Agrégée de lettres modernes, elle a enseigné la littérature à l'université de Tunis avant de travailler à l'Unesco en tant que fonctionnaire internationale. En 1998, elle fonde le Collège international de Tunis qu'elle préside.
Elle a écrit bon nombre de livres et a participé à de nombreux ouvrages collectifs. Elle publie aussi des articles dans les revues Le Débat et Esprit[1]. En 2008, elle fait partie du jury du Prix du roman arabe[2].
Après des études secondaires au lycée Carnot de Tunis, elle poursuit des études supérieures de lettres à la Sorbonne (Paris) où elle obtient l'agrégation de lettres modernes en 1973. Elle est la première femme tunisienne à obtenir cette agrégation[3]. Elle est ensuite maître-assistante à la faculté de lettres de Tunis et à l'École normale supérieure de Tunis. Elle est radiée de l'université tunisienne le , peu après le coup d'État du 7 novembre 1987, et n'a jamais été réintégrée depuis. Elle occupe par ailleurs un poste de fonctionnaire international à l'Unesco[4] entre 1980 et 1987.
Réflexions sur la décolonisation
En 1982, elle publie son premier livre, Le Désenchantement national, essai sur la décolonisation[5],[6],[7],[8],[9], une analyse critique des nouvelles formes d'arbitraire politique qui avaient suivi l'indépendance tunisienne, en particulier la monopolisation du pouvoir par le parti unique, l'absence de liberté d'expression, et le caractère despotique du pouvoir personnel du temps du président Habib Bourguiba. Dans un récit autobiographique, L'Œil du jour[10],[11],[12],[13],[14], elle s'attache à raconter la vie quotidienne dans la médina de Tunis, où la société est décrite dans un style poétique et satirique, à travers des souvenirs personnels et des scènes de genre où sont évoquées les formes de la servitude sociale et politique, la mélancolie et l'impuissance des petites gens palpables à travers la narration.
Dans ses livres et travaux suivants, comme Nous, décolonisés, elle tente à travers une écriture existentielle et philosophique de décrypter les dominations, liées aux dérives du politique après l'indépendance, sur les populations libérées du colonialisme extérieur, mais pas de la « colonisation » des Tunisiens eux-mêmes[15]. Elle y mène une critique des dérèglements politiques et intellectuels de ces sociétés en quête de leur liberté introuvable. Elle décrit dans L'imposture culturelle l'atmosphère d'étouffement, d'impuissance et de désespoir qui s'est emparée du peuple et des élites, liées aussi au discours de l'identité culturelle elle-même et au danger des radicalismes[16],[17],[18],[19],[20],[21],[22],[23].
Elle brosse ainsi peu à peu, dans ses ouvrages, un « portrait du décolonisé », en pointant les aliénations postcoloniales, le mal-être lié à la quête de liberté et aux régressions identitaires. Elle s'intéresse à l'avant-garde théâtrale tunisienne, où elle met en valeur les audaces politiques de cette création libertaire contre un pouvoir répressif[24]. Ses positions contre la guerre du Golfe, à travers ses textes des années 1990, vont aussi dans le sens d'une critique des rapports de domination entre le Nord et le Sud[25],[26],[27]. Elle essaie de rendre compte, sous diverses formes, des inhibitions profondes liées aux interdits pesant sur la vie politique, religieuse, sociale et morale des pays décolonisés à travers l'exemple tunisien, en tentant d'approfondir les notions d'indépendance et d'émancipation[28],[29],[30]. Elle s'attache aussi à développer une thématique autour de la notion de civilité et de la question méditerranéenne post-coloniale[31],[32]. Elle consacre également des ouvrages à la question féminine comme Une force qui demeure et Islam Pride. Derrière le voile, ce dernier tentant de dépasser ce que l'auteur appelle « la guerre civile du voile », et décrit des signes de sécularisation des courants islamiques au cœur des sociétés modernes, ainsi que la cohabitation inéluctable entre l'islam et la démocratie, avant que le mouvement Ennahdha ne gagne les élections du 23 octobre 2011[33].
Collège international de Tunis
Tout en creusant sa réflexion sur la fermeture politique des sociétés post-coloniales, elle élargit son engagement en fondant en 1998, dans sa maison natale de Tunis, un espace de libre débat, le Collège international de Tunis[34] où, sans autorisation légale et sous surveillance, elle donne la parole aux intellectuels tunisiens et étrangers, sur des thèmes ayant trait aux thématiques culturelles et politiques contemporaines. Elle donne à cette occasion la parole à des intellectuels français engagés comme Jacques Derrida[35] et Jorge Semprún[36]. Le , elle organise un débat sur le droit d'ingérence[37], animé par Bernard Kouchner de retour du Kosovo, après avoir passé outre une interdiction de réunion. Durant le même mois, elle offre une tribune à Mohamed Charfi[38], où il présente sa grande réforme du système éducatif, dans une conférence tenue le 9 juin, alors que son livre Islam et liberté est interdit[39]. Durant l'été, elle invite Jean Daniel, dont le dernier livre avait été retiré des librairies à cause d'un passage critique sur le régime de Zine el-Abidine Ben Ali, pour une conférence intitulée « Mémoires et engagements »[40]. Hélé Béji publie le 19 juillet une tribune dans Le Nouvel Observateur, intitulée « La femme embastillée », pour protester contre l'arrestation de Sihem Bensedrine à Tunis[41].
Après la révolution de 2011, elle organise une série de conférences autour de l'« invention démocratique » où elle reçoit en particulier Felipe González, ancien président du gouvernement espagnol. En décembre, le Collège international de Tunis organise en partenariat avec l'Académie de la latinité et le Forum international de Réalités un grand colloque à Hammamet intitulé « Les nouveaux imaginaires démocratiques »[50].
En 2012, elle organise avec la société civile et universitaire une autre série de conférences autour du thème « Démocratie de citoyens, démocratie de croyants ? ». Le Collège international de Tunis poursuit son cycle de rencontres pour approfondir la réflexion historique et culturelle autour de l'avènement de la démocratie en Tunisie après la révolution. Les amis du collège suivent « Penser la démocratie », une initiative de l'Observatoire tunisien de la transition démocratique. Les rencontres de l'année mettent en exergue la nécessité d'identifier les obstacles et les paradoxes liés à la cohabitation entre le courant islamiste et le courant moderniste. L'indépendance culturelle du collège lui permet de travailler hors des points de vue partisans et d'engager une réflexion critique sur tout ce qui, par excès de polémique et de médiatisation superficielle, donnerait une image fausse de la réalité tunisienne dans cette phase délicate de conversion de l'État et de l'opinion publique à des pratiques démocratiques méthodiques, loyales et rigoureuses. Le collège n'hésite pas à mettre en présence des figures politiques se référant à l'islamisme politique et des figures intellectuelles d'un engagement adverse, en maintenant le cap d'un dialogue pacifique et civil entre les meilleurs éléments de leurs élites. En août, le collège organise une initiative, avec le Forum international de Réalités, le Centre des stratégies pour la sécurité du Sahel-Sahara et la participation d'experts européens, africains et tunisiens, sur la situation dramatique du Sahel.
↑Hamadi Habib, « Le désenchantement national », Démocratie, .
↑Denise Brahimi-Chapuis, Appareillages : dix études comparatistes sur la littérature des hommes et des femmes dans le monde arabe et aux Antilles, Paris, Tierce Deux Temps, , 179 p. (ISBN978-2903144609).
↑Marta Segarra, « Retrouver le temps perdu : L'Œil du jour » de Hélé Béji », dans Leur pesant de poudre : romancières francophones du Maghreb, Paris, L'Harmattan, .
« Alors, qui va l'entendre, Hélé Béji ? Les descendants des héros de la libération nationale, héritiers putatifs et kleptomanes, qui ressassent leur identité culturelle, leur authenticité ethnique, leur mémoire et leur islam au front de taureau, et y enferment leur société avec autant d'arrogance que d'incurie ? Il y a peu de chance qu'ils fassent bon accueil à quelqu'un qui, sorti de leurs rangs et dans leur propre camp, leur dit crûment : « Les décolonisés que nous sommes ne sommes pas malades de la peste, mais de nous-mêmes ». Entre l'indifférence des nantis, au Nord, et la censure des parvenus du Sud, cette méticuleuse, cette impitoyable exploration de l'envers du décor a pris, non sans courage, le risque de la solitude. Espérons qu'elle ne fournira pas un alibi facile aux nouveaux croisés ni un anathème automatique aux cibles de nos croisades humanitaires. Elle devra se faufiler sur une corde raide (Régis Debray, Marianne, 2 février 2008[réf. incomplète]). »
↑« Le discours de l'identité : une autre violence », Cahiers du Forum, no 4 « L'Europe et les Tiers mondes », .
↑« L'illusion culturelle : entre désenchantement national et enchantement religieux », Qantara, no 17, , p. 44-48.
↑« Équivalence des cultures et tyrannie des identités », Esprit, no 1, , p. 107 (ISSN0014-0759).
↑« Droits de l'homme et identité culturelle », dans Le devoir d'ingérence, Paris, Denoël, (conférence prononcée le 27 janvier 1987 à la première conférence internationale « Droit et morale humanitaire » organisée par Médecins du monde et la faculté de droit de Paris-Sud).
↑« Qu'est-ce que l'identité culturelle aujourd'hui ? », dans Nous et les autres, Paris, Babel, (table ronde avec Georges Balandier à la Maison des cultures du monde le 19 mars 1998).
↑« Le pluralisme fonde-t-il un nouvel humanisme ? », dans Le pluralisme des valeurs, entre particulier et universel, Bruxelles, Facultés universitaires Saint-Louis, .
↑« Le multiculturalisme est-il un humanisme ? », dans Entre Orient et Occident : Juifs et Musulmans en Tunisie, Paris, Éditions de l'Éclat, (ISBN978-2841621446).
↑« La pédagogie des Lumières ou la réforme du système éducatif tunisien », dans Les États arabes face à la contestation islamiste, Paris, Dalloz-Sirey, (ISBN978-2200015336).