Jeanne Weil ProustJeanne Weil Proust
Jeanne Clémence Weil Proust, née à Paris le et morte le à Paris 8e, est une épistolière francaise, épouse d'Adrien Proust et mère de Marcel et Robert Proust. Environnement familialJeanne Clémence Weil est issue d’une famille juive venue d’Allemagne[1]. Son grand-père paternel, Baruch Weil (1782-1828), obtient la citoyenneté française et fonde sous le Consulat une manufacture de porcelaine à Paris, dans l'actuel 10e arrondissement. Le père de Jeanne, Nathé Weil (1814-1896) ne reprend pas l’entreprise paternelle mais s’oriente vers les affaires et dirige un bureau d’agents de change. Du côté maternel, la famille est originaire de Trèves (Rhénanie-Palatinat). Le grand-père Nathaniel Berncastel s’installe à Paris en 1813 et ouvre un commerce de quincaillerie, de porcelaine et d’horlogerie qui devient vite très florissant. Il obtient la nationalité française en 1827. Sa femme Rose appartient à une vieille famille de Metz, les Silny, et a pour beau-frère, Adolphe Crémieux, jeune avocat appelé à devenir une prestigieuse figure politique du Second Empire. La mère de Jeanne, Adèle Berncastel (1824-1890) reçoit une solide éducation, dans la tradition de la grande bourgeoisie juive saint-simonienne. Son beau-frère, Godchaux Weil, alias Ben Lévi, est un écrivain célèbre alors dans la communauté juive[2]. Adèle fréquente les salons : celui de sa tante Amélie (épouse d’Adolphe Crémieux), mais aussi ceux de la comtesse d’Haussonville et de la princesse Mathilde. Elle prise beaucoup la littérature et la musique et inculquera à sa fille Jeanne et son petit-fils Marcel un goût tout particulier pour les œuvres du Grand Siècle, comme les Mémoires de Saint-Simon, le théâtre de Racine et, surtout, les Lettres de Mme de Sévigné. Éducation et mariageJeanne naît le au 40bis, rue du Faubourg Poissonnière dans un Paris qui achève de subir une terrible épidémie de choléra (20 000 morts à Paris, plus de 110 000 en France). Elle est la cadette de Georges-Denis Weil (1847-1906), son unique frère. Sous l’influence de sa mère Adèle, aimante et cultivée, Jeanne fait son apprentissage de la vie. Elle reçoit une éducation très complète pour une jeune fille de cette époque. Comme le signale Évelyne Bloch-Dano, «… si Jeanne avait été un garçon, elle aurait fait des études. Elle sait le latin et parle couramment l’anglais et l’allemand. Comme sa mère, elle est excellente pianiste. Elle partage avec ses parents et son frère la passion des livres. Elle aime comprendre et approfondir. Chez les Weil, on discute beaucoup et cela seul suffirait peut-être à les distinguer des familles de la bourgeoisie traditionnelle où les filles grandissent comme des oies engraissées en vue du seul mariage. »[3] En 1870, Jeanne a 21 ans. Elle est devenue une belle jeune femme, à la splendide chevelure noire ramenée en chignon, au regard sombre et velouté et au sourire à la fois tendre et légèrement moqueur. Son père va lui présenter Adrien Proust, un jeune médecin dont il a fait connaissance quelque temps auparavant chez un de ses collègues de la Bourse. Déjà reconnu pour ses travaux d’hygiéniste et d’épidémiologiste, Adrien Proust est un homme sérieux, aimable et rassurant. Il n’appartient pas à la communauté juive mais il représente un bon parti et, dans l’esprit nourri des Lumières de la famille Weil, il est le garant d'une plus grande intégration sociale. Nathé Weil ne marierait en aucun cas sa fille contre son gré mais son choix est le bon : bien que de quinze ans son aîné, Adrien plaît à Jeanne. Le mariage est célébré à la mairie du 10e arrondissement, le , au lendemain de la défaite de Sedan[4]. Les époux ne pratiquant pas la religion de leur famille respective, le mariage demeurera civil, simplifiant ainsi le problème de la mixité de leur union. Il est prévu toutefois que les futurs enfants seront éduqués dans la religion du père, autrement dit le catholicisme. Une personnalité discrète et spirituelleÀ la différence de sa contemporaine, Geneviève Halévy, grande amie de son fils Marcel, Jeanne Proust ne brillera pas dans les cercles mondains et ne fera pas salon. Elle demeurera une maîtresse de maison effacée, dévouée à son mari et ses fils. Mais pour discrète et pudique que soit sa personnalité, elle n’en possède pas moins un éclat certain. En témoigne ce texte de Marcel Proust qui, bien que détourné de son modèle initial, comme aimait à le faire l’écrivain, n’en évoque pas moins la figure maternelle[5] :
Un autre trait marquant de la personnalité de Jeanne Proust : son humour, si délicatement ironique. Ainsi témoigne-t-elle, dans une lettre à son fils, de son dépit de voir son mari absent (Adrien Proust fréquentait beaucoup de congrès internationaux et adorait partir en mission à l’étranger) et du caractère décousu de leur correspondance : « Comme nos lettres ne peuvent jamais se répondre j’y éprouve comme quand on consulte mal le n° du catalogue au salon, et que, cherchant le nom d’un portrait, on trouve “Nature morte”»[6]. Autres exemples : dans ses échanges et sa correspondance avec son fils Marcel, Jeanne développera un jeu plaisant, et parfois codé, de citations extraites du théâtre classique. Jusqu’à l’heure même de son agonie, le , Jeanne poursuivra ce jeu. Profitant de l’absence momentanée de la religieuse qui veillait sur elle, elle dira à Marcel : « Son départ ne pouvait plus à propos se faire[7] » et voyant que ce dernier fondait en larmes, elle ajoutera : « Si vous n’êtes Romain, soyez digne de l’être », citation de Corneille « dont elle avait égayé leurs séparations dans son enfance »[8]. Une mère protectrice et stimulanteTous les biographes de Proust s’accordent à souligner le caractère très fusionnel de la relation qui unissait Jeanne Proust et son fils aîné, Marcel. Cette situation est probablement la conséquence de plusieurs facteurs. Tout d’abord, le premier-né de Jeanne est venu au monde dans des conditions assez dramatiques : en , le couple avait dû fuir Paris, affamé par le siège des Prussiens puis bouleversé par les événements de la Commune. L’enfant faillit mourir à la naissance[9]. À l’âge de dix ans, lors d’une promenade avec ses parents au bois de Boulogne, Marcel connaît sa première crise d’asthme et manque une nouvelle fois de mourir, étouffé. Dès lors, Jeanne se préoccupera sans cesse de sa santé, exigeant de son fils, lorsqu’il se trouve éloigné, des rapports quotidiens sur son hygiène de vie. L’autre élément déterminant chez cette mère, soucieuse toutefois de ne pas faire de différences entre ses deux fils, est le goût de la littérature et de l’art qu’elle partage avec son aîné. Doué pour les mathématiques et les sciences, sportif, Robert Proust sera plus proche de son père et, de manière générale, plus indépendant que son frère, Marcel, très attaché à la présence et la culture maternelle. Cette profonde affection s’accompagne aussi d’une grande exigence et d’une réelle collaboration intellectuelle. Ainsi lorsque Marcel Proust voudra entreprendre en 1900 la traduction de La Bible d’Amiens de John Ruskin, c’est Jeanne, forte de ses compétences en anglais, qui lui en fera une première version littérale que le jeune écrivain retravaillera ensuite pour en faire la traduction définitive[10]. Parfois velléitaire dans ses projets, Marcel sera fortement encouragé par sa mère, qui le remet régulièrement au travail et lui rappelle que cette publication tenait particulièrement à cœur à son père récemment défunt. L’ouvrage paraîtra finalement au Mercure de France en 1904. Comme en témoigne sa correspondance, Marcel Proust consultera sa mère sur bien des aspects pratiques de sa vie et, notamment, sur les questions d’argent. Jeanne n’aura de cesse de vouloir rendre indépendant et organisé ce fils quelque peu excentrique[11]. Consciente de son orientation sexuelle, elle se montrera compréhensive, voire accueillante et accommodante, avec les amis de son fils, tout en demeurant vigilante sur sa réputation. En , elle accepte, par exemple, de remettre 25 francs à Pierre Poupetière, jeune protégé de Marcel[12]. Elle se fâche, en revanche, devant la photographie, par Otto Wegener, de son fils accompagné de Robert de Flers et d’un Lucien Daudet « enamouré »[13]. Paradoxalement, ce grand amour maternel rendra difficile l’épanouissement du fils. Comme le confiera la religieuse de garde à Marcel Proust au moment de la mort de Jeanne : « Pour elle, vous aviez encore quatre ans »[14]. Il fallait peut-être que cette mère exceptionnelle meure pour que son fils, bien que brisé par sa disparition, puisse ensuite accomplir le chef-d’œuvre que l’on sait. Souffrant depuis longtemps d’une grave insuffisance des reins — déficience familiale qui avait déjà emporté Adèle Weil en 1890 – Jeanne Proust s’éteindra le à la suite d’une crise d’urémie. Comme le dira l’abbé Mugnier, une quinzaine d’années plus tard à propos de Marcel Proust, « nul n’est moins mort[e] qu’[elle] » car elle vit désormais, et pour longtemps, entre les pages écrites par son fils. Évocations littérairesJeanne Proust a directement inspiré le personnage de Mme Santeuil (dans Jean Santeuil) et ceux de la mère et de la grand-mère du narrateur dans À la Recherche du temps perdu . Mais la figure maternelle est diffuse dans toute l’œuvre de Proust qui, vers 1908, avait tout d’abord envisagé de conclure son cycle romanesque par un texte intitulé non pas Le Temps retrouvé mais « Conversation avec Maman[15] ». Cette « conversation » confirme la nature intellectuelle des échanges entre le fils et la mère et sera reprise dans l’ouvrage posthume édité et intitulé par Bernard de Fallois Contre Sainte-Beuve. Ce texte devait permettre à l’écrivain d’exposer son esthétique et son art poétique, exposé repris et transcendé dans la version définitive du Temps retrouvé. Un fragment de cette conversation, trop directement autobiographique pour être conservé dans La Recherche, nous livre un tableau de famille émouvant et hautement symbolique[16] :
L’évocation ne sera pas toujours idyllique. Un an et demi après la mort de Jeanne, dans un article pour Le Figaro rédigé à la suite de l’assassinat de Mme van Blarenberghe par son fils Henri[17], Marcel formule une terrible interrogation à laquelle toute son œuvre s’efforcera sans doute de répondre.
Voir aussiBibliographie
Articles connexesLiens externes
Notes et références
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