, d'Aristophane), des jargons et dialectes et des imitations (« langue des animaux » dont Mircea Eliade dit qu'elle consiste à « imiter leurs cris, surtout les cris d'oiseaux »). Finalement, c'est l'existence d'un code caché qui permet de départager ces registres et de repérer l'originalité de la langue des oiseaux. PrincipeL'expression de « langue des oiseaux » consiste à entendre un son plutôt qu'à le lire. L'exemple suivant permet d'en comprendre le principe[2] :
Le message codé comporte un ensemble d'éléments à interpréter : « vois si », « un mets sage », « se crée », « dit sans les mots ». À la différence de l'amphibologie (phrase qui peut avoir deux sens comme dans « J'ai tué un éléphant en pyjama » : « je l'ai tué alors que j'étais en pyjama » ou « j'ai tué un éléphant qui avait un pyjama »), exemple qui ne prend pas en compte la logique bien entendu, la phrase en langue des oiseaux joue sur l'homophonie des mots la composant. Quant à l'interprétation, elle dépend du contexte et des récepteurs[réf. nécessaire]. Dans cette langue le « double sens » prime, permis entre autres par l'homophonie. Origine de l’expressionL’expression « langue des oiseaux » (on emploie également l’expression synonyme de « langue des anges ») a une origine confuse et plurielle :
HistoireXIXe et XXe sièclesGrasset d'OrcetGrasset d'Orcet (1828-1900) étudie les traces des systèmes cryptographiques de la Grèce archaïque. Fort de cette expérience il publie des articles sur la Langue des Oiseaux parus dans la Revue Britannique. Ami de Fulcanelli, ayant eu une puissante influence sur l'abbé Henri Boudet (voir ci-après), Grasset d'Orcet va se consacrer à l’étude des « Matériaux cryptographiques » c’est-à-dire aux règles de décodage des textes en langue des oiseaux. Il se focalise surtout sur l’héraldique, autre science aux origines occultes usant du double langage. Les devises hiéroglyphiques du blason obéissent en effet à des règles permettant leur « lecture » (autre qu’iconique). FulcanelliFulcanelli, dont la véritable identité demeure inconnue[3], dans Les Demeures philosophales, ouvrage d’alchimie moderne où il montre que les maîtres spagyriques ont fixé dans la pierre des cathédrales leur savoir ancestral, fut l'un des premiers à révéler clairement le sens de la langue des oiseaux :
La dimension cryptographique de cette langue est donc avérée selon lui ; néanmoins, elle reposerait sur le grec ancien. Puis Fulcanelli va définir la méthode fondant la langue des oiseaux comme étant phonétique :
Il continue, insistant sur le double sens de cette langue :
Puis il en fait la langue originelle de l’humanité, celle d’avant Babel (voir chapitre « origine ») :
Pour Fulcanelli, chaque nom alchimique contient, dans la langue des oiseaux, une correspondance symbolique que la phonétique exprime : l’antimoine par exemple fait référence à l’âne initiatique : « Sachez donc, frères, afin de ne plus errer, que notre terme d'antimoine... désigne, par un jeu de mots familier aux philosophes, l'âne-timon, le guide qui conduit[7]... » Dans Le Mystère des cathédrales, l’art gothique est un langage lui-même interprétable par la langue des oiseaux. Cette hypothèse, propre à Fulcanelli, jamais évoquée au Moyen Âge nous permet d’étudier le fonctionnement symbolique à l’œuvre dans la langue des oiseaux. Tout d’abord, phonétiquement l’expression « art gothique », par raccourci : « art goth » (prononcez [go]) est proche de celle d’ « argotique » ; il y a homophonie parfaite :
L’art gothique renvoie à un langage codé donc. L’amplification symbolique peut ensuite être proposée au moyen d’une seconde mise en correspondance phonétique : « Les argotiers, ceux qui utilisent ce langage, sont descendants hermétiques des argo-nautes, lesquels montaient le navire Argo [...] pour conquérir la fameuse Toison d’Or. [...] Tous les Initiés s’exprimaient en argot, aussi bien les truands de la Cour des Miracles, - le poète Villon à leur tête,- que les Frimasons, ou francs-maçons du Moyen Âge, « logeurs du bon Dieu », qui édifièrent les chefs-d'œuvre argotiques que nous admirons aujourd’hui. » Il existerait donc une correspondance entre l’art gothique, le langage codé dit argotique et le mythe des Argonautes, largement évoqué par les auteurs alchimistes. Cette relation pourrait être synthétisée en une phrase reprenant tous les termes : l’art gothique est un langage codé utilisé par un groupe d’initiés à cette langue et recherchant la Toison d'or (sous-entendu, par métaphore : la pierre philosophale). La destination spirituelle de cet art est renforcée par la racine grecque de l’adjectif « gothique » :
René GuénonRené Guénon, dans Symboles de la Science sacrée, pense que la langue des oiseaux regroupe les formules et incantations ésotériques fondamentales. Il considère qu’elle est la métaphore de la communication de l’humain avec les « êtres supérieurs » que sont les anges : « les oiseaux sont pris fréquemment comme symbole des anges, c’est-à-dire précisément des états supérieurs ». Il montre que c’est dans la tradition islamique qu’apparaît la langue des oiseaux, avec la figure de Salomon :
Le terme aç-çāffāt est considéré comme désignant littéralement les oiseaux, mais comme s’appliquant symboliquement aux anges (al-malā’ikah) par proximité phonétique. La langue des oiseaux serait donc une expression pour désigner la langue des anges. (Guénon cite notamment l’étude sur le symbolisme de l’« oiseau de paradis » de M. L. Charbonneau-Lassay, fondée sur une sculpture où cet oiseau est figuré avec seulement une tête et des ailes, forme sous laquelle sont souvent représentés les anges). Pour Guénon, cette langue est avant tout fondée sur le rythme universel, sur le vers et la poésie. PsychologieLes jeux de mots : fenêtre sur l’inconscientÉtienne Perrot, continuateur de Jung, fait de la langue des oiseaux et des jeux de sonorités une capacité du rêve d'exprimer de manière parallèle une réalité psychique[11] :
Il justifie le double sens phonétique des textes alchimiques par cette citation de l'auteur ésotérique Michael Maier, qui explique :
Perrot reconnaît au rêve une certaine motivation, indépendante de la conscience, un certain humour qui transparaît par la langue des oiseaux. En déstructurant le mot, par les sonorités qu'il contient, le rêve (l'inconscient en somme) donne à entendre un autre sens. Perrot voit dans le mot onirique une capacité à se « dilater » par une mise en correspondance de symboles. Il y voit également une correspondance constante avec la musique de l'alchimie dans laquelle « toute cuisson s'accompagne d'une musique : un four gronde, un feu crépite, l'eau sur le feu chante et, si l'on y plonge un métal porté au rouge, il siffle[14]. » Cependant, Perrot ne cherche pas l'interprétation systématique : « le seul plan qui nous intéresse est celui des analogies signifiantes de la langue des oiseaux[15]. » Niveaux d'interprétation« (..) la Langue des Oiseaux ne peut s’apprendre avec les Sens, la mémorisation. Elle ne se laisse pas dévoiler non plus avec la logique limitée du connu actuel. Le mot, la lettre, sont des « koans » déployant, et basés sur, une logique plus logique que la logique officielle ! » : Yves Monin dans son livre Hiéroglyphes Français et Langue des Oiseaux pointe là un autre niveau d'interprétation de la langue des oiseaux correspondant à la symbolique graphique et non plus phonétique. Monin remarque à ce propos que le mot « O.I.s.E.A.U » a la particularité de faire appel à presque[16] toutes les voyelles sans qu'aucune ne s'entende. Un jeu de motsLuc Bige, dans son Petit dictionnaire en langue des oiseaux. Prénoms, Pathologies Et Quelques Autres, dresse une liste de ces expressions courantes tenant du double sens. Il montre également qu'à chaque mot les possibilités augmentent, et qu'à partir d'une phrase simple on peut, selon diverses méthodes (déconstruction des syllabes, homographes, homophonie, champs sémantiques...), obtenir à chaque fois des phrases d'autres sens. Il prend notamment l'exemple du syntagme simple : « Ma chandelle », qui peut donner : ma chan d'elle > elle m'a chanté > mon chant qui vient d'elle > mon chandail ma champ d'elle > mon champ qui vient d'elle mâ(che) champ d'elle > mâche (laboure, etc.) son champ mâ(che) chant d'ailes > le chant de ceux qui ont des ailes UsagesSelon les personnes qui préconisent dans certains cas (comme l'hypnose ericksonienne) le recours à ce langage, la langue des oiseaux permettrait d'améliorer son intuition, son ressenti, pour trouver de l'inspiration pour de l'art ou pour émettre des hypothèses dans un but de recherche[17]. LinguistiqueLes mécanismes linguistiques mis en œuvre dans la langue des oiseaux sont nombreux ; on peut citer :
Notes et références
Voir aussiArticles connexes
Liens externes
Bibliographie
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